"Prenez
un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux!"
Eugène
IONESCO
Pour qui sait les lire, les chefs-d'œuvre sont des fils d'Ariane . Quand
j'ai rencontré Amédée , j'ai compris que j'avais trouvé le guide qui
me permettrait de d'avancer dans le labyrinthe israélo-sionisto-palestinien
avec une petite chance de découvrir la sortie.

1
- Rencontre d'Amédée et de Madeleine
2 - Le bocal israélien
3 - Un cercle vicieux
4 - La gestation du cadavre - Petit rappel historique
5 - Le cadavre se rebelle
6 - Le cadavre grandit de plus en plus rapidement
7 - Massacre à la tronçonneuse
8 - La guerre des bébés ou l'effet
boomerang
9 - Méditations
moroses d'Amédée ou "Quand la fiction est
la réalité"
10 - Petite conclusion sur Ionesco
1
- Rencontre d'Amédée et de Madeleine 
Dans
la pièce d'Eugène Ionesco Amédée ou Comment s'en débarrasser,
Madeleine et Amédée, vivent depuis quinze ans dans une réclusion si
totale qu'ils ne sortent jamais de leur petit appartement . Ce couple
étrange est formé d'un écrivain raté qui n'arrive pas à dépasser la
première ligne d'une œuvre sur laquelle son regard est assis du matin
au soir, pendant que sa femme, sorte de demoiselle des téléphones, jacasse
dans l'écouteur avec le monde entier . Particularité singulière : le
couple recèle un cadavre.
Mais,
il faudrait plutôt dire qu'il héberge son cadavre, car la bizarrerie
de ce corps, c'est que, défiant toutes les lois de la logique et de
l'anatomie, le cadavre est trépassé et vivant en même temps et sous
le même rapport. On ne sait pas très bien qui il est - un ancien amant
de Madeleine ou un enfant mort - mais il est là, omniprésent, et le
couple cohabite avec lui.
Certes, ce cadavre est mort et bien mort, comme en témoignent les champignons
et les moisissures qui se manifestent ici et là dans l'appartement et
qui sont la preuve de la décomposition d'une matière. Mais il demeure
animé d'un principe vital dont un événement anodin , une lettre apportée
par le facteur - symbole de l'irruption du monde extérieur dans la vie
de poisson rouge dans un bocal des deux personnages - déclenche brusquement
une croissance continue et aussi inéluctable que le destin.
Ce mort envahissant, dont la présence et la progression volumétrique
semblent fatales, grignote , puis dévore l'espace psychique et l'espace
vital des occupants de l'appartement. Il les obsède, il ronge leur vie
avant de les acculer physiquement. Le cadavre grossissant toujours,
sa tête finit par pulvériser la porte séparant la chambre dans laquelle
il gît du salon de ses hôtes-geôliers. Sa progression aussi subreptice
qu'inexorable se poursuivant, il brise les vitres de la fenêtre de la
façade faisant entrer l'air froid de l'extérieur pendant que ses pieds
percent le mur et finissent par pendouiller dans le vide et se répandre
dans la rue en un interminable serpent.
Impossible
alors de cacher plus longtemps l'existence du cadavre en croissance
exponentielle. Amédée se voit chargé de trouver une solution et de se
"débarrasser" de cette chose encombrante, dont la croissance
est impossible à maîtriser et
dont le symbolisme rappelle celui de la bête de La métamorphose
de Kafka.
Le
procédé littéraire utilisé par Ionesco et Kafka est, en effet, comparable
: le fantastique permet de réifier, de matérialiser et de rendre présent
et actuel, un peu à la manière d'une bande dessinée, une situation tellement
dissimulée et impensable que le personnage n'ose pas même se l'avouer
à lui-même. Il la cache farouchement et elle ne débarque sur le devant
de la scène que lorsque son volume devient incompressible et
lui explose à la figure . Elle s'impose alors au monde par la force
de l'évidence .
Pendant
que la vermine de Kafka devient de plus en plus hideuse , de plus en
plus répugnante et que ses bassesses et ses trahisons s'enkystent dans
sa carapace - c'est le sort calamiteux qui attend tous les collaborateurs
condamnés à multiplier les abjections jusqu'à devenir la purulente "chose
d'à côté " qui sera abandonnée avec dégoût lorsque la famille
changera d'appartement - le cadavre vivant et envahissant de Ionesco
symbolise le choc entre le déni d'une situation monstrueuse et la réalité
de plus en plus palpable, de plus en plus obsédante , de plus en plus
gigantesque et qui enfle de telle sorte qu'elle envahit l'esprit du
négateur et s'impose à lui et au monde malgré tous les efforts que le
geôlier déploie pour la repousser et la nier . Devenu Ka, le vieux python
du Livre de la jungle, le cadavre finira par s'enrouler
autour de son gardien et ne faire qu'un avec lui.
2
- Le bocal israélien 
Nous
ne sortons jamais . Nous n'allons chez personne. Depuis quinze ans,
nous vivons enfermés (p. 269) [1]
, gémissent Amédée et de Madeleine . Toutes les portes et fenêtres
sont fermées ; comment veux-tu qu'il y ait des courants d'air? (p.
265) En effet, ils se sont enfermés eux-mêmes, dès l'origine , dans
un ghetto de dénis de mensonges et de ruses qui se traduit par une peur
collective d'être démasqués et débusqués. Le refoulement d'une réalité
quotidienne repoussante engendrée par les exactions d'une occupation
féroce a créé un état de schizophrénie généralisée dans lequel l'agresseur
brandit le masque d'une pseudo démocratie reposant sur des valeurs morales
et politiques universelles qu'il bafoue dans chaque acte de la vie quotidienne.
Mais
les champignons, les moisissures les trahissent et se multiplient .
Zut, alors là, s'il va en pousser dans la salle à manger, ça va être
le comble ! (p. 264) Les insurrections sont de plus en plus violentes.
Il ne manquait plus que ça ! … Vénéneux, évidemment ! (p. 264)
Avec la complicité de ses amis, Amédée a mené une campagne de terre
brûlée : incursions et attaques brutales, assassinats ciblés et autres
tueries quotidiennes, arrestations de masse et incarcérations. Il a
mené une politique systématique de tortures, de destruction des maisons
et des propriétés, niant les droits les plus élémentaires et les services
les plus indispensables à la vie et à la survie de son rival avant qu'il
devienne son cadavre.
Je déplore la situation (p. 265) gémit Amédée . Il a même parfois
de petites lueurs d'honnêteté . Il est peut-être moins méchant que
d'autres. Il ne devait pas être méchant de son temps … (p. 277)
Persécuteurs et expansionnistes, enfermés d'une manière
autiste dans un sentiment de supériorité et de mépris
pour leurs voisins, Madeleine et lui se proclament néanmoins victimes
et démocrates … et essaient d'imposer cette image au monde. Ne sont-ils
pas la " seule démocratie du Moyen Orient " ? Mais la bonne conscience
reprend rapidement le dessus. Penses-tu ! Ils sont tous pareils,
(p. 277) conclut-il dans un grand moulinet des bras.
Le
bocal dans lequel ils se sont installés n'est qu'un appendice d'une
armée pléthorique , équipée d'un matériel ultramoderne au service de
tous les moyens existants sur la terre de tuer, de blesser, d'abattre,
d'assassiner , de près, de loin, directement, indirectement, à partir
de la terre, à partir de la mer , à partir du ciel, de jour , de nuit,
avec des drones, avec des robots, des tanks, des missiles, des kalachnikovs,
avec des gaz et même avec des couteaux, des battes de base-ball ou des
matraques. Dans le même temps, ils proclament urbi et orbi qu'ils
sont menacés d'un nouveau génocide et que des ennemis pervers complotent
contre eux un nouvel holocauste.

Amédée
a hérissé son bocal de miradors, de systèmes électroniques de surveillance,
de barbelés, de barrières de sécurité et de checkpoints. Et quel est
le monstre sur lequel est pointé cet entassement de moyens de surveillance
et de mort ? Un ancien amant de la terre qu'il lui dispute , un peuple
dont il a pris la place et qu'il continue de voler et d'exproprier !
