Où l'on tentera de comprendre
comment la fiction extravagante de se croire protégé
par une divinité particulière s'est incrustée
dans les cervelles, y a prospéré de génération
en génération depuis des dizaines de siècles,
a conduit au sionisme contemporain et à l'extermination progressive
des Palestiniens..
Un volcan géopolitique
s'est allumé au début du XXe siècle, et s'est mis, à cracher sa
lave et ses cendres incandescentes. Depuis lors, éruptions et tsunamis
se sont succédé sans interruption. La terre s'est ouverte, des cheminées
adventices sont apparues, des empires ont été balayés, d'autres
ont surgi du néant. Le gigantesque empire ottoman et l'empire central
d'Autriche-Hongrie ne sont plus que des souvenirs. A partir de l'Est,
sur les ruines de l'Europe un empire idéologique puissant a étendu
sa grande ombre. A l'Ouest un empire balbutiant a commencé de s'édifier
dans le crime et la guerre permanente. Une maffia financière y a
pris le pouvoir et a commencé de cimenter les fondations de sa violence
et de ses rapines. L'arme financière perverse sera utilisée avec
cynisme durant les décennies qui suivront et poursuit encore et
encore la longue cohorte de ses crimes sur les planète entière.
Face à ces titanesques
bouleversements, une pustule en apparence insignifiante mais d'une
vigueur increvable, a émergé des quartiers juifs de l'Orient russe.
Jouant des coudes à l'Est et à l'Ouest, la tête d'épingle sioniste
s'est si vigoureusement plantée dans la géopolitique qu'elle est
progressivement devenue le pieu ardent autour duquel la planète
politique s'est mise à tourner. Le tourbillon ne s'est plus arrêté.
Deux tsunamis militaires
étroitement liés à cet accouchement improbable ont durant cette
période si profondément ravagé la vieille Europe que le continent
ne s'est jamais remis de ces désastres. Des cadavres par millions
ont recouvert le sol des patries. Un sang pauvre coule désormais
dans les veines des survivants ahuris et soumis sans rechigner au
suzerain fort en gueule qui les a domestiqués.
Le goût de la liberté
s'est évanoui et la souveraineté est devenue un mot sonore que les
bouches prononcent encore parfois, mais dont les cervelles ne comprennent
plus le sens.
Pendant ce temps, les
sillons mortifères des missiles zèbrent les cieux du Moyen-Orient.
L'Etat des immigrés sionistes continue de jouer des coudes et tente
d'agrandir son espace vital au nord, au sud et à l'est, au détriment
des peuples autochtones, le tout au nom d'un vieux mythe porteur
de calamités pour tous, y compris pour ceux qui tentent de s'en
faire un bouclier.
Par une de ces ironies
dont l'histoire a le secret, deux hommes aussi profondément médiocres
l'un que l'autre, bien que dans des styles différents, furent les
héros et les hérauts de cet exploit : Theodor Herlz et lord Arthur
Balfour. Ils furent les généraux involontaires d'une saga à laquelle
rien ne les destinait. L'un et l'autre ne furent que les porte-drapeau
en miroir de deux cohortes qui se regroupèrent en une puissante
armée de l'ombre. Elle cheminait d'autant plus efficacement sur
le sentier de la guerre qu'elle était plus camouflée.
Derrière ces
deux personnages de puissants " stay behind " tiraient les
ficelles des marionnettes qui s'agitaient sur le devant de la scène.
C'étaient eux les véritables maîtres du combat de Titans
mené en vue de la réalisation du rêve sioniste.
Conformément à mon objectif
constant, j'ai donc tenté de remonter aussi haut que possible sur
la piste de la naissance, de l'élaboration et de la consolidation
bimillénaire du mythe qui se trouve à la source des bouleversements
politiques inachevables auxquels nous assistons. Inachevables, parce
qu'ils dureront tant que subsistera dans les cervelles la croyance
que le rêve peut devenir réalité ou, autrement formulé, que le rêve
et la politique ne font qu'un et que les rêveurs peuvent imposer
leur loi au reste de l'humanité.
*
Qu'est-ce
qui est "historique" dans un récit théologique?
Un
texte théologique ne poursuit qu'un seul objectif: l'édification
des fidèles. Qu'est-ce qui est historique dans un mythe religieux?
La difficulté réside dans la définition du mot "historique".
Bossuet croyait encore que "Dieu" avait créé
le monde il y a quatre mille ans, prenant au pied de la lettre les
dates de l'Ancien Testament. A partir du moment où le mythe crée
l'histoire, parce que l'histoire véritable est aussi celle qui
se déroule dans les têtes, le mythe est une forme
de l'histoire. La religion devient une forme de la politique
lorsque les défenseurs du mythe prétendent l'extraire
de leur cervelle, habiller de chair et d'os les personnages qui
gazouillent dans leur tête et les faire marcher sur la terre,
les armes à la main.
