Un peu d'histoire-fiction. Au début de l'année
2001, l'Amérique a porté Périclès à la Présidence des États-Unis.
Deux jours après le 11 septembre 2001, le nouveau chef de la Maison
Blanche a adressé le message suivant à la nation.
Dans
le texte consacré à "
l'histoire racontée " et à "
l'histoire comprise
" (Pour
comprendre l'après 11 septembre, L'histoire racontée et l'histoire
comprise), j'ai tenté d'ouvrir la brèche
de la réflexion au cur même de la science historique
traditionnelle, ce qui ne m'a paru possible que par la scission
radicale de la connaissance du passé entre le récit et la
prospection anthropologique .
La coupure entre
la mémoire narrative et le sondage critique s'ouvre maintenant
sur une distanciation du regard capable de nourrir l'interprétation
de la folie politique dont le cerveau simio-humain demeure
la proie à l'échelle des relations internationales. Du coup,
le récit historique fictif, qui va d'Homère à Kafka, de Platon
à Karl Marx et de la bible à Cervantès ou à Swift devient
un instrument de lecture de l'histoire réelle, qui se laisse
désormais déchiffrer à l'école du fantastique religieux qui
dichotomise le cerveau humain entre le réel et le mythe depuis
le paléolithique. Les événements les plus récents en apportent
une preuve spectaculaire , puisque les événements du 11 septembre
2001 ne deviennent intelligibles que par le décryptage d'un
théâtre théologique. Les évadés de la zoologie rendent donc
visible l'étape actuelle à laquelle l'évolution cérébrale
d'une partie importante de leur espèce s'est arrêtée.
Il
devient dès lors rationnel d'écrire l'histoire réelle, celle
que sa folie dévoile à titre rétrospectif aux yeux d'une anthropologie
historique désireuse de prendre la mesure de l'état présent
de notre capital psychogénétique. J'ai rapporté mot à mot
deux discours hyper réalistes, donc fictifs qu'a prononcés
le Président visionnaire que l'Amérique est censée avait élu
au début de l'an 2001, afin qu'à leur écoute, notre parcours
psycho biologique s'éclaire autant que le permet de nos jours
le meilleur des mondes possibles.
Dans
le premier, le locataire de la Maison Blanche est réputé avoir
réussi à calmer un empire américain sur le point de lancer
des bombardiers géants à la poursuite d'un fanatique et ambitieux
de mettre une partie du monde à feu et à sang ; dans le second,
il explique à une super élite d'une centaine d'intellectuels
américains qu'une connaissance plus approfondie de l'encéphale
simio-humain conditionne désormais la diplomatie des grandes
puissances et il évoque la rivalité qui s'annonce entre l'Europe
et l'Amérique dans ce domaine-clé de la recherche.
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1 - La mort est l'enclume
des nations
2 - Ne vous laissez pas séduire
3 - Le tragique de l'Histoire
4 - Quel est leur
Dieu et quel est le nôtre ?
5 - La porte étroite
6 - La précipitation
est mauvaise conseillère
7
- Le droit international face à l'imaginaire religieux
8 - La docilité de nos vassaux
9 - Le Bien et le mal
10 - La peine de mort
11 - Le péril des factions
12 - Le pain de l'esprit
1 - La mort est l'enclume des nations

Aujourd'hui,
c'est son âme et son esprit que l'Amérique regarde dans le miroir
brisé du World Trade Center. Jamais elle ne s'est sentie plus forte
que sous les décombres et au milieu des ruines. A partir de ce jour,
vous saurez de quel tombeau vous êtes ressuscités; à partir de ce
jour, vous montrerez du doigt le lieu de votre naissance et vous
annoncerez au monde que vous êtes entrés dans l'arène de l'Histoire
le 11 septembre 2001 parce que la mort est l'enclume des nations
et parce que les malheurs de l'Histoire sont des défis à la grandeur
des peuples. C'est sur eux que le temps forge des destins.
2 - Ne
vous laissez pas séduire 
Mais
déjà des tentateurs se présentent en foule à vos yeux, déjà des
voix dangereuses s'élèvent pour vous égarer. Ne vous laissez pas
séduire. Sachez que l'heure de la pensée, l'heure de la sagesse,
l'heure de la gravité a sonné. Le monde entier vous demande si les
siècles sont à l'écoute de la colère des hommes, le monde entier
vous demande si le temps est une école de la vengeance des nations,
le monde entier retient son souffle dans l'attente de votre réponse
à une seule question, celle de savoir si vous répondrez par la fureur
et la tempête au défi de la mort ou si notre grand pays fera retentir
sur les cinq continents une autre voix de l'Histoire.
