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Les aventures mirobolantes de l'Empereur Picrochole II
au Pays des Mille et une Nuits

Aline de Diéguez

ChapitreVI : Ouvrons les portes de la guerre

 
 
 

 

Il était une fois l'empereur Picrochole II

Son altesse impériale Picrochole II est de méchante humeur. Ignorant la foule de conseillers, de courtisans et de spécialistes en économie, en art militaire et tutti quanti qui se pressent dans le salon ovale pour cette réunion capitale au cours de laquelle les stratèges du déclenchement d'une nouvelle guerre et les financiers doivent confronter leurs arguments , l'empereur de la première puissance militaire de la planète, son Altesse Picrochole II, contrariée par leur manque d'enthousiasme, boude, se tord le nez et se gratte l'occiput.

Angoisse générale. Sa Majesté ne lit ni journaux, ni rapports de ses propres services et expédie au diable les porteurs de mauvaises nouvelles. Tous les membres de son entourage connaissent cette disposition particulière de son esprit : il ne veut entendre que les bulletins de victoire, les hommages, les félicitations, les approbations ou les compliments. Tous savent qu'ils ont intérêt à se conformer à cette règle tacite, mais néanmoins impérieuse, s'ils veulent conserver leur poste .

Le 11 septembre 2001, Sa Majesté promenait son désœuvrement dans une école primaire au fin fond de ses provinces et enseignait doctement la lecture à des bambins en tenant son livre à l'envers . Cette image qui fit le tour de la planète confirma la rumeur que l'empereur Picrochole, second du nom et digne descendant de l'inoubliable combattant de la célèbre Guerre des fouaces , est allergique aux caractères d'imprimerie.

voir chapitre 1, Picrocholand

Un éminent cinéaste a saisi sur le vif son air effaré et hésitant lorsqu'un anonyme lui annonça que " l'Amérique était attaquée ". Un coup d'œil quelque peu hagard à gauche, un autre à droite, croisant et décroisant les jambes et se mordant la lèvre inférieure, Picrochole est resté planté huit longues minutes sur une petite chaise de bois au fond de la classe d'une petite école de Virginie pendant que s'écroulaient les symboles du système financier et commercial du capitalisme mondialisé, fondements de son empire.

Un nouveau Messie est né. Alleluiah !

A quoi bon, en effet, les notes de service et les conseillers. Notre empereur n'a nul besoin de ces babioles : il possède des relations très haut placées et les avis judicieux lui arrivent directement de la galaxie. " J'ai entendu un appel venu des étoiles ", a-t-il confié à une salle bondée de ses partisans lors de la Convention républicaine du 2 septembre 2004.

Leur enthousiasme s'est transformé en extase lorsqu'il s'est vanté, avec toute la modestie qui convient , qu'il était en relations directes avec Dieu lequel lui dictait expressément la conduite à suivre en toutes circonstances ? " Je crois que Dieu parle à travers moi. Sans cela je ne pourrais pas faire mon travail".

Or, les courtisans-conseillers tiennent à leur poste. Sa Majesté est certes lunatique, surtout lorsqu'elle a un peu trop cajolé la bouteille de Bourbon , mais elle est joueuse : un de ses biographes rapporte qu'il lui arrive d'organiser avec ses proches des concours de flatulences !

Certes, le service de la cour impose quelques obligations ; ainsi il faut se plier à des réunions de prières quotidiennes. Beaucoup sont devenus non seulement des experts, mais en remontreraient aux tartufes les plus aguerris dans l'art de prendre une attitude soumise et concentrée pendant les concours de piété. Peu d'entre eux voudraient manquer le spectacle de leur empereur priant au téléphone avec son ami Tony à l'autre bout du fil, les yeux mi-clos, l'écouteur collé à l'oreille et la main droite sur le cœur .

Ah ! ce cher Tony ! Toujours prêt à rendre service. Une médaille décernée par le Congrès a d'ailleurs récompensé ce fidèle serviteur. Mais, allez savoir pourquoi, Anthony Blair a omis de venir la chercher et de profiter de la belle cérémonie que le tout Picrocholand se proposait d' organiser afin de remercier comme il se doit ce dévoué comparse.

Et pourtant, le bon Tony a bien mérité sa médaille. Sa Majesté Picrochole et lui forment la fine équipe de l'Axe du Bien sur lequel ils font tourner la machine ronde.

Notre empereur aurait aimé joindre à ce duo son nouveau grand ami, Olmertius, le dévoué remplaçant de son cher Sharonus qui, de tueur belliciste s'est métamorphosé en " homme de paix " et en "démocrate" depuis qu'il est devenu aussi alerte qu'un cucurbitacé.