Depuis
une vingtaine d'années aucun historien sérieux, aucun archéologue,
aucun exégète ne considère plus que les récits bibliques sont historiques
au sens scientifique du terme. Ce sont des textes théologiques destinés
à l'édification des croyants de la religion du dieu Jahvé. Ils nous
renseignent sur la manière dont une petite tribu du Moyen-Orient,
parfaitement localisée, a intériorisé ses relations avec le ciel
et avec son environnement. C'est pourquoi on y trouve à la fois
des personnages historiques réels comme les souverains des empires
voisins auxquels cette tribu a été confrontée; mais on y rencontre
également d'innombrables personnages inventés, mais symboliques,
d'ailleurs empruntés aux mythologies des Etats voisins et qui s'expriment
à ce titre - Adam, Eve, Noé, Moïse, Josué, Abraham, Agar, sont des
personnages mythiques construits à partir d'un caléidoscope de légendes
empruntées aux grands empires environnants, Egyptiens ou Assyriens.
Repeints aux couleurs locales et adaptés aux mentalités tribales
du lieu, ils n'ont jamais eu davantage d'existence historique concrète
que Zeus, Hermès ou Athéna qui ont définitivement perdu leurs
fidèles. D'autres personnages, qui eurent une existence historique
plus que modeste, ont été transformés en mythes gigantesques - David,
Salomon.
Mais
à partir du moment où le mythe crée l'identité
du groupe, parce qu'il s'est enkysté dans les psychismes
d'une manière indéracinable, non seulement ce mythe
est constitutif de la personnalité privée de chaque
croyant, mais il crée un corps collectif si puissant
que même des membres qui n'adhèrent plus aux rites
et aux prescriptions de la mythologie de l'Ancien Testament continuent
de se réclamer de leur "judéité".
Israël devient un seul corps et chaque unité est une
parcelle de ce corps. Cette notion sera reprise par la doctrine
chrétienne. L'Eglise est le Corpus Domini et chaque membre
de l'Eglise est une parcelle du corps de Dieu.
Le
mythe est donc auto-actif. Il EST celui qui EST pour reprendre
la déclaration attribuée à Jahvé - "Je
suis celui qui est" (Exode 3,14). Véritable axiome,
sa réalité est tout entière contenue dans son affirmation. Le récit
censé le démontrer n'a nul besoin de vraisemblance ou de cohérence.
Il n'est là que pour théâtraliser l'axiome fondateur et en
explorer toutes les facettes. Car le mythe est un théâtre.
C'est ce théâtre psychique qui fait sens dans les esprits et entraîne
la conviction par l'intermédiaire de son scénario.
Ainsi, au sujet d'un événement aussi capital pour le christianisme
que l'est la croyance à la vie éternelle, et donc à la résurrection
des corps, l'apôtre Paul dans sa Lettre aux Corinthiens
(15,14-15) affirme en toutes lettres que la croyance précède
le fait et il en fournit le code d'interprétation : "S'il
n'y a point de résurrection des morts, Christ non plus n'est
pas ressuscité. Et si Christ n'est pas ressuscité, notre prédication
est donc vaine, et votre foi aussi est vaine." Le
postulat mythique de la croyance à la résurrection de
tous les morts est donc premier. Il conditionne les déductions
théologiques en chaîne, interprétées à la lumière du mythe: l'affirmation
de la résurrection du Christ à partir de la constatation que le
cadavre n'est plus dans son tombeau. Puis arrivent les prédicateurs
chargés de diffuser la "bonne nouvelle" et enfin se répand
la foi des fidèles.

La
résurrection des corps
Comme le montre le spécialiste italien du récit biblique,
Mario Liverani dans son passionnant La Bible et l'invention
de l'histoire, (2003, trad. Ed. Bayard 2008) des tribus
nomades, mais en voie de sédentarisation, se sont lancées
à l'assaut d'une région occupée depuis des
siècles. L'historien italien permet de suivre à la
trace le passage de l'histoire réelle au récit théologique,
donc mythologique et vice versa.
Exemple:
Jéricho, ville prospère, existait depuis sept siècles
lorsqu'elle fut victime du rezzou des tribus hébraïques
et les
fameuses murailles, victimes de la négligence des habitants,
s'étaient déjà écroulées. Le
Josué mythique et ses trompettes n'y ont été
pour rien. Pour qui sait lire, le récit biblique porte les
traces de la violence de cette première conquête. Ces
guerriers rustiques, sortis du désert et pillards victorieux
ont éprouvé le besoin de gommer les assassinats et
les prédations auxquelles ils se sont livrés sur les
habitants autochtones. Le vol des terres et des biens, l'installation
en nouveau maîtres dans les maisons et les vergers du territoire
conquis - un classique travail de colonisateurs - est devenu dans
le récit mythique une "guerre juste" afin
d'obéir à un décret du ciel.