Américains,
votre responsabilité est immense, mais je suis fier de vous représenter
dans votre souveraineté, qui est celle de l'intelligence de ce peuple.
C'est de votre bouche que tombera un verdict dont dépendra l'avenir
de la liberté de tous les peuples de la terre. Aujourd'hui, les
nations les plus anciennes nous toisent encore du regard et elles
se disent les unes aux autres: " Cet enfant a-t-il grandi ?
Est-il en âge de diriger le globe ? Ce peuple juvénile n'est-il
pas devenu trop puissant en un demi siècle seulement ? Comment posséderait-il
l'expérience qui lui permettrait d'assumer les responsabilités que
la planète est prête à lui confier ou à lui retirer ? "
3 - Le
tragique de l'Histoire 
Mes
chers compatriotes, l'heure est venue de donner une leçon de maturité
politique à nos aînés. Je sais que vous ne m'avez pas élu pour que
j'entraîne l'Amérique sur le chemin de la démesure et de la folie,
mais pour que, dans la limite de mes forces, je vous tienne un langage
difficile à entendre, mais que vous attendez tous de votre Président.
Je ne suis pas votre pédagogue, mais votre témoin le plus résolu,
et ce témoin est aussi le plus blessé et le plus souffrant d'entre
vous. C'est au milieu des morts qui nous font un cortège invisible
que je m'adresse à vous. Je veux que notre douleur soit aussi notre
remède ; je veux que nous soyons notre propre médecin, afin que
nous apportions au monde de demain une espérance plus grande et
plus forte. Les peuples aussi sont les poètes de leur destin, les
peuples aussi naissent de leur sortie de la nuit. Il a fallu que
nous fussions durement frappés afin qu'au prix de notre souffrance
nous apportions au nouveau millénaire l'offrande d'une victoire
de la liberté.
Ce
jour est celui de la rencontre de notre nation avec le tragique
de l'Histoire ; mais si c'est à l'écoute de l'épreuve que nous sommes
appelés à nous rendre dignes de l'avenir qui nous attend, souvenons-nous
de ce que tel fut le sort des peuples qui ont apposé sur les siècles
le sceau de leur grandeur. Mais, en ce temps-là, les héros agonisaient
sans sépulture et semés au hasard sur les champs de bataille de
la mort ; et l'humilité de leur sacrifice donnait son destin à leur
patrie. De même, nos morts nous conduiront à la puissance si nous
nous montrons dignes de leur héroïque anonymat. Ils gisent au milieu
de nous, et leur sang n'a pas coulé à la guerre mais au cur
de New-York.
4 - Quel est leur Dieu et quel est le nôtre ? 
Que
signifient les funérailles intérieures que nous célébrons en l'honneur
de nos morts invisibles, que signifie la bienveillance du sort qui
nous a épargné les carnages aveugles de la guerre ? Peut-être ce
désastre localisé, étrange et armé d'un sceptre réputé divin, est-il
chargé de nous alerter et de mettre notre cur reconnaissant
en garde contre les périls qui menaceraient la pax americana si
nous négligions un avertissement du destin. Non, nous ne nous ruerons
pas à la poursuite des fanatiques avec une fureur désordonnée et
aveugle . Peut-être le 11 septembre 2001 est-il appelé à jouer le
rôle d'un déclic de la pensée de demain, peut-être l'heure a-t-elle
sonné, pour la politique, de s'interroger sur les cerveaux. Qui
est leur dieu et quel est le nôtre ?
Américains,
n'écoutons pas la rage qui tente de nous envahir. Notre patrie n'est
pas un fauve blessé, notre nation n'est pas livrée à la panique
qui saisit les bêtes sauvages quand elles se trouvent empêchées
de prendre la juste mesure d'un ennemi qui les a attaqués par surprise.