Or, il n'arrête pas de crier à pleine gorge qu'il agit en état de légitime
défense contre des forces maléfiques qui conspirent à sa destruction
.
Depuis lors, Amédée attend une intervention surnaturelle qui supprimerait
le clou dans sa chaussure qui le fait boiter d'une manière grotesque
sur la scène internationale . Je veux déjeuner tranquillement (…)
avoir la paix … Je n'ai pas trop de prétentions, j'espère !… (p.
277), se lamente-t-il. C'est pourquoi il ne quitte pas des yeux
(p. 269) son cadavre et, dans le même temps, il bande les muscles de
ses petits neurones afin d'oublier jusqu'à l' existence de l'intrus
qui n'en finit pas de grandir tous les jours un petit peu, tous les
jours un petit peu, ça fait beaucoup à la fin…! (p. 277)
Il a complété depuis peu l'arsenal sécrété par la glande pinéale de
sa folie sécuritaire destinée à comprimer son cadavre en expansion .
Voir
Israël et le complexe de Monsieur Perrichon , 27
février 2007
La
nouvelle muraille de Chine érigée afin de clore hermétiquement le cercueil
à ciel ouvert dans lequel il a enfermé le corps fait de lui son kapo.
Mais le remords le tenaille parfois . Il nous a peut-être pardonné
. Moi je le crois. (p. 276) Il sait que les procédures de contrôle
sont cruelles et sadiques . Les descriptions du comportement de ses
soldats-policiers mâles et femelles, féroces surveillants et surveillantes
des checkpoints et autres sas , tours de contrôle ou grilles électroniques
montrent que les leçons des camps de concentration nazis n'ont pas été
perdues pour tout le monde. Ah, si on pouvait être sûr qu'il nous
a pardonné ! (p. 276) Après le doute, la honte ? [2]
En effet, elle serpente, la muraille d'Amédée, elle serpente à travers
les oliveraies, à travers les villages, à travers les villes;
elle isole les paysans de leurs champs, ici, les paroissiens de leur
église, là, ailleurs, elle coupe les mosquées en deux. Elle envahit
les cours des écoles, annexe les meilleures terres agricoles, s'introduit
dans les chambres à coucher ou les cuisines, vole les nappes phréatiques,
franchit les collines, fait des méandres dans les vallées au gré des
rapines à opérer et des terres à annexer .

Il
ne lui manque plus qu'un toit afin prévenir l'atterrissage d'un dangereux
" terroriste " qui aurait voyagé sur les ailes du vent afin compléter
la panoplie de la paranoïa sécuritaire qui permettrait à ses Madeleine
ou ses à Sarah de se sentir enfin en sécurité. A la lueur de torches
et enfin purifiés de tout élément allogène, Amédée et les siens pourraient
ramper en toute sécurité des bords de la Mer Morte aux rives du Jourdain
.
Et pendant ce temps, les moisissures, les pourritures et les champignons
continuent de proliférer . Un tout petit ! Tu me disais … que ce
n'était rien, que c'était un accident et puis maintenant… j'en ai détruit
cinquante rien que tout à l'heure… Ca augmente donc toujours… (…) Partout…
partout … dans les jointures du plancher, au pied des murs, au plafond.
(p. 269)
C'est
pourquoi les Madeleine et les Amédée tremblent de peur et de mauvaise
conscience . Ils ont raison de trembler car, malgré tous leurs efforts,
le cadavre continue à grouiller dans leur tombe mentale. Cela va
devenir vraiment intolérable s'il en fait pousser dans cette pièce.
Sa chambre ne lui suffisait pas ! On ne pourra plus du tout vivre ici.
(p. 269-270)
Oh
!… les sales champignons ; ça sent mauvais ; ça pourrit tout (p.
306). La peur est un poison et ses effets délétères sont en passe d'avoir
le même effet que la tunique de Déjanire sur Hercule. Du calme, Madeleine
(…) Il n'en poussera peut-être plus. (…) Ce n'est peut-être qu'un accident
isolé. (p. 270) Car la peur , la mauvaise conscience et l'hypocrisie
sapent déjà les fondements moraux et politiques d'une société de plus
en plus militarisée, dans laquelle un comportement apparemment religieux
cache mal une criminalisation en hausse vertigineuse et une reprise
importante de l'émigration que les autorités politiques essaient par
tous les moyens de camoufler. Il n'y a que des trous… les murs chancellent,
les masses de plomb s'affaissent ! (p. 306) Et surtout, la peur
et le dégoût devant l'accumulation d'assassinats , d'exactions, de cruautés
gratuites - en un mot devant le martyr de tout un peuple - provoquent
une fuite inquiétante des cerveaux . Les intellectuels et les scientifiques
sont de plus en plus nombreux à s'extirper du bocal. Amédée a perdu
le sommeil. (…) L'horizon est cerné de montagnes sombres… Des nuages
épais rasent le sol… Des fumées, des vapeurs. (p. 302)
3
- Un cercle vicieux 
C'était
pourtant une idée simple , aussi simple qu'un cercle bien rond. Et cette
idée en forme de cercle, ils l'ont dorlotée en cachette, ils l'ont chouchoutée
en public et ils continuent de la caresser délicatement dans le sens
du poil : une terre promise attendait un peuple élu.
Depuis
soixante ans, ils l'ont crié sur tous les tons, ils l'ont chanté sur
tous les modes, ils l'ont proclamé dans toutes les langues de la terre
: le temple de Jérusalem était vide . La Palestine était inhabitée,
la campagne palestinienne était en jachère, il n'existait en ces lieux
ni villes, ni villages et la terre que leur Jahvé était censé avoir
donnée à leurs ancêtres , une dizaine de siècles avant notre ère , attendait
le retour de son " peuple élu " , lequel s'était, entre temps,
dispersé aux quatre vents de la planète . " Une terre sans peuple
pour un peuple sans terre", tel était le slogan , le cercle le plus
parfait dessiné par Israël Zangwill , écrivain britannique, animateur
du mouvement sioniste au XIXe siècle .
Certes, leur dieu avait, semble-t-il, fait un petit somme pendant les
siens étaient martyrisés en Europe durant la Seconde guerre mondiale
; mais il s'était réveillé en sursaut à la fin des hostilités et , depuis
lors, tout confus, bourrelé de remords, il se serait activé afin de
réparer sa négligence en reconduisant les survivants de son peuple bien-aimé
en direction du berceau originel, sur les bords du Jourdain, afin de
repeupler une terre restée vide de toute population durant deux millénaires
oubliant que les Hébreux n'avaient jamais été les seuls occupants de
cette terre et qu'ils avaient cohabité avec les Cananéens, les Moabites,
les Jébusites et les Philistins pour l'Antiquité, puis les Romains,
les Ottomans, les Byzantins et les Croisés européens pour l'époque moderne.
Mais
hélas, dès que les premiers arrivants posèrent un orteil sur le sol
qu'avaient habité un temps de lointains ancêtres, ils se trouvèrent
confrontés à une variante de la fine observation d' Alfred Jarry et
de son Père Ubu , lequel avait remarqué avec la pertinence que l'on
sait que " s'il n'y avait pas de Pologne, il n'y aurait pas de Polonais
" . Ils constatèrent, en effet, qu'en Palestine vivaient depuis
toujours ... des Palestiniens . N'y vivaient pas seulement quelques
tribus clairsemées de chameliers nomades, mais un vrai peuple, un peuple
nombreux et industrieux , qui avait construit des villes aux maisons
élégantes et gracieuses et dont l'esprit de tolérance se manifestait
par la coexistence pacifique de communautés honorant des dieux différents.
Si la masse des immigrants a pu prétendre avoir été trompée, ce n'était
nullement le cas des dirigeants . Et dès 1937, David Ben Gourion, futur
Premier Ministre d'Israël , avait froidement affirmé : " Nous devons
chasser les Arabes et prendre leur place ". [3]
Ben Gourion, encore lui, était on ne peut plus lucide: "Il n'y a
pas de précédent historique, déclarait-il en 1944, d'un peuple
disant: nous acceptons de renoncer à notre pays, de laisser un autre
peuple venir, s'installer ici et devenir plus nombreux que nous."