La
véritable histoire de la planète se déroule dans les têtes des peuples
qui en sont les acteurs. Comme le démontre Manuel de Diéguez dans
son site consacré à un décodage anthropologique de l'histoire contemporaine,
la véritable compréhension de l'action des nations, des sociétés
ou des individus réside dans l'analyse de leur imaginaire. Tous
les peuples ont une tête, un corps, des bras et des jambes qui les
mettent en mouvement. Mais c'est leur "corps mental" qui
est le moteur de leur politique. Il se peut que, par accident, le
dirigeant momentanément en charge des affaires d'une nation ne soit
pas en adéquation avec le "corps mental" de la nation. Alors
la nation trahie et rétive recrache l'élément étranger.
Ce
qui est vrai pour tous les peuples de la terre l'est doublement
pour le groupe humain dont l'imaginaire religieux était si puissant
qu'il a survécu à un coma politique de près de deux millénaires.
Le moribond s'est réveillé à la fin du XIXe siècle armé, casqué
et revêtu de la cotte de mailles d'un sionisme belliqueux. Il a
fini par débarquer dans l'histoire en 1947, non sans avoir renié
son nom antique - Juda - et s'être baptisé du nom de son rival et
ennemi détesté de l'antiquité - Israël - nom du Royaume
de Samarie.
L'originalité
de cette nation réside dans le fait qu'elle est la seule au monde
à jouir d'une double réalité politique parce qu'elle possède deux
histoires. L'histoire la plus connue est celle qui a été considérée
comme tellement vraie par la religion chrétienne qui a succédé au
judaïsme, qu'elle pouvait conduire au bûcher les individus téméraires
qui mettaient en doute la chronologie proposée par les écrits bibliques.
Il était admis qu'un "Dieu" avait créé, il y a quatre mille ans,
le monde, l'homme et tutti quanti.
Tableau
du Caravage, L'apôtre Matthieu, inspiration
C'est
cette histoire-là qui continue de remplir les têtes des immigrants
qui se sont précipités en Palestine; c'est ce récit-là qui constitue
l'arrière-monde de toutes les actions de l'Etat nouvellement créé
sur les terres palestiniennes. Or, la véritable histoire de la province
de Judée est tout autre. Elle a été soigneusement occultée durant
deux millénaires et demi. C'est peu de dire que les découvertes
et les mises à jour récentes suscitent une indignation violente
qui se manifeste par des menaces contre les audacieux Argonautes
de la science historique, considérés comme d'horribles blasphémateurs
commettant un sacrilège épouvantable, quand ce n'est pas pire encore.
Les
tribulations du dieu Jahvé dans l'histoire
L'écriture
du récit biblique possède une histoire, alors que
le mythe prétend que Jahvé en est l'auteur par le
truchement d'un personnage mythique auquel le personnage surnaturel
aurait dicté ses directives, Moïse. L'important
est de tenter de se mettre sur la piste des auteurs en chair et
en os du récit et d'analyser les conditions dans lesquelles il a
été rédigé, puis porté à la connaissance des fidèles.
Il
est, en effet, désormais établi que la rédaction du texte de la
Genèse est postérieure à la grande défaite de l'armée
judéenne à Meggido (609 avant notre ère) et à la mort du
roi Josias au cours de cette bataille. Ce roi avait été
le grand réformateur du jahvisme. Il avait imposé et codifié officiellement
un premier état du culte de ce dieu à l'intérieur de son petit royaume.
Or,
depuis le grand désastre de Meggido, le dieu Jahvé était
en perdition. Conformément à l'esprit de l'époque, la déroute d'une
armée était vécue comme le signe de l'impuissance du dieu, qui était
censé combattre à sa tête. C'était donc, dans l'esprit des populations
de l'époque, le dieu Jahvé lui-même qui, à la tête de l'armée de
Josias, avait été vaincu par le dieu égyptien, lequel avait permis
la victoire de l'armée du pharaon Nechao II sur les troupes de Josias.
A
la suite de cette défaite, les Judéens dépités et furieux d'avoir
un dieu aussi faible, aussi peu fiable et aussi ingrat à l'égard
d'un roi qui avait tant fait pour son culte, étaient retournés au
culte d'idoles multiples et le royaume de Juda, auquel le roi Josias
avait donné un éclat et une unité politiques tels qu'il n'en connut
plus jamais de semblables durant sa courte existence, était tombé,
avec le règne des successeurs incapables dans une décrépitude politique
de plusieurs décennies dont la puissance babylonienne avait su profiter.