Mais disposons-nous de l'arme de l'intelligence pour peser le danger
qui nous menace et pour le conjurer ? Que valent les armes de notre
raison si nous ne connaissons pas le cerveau de notre adversaire
? Et si nous ignorons comment fonctionne l'encéphale de l'Islam,
pouvons-nous prétendre connaître celui qu'habite un autre Dieu,
le nôtre ? Il nous fait entendre une autre voix et il nous donne
d'autres commandements que le leur. Peut-être sommes-nous à l'heure
où Périclès veillait sur la ville où nous avons commencé de peser
l'encéphale du genre humain ; peut-être sommes-nous appelés à nous
montrer dignes de cet héritage-là ; peut-être nos morts nous appellent-ils
à devenir les Athéniens du monde.
Mais
la tentation est grande, pour une nation, de cacher ses ambitions
blessées sous un désastre en miniature et pour leur donner libre
cours sous le masque des victimes qui lui font une parure de gloire.
Nous devons demander à notre intelligence et à notre cur un
exploit hors du commun, un exploit dont des hommes indemnes demeurent
bien souvent incapables. En vérité, elle est extraordinaire, la
prouesse que le monde attend de notre lucidité, de notre sang froid
et de notre courage pour reconnaître la légitimité de nos droits.
Nous ne mènerons à bien un dur face à face avec nous-mêmes que si
nous terrassons la folie et la peur qui guettent les peuples atteints
dans leur chair. Mais si nous remportons cette victoire-là, toutes
les nations salueront notre trophée et s'inclineront devant la dignité
de notre règne et de notre justice ; car nous aurons désigné la
faiblesse de notre esprit comme notre pire ennemi. Il est digne
de la nation la plus puissante du monde de se mettre à la tête du
combat de la pensée et de se donner le cerveau du genre humain à
décrypter.
5 - La porte étroite

Comme
elle est étroite, la porte qui nous conduira à l'effondrement ou
à la puissance ! Jamais encore un grand peuple n'a eu si clairement
à choisir entre le chemin de la sagesse et celui de l'irréflexion
; et si nous avons été élus pour offrir à la terre entière le spectacle
d'un choix surhumain, c'est que jamais aucun siècle ne s'était prêté
à la mise en scène de l'Histoire des nations. Sachez qu'une ère
nouvelle a commencé le 11 septembre 2001, celle où le destin de
la planète fait l'objet d'un tournage sur le vif, celle où l'Amérique
est devenue le cameraman souverain ou pitoyable du globe, celle
où chacune et chacun de vous sera tenu pour responsable du scénario
qui va se dérouler à l'échelle d'une civilisation.
Je
suis conscient du fardeau que porte désormais notre pays. Aussi
mon devoir est-il clair à mes yeux : je dois m'adresser à vous comme
si un Président était compris de tous, comme s'il était aimé de
tous et comme s'il parlait d'outre-tombe. Deux mille cadavres me
crient de vous tenir le triple langage de la vérité politique, de
la justice politique et de la sagesse politique, afin que leur tombeau
de pierres et de poussière fasse de leur sacrifice le mémorial de
votre grandeur et le mausolée de l'immortalité de l'Amérique. C'est
en leur nom que je vous dis : " N'écoutez pas la
voix de votre désarroi ou de votre épouvante, car ces sentiments
nés de la foudre s'éteindront avec la foudre. Mais la douleur réfléchie
et mariée à la sagesse d'une nation est votre pain de vie et le
gage de votre avenir à tous."
6 - La précipitation est mauvaise conseillère 
Que
nous dit la réflexion ? Que la pensée est d'abord l'ennemie de la
précipitation. C'est par la hâte que tant de peuples sont tombés
dans une démesure qui les a perdus. Qu'est-ce que la démesure, sinon
la disproportion entre le mal et le remède? De quelle nature serait-elle,
la disproportion entre le mal et le remède qui nous perdrait si
nous cédions à la hâte sous le coup de l'événement ? Assurément,
la hâte est la forme de la folie qui nous conseillerait de nous
ruer à la poursuite de l'agresseur, les yeux bandés et frappés de
cécité par une rage momentanée et dépourvue du recul de la réflexion.
Nous priverons-nous d'une sûre pesée de l'avenir de notre politique
à l'échelle du monde ? Comme piqués par un insecte, hurlerons-nous
de douleur et offrirons-nous le spectacle d'un subit affolement
de l'Amérique aux yeux de tous les peuples de la terre ?