Les
déclarations de David Ben Gourion avaient été confirmées par Yitzhak
Rabin : " Nous sommes sortis, accompagnés par Ben Gourion. Allon
a répété sa question : " Que devons-nous faire avec la population palestinienne
? " Ben Gourion a levé sa main dans un geste qui voulait dire : Mettez-les
dehors. " Cette déclaration censurée des mémoires de Rabin,
a été publiée dans le New-York Times du 23 octobre 1979.
C'est Golda Meir , Premier Ministre israélien, qui a le plus clairement
exprimé le 15 juin 1969 le déni d'existence du peuple spolié : "
Comment pourrions-nous rendre les territoires occupés ? Il n'y a personne
à qui les rendre (…) puisque les Palestiniens n'ont jamais existé. "
Le 14 juillet 1972, un éditorialiste du Yediot Aahronot,
Yoram Bar Porath, enfonçait le clou : " C'est le devoir des leaders
israéliens d'expliquer à l'opinion publique, clairement et courageusement,
un certain nombre de faits qui sont oubliés avec le temps. Le premier
de ces faits est qu'il n'y a pas de sionisme, colonisation ou Etat juif
sans l'éviction des Arabes et l'expropriation de leurs terres. "
Pour parvenir à cet objectif affiché, les moyens ont été lucidement
énoncés : "Nous devons tuer tous les Palestiniens, à moins qu'ils
ne soient résignés à vivre comme des esclaves", écrivait un des
leurs, le président du comité de soutien à la réélection du maire de
Tel-Aviv , le Général Shlomo Lahat, en octobre 1983 . Et Israël Koenig
présentait en avril 1976 un Memorandum dans lequel il
prévoyait les moyens à utiliser afin de confiner le cadavre de la Palestine
dans son cercueil et l'empêcher de déborder : " Nous devons utiliser
la terreur, les assassinats, l'intimidation, la confiscation des terres
et l'arrêt de tous les services sociaux afin de débarrasser la Galilée
de sa population arabe". [4]
Aujourd'hui,
une obsession tourmente les Amédée et les Madeleine des bords de la
Mer Morte, elle les taraude et les harcèle jour et nuit : Si tu avais
déclaré son décès à temps (…) la maison serait plus gaie, nous ne vivrions
pas comme des prisonniers, comme des coupables. (p. 293)
Comment faire disparaître ce cadavre encombrant sans que les voisins
s'en aperçoivent ? COMMENT SE DEBARRASSER DES PALESTINIENS ?
4 - La gestation
du cadavre - Petit rappel historique 
Il est beau. (…) Comme sa figure est expressive. (…) Ce sont ses
yeux qui éclairent. (…) Ses yeux n'ont pas vieilli. Ils sont toujours
aussi beaux. De grands yeux verts. (p. 273) On dirait des phares.
(p. 309) Amédée et Madeleine contemplent leur cadavre tout à loisir
et s'extasient sur sa beauté .
Durant
près de vingt ans, le cadavre avait accepté d'être bien tranquille dans
son coin. Ce cadavre s'est comporté en bon cadavre, en cadavre comme
on s'attend que soit un cadavre. Il est resté sagement enfermé dans
son cercueil pendant que les groupes de tueurs de l'Irgoun de Begin
, le 1er bataillon du Palmach , la Brigade Carmel , des détachements
du groupe Stern de Shamir ou la Hagana de Moshé Dayan opéraient impunément
et entassaient des piles de corps sans vie.
Les fenêtres sont fermées dans sa chambre (p. 277). En effet,
durant tout ce temps, rien ne filtrait hors des frontières de ce qui
se tramait sur place . Il faut dire qu'il y avait peu de curieux pour
contester les tueurs qui affirmaient benoîtement qu'un seul " arabe
" avait été tué. C'est ainsi que des dizaines de villages furent,
en toute tranquillité , rayés de la carte dans le silence et l'indifférence
du reste du monde .

Deir
Yassine, l'Oradour palestinien, fut rayé de la carte en une nuit . Plus
de 300 civils furent exécutés froidement, femmes, enfants, hommes ,
vieillards. Les tueurs ne faisaient pas de quartiers et pour faire bonne
mesure, ils jetèrent les corps suppliciés dans le puits du village.
Deir
Yassine , la pierre d'angle sur lesquelles Amédée et Madeleine ont construit
le gigantesque cadavre qu'ils ont tenté de confiner dans son cercueil,
est l'un des plus connus d'une longue série de massacres de civils qui
se poursuivirent à Haïfa, à Jaffa, Acre, Oum Al Fahem et AL-Ramla, Al-Daouayma,
Abou Shousha .
Dis
Madeleine, crois-tu qu'il nous a pardonné ? (p. 276) Et la litanie
des villages martyrs chante sa triste mélopée : Qazaza, Jaffa à plusieurs
reprises, Tannoura, Tireh, Kfar Husseinia, Haïfa encore et encore, Sarafand,
Kolonia, Saris, Biddu, Lod, Bayt Surik, Sasa, Balad al-Cheikh … et tant
d'autres. S'il nous avait pardonné , il ne grandirait plus. Puisqu'il
grandit toujours… c'est qu'il a encore des revendications. (p. 277)
Quand
je pense… ah, ça aurait pu être autrement… (p. 274) Pour que les
événements se soient déroulés autrement,
il aurait fallu qu'Amédée et Madeleine aient joui d'un autre caractère
et aient été dotés d'un autre tempérament . Ne
parvenant pas à tuer tout le monde, leur objectif était de provoquant
la panique et la fuite éperdue des survivants . Le projet de vider le
terrain de sa population fut atteint au-delà de toute espérance , comme
le révèle le meneur du groupe d'assassins de l'Irgoun à Deir Yassine,
Menahem Begin, devenu Premier Ministre d'Israël de 1977 à 1983 : " La
légende de Deir Yassine nous aida en particulier à sauver Tibériade
et conquérir Haïfa. Toutes les forces juives se mirent à avancer dans
Haïfa comme un couteau dans du beurre. Les Arabes (les Palestiniens)
se mirent à fuir affolés en criant "Deir Yassine" ." [5]
Dans
son livre My Mission in Israel, 1948-1951, l'ambassadeur
des Etats-Unis James G. Mac Donald décrit l'émotion et l'enthousiasme
du premier Président de l'Etat d'Israël , Haïm Weizmann (1949- 1952)
lorsqu'il évoquait les colonnes de réfugiés palestiniens fuyant les
massacres . Le désastre des Palestiniens devenait à ses yeux la " miraculeuse
simplification des tâches d'Israël ", un " cataclysme heureux
". Les guerriers de Jahvé avaient chassé le peuple d'Allah.[6]
Et ce fut le huitième jour … Et ce fut la Naqba.

...
Et pendant ce temps-là, Amédée et Madeleine, en fourmis inlassables,
grappillaient du terrain mètre carré par mètre carré, colline par colline
tout en continuant à barboter dans une mare de sang. Leur Etat et leur
armée avançaient fièrement derrière l'étendard d'un Peuple Martyr et
sous le voile de deuil d'un Holocauste récent revêtu de sa majuscule
. Ils portaient en bandoulière une bonne conscience en béton armé .
Crimes, meurtres, nettoyage ethnique, vol de terres et de propriétés,
spoliations , tout était d'avance purifié, nié, effacé. Dans la foulée
de l'alibi du martyr enduré par les pères , les fils prédateurs se voyaient
métamorphosés par magie en incarnations du droit, de la morale et de
la démocratie.
Je
peux aller voir ? Il s'est peut-être arrêté. (p. 277) J'ai eu
un moment d'espoir. Je me suis dit qu'il… aurait peut-être disparu.
(…) Il n'y a plus de miracle, hélas. … (272)
Car
, en tapinois, le cadavre grossissait inexorablement : Il a encore
grandi. Il n'aura plus de place sur le divan. Ses pieds dépassent déjà.