En
effet, toute l'œuvre théologico-politique de Josias, le véritable
instaurateur du jahvisme, était détruite, le temple inauguré par
le roi Ezéchias - et non par Salomon - et embelli par son arrière-petit
fils, Josias, avait été mis à sac et son trésor avait pris, lui
aussi, le chemin de Babylone. La destruction de Jérusalem signait
la fin de l'indépendance du petit royaume de Juda qui devint la
province perse de Yehoud, selon la terminologie araméenne et les
Judéens furent désormais nommés Yehoudim, ce qui fut abusivement
traduit par Juifs.
J'ai
détaillé dans L'invention du "peuple élu" et de la "Terre Promise"
les circonstances de l'immense drame politique et théologique que
fut la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor et le transport à Babylone
de l'élite des habitants du royaume de Juda, à savoir le roi, sa
famille, les fonctionnaires du temple et tous les artisans, notamment
ceux qui étaient spécialisés dans la métallurgie et le travail des
métaux, dont le nouvel empire avait un urgent besoin afin de renforcer
son armée.
Le vide n'avait évidemment pas tardé à être comblé par une immigration
de populations des cités environnantes, arrivées avec leurs dieux
particuliers et qui ont ajouté, comme il était d'usage à l'époque,
le culte du dieu local à leur panthéon, ce que a conduit la religion
de la petite Judée à un polythéisme de fait, et l'a ramenée à une
situation antérieure à la première réforme religieuse hénothéiste
du roi Ezéchias.
Durant
cette période, le dieu Jahvé, noyé au milieu d'une foule d'autres
collègues, avait bien failli se trouver relégué, à l'instar de ses
célestes contemporains, dans les oubliettes de l'histoire. L'exil
à Babylone signait l'acmé de sa déroute, puisque cette fois, Jérusalem
était en ruines, le temple rasé et la société du petit royaume entièrement
décapitée.
Il
s'agissait donc pour les scribes-lévites exilés à Babylone de rafistoler
les éléments subsistants du mythe, de ranimer les
braises de la tribu et de tenter de ressusciter le dieu vaincu et
moribond. Ils s'y employèrent avec ardeur et le succès que l'on
sait. Le principal acteur de la renaissance du dieu fut le lévite
Esdras, que les Judéens se sont empressés sinon
d'occulter complètement de leur histoire, du moins de reléguer
ensuite à un rang mineur. Les personnages mythiques de la
saga introduits dans le récit à Babylone sont sortis
des parchemins et se sont incarnés en un roman à la
fois théologique et patriotique.
C'est
à cette occasion que la première version du Deutéronome,
rédigé du temps de Josias, a subi une manière de toilettage théologique
afin de l'intégrer aux quatre premiers livres du Pentateuque
rédigés durant l'exil - ou Thora dans
la terminologie du judaïsme. La première version du
Deutéronome censée avoir été trouvée
dans les caves du temple construit par le roi Ezéchias (-739
- -687) rénovée, complétée, prit place en cinquième
position. De nombreux rédacteurs s'attelèrent à cette tâche, comme
en témoignent les différents styles d'écriture dont on peut suivre
la trace dans les chapitres successifs.
Quand
et dans quelles circonstances le récit présente-t-il
la naissance de la notion d'"alliance" des Hébreux
avec leur dieu?
Lorsque
les scribes judéens exilés au bord de l'Euphrate, après la conquête
de la Judée par le roi Nabuchodonosor, inventèrent l'épisode
de leur fiction dans lequel un personnage mythique - Abraham - était
le héros principal, ils lui prêtèrent un rêve fabuleux dans
la narration intitulée Genèse. C'est ainsi qu'au cours
d'un "profond sommeil" (Gn 15,12), le héros eut "une
vision" (Gn 15,1). De plus, il entendit une voix, qu'il
attribua à son dieu, laquelle lui proposait une "alliance"
(Gn 15,18). "Quand le soleil fut couché, il y eut une
obscurité profonde; et voici, ce fut une fournaise fumante, et des
flammes passèrent entre les animaux partagés. En ce jour-là, l'Eternel
fit alliance avec Abraham." (Gn 15, 17-18).
Le
contenu du pacte d'alliance et l'offre du dieu: "Je donne
ce pays à ta postérité, depuis le fleuve d'Égypte jusqu'au grand
fleuve, au fleuve d'Euphrate, le pays des Kéniens, des Keniziens,
des Kadmoniens, des Héthiens, des Phéréziens, des Rephaïm, des Amoréens,
des Cananéens, des Guirgasiens et des Jébusiens." (Gn 15,18).