Malheureusement, il semble qu'il y ait de la friture sur la ligne et que l'ADSL d'Olmertius aboutisse au terminal d'un autre Dieu . Mais les temps sont proches où le messie nouveau, dont Picrochole prépare la venue, mettra de l'ordre dans la stratosphère et où Olmert et les siens chanteront dans le même chœur que les croisés du ciel picrocholien.

L'empire dans lequel les prophètes sont aussi nombreux que les grains de sable du désert de Gobi …

Grâce au feu de Dieu qu'il est en train d'attiser sous la cocotte-minute mésopotamienne, sa majesté Picrochole II , grand missionnaire et boute-feu planétaire rêve d'un Armageddon sidéral. Il a annoncé récemment des progrès foudroyants dans la réalisation de ce projet grandiose . En effet, lors d'une réception donnée par Donald Rumsfeld lorsqu'il a quitté le Pentagone, l'auditoire, médusé d'admiration, a entendu son altesse déclarer que l'invasion de l'Irak avait représenté un "raz de marée dans l'histoire de la liberté humaine". Quant à son second, Dick Cheney, il n'a pas hésité à proclamer sur les ondes que l'intervention en Irak était un " énorme succès de l'histoire ".

Picrocholand est d'autant plus riche en prophètes que ceux-ci, comme le remarquait un éminent observateur de leur politique, ont le talent particulier de " provoquer la réalisation " de la prophétique dont ils font " la promotion " (Z. Brzezinski). Mais par un étrange concours de circonstances ou à cause d'une surdité soudaine des responsables de la presse, cette information capitale n'a été ni reprise, ni diffusée par les innombrables thuriféraires des exploits picrocholiens sur la terre entière.

Et voilà pourquoi l'alter ego de notre cher Picrochole, Dick Cheney a pu tranquillement demander au commandement stratégique US " d'élaborer un plan d'urgence " qui sera immédiatement mis en application " en réponse à une nouvelle attaque terroriste du type de celle du 11 septembre contre les USA ".

On remarquera que ce plan répond au grand classique de l'humour noir dont le schéma a été rappelé par M. Brzezinski : "J'ai la réponse, quelle est la question ? " Maintenant que le fameux plan d'urgence " en réponse " est prêt, il ne manque plus que " l'attaque " appropriée. Elémentaire, mon cher Watson .

ll semble justement qu'un général, dénommé Tommy Franks, soit dans le secret des dieux et qu'il ait eu des tuyaux très précis sur le sujet : " Un événement terroriste provoquant de lourdes pertes se produira quelque part dans le monde occidental - peut-être aux USA … " Pour le coup, ce n'est plus une prophétie, mais carrément une prévision. Il ne manque plus que la date et l'heure.

Un autre grand prophète de la démocratie picrocholienne , le riche banquier David Rockefeller, avait donc toutes chances de tomber juste lorsqu'il affirmait que " nous sommes au bord d'une transformation mondiale. Tout ce dont nous avons besoin, c'est une bonne grosse crise majeure ".

Dès 1997, le prophète Zbigniew Brzezinski avait d'ailleurs annoncé que l'empire subirait une attaque majeure semblable à celle qui avait détruit sa flotte à Pearl Harbor le 7 décembre 1941. C'est pourquoi, dès son arrivée au pouvoir en 2000 l'empereur Picrochole II, exceptionnellement prévoyant avait, dans son Projet pour un nouveau siècle américain, fait consigner les dispositions législatives qui allaient résulter de l'attentat qui s'est produit plusieurs mois plus tard, le 11 septembre 2001.

Picrocholand est donc bien le royaume magique dans lequel les événements sont connus avant même qu'ils se soient accomplis et où les conséquences précèdent les causes.

Problèmes d'intendance

Mais rien n'est parfait et aujourd'hui est un autre jour . C'est le jour des décisions et surtout le jour des comptes . Or les financiers ont le moral en berne. La monnaie est en capilotade, la dette de l'Etat est si colossale que personne n'en connaît le montant exact et n'ose se risquer à sonder le fond du gouffre .

Le dollar, le précieux pétro-dollar, la perle de l'empire, le joyau de la couronne, la pierre d'angle sur laquelle est construite la citadelle impériale vacille .

Voir chap.3 - Premiers pas sur les traces du Roi-Dollar

La géniale martingale qui avait permis à ses financiers de faire main basse, grâce à l'invention d'une monnaie de singe, sur tant de richesses réelles tout autour du globe, commence de présenter de dangereux signes de faiblesse. Le ver de la méfiance ronge la pomme de la prospérité picrocholienne.