(p. 272) On dirait qu'il respire… On dirait qu'il nous entend…
On dirait qu'il nous voit… (p. 278) En effet, malgré tant d'efforts
et tant de persécutions le cadavre est increvable . Tel le Caïn du poème
de Victor Hugo, La Conscience, le coupable ne se sent
jamais assez protégé, car l'œil de sa mauvaise conscience "était
dans la tombe et regardait Caïn ", une mauvaise conscience vite
refoulée qui pointait néanmoins le bout de son nez et les titillait
de temps à autre durant quelques milliardièmes de secondes . Nous
en veut-il encore ? (…) Chaque fois que je le regarde…j'en suis malade
! , se disaient alors Amédée et Madeleine. Ce sont ses yeux qui
éclairent (…) Ses yeux n'ont pas vieilli. Ils sont toujours aussi beaux.
De grands yeux verts. On dirait des phares. (p. 273 )
Mais
ils étaient beaucoup trop occupés à la réalisation de la mission biblique
de reconquête de la terre pour que la compassion, une humanité élémentaire
ou des remords trouvent une petite place dans leur cœur et dans leur
âme. Je m'en passerais de sa beauté encombrante (p. 273), suis-je
le gardien de mon frère ? gémissaient-ils. Il était plutôt
petit il y a quinze ans. Et si jeune. Maintenant, il a une grande barbe
blanche. (p. 272)
C'est
ainsi qu'Amédée et Madeleine sont devenus les gardiens du cadavre de
leur frère.
5 - Le cadavre
se rebelle 
Brusquement, il a cassé les carreaux !… Sa tête est passée à travers
! (p. 283) Et ce fut le coup de tonnerre des jeux olympiques de
Munich.
Le
5 septembre 1972, le cadavre a brutalement ouvert le couvercle de son
cercueil et a jailli dans le monde comme un diable de sa boîte sous
la forme d'un fait divers sanglant. Il va occuper toute la place,
mon Dieu ! toute la place ! (p. 274) Grâce à la présence de centaines
de médias venus couvrir les jeux olympiques, des millions de téléspectateurs
découvrirent l'existence d'un " problème palestinien " .
Personne
ne nous connaît, Monsieur, on ne nous écrit jamais, je vous assure (282).
Et pourtant un facteur connaissait leur adresse . Un commando de l'organisation
Septembre Noir s'introduisit dans le village olympique et prit en otage
une poignée d'athlètes israéliens . L'affaire gérée de manière calamiteuse
par les autorités allemandes se termina par la mort des otages et du
commando. L'horreur de ce dénouement quasi en direct devant des millions
de téléspectateurs eut deux conséquences diamétralement opposées : elle
assimila pour longtemps le combat des Palestiniens pour la justice à
des actes de " terrorisme ", mais en même temps elle fit enfin
débarquer la Palestine dans l'actualité internationale.
C'est
bien une erreur, monsieur, je ne suis pas Amédée Buccinioni, mais A-mé-dée-Buccinioni.(…)
Voyez-vous, le A de Amédée sur l'enveloppe est une majuscule cursive,
mon prénom s'écrit avec un A, Amédée en romain (p. 282). Il est
révélé, aujourd'hui que le planificateur et l'organisateur de ce massacre,
Abou Nidal, était un agent double , grassement payé par le Mossad pour
exécuter des attentats particulièrement repoussants, de nature à discréditer
la cause palestinienne. [7]
D'autres documents saisis dans les bureaux des forces de sécurité
de Gaza par le Hamas nous en apprennent d'ailleurs de belles sur le
fameux raid de Entebbé ou sur les collusions des dirigeants actuels
du Fatah avec les autorités d'occupation. Ainsi Mohammed Dahlan,
ancien responsable des services de sécurité aurait trempé dans
l'empoisonnement de Yasser Arafat, Salam Fayyad, Premier Ministre
et même le Président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas
sont tous du dernier bien avec les services secrets de l'occupant et
avec ses protecteurs états-uniens [8]
. Ils entassent discrètement de confortables magots pendant que
leur peuple ploie sous le faix et crie famine. Et que dire de la trahison
de l'actuel ambassadeur palestinien à l’ONU, Riyad Mansour, qui sur
ordre de MM. Abbas et Fayyad, a réussi l'exploit miraculeux de
bloquer une résolution présentée par le Qatar et
les Philippines et appelant à mettre fin au cruel blocus de Gaza!
Avec de pareils dirigeants, véritables vermines telles que décrites
par Kafka dans La Métamorphose, on comprend mieux
pourquoi le cadavre n'arrive pas à ressusciter.
Voir:
Discours
du Président de l'autorité palestinienne, M. Mahmoud Abbas , à la
suite d'une décision de tenue de nouvelles élections législatives
et présidentielles dans les territoires palestiniens occupés par
Israël, 15 déc. 2006
La
collaboration consensuelle : Rencontre de M. Mahmoud Abbas , Président
de l'Autorité palestinienne et du responsable des autorités d'occupation
israéliennes , M. Ehud Olmert, 25
décembre 2006
La
zone grise. Israël et la Palestine sous le regard de Primo Levi
et de Kafka, 4 juin 2007
Car , de 1948 à 1972, Amédée et Madeleine avaient continué en catimini
leur petit artisanat meurtrier avec des pics sanglants sporadiques,
mais ni vu ni connu, personne n'y trouvait rien redire et les geôliers
pouvaient rogner, couper, tailler tout à loisir. Il a des
ongles énormes… Je ne peux pas les lui couper toute la journée… La semaine
dernière, j'en ai jeté à la poubelle toute une poignée. Ce n'est pas
un travail facile. (p. 273) La conscience internationale, demeurée
inerte pendant que l'armée et les groupes para militaires du nouvel
Etat hébreu massacraient des civils palestiniens par villages entiers,
fut cette fois violemment interpellée . L'ONU se fendait bien de temps
à autre d'une " résolution" afin de condamner le sort réservé
au cadavre, résolutions qu'Amédée ne lisait même plus et qu'il s'empressait
de classer dans le tiroir du bas de son bureau, sous une pile de vieux
papiers . Il en avait déjà collectionné 71, sans compter les 39 auxquelles
ne manquait que la voix de l'ami très cher et très influent , qui avait
chaque fois réussi, in extremis, à empêcher qu'elles fussent
adoptées .
Voir Ils
ont crucifié Marianne ... Les nouveaux exploits de Tartuffe
en Palestine, Paques 2007
Pour comprendre, en 2007, à quel point, au début des années 1970, Amédée
et Madeleine avaient réussi l'opération de camouflage de leur cadavre,
il suffit de lire l'entretien entre l'ancien Président de la République
française nouvellement élu, Valéry Giscard d'Estaing et Henri Kissinger
rapporté par l'ancien Président français lui-même dans le tome
II de ses Mémoires, paru en 1991 . M. Giscard d'Estaing
écrit candidement que, dès son arrivée au pouvoir en 1974 :
" J'ai
découvert, en effet, que je ne savais rien - littéralement rien
- sur les Palestiniens. Le mot n'évoque rien de précis pour moi
! Je ne connais bien ni leur origine, ni les causes de leurs difficultés
(sic) . Ils représentent une population mal localisée , mal identifiée
, dans le brouillard opaque du Proche-Orient. Pour clarifier mes
idées, j'ai fait demander un dossier au Quai d'Orsay. Je l'ai reçu
la veille au soir, et j'ai commencé à le regarder en rentrant de
la réception de Bagatelle. " [9]
Ainsi , en 1991 , un demi siècle après leur exode meurtrier, un dirigeant
d'un grand pays européen, qui fut auparavant ministre des finances du
Général de Gaulle dès 1962, et qui assista donc à tous les Conseils
des ministres du gouvernement du Général auquel il appartint jusqu'en
1966, avoue sans honte qu'en arrivant au pouvoir en 1974, il n'avait
jamais entendu parler des Palestiniens !
Il
faut rendre justice à Amédée et à Madeleine pour l'excellence de leur
travail de dissimulation de la réalité . [10]
Trop tard ! Le cadavre grandit des deux côtés à présent. Fais quelque
chose Amédée. Les voisins vont le voir ! Rentre sa tête ! (…) N'oublie
pas de fermer ses yeux ! (p. 283)
Trop
tard ! Trop tard! Le cadavre est entré dans l'histoire .