Tout
le monde rêve: pénétrer le sens des rêves a, depuis l'origine
des temps, fasciné l'humanité, notamment, on le comprend aisément,
ceux des puissants, en raison des conséquences politiques qui en
résultaient. En effet, loin des interprétations sexuelles qui ont
envahi un post-freudisme contemporain mal digéré, les humains y
voyaient, dans l'antiquité, une forme de prémonition, d'irruption
directe des dieux dans la politique. Ils utilisaient également
ce stratagème afin de délivrer incognito un message aux dirigeants
du monde. Il n'est donc pas étonnant que les scribes judéens
exilés à Babylone et rédacteurs de la Genèse
aient imaginé le stratagème d'un rêve comme véhicule de l'action
de leur divinité. Ce procédé, banal à l'époque, permettait
de délivrer un message d'une manière jugée convaincante par tout
le monde.
C'est
sur le fondement de ce scénario que les représentants officiels
de l'actuel Etat d'Israël clament sur tous les tons que "La
terre a été donnée par Dieu aux juifs", et que, par conséquent,
il ne peut y avoir de compromis avec les Palestiniens, qui sont
priés de déguerpir.
Les
protestants anglais du XIXé siècle et notamment Lord
Arthur Balfour, continuent à défendre ce scénario
qui a conduit, un demi-siècle plus tard, à la création
d'un Etat indépendant destiné à accueillir
les juifs du monde entier.
Même
si la plupart des dirigeants de cet Etat ne sont pas des religieux
pratiquants, tous sans exception se réclament des deux axiomes religieux
qui structurent le "retour du peuple élu" sur sa
"terre promise".
Aucune
preuve historique, aucune logique, ne convaincra les Israéliens
qu'ils vénèrent des héros symboliques et que leur arrière-monde
psychique repose sur un roman. Les juifs continueront à commémorer
la fuite de leurs ancêtres hors d'Egypte et à croire
que la mer Rouge s'est ouverte afin de faciliter leur passage, car
cette mythologie est une rationalisation nécessaire et une
justification politique de leur destin passé et de leur histoire
présente. "Si Jahvé ne nous a pas donné
cette terre, nous sommes des brigands" proclament aujourd'hui
les plus lucides.
Religion
et morale : l'illusion de la notion de "peuple élu"
Une
religion ne détermine nullement le niveau moral d'une société, c'est
au contraire le niveau moral du groupe qui prédétermine et dicte
les formes que prend sa religion.
L'illusion
du "peuple élu" n'est d'ailleurs pas propre au judaïsme;
on la trouve même dans les croyances de tribus archaïques de Nouvelle-Zélande.
On en comprend aisément les motivations psychologiques. En effet,
la puissance de conviction qu'exerce une idée ou une croyance ne
réside nullement dans le fait qu'elle relaterait des événements
qui seraient réellement arrivés. Elle est crue vraie et s'impose
grâce à la force de séduction qu'elle exerce sur les esprits et
aux avantages que le groupe en escompte. Comment ne pas accepter
avec enthousiasme de faire partie d'une tribu si exceptionnelle
qu'un dieu aurait fait de vous ses chouchous et vous aurait fait
un cadeau foncier ici et maintenant? Un cadeau immédiat,
parfaitement palpable et autrement alléchant qu'une félicité
potentielle dans un au-delà virtuel conditionné par la disparition
de votre propre carcasse. Et peu importent les incohérences
du récit s'il fait de vous un heureux propriétaire
foncier.
Si
un rouleau de parchemin ou de cuir avait bien été découvert du temps
d'Ezéchias, comme certains historiens le sous-entendent,
il ne pouvait s'agir que de l'énumération d'un corpus législatif
très bref, appelé "loi de Moïse"et
nullement rédigé par un prétendu Moïse
et censé avoir existé en chair et en os deux millénaires
plus tôt. Comme toutes les législations antiques -
comme par exemple la loi des douze tables publiée
à Rome sur douze tables d'airain entre -450 et -451 et qui
a régi la vie des Romains jusqu'au premier siècle
- ces codes législatifs se sont tous inspirées du
Code d'Hammourabi, premier recueil de lois et de jurisprudence
de l'histoire, rédigé environ deux millénaires
avant notre ère.
Code d'Hammourabi
: colonne de basalte noir de 2,25m, découverte en 1901 dans
la ville de Suse, actuellement au musée du Louvre. Sur le haut de
la stèle, le roi est représenté debout devant le dieu Shamash.