Voir chap. 4 - Voyage circummonétaire à la recherche du Roi-Dollar et découverte de la caverne d'Ali-Baba

Lorsque Saddam a commencé de vendre son pétrole en euros , l'empire avait déjà senti le vent du boulet . Damned ! Et si The Rest of the World (ROW) se mettait à l'imiter ! D'aucuns ont affirmé que la guerre déclenchée contre cet ancien grand ami l'avait été en vue de s'assurer un approvisionnement en pétrole ! Fariboles ! Saddam était prêt à vendre très bon marché autant de pétrole que l'empire en aurait souhaité.

Certes, s'approprier à l'occasion d'une belle petite guerre les champs pétrolifères du Moyen Orient était d'autant moins à négliger que l'empire savourait d'avance le bonheur qu'il aurait éprouvé d'exercer un chantage sur l'économie de la poignée d'Etats européens mollassons , timorés, fiers de leurs ruines antiques, comme ces prétentieux " Gréciens ", ou de leurs frites, comme les damnés Frenchies.

Ce seul nom donnait des aigreurs d'estomac à Picrochole . Il se souvenait du jour où son envoyé, la mine componctieuse et les joues gonflées par la riche nourriture, avait créé une panique générale en sortant de la poche de son veston une petite fiole qu'il avait brandie très haut . Il avait la preuve que le moustachu maléfique que l'empire se proposait de piller avait stocké des tonneaux et des tonneaux du poison mortel dont il avait apporté un échantillon et qu'il agitait à hauteur de son nez avec une mine terrifiante.

Les délégués Rowiens réunis dans le temple de verre que l'empire avait jusqu'à ce jour réussi à mobiliser pour la satisfaction de ses intérêts, avaient blêmi et s'étaient mis à trembler. La petite fiole agitée sous leur nez était bigrement présente. Plus d'un pensait, en son for intérieur : " Pourvu qu'elle soit bien bouchée " ; et ils s'étaient imaginé que la fiole et son étiquette vénéneuse, avec sa tête de mort, contenait vraiment le poison dont l'envoyé impérial prononçait le nom avec des trémolos dans la voix.

Seul un grand escogriffe de Frenchy aux yeux d'un bleu de myosotis et aux cheveux argentés en bataille, s'est levé d'un bond. Et il avait ri, et il avait parlé avec beaucoup de feu de ses ancêtres et des vrais guerriers qui ne se battent pas à coups de bacilles et de microbes et préfèrent apprendre à lire aux enfants et leur donner à manger.

Picrochole et sa cour ne se sont pas encore remis de la honte et du dépit qu'ils ont éprouvés en entendant le tonnerre d'applaudissements qui avait salué cette harangue. Aussi sa vengeance fut-elle cruelle et à la hauteur de l'offense : suppression des frites françaises durant quatre longues années ! Quelle jouissance ce serait de pouvoir tenir en laisse une bonne fois pour toutes ces arrogantes petites peuplades européennes qu'il n'arrive d'ailleurs pas à situer correctement sur la mappemonde.

Mais surtout quelle jubilation s'il pouvait par la même occasion étrangler enfin le grouillant empire du Milieu, autrement plus redoutable, et qui commençait à lui tailler de si désagréables croupières. Quelle volupté s'il pouvait le priver de son approvisionnement en pétrole ! En effet, tels d'infatigables termites les petits hommes jaunes creusaient des galeries dans l'économie de Picrocholand et accumulaient des montagnes de papier monnaie et de reconnaissances de dettes . Pour l'instant, c'étaient donc les banquiers asiatiques qui tenaient l'empire picrocholien au bout de leur ligne .

Pour toutes ces raisons, il fallait sans tarder tuer dans l'œuf la funeste tentative de rébellion contre le Dieu-Dollar et au nom d'une croisade pour le Bien , la Liberté et la Démocratie châtier l'audacieux voyou qui s'était avisé de défier le saint des saints de l'empire et en profiter pour faire main-basse sur ses Etats et ses richesses.

Les armées impériales avaient donc débarqué en Mésopotamie la fleur au fusil et se préparaient à une promenade de santé emmenant dans leurs bagages tout ce que l'empire compte de financiers , d'industriels du pétrole, de l'armement et des travaux publics. Détruire pour reconstruire avec de juteux bénéfices, telles sont les deux mamelles du capitalisme florissant.

Mais l'affaire avait mal tourné et l'armée harcelée sur terre et dans les airs était en passe de subir une Bérézina honteuse, une Bérézina ruineuse, comme toutes les défaites, une Bérézina qui avait déjà coûté plus cher que la précédente expédition calamiteuse dans la jungle asiatique .

Néanmoins, l'espoir, le fol espoir habite les cœurs . Un seul mot est sur toutes les lèvres, un talisman , une clé magique qui ouvrira toutes grandes les portes de la guerre en même temps que celles d'une nouvelle caverne d'Ali Baba : I R A N .

A suivre

 

 
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