6
- Le cadavre grandit de plus en plus rapidement 
Amédée
a fait tout ce qu'il a pu pour le cacher et le ratatiner. Et il a pu
beaucoup.
Plie-le
en deux, c'est bien simple ! Plie-le en deux, voyons ! (p. 283)
hurle Madeleine. Mais rien n'y fait, le cadavre résiste toujours , continue
de grandir et déborde de son cercueil.
Se
bagarrant jour et nuit contre la vitalité exceptionnelle de son cadavre,
Amédée l'a criblé de balles, en choisissant de préférence les jeunes
garçons et il les a volontairement estropiés en visant les genoux afin
qu'ils fussent une charge encore plus lourde pour les familles, il a
envoyé ses chars, ses drones, ses missiles le bombarder à partir du
ciel et de la terre, il a expérimenté sur sa victime des
armes qui provoquent des blessures cruelles et inguérissables,
il a dynamité ses maisons, n'hésitant pas ensevelir les habitants
sous les décombres, il a emprisonné à tour de bras, il a, chaque
jour ,inventé de nouvelles brimades afin de le décourager de survivre
avec son agriculture, son artisanat ou son commerce, il l'a empêché
de se déplacer , il a volé ses terres et son eau, il l'a empêché de
se soigner et d'étudier, il a bombardé ses hôpitaux et ses écoles, il
a même tenté de l'empoisonner discrètement en déversant chez lui ses
déchets toxiques.

Mais
il y a des voisins aux fenêtres (283). Alors, Amédée, dégoûté
par une telle endurance, a décidé de l'affamer en douce.
Comme il contrôle tout ce qui entre par terre, par mer, par air et qu'il
filtre quasiment l'air qui pénètre dans le ghetto de Gaza qui ressemble
de plus en plus aux ghettos de Lvov ou de Warsovie instaurés
par les nazis, un petit clic d'ordinateur lui a suffi pour créer un
blocus économique total et donc un boycott hermétique . Elémentaire,
mon cher Watson ! N'ayant pas réussi à fomenter une guerre civile malgré
la livraison d'une montagne d'armements divers à l'une des factions,
en une fraction de seconde, Amédée a effacé le code douanier qui identifie
les marchandises à destination du camp de concentration de Gaza et plus
rien n'entre ni ne sort ... et voilà comment, grâce à
l'électronique, l'occupant peut, en une demi seconde, asphyxier
l'économie - et donc tout moyen de survie autonome - d'un million
et demi d'habitants !
Amédée est un cannibale aux goûts particuliers :
il aime sucer les os et grignoter les chairs bien maigres. Amédée
regarde les enfants de Gaza nourris jour après jour quasi exclusivement
de pain et de thé, fondre doucettement dans la marmite de sa
cruauté. Il se lèche d'avance les babines . Ils seront
bientôt si frêles, si friables, si craquants que , tel l'amateur
d'ortolans, il les croquera d'un seul coup de dent et les avalera d'une
bouchée goulue , la tête cachée sous la serviette
de sa honte .

Mais, damned ! le cadavre déborde. Madeleine a beau s'échiner à essayer
de le faire rentrer dans son cercueil , rien n'y fait. Viens m'aider
! , hurle-t-elle à Amédée, tu me laisses toujours le plus dur
pour moi toute seule… Tire plus fort ! (p.284)
7 - Massacre
à la tronçonneuse 
Eurêka
! Amédée et Madeleine ont alors eu une idée géniale et toute simple,
comme toutes les idées géniales, une idée à laquelle
le grand Ionesco n'avait pas pensé : mais c'est bien sûr! il suffisait
de découper le cadavre . Le couper d'abord en deux gros morceaux - Gaza
d'un côté, la Cisjordanie de l'autre - puis de couper le plus gros et
le plus juteux des deux tronçons en de multiples rondelles . Quelques
bantoustans surnageraient dans la vallée du Jourdain … en attendant
la suite des évictions.
Se
frottant d'avance les mains, ils mettent mentalement Allah au défi de
trouver un bricoleur assez astucieux pour recoller les morceaux. Mais
attention! il s'agit d'opérer discrètement et en veillant à conserver
le statut, si rentable internationalement, de victime . Sauver les apparences
est la règle absolue.
Car,
Amédée est un malin. il poursuit avec opiniâtreté l'objectif clairement
énoncé par les pères fondateurs et qui déroule des conséquences aussi
nécessaires que les corollaires d'un axiome euclidien. Tout le reste
est baliverne et bla bla bla destiné à gagner du temps .
Amédée
croit que le temps joue en sa faveur , il croit que ce qui est pris
est pris et que, dans le pire des cas, ce qui reste se discute et se
partage en application de la fameuse recette du pâté d'alouette
: un cheval, une alouette. De temps à autre, afin de nourrir
quelques épisodes à grand spectacle, il convoque les télévisions
et la presse internationale et, dans une fastueuse mise en scène
, avec un grand déploiement de forces de l'ordre , de figurants,
de hurlements et de lamentations, il procède en grande pompe
à l'évacuation de ... deux familles (je dis bien 2 ) sur
les 475 000 colons illégalement installés en Cisjordanie.
Lesquelles familles reviennent tranquillement dès que le spectacle
est terminé, comme ce fut le cas à Hébron au début
du mois d'août. Comme prévu, Amédée est immédiatement
récompensé de son "pas significatif en direction
de la paix". Ainsi, le 10 août 2007, le journal Le
Monde titrait en gros caractères en première page
: Proche-Orient, la confiance renaît .
Le postulat dont Amédée et Madeleine n'ont jamais dévié
d'une virgule depuis soixante ans peut être formulé comme suit :
Il convient d' utiliser tous les moyens légaux et illégaux afin d'empêcher
la création d'un Etat palestinien indépendant et viable .
Corollaire
n°1 : Tu vois,Madeleine, tout s'arrange
(p. 284), car il ne peut y avoir deux Etats en Palestine.
Corollaire
n°2 : Ferme donc ses yeux (p. 284), et rassure-toi,
Madeleine: il n'y aura qu'un seul Etat en Palestine.
Corollaire
n° 3 : Ferme bien les volets (p. 284) car tu sais que
les Juifs sont d'une essence si particulière qu'ils ne peuvent
vivre qu'entre eux, dans un " Etat juif ". Si un autre Etat affichait
ce genre de revendication, il serait immédiatement qualifié
de raciste. Mais ne crains rien, Madeleine, à un "peuple
élu", rien n'est impossible. D'ailleurs, au moindre murmure,
nous crions à l'antisémitisme. C'est une puissante arme
de dissuasion qui s'est toujours révélée d'une
efficacité redoutable.
Corollaire n° 4 : Je dois tout t'apprendre
(p. 283) . Répète après moi : le seul Etat en Palestine
sera un " Etat juif " et les colonies en sont l'avant-poste indélogeable.
Corollaire
n° 5 : La vie est devenue vraiment impossible (p. 285)
, surtout s'il y a des arabes dans un " Etat juif " ! Est-ce
que tu vas m'en débarrasser ? (p. 290) Patience! Ceux que nous n'avons
pas encore tués ou qui n'ont pas encore déguerpi, nous
les parquons dans des prisons, des ghettos, des banthoustans et nous
leur rendons la vie si dure qu'ils n'auront le choix qu'entre mourir
sur place, partir ou devenir nos esclaves.
Corollaire n° 6 : Nous pourrions dire que c'est le
Facteur qui a fait ça . (…) C'est le Facteu-eur ! Le Facteu-eu-eur (p.
284) qui a fait disparaître les Palestiniens. Nous endormirons le monde
avec des "accords de principe", des "projets
de paix dans trois ans , dans cinq ans", ou à la saint
Glinglin... Nous parlerons d' "Etat provisoire", "d'étape
transitoire", de "situation temporaire",
"d'étape intermédiaire" ou de "fenêtre
d'opportunité" . Nous organiserons de multiples réunions,
avec sourires toutes dents dehors, embrassades, poses devant les photographes,
réunions au cours desquels nous blablaterons et baratterons de
"grands principes", en évitant soigneusement
d'aborder les "choses qui [nous] fâchent"
, c'est-à-dire les seules importantes . Nous possédons
un riche dictionnaire des synonymes et sommes imbattables dans le maniement
des oxymores. Ainsi, pour qualifier les ghettos et les banthoustans,
nous inventerons le concept mirobolant d' "Etat sans frontières",
ou d' "Etat souverain sans souveraineté militaire , sans
souveraineté internationale , sans souveraineté
économique ", ... Aie confiance, Madeleine, mon imagination
possède des ressources inépuisables!