Le texte est gravé sur tout le reste de la colonne
C'est
sur cette fiction théologique digne d'Alice au pays
des merveilles que repose la certitude des sionistes d'aujourd'hui
que la terre de Palestine leur a été donnée
par leur "dieu". C'est au nom de ce roman fantastique
que les émigrants venus de tous les continents chassent les
habitants autochtones de leur patrie et cherchent à faire
coïncider le pays de leurs rêves religieux avec le
pays réel.
L'invention de la notion de
"Thora orale" et le principe d'autorité
L'influence
théologique et politique d'Esdras est capitale en ce qu'il
n'était
pas seulement un responsable religieux plein d'imagination et de
talent et principal rédacteur des cinq rouleaux du
Pentateuque, c'était également un véritable
esprit politique. En effet, en tant que porteur des cinq chapitres
du récit rédigés durant l'exil à Babylone
et alors que le texte lui-même ne dit rien de tel, il a réussi l'exploit
politique d'imposer la croyance qu'à côté de la Thora écrite,
il existerait une Thora orale dont le personnage de Moïse
aurait été le récipiendaire et le bénéficiaire.
Une
multitude de secrets pratiques est censée avoir été
révélée directement par le dieu au héros alpiniste au sommet
de la montagne. Ces secrets auraient été ensuite transmis,
tout aussi secrètement, à son successeur, le non moins mythique
Josué, lequel les aurait communiqués, toujours oralement et secrètement,
à ses successeurs et ainsi de suite de génération en génération.
Depuis lors, l'ensemble des secrets destinés à une
élite très étroite est appelé Loi orale.
Durant
deux millénaires, cette Loi orale serait passée "d'oreille
de sage" en "oreille de sage" par une chaîne ininterrompue
de rabbins - de maîtres - et sa transmission aurait été
si parfaite que sa mise par écrit dans les Talmud
possède le même poids que le texte primaire de la Thora.
Dans la pratique, elle en a même davantage.
L'invention
de la notion de Thora orale est l'exploit
théologico-politique le plus extraordinaire et le plus efficace,
politiquement parlant, à mettre à l'actif du scribe Esdras. Elle
est l'illustration la plus remarquable du fonctionnement du principe
d'autorité. A partir du moment où un groupe se
déclare détenteur de secrets surnaturels, son autorité
est démultipliée par le mystère et la sacralité
dont il s'est entouré. Il serait saugrenu et même sacrilège
d'exiger des preuves ou des justifications de ce qui est affirmé.
Personne
n'ose contester une autorité censée transmise
de génération en génération depuis deux
millénaires et directement chue de la nue. Elle finit par
devenir in-contestable et donc sacralisée. C'est
cette notion politique élastique qui a permis de mettre sur le compte
de la révélation divine les commandements les plus restrictifs,
les digressions les plus farfelues et les plus immorales, mais légitimées
par le sceau d'une "loi orale" révélée
par une divinité.
Les
conséquences de l'invention de la notion de Thora orale:
l'épuration ethnique
Du
temps d'Esdras, la pureté des généalogies se comptait à partir du
début de l'exil. Or, entre le début de l'exil et le retour
du scribe - donc entre -538 et -393 - c'est pour le
moins six à sept générations qui se sont trouvées dans la
ligne de mire de l'épurateur qui servira de modèle aux épurateurs
nazis qui recherchaient des demis, des quarts ou des huitièmes d'ancêtres
juifs chez leurs concitoyens persécutés.
Cet
épisode tragique de l'histoire récente permet d'imaginer ce que
fut la chasse aux femmes légitimement épousées, ainsi qu'à leurs
enfants traqués par des fanatiques qui sillonnaient les ruelles
et pénétraient dans les maisons. Certains cachèrent les enfants,
quelques-uns résistèrent, mais l'immense majorité non seulement
se soumit aux directives du fanatique réformateur, mais offrit des
sacrifices expiatoires. Telle
est la puissance du principe d'autorité.
En
revanche, les femmes juives pouvaient conserver un mari non juif,
ainsi que leurs enfants. C'est à partir de cet épurateur du quatrième
siècle avant notre ère que l'identité juive a été définie à partir
de la descendance par les femmes. Ainsi, aujourd'hui encore, des
rabbins orthodoxes qui ont pris le pouvoir dans l'Etat d'Israël
ont annulé certains mariages lorsque la femme ne correspondait pas
aux critères de la définition orthodoxe de la judéité. Or, il n'existe
pas de mariage civil dans cet Etat. Voilà bien la preuve absolue
qu'Esdras est toujours vivant dans les têtes et dans les lois et
qu'une ségrégation ethnique drastique continue en plein XXIe siècle
d'être sournoisement appliquée sur le terrain, tout en étant officiellement
niée.