Corollaire
n° 7 : Il est facile de se débarrasser de sa culpabilité
(p. 291) . Comme les Palestiniens refuseront ce leurre - à moins
que nous ayons réussi d'ici là à les transformer
en zombies décérébrés - nous les accuserons
à grands cris, de refuser une fois de plus, comme à Camp
David, une "offre généreuse" . Résultat,
aux yeux du monde, ils seront les éternels coupables ... et nous,
les éternelles victimes. CQFD . Et c'est ainsi que Jahvé
est grand!
Corollaire
n°8 : En attendant, il suffit d'enrouler le cadavre (p.
286) . Alors, le serpent se mordra la queue , s'auto-avalera et donc
s'auto-détruira. C'est l'idéal vers lequel nous tendons. C'est
aussi pourquoi nous nous employons de toutes nos forces à créer
la zizanie entre les factions. Nous câlinons les uns et affamons
les autres, et continuons à pousser au déclenchement d'une
bonne petite guerre civile. Après avoir enfermé dans nos
geôles ou assassiné leurs hommes politiques de valeur,
nous engraissons les médiocres, les corrompus et les lâches
de la faction la plus importante, tout en les méprisant copieusement
. Vois, Madeleine, comme ils nous lèchent déjà
les mains et les pieds . Vois comme ils se mettent en quatre pour nous
servir de délicieux repas pendant que leur peuple , mourant de
faim et le nez collé aux fenêtres, nous regarde déguster
les mets délicieux spécialement préparés
à notre intention par l'épouse d'un Ministre. [11]
Vois comme ces traitres sont dociles et acceptent sans broncher
que nous stérilisions toute leur économie et que nous
transformions leur peuple en un troupeau d'assistés qui dépendront
des aides d'une pseudo communauté internationale dont les gouvernements
sont d'ailleurs à notre botte. Ainsi, quand ils ne seront pas
assez dociles, il nous suffira de couper le robinet et d'organiser discrètement
une famine qui les remettra dans le droit chemin de la soumission. En
plein XXIe siècle, nous avons réinventé une forme
subtile de l'esclavage . Nous persécutons et volons nos victimes
...et le monde les nourrit tout en les admonestant et en condamnant
leur indocilité . Que dis-tu de ma performance, Madeleine ?
Madeleine
est béate d'admiration et applaudit à tout rompre. Mais
les voisins sont aux aguets, les voisins , révoltés par
l'inertie et l'hypocrisie de leurs gouvernements, jasent. Il doit
se passer des choses pas normales dans cette maison… Ce sont des personnes
bien bizarres. (p. 291) Des insultes fusent:
- Bourreaux d'enfants !
- Bourreaux
de cadavres !
- Génocidaires de peuple !
Voir
Tartuffe
en Palestine, 3 avril 2007
Ils
ont crucifié Marianne ou Les nouveaux exploits de Tartuffe
en Palestine, Pâques 2007
- Tu as entendu ? Ce n'est pas la première fois que j'entends de
pareilles réflexions… (p. 291) , se chuchotent, inquiets, Madeleine
et Amédée.
Vent
debout, ils essaient de lutter contre la calamiteuse réputation
de leur bocal . Certes, les complicités à l'intérieur
de tous les Etats ne leur font pas défaut. Mais peut-on se dresser
éternellement contre les opinions publiques de la quasi totalité
de la planète? C'est pourquoi leurs services de la propagande
s'activent frénétiquement auprès des médias
et des éditeurs du monde entier et subventionnent à tour
de bras traductions, articles et séjours d'écrivains dans
les capitales occidentales.
Voir
La
guerre des mots , 29 janvier 2007
La
démocratie pénitentiaire,
Analyse
d'un éditorial du journaliste Bernard Guetta sur France-Inter,
29 janvier 2007
Cependant,
malgré les volets fermés, les portes verrouillées
à double tour, la censure, les menaces, les complicités
ethniques et politiques, des témoignages de plus en plus alarmants
parviennent à se glisser dans les fissures de la propagande .
Les peuples murmurent leur colère. Des grondements et des projets
de boycott se font entendre un peu partout dans le monde. Quant à
Amédée , imperturbable, il espère enfin mater son
cadavre en reproduisant le scenario utilisé par son protecteur
au Chili . Il rêve d'un nouveau Pinochet. [12]
8
- La guerre des bébés ou l'effet boomerang 
Or, le cadavre, increvable, continue de pousser de tous les côtés
à la fois (p. 286) , le cadavre sous ses airs de cadavre, est un
magicien. Il grandit de plus en plus vite (p. 285). Aux armes
de destruction massive les plus sophistiquées et les plus meurtrières
de Madeleine et d'Amédée , il répond par une botte secrète, il répond
par l'arme des pauvres, l'arme qu'aucune bombe n'arrêtera , l'arme qui
explosera dans les statistiques et dans les rues : la multiplication
des bébés. Où va-t-on le mettre, qu'est-ce qu'on va en faire, que
va-t-on devenir ? (p. 286)
Le
boom démographique qui affole Amédée et Madeleine , non seulement ne
ralentit pas, mais s'amplifie malgré leurs tentatives les plus sadiques
de nuire à la santé des mères , de les empêcher de se soigner et même
d'accoucher dignement en les bloquant volontairement à des barrages
barbares. Il va s'amener ici avec tous ses champignons. (p. 286)
L'atmosphère va devenir absolument irrespirable. (p. 287)

Qu'est-ce
qu'il nous fait encore ? (p. 285) Impuissants et désolés Amédée
et Madeleine ne peuvent qu'assister à la progression géométrique
(p. 285) de leur cadavre qui est la maladie incurable des morts.
Il n'y a rien à faire, rien à faire. On ne peut plus rien faire, hélas
! (p. 285) Dépités et désemparés, ils s'interrogent : Comment
a-t-il pu attraper ça chez nous ? (p. 285)
La
réponse à cette question est aussi simple que le fonctionnement du boomerang
qui, comme chacun sait, revient à son envoyeur.
Amédée et Madeleine se font des reproches. Tu aurais dû déclarer
son décès à temps. Ou alors te débarrasser du cadavre plus tôt, quand
c'était plus facile (p. 292) . Ils essaient désespérément de le
sur-tuer, de le plier en deux, de le plier en quatre , en huit et de
l'enrouler sur lui-même; ils l'affament , ils essaient de le réduire
à une loque, à un zombie en le condamnant à une complète misère physique.
Mais plus ils le tourmentent plus les " voisins " sous la forme
des ONG et de UNRWA sont alertés et n'osent pas demeurer complètement
inactifs. On ne pourra plus faire croire à personne qu'il ne se passe
rien, qu'il ne s'est rien passé chez nous (p. 292).
Car
les voisins sont là, dans les appartements, les oreilles collées
aux murs, ou sur le plancher, ou bien ils guettent derrière les rideaux
de leurs fenêtres (…) Ils nous épient (…) Tu ne sens pas comme leur
silence est pesant ? (303) En effet , réprobateurs et apitoyés,
les " voisins " passent outre à la paralysie honteuse
des gouvernements officiels et viennent en aide en catimini au cadavre
. Ainsi, tout nouveau-né étant considéré comme un réfugié, voit sa scolarité
et sa santé garanties par l'Office de secours et de travaux des Nations
unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.
Résultat,
s'il a toujours sa progression géométrique, tiendra-t-il dans l'appartement
jusqu'à la nuit ? (298) Car en application d'une sorte de darwinisme
de la misère, le cadavre, à l'instar des crabes de l'ingrat rocher
de Clipperton, s'est adapté à la misère de son environnement
et grâce à ce petit espace de sécurité, dans l'ombre et discrètement,
il s'est multiplié et il a plus que sextuplé de volume. Ainsi
Gaza la remuante, Gaza la résistante est passée de 240 000 unités en
1950 à un million et demi aujourd'hui.