Pour comprendre la profondeur du choc, de la terreur et du traumatisme
social qui accompagnèrent cette mesure, il faut imaginer ce que
serait aujourd'hui une France dont la population subirait une
épuration ethnique sur la base d'un recensement datant du règne
de Napoléon III !
Ainsi,
l'autorité attachée à la détention de
secrets divins a permis à Esdras de faire fi de deux siècles
de modifications politiques et démographiques intervenus en Judée
(exil: entre 597 et 538, retour d'Esdras vraisemblablement en -398,
sous Artaxerxès II). C'est au nom de Jahvé que les "réformes"
d'Esdras ont imposé la purification ethnique qui, depuis
lors, continue de s'appliquer dans l'Etat sioniste moderne. Depuis
les "réformes" d'Esdras, la politique de
la Judée a définitivement basculé dans la régression et la fermeture,
refusant toute forme d'intégration dans le courant de l'histoire
en marche. L'idéal religieux et social gît quelque part dans
un lointain passé, un passé imaginaire et mythifié, qu'il faudrait
tenter de rejoindre. Pour Esdras, pour ses contemporains, pour ses
successeurs et pour le sionisme politique contemporain, son héritier
direct, comme dans le conte de La Belle au bois dormant,
le temps s'est immobilisé.
Les
mythologues sionistes actuels s'apparentent à une varié de saumons.
L'œil fixé sur un passé idéal, ils rament de toutes leurs forces
à contre-courant du fleuve du temps historique afin de tenter de
ressusciter la Dulcinée de leurs rêves blottie dans la frayère
originelle, c'est-à-dire une terre idéale, vide de
tout habitant, donc sans intrus arabes et qui attendait le retour
des chouchous du notaire extra-terrestre, mais nécessairement
entretenue durant des millénaires par des légions
de séraphins envoyés par le tabellion surnaturel.
Esdras,
épaulé par son comparse Néhémie, fut le saumon athlétique
qui, le premier, réussit cet exploit. C'est sous leur impulsion
conjuguée qu'ont été posées les fondations d'un jahvisme exclusiviste
qui reposait sur le principe de l'élection particulière de ce groupe
humain et donc sur la nécessité de nettoyer la population des éléments
impurs et impies qui s'étaient infiltrés sur la terre sacrée et
l'avaient polluée de leur présence intempestive. Avec une brutalité
qui n'était possible qu'en ce temps-là, ce scribe s'est mobilisé
contre un siècle et demi de pratiques de mariages mixtes. Non seulement
de tels mariages seraient interdits à l'avenir, mais les femmes
légitimement épousées, ainsi que leurs enfants, seraient expulsés
du "paradis jahviste"
.
Face
à ce délire psycho-théologique, l'existence des Palestiniens
ou la réprobation internationale ne sont que vulgaires cascades
à franchir. Or, l'on sait que les saumons sont capables de sauter
des cascades de trois mètres ou de profiter des inondations pour
franchir des routes. C'est pourquoi les sionistes s'appliquent à
grignoter la Cisjordanie avec une persévérance de
hannetons et, par de vigoureux coups de queue de saumons politiques,
profitent de chaque circonstance favorable pour construire de nouvelles
colonies ou pour agrandir celles qui sont déjà installées
sur les territoires volés aux Palestiniens, espérant arriver
un jour à rejoindre la frayère mythique, avant que le mâle et la
femelle épuisés, aient succombé en route.
"Le
pays [...] est souillé par la souillure des peuples des pays
(c'est-à-dire des étrangers), par les abominations
dont ils l'ont rempli d'un bout à l'autre par leur impureté.
Et maintenant, ne donnez pas vos filles à leurs fils, ne
prenez pas leurs filles pour vos fils, ne recherchez jamais ni leur
prospérité, ni leur bonheur." Esdras,
9, 11-12
Lorsque
le ministère de l'éducation de l'actuel Etat sioniste
propose lors d'un examen d’instruction civique en Israël d'expliquer
"pourquoi les jeunes filles juives ne doivent pas fréquenter
les Arabes », il se place dans le sillage direct du racialisme
d'Esdras.
Le
Talmud enseigne explicitement qu'une descendance fait
partie de "nos enfants juifs", seulement si la mère est juive.
(Talmud, Guemara Kidouchine : Daf 68b) Le sionisme
est également redevable aux institutions mises en place par les
deux compères Esdras et Néhémie, de la pérennisation d'un système
exécutif, législatif et judiciaire si puissant qu'ils ont survécu
à la disparition politique du petit Etat originel, à la destruction
de l'édifice religieux central autour duquel se cristallisait toute
la vie sociale et surtout, ils ont également survécu à la
dispersion de la population.
De
la Thora au Talmud
Or,
c'est cette notion de "loi orale", absolument invérifiable
et totalement laissée à la discrétion des oreilles et des cervelles
des "récepteurs" et censée éclairer la "loi
écrite", qui a donné toute sa puissance à la
recréation d'un judaïsme post-exilique. Cette invention
politique de "sages", prétendument transmetteurs du
message secret d'un dieu qui parlerait par leur bouche ouvre aux
psychanalystes et aux anthropologues des religions un continent
à explorer. Car il est impossible de ne pas voir que ces
commentateurs s'identifient si bien à leur dieu qu'ils SONT,
en réalité, Jahvé lui-même.
Dans
cet ensemble utilisé actuellement pour la formation des rabbins
et qui se prétend une compilation de la "tradition
des anciens", une partie est consacrée à
la formulation d'une opinion sur tel ou tel sujet, laquelle est
contredite ou développée par celle d'un second rabbin
et un troisième rabbin est censé effectuer une sorte
de synthèse, ce qui explique sa présentation.
Ces formulations
seraient dignes de figurer dans le Guinness des absurdités grotesques
si elles n'avaient, de nos jours encore, des conséquences tragiques
sur le comportement d'immigrants imbibés d'une mentalité talmudique
prise au pied de la lettre, y compris dans ses déclarations
les plus stupides et les plus immorales. Elle se traduit sur le
terrain par la désinvolture avec laquelle l'armée sioniste tue des
enfants palestiniens traités "d'insectes" engendrés par des
"abrutis".
"Ici,
en Israël, la façon dont nous traitons les enfants palestiniens
a longtemps été guidée par l'adage: "Les abrutis engendrent des
insectes". Certains le disent ouvertement, d'autres partagent ce
point de vue en silence. Il n'y a pas de mois sans que plusieurs
enfants palestiniens soient tués sous des prétextes douteux, que
personne ne comprend." (Prof. Nurit Peled-Elhanan)
Durant
deux millénaires, cette Loi orale serait passée "d'oreille
de sage" en "oreille de sage" par une chaîne ininterrompue
de rabbins - de maîtres - et sa transmission aurait été
si parfaite que sa mise par écrit dans les Talmud
possède le même poids que le texte primaire de la Thora.
Dans la pratique, elle en a même davantage.
La
suite de la remontée à la source
Je
développerai dans un prochain texte par quels canaux politiques
et psychologiques s'était opérée l'unification
des communautés juives dispersées dans le monde entier
et comment ces groupes
se nourrissaient des mêmes commentaires sur des commentaires de
commentaires de la fiction originelle, dans lesquels les notables
religieux avaient déversé toute la haine et tout le mépris qu'ils
éprouvaient à l'encontre des tenants d'autres dieux - notamment
des chrétiens et des musulmans. Les
concentrés de détestation à l'égard de tous les goys, c'est-à-dire
des non-israélites - le mot juif étant une création
récente - et appelés Talmuds (au pluriel,
car il en existe deux) - imprégnaient profondément
les cervelles des groupes dispersés dans le monde et continuent
de diriger leurs actions politiques.
Comme
l'écrivait l'historien Bernard Lazare dans son remarquable
et particulièrement honnête ouvrage L'Antisémitisme,
"Le Juif qui suivait ces préceptes (ceux du Talmud)
s'isolait du reste des hommes ; il se retranchait derrière les haies
qu'avaient élevées autour de la Torah Esdras et les premiers scribes,
puis les Pharisiens et les Talmudistes héritiers d'Esdras, réformateurs
du mosaïsme primitif et ennemis des prophètes. Il ne s'isola pas
seulement en refusant de se soumettre aux coutumes qui établissaient
des liens entre les habitants des contrées où il était établi, mais
aussi en repoussant toute relation avec ces habitants eux-mêmes.
À son insociabilité, le Juif ajouta l'exclusivisme."
Pour
ceux qui ne le connaissent pas, je rappelle la vigoureuse
et efficace action de cet historien juif. Le premier il s'est
mobilisé en faveur du combat destiné à
prouver l'innocence du Capitaine Dreyfus. Emile Zola n'a fait
que s'inspirer de son Manifeste, pour ne pas dire qu'il l'a
pillé.
Mais tout cela
n'aurait pas été suffisant s'il n'avait existé
durant des siècles un gouvernement central secret et puissant
qui, grâce à une toile d'araignée d'envoyés,
sorte de missi dominici expédiés dans le monde
entier, contrôlait et dirigeait tous les détails la
vie quotidienne de chacune des communautés dispersées
dans le monde entier.
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