Du
coup, le cadavre se met à chantonner, puis à chanter à
pleine gorge . Il a la bouche fermée. Ça vient de tous les côtés.
Les ondes se propagent . Les sons sortent sans doute par ses oreilles…
C'est le meilleur instrument. (p. 309) En mélomane
avertie, Madeleine ne peut s'empêcher d'apprécier :
Il a tout de même du talent. (p. 309)
Or, pendant ce temps, malgré une campagne frénétique incitant leurs
co-religionnaires de la planète entière à venir augmenter le nombre
des occupants dans les colonies, Amédée et Madeleine ne parviennent
plus à maintenir chez eux une majorité de race pure . Des métèques issus
notamment de l'empire des tsars, alléchés par les conditions d'installation
dans les terres volées, sont venus se mêler en nombre à la race des
maîtres . Et horreur de toutes les horreurs, ils restent groupés
entre eux, continuent à parler leur langue natale et mangent
gaillardement des cotelettes de porc, du saucisson et du boudin au nez
et surtout à la barbe des rabbins .
Il
y a des germes de champignons partout sur le plancher … (p. 307)
. C'est pourquoi les quelques Amédée vertueux , affolés par la prolifération
des moisissures racistes , des pourritures militaristes et dégoûtés
par l'évolution de la politique colonialiste et des mœurs de plus en
plus brutales s'échappent du bocal dès qu'ils le peuvent afin de retrouver
ou de prendre une autre nationalité. L'exemple de l'ancien Président
de leur Parlement, Abraham Burg le confirme d'une manière éclatante
[13] . A quoi il convient
ajouter des Amédée prudents qui, le nez au vent, ont flairé le souffle
glacial l'iceberg et prennent leurs précautions afin de trouver un point
de chute avant qu'il soit trop tard . Ils se munissent d'ores et déjà
de passeports valides et de visas, comme en témoignent les interminables
queues devant les consulats étrangers.
De plus, le ventre de Madeleine commence de tarir . Elle a irrémédiablement
perdu la guerre des bébés . Aujourd'hui face aux 1 100 000 jeunes adolescents
de Gaza de moins de quinze ans , Amédée ne peut aligner au total qu'une
troupe 640 000 jeunes garçons, mais nés de mères six fois plus nombreuses.
Il a tout envahi. (p. 308) Ses pieds s'appuient sur la porte
… Pourvu qu'ils ne la défoncent pas aussi. (p. 311)
Le
bébé est la véritable ARME DE DESTRUCTION MASSIVE du cadavre , celle
devant laquelle Amédée et Madeleine sont aussi désarmés que devant le
fou qui essaierait de vider la mer à la petite cuillère .
Ils
en ont si bien conscience que toutes leurs actions et tous les plans
qu'ils échafaudent en concertation avec leur protecteur d'outre -Atlantique
et avec les complices qu'ils se sont achetés à l'intérieur du système
, visent à contourner ou à désamorcer cette bombe démographique . Mais
le cadavre est long, long , long comme un jour sans pain. Il se déroule…il
se déroule (…) Ca n'en finit plus (…) Tire toujours, il y en a encore…
C'est pas fini (…) Amédé-é-ée ..ti-re… tire…tire ! (p. 319)
La démographie est l'une des formes de la fatalité en marche. Elle est
depuis la nuit des temps la pierre d'angle de la puissance d'un Etat.
Louis XIV et Napoléon sont inintelligibles si l'on ne garde pas présent
à l'esprit que la France était à l'époque le pays le plus peuplé d'Europe
. Elle comptait 29 millions d'habitants pendant que l'Angleterre n'en
comptait que 10 en 1800 .
C'est
pourquoi, comme le canard increvable de Robert Lamoureux et contrairement
aux espoirs d'Amédée, le cadavre sait que le temps travaille
pour lui. Qu'il est lourd… Il a une force passive extraordinaire…
Il s'était vraiment enraciné chez nous. (p. 316) Un seul mot d'ordre
dicte sa conduite : TENIR et RESISTER .
Le cadavre sait également que tous les empires construits sur
la loi de la force et l'immoralité finissent par s'écrouler;
car la violence , le mensonge, la colonisation pulvérisent en retour
les sociétés prédatrices plus efficacement que des termites dans une
charpente. Des champignons !… des champignons !… champignons !… champignons
!… (p. 303) Comme l'écrivait Talleyrand , "on peut
tout faire avec des baïonnettes, sauf s'asseoir dessus." L'histoire
égrène la litanie des empires défunts: l'empire perse, l'empire romain,
l'empire d'Alexandre le Grand , l'empire espagnol , l'empire portugais
et plus près de nous, l'empire colonial anglais et l'empire français
, l'empire soviétique et le IIIe Reich nazi. Il fait noir… il n'y
a rien… (p. 303)
Aujourd'hui
l'empire militariste américain dont Madeleine et Amédée ne sont que
des pseudopodes reliés la maison-mère par le juteux cordon ombilical
d'un flux de dollars permanent et d'un transfert ininterrompu des armements
les plus modernes et les plus meurtriers touche à sa fin . Il a expérimenté
en Irak la prophétie de Talleyrand. La Chine a déjà
fait savoir à l'Oncle Sam que la montagne de bons du trésor
américain et de dollars qu'elle a empilés dans ses coffres
constitue une arme plus efficace que la bombe atomique et qu'elle saura
s'en servir. [14] Je
suis veuve, je suis orpheline, je suis pauvre, malade, vieille, la plus
vieille orpheline de la terre (p. 306) prophétise Madeleine dans
un gémissement.
Fondé
sur l'escroquerie d'un dollar non gagé sur une richesse réelle, les
premiers craquements de la muraille de papier monnaie se sont déjà fait
entendre . L'effondrement de la Baliverna de la FED et du système monétaire
né en 1913 entraîneront Amédée et Madeleine dans leur chute. Nuit,
pluie, boue !… le froid ! je grelotte… noir…noir…noir…(303) Je sombre
dans la nuit…j'ai peur ! Aaah !… (p. 305) . Madeleine sanglote.
Voir Voyage
circummonétaire à la
recherche du roi-dollar et découverte de la caverne d'Ali-baba,
15 décembre 2006
9
- Méditations moroses d'Amédée ou "Quand la
fiction est la réalité" 
Dans
la pièce de Ionesco, Amédée et son cadavre s'envolent ensemble après
avoir rencontré un soldat américain complètement ivre, qui sortait d'un
bordel. Mais ce soldat avait encore les idées assez claires pour trouver
une solution au transport du corps. Il a fait tourner Amédée sur lui-même
comme une toupie de manière à ce que le corps interminable du cadavre
s'enroule autour de lui et que tous deux fassent un seul bloc. Amédée
ne parvenant pas à venir à bout de son prisonnier - devenu
Ka, le vieux python -
sera-t-il étouffé par lui avant d'être avalé?
Mais
le génie du grand dramaturge roumain est aussi ailleurs . Il est saisissant
dans l'approfondissement des sentiments des deux reclus à l'égard de
leur cadavre-prisonnier . C'est pourquoi je cite, pour terminer, la
longue lamentation de l'Amédée de Ionesco sur son locataire indésirable
dont on mesurera à quel point elle est d'une actualité brûlante .
En
somme, il a grandi, vieilli dans notre maison, avec nous, ça compte
! Que veux-tu, on s'attache à tout , ainsi est le cœur de l'homme …
Oui, on s'attache à n'importe quoi … un chien, un chat, une boîte, un
enfant… D'autant plus à lui qu'il a des titres… Que de choses il nous
rappelle … La maison nous paraîtra bien vide quand il ne sera plus là…
Il a été le témoin de tout un passé , pas toujours agréable ce passé,évidemment,
évidemment… On pourrait même dire : "à cause de lui pas agréable…" mais,
enfin, la vie n'est jamais gaie … Si on n'a pas cet ennui-là, il y en
a d'autres… Bref, on n'a peut-être pas su le prendre, on aurait dû envisager
les choses avec plus de philosophie . Tout cela aurait pris une autre
tournure… pas plus drôle, évidemment, mais on aurait dû essayer de s'y
accoutumer … On n'a pas tout essayé , tout ce qu'il fallait pour qu'il
se sente chez lui… Nous avons tous des torts les uns envers les autres
, on devrait être plus tolérants les uns envers les autres… Autrement,
autrement, la vie n'est pas possible. (p. 312)
Amédée
et Madeleine sont entrés dans le miroir où Ionesco leur
avait donné rendez-vous . C'est alors que la fiction est devenue
la réalité .
10
- Petite conclusion sur Ionesco 
Dans
la pièce, Amédée ou Comment s'en débarrasser
, achevée en août 1953 et créée en avril
1954, Ionesco confiait lui-même à un critique : "Ma
pièce est surtout le drame du couple. Un drame réaliste
, mais traité avec (...) des éléments insolites,
comme ce personnage monstrueux qui matérialise entre ces deux
être une sorte de génie irréductible : leur impuissance
d'aimer sans doute provoquée par une espèce de culpabilité
latente." (Notice sur Amédée, La Pléiade,
p. 1572)
Le
créateur est un Geppetto qui façonne son Pinocchio. Mais
une grande oeuvre n'est pas un simple pantin de bois manoeuvré par la
main de son fabricant, elle est le miroir de l' esprit de son auteur.
Elle est donc nécessairement une métamorphose de sa biographie
et c'est pourquoi Flaubert a pu dire: "Emma Bovary, c'est moi".
Si pour créer l'illusion de la vie, il suffisait à Geppetto
de tenir dans
sa main les fils qui font mouvoir sa marionnette, il n'est pas moins
vrai que même Pinocchio a fini par s'émanciper de son père
et qu'il est parti seul à la conquête du monde.
Les
éléments biographiques directs sont les fils visibles
qui relient le pantin à son géniteur. Mais lorsque le
symbolisme de l'oeuvre est puissant et universel, à l'instar
de la marionnette de Geppetto, l'oeuvre s'émancipe et se libère
de ses attaches charnelles . Détachée de son créateur,
elle respire d'une vie autonome et agit sur le lecteur d'une manière
indépendante de ce que l'on sait des intentions conscientes de
son géniteur. Devenue oiseau, elle s'envole vers le grand large
de sa liberté et conquiert l'autonomie de ses symboles . C'est
pourquoi les grands écrivains sont des prophètes, des
passeurs et des phares . La bête de la Métamorphose
de Kafka, le miroir de Dorian Gray, le cadavre d'Amédée
ou le rhinocéros de Ionesco, le Chateau , les Chiens
volants ou La Colonie pénitentiaire de
Kafka sont des kaléidoscopes à multiples facettes.
Un
couple qui se déchire , un cadavre, une culpabilité latente
: la situation politique du Moyen-Orient est tout entière résumée
par ces mots. L'espace du symbolique s'est échappé du
bocal de la biographie et s'est ouvert à la politique mondiale.
Ionesco
sentait que la problématique de sa pièce était
à l'étroit dans le cadre biographique et que les ficelles
de sa marionnette étaient trop courtes. C'est pourquoi , répondant
à un journaliste, il dit lui-même : "Dans la
logique et la vérité des personnages, tout aurait dû
continuer indéfiniment jusqu'à l'étouffement complet.
Le cadavre aurait dû continuer de grandir bien qu'il ne le puisse
plus par manque de place. Les personnages auraient dû en rester
là, alors qu'ils ne le pouvaient plus. Il fallait absolument
ne pas trouver de solution, alors qu'il était absolument indispensable
d'en trouver une . Et c'est dans cette contradiction que la pièce
aurait dû se poursuivre, de plus en plus étouffante."
(La Pléiade, p. 1578)
L'impasse.
L'étouffement complet . Voilà concentrée
en trois mots une description exacte de la situation à laquelle
a conduit la politique israélienne depuis soixante ans.
Si
toute oeuvre est une métamorphose de la biographie de l'auteur,
l'actuelle guerre de Palestine est bien la métamorphose et le
miroir de la biographie du personnage symbolique qui s'appelle "l'Etat
d'Israël" .
Dans
le paradis des grands symboles, les Madeleine et les Amédée
des bords du Jourdain rejoignent Dorian Gray et l'image hideuse de leur
véritable nature s'affiche sur les écrans de l'histoire.
*
[1]
Eugène IONESCO, Amédée ou Comment s'en débarrasser,
La Pléiade, 1990, p. 269. Les citations de Ionesco qui
suivent seront présentées sans guillemets, en caractères
gras, avec indication de la page dans l'édition de La Pléiade.
[2]
- voir Témoignage d'une accompagnatrice oecuménique bénévole au "Terminal
300" à Bethléem : Les Femmes soldats X et Y - des élèves modèles
de Hitler, par Brigitta Boeckmann, Programme oecuménique d'accompagnement
en Palestine/Israël (EAPPI), Bethléem* in Horizons et débats
du 16 juillet 2007, p.5-6 , http://www.voltairenet.org/IMG/pdf/HD_27_2007
[3]
- Cité dans Ben Gurion and the Palestine Arabs, Oxford
University Press, 1985. 
[4]
- Voirle site Urgence
Palestine, Paroles
http://www.urgencepalestine-vd.ch/pdf/7_paroles.pdf
[5]
- cité in The Revolt Story of the Irgun , Schuman, N.
Y., 1951. 
[6]
- Voir Simon and Schuster, N. Y., 1951 , voir site Al-Oufok,
Du bon usage des bains de sang, 7 juillet 2006, http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=3211
[7]
- Voir ABU NIDAL - MOSSAD TERRORIST Traduction de Pétrus Lombard pour
Alter Info http://www.alterinfo.net/Abu-Nidal-Terroriste-du-
Mossad_a10214.html?preaction=nl&id=3793547&idnl=24442& * NDT : Patrick
Seale a écrit un livre en anglais appelé Abu Nidal. Les
références dans cet article désignent ce livre.
http://www.ism-france.org/news/article.php?id=7202&type=analyse&lesujet=R%E9formes
Voir aussi http://planetenonviolence.org

[8]
- Voir Amira Hass http://www.haaretz.com/ : "Il y a beaucoup trop
souvent une corrélation directe entre les liens des nouveaux riches
palestiniens avec des membres d'une force de sécurité palestinienne
et les liens de ces derniers avec les services de sécurité israélien
du Shin Bet ou avec des personnes importantes en Israel." Trad.
ISM
http://www.ism-france.org/news/article.php?id=7202&type=analyse&lesujet=R%E9formes
Voir aussi: - Chirac sait de quoi est mort Arafat – Retour sur une mort
mystérieuse non élucidée, certains affirmant que Sharon avait ordonné
l'assassinat d'Arafat.
http://planetenonviolence.org
- Documents compromettants de l'Autorité Palestinienne: le Hamas va
fournir des copies aux pays arabes concernés- Eclairage sur les positions
du Hamas http://planetenonviolence.org
[9]
- Valéry Giscard d'Estaing , Le Pouvoir et la vie, t.
II, p. 185, 1991 
[10]
- Pour plus d'informations sur l'incompétence et l'ignorance des hommes
politiques qui nous gouvernent , voir Politique et Philosophie,
Manuel de Diéguez, in Revue politique et parlementaire,
mai-juin 1991. 
[11]
- La guerre de Mahmoud Abbas contre le peuple palestinien Par Ali Abunimah

http://www.ism-france.org/news/article.php?id=7254&type=analyse&lesujet=Collabos
[12]
- Abbas staring at oblivion By Mark Perry ,
http://www.atimes.com/atimes/Middle_East/IH04Ak05.html

[13]
- “Israël a le choix entre la foi et l’effroi”, Courrier international
- n° 874-875-876 - 2 août 2007 et http://w4lk.org/?read=10219#10219
[14]
Voir: Oncle SAM, votre banquier vous avisera maintenant, Paul
Craig Roberts,
http://www.alterinfo.net/Oncle-SAM,-votre-banquier-vous-avisera-maintenant_a10388.html?

Le 21 août 2007