J'imagine
ce que l'on penserait de nous dans toutes les capitales du monde
civilisé si nous poursuivions un criminel le lasso à la main. Je
vous le dis avec gravité : il n'est pas digne d'un grand peuple
de traquer un malfaiteur dans tous les garnis et les greniers dans
lesquels il pourrait se cacher. Si la nation la plus puissante de
la terre se donnait le ridicule de tenir les rênes du monde à la
manière d'un dément hurlant sa douleur, écoutez les peuples que
plusieurs millénaires ont chargés de mémoire : ils se diraient les
uns aux autres que notre peuple et le Président que vous avez élu
sont encore privés du cerveau que forge l'expérience de l'Histoire
; car ils savent que l'apprentissage de la durée est le premier
pédagogue de la politique des nations.
Savez-vous
ce que nous apprendraient ensuite les rapports de nos ambassadeurs
dans le monde entier si nous demandions à toutes les capitales du
monde civilisé de bouleverser le droit de la guerre et de récrire
entièrement les règles élémentaires qui régissent, depuis tant de
siècles, les conflits armés entre les États afin de nous mettre
seulement à la chasse d'un particulier? Ce serait moins rien que
cette démesure-là qui s'emparerait de nous si nous cédions à la
folie d'appeler un acte de guerre, c'est-à-dire le signal du combat
d'une nation entière contre une autre, l'explosion de deux avions
pilotés par des suicidaires de leur divinité.
7 - Le droit international face à l'imaginaire religieux

Certes,
le cas est nouveau en droit international. L'alliance du sacrifice
religieux avec un type inédit de bombardement, donc le pacte de
l'autel avec la technique la plus moderne, est une trouvaille si
dangereuse que je demanderai à nos psychologues de diriger leurs
recherches vers l'étude approfondie du cerveau d'une espèce dédoublée
depuis le paléolithique entre un monde surnaturel et le monde réel.
Puisqu'il y a un siècle et demi que nous savons que notre sortie
du monde animal nous a dotés d'un dédoublement dans le merveilleux,
je vous demande de ne pas vous opposer aux progrès de la science
et de ne pas vous enfermer dans le rêve et le fabuleux. Nous ne
somme plus au Moyen Âge pour opposer des dogmes au "Connais-toi"
d'un certain Socrate et pour nous replonger dans les vieilles séductions
du fantastique. Nous sommes un peuple adulte et mûr pour ouvrir
les yeux sur lui-même et sur l'homme.
Nous
allons mettre sur pied un service de la recherche scientifique à
l'échelle de notre puissance et de nos ressources. Sa tâche sera
de mesurer avec courage les conséquences d'un pacte du ciel avec
la politique que seul le monde moderne pouvait imaginer. Comme vous
le savez, l'Europe dont nous sommes les fils et que nous avons quittée
pour fonder une nation nouvelle a été livrée aux croisades, à l'Inquisition,
aux massacres de la foi et aux guerres sacrées ; mais le mariage
d'un ciel en folie avec la folie humaine sur cette terre n'était
pas encore devenu suicidaire, de sorte que, jusqu'à présent, nous
n'avons jamais éprouvé le besoin politique d'acquérir une science
de nos représentations théologiques de l'univers, faute d'une menace
suffisante du monde extérieur; mais si cette menace devient celle
de mettre en péril les conditions de notre survie physique, l'approfondissement
de notre réflexion et de nos sciences devra nous permettre de prendre
la vraie mesure du 11 septembre 2001. Alors seulement, une connaissance
plus profonde de notre espèce nous enseignera la sagesse, car nous
saurons quel capital génétique pilote notre cerveau dans des mondes
imaginaires .
Nous
sommes, nous aussi, des croyants ; mais c'est un monde de la folie
des religions que nous avons quitté. Peut-être sommes-nous la nation
la mieux armée de la terre pour faire progresser la connaissance
du cerveau humain et pour nous dire : " A quel
moment le Dieu qui nous habite arme-t-il le bras de ses fidèles
? A quel moment quitte-t-il l'histoire réelle pour en laisser la
responsabilité à nous seuls ? Qui était-il quand il nous mettait
l'épée à la main ? Qui est-il aujourd'hui s'il ne s'occupe plus
de nos affaires ? Quelle est la sorte d'existence qu'il conserve
dans nos têtes si nous ne pouvons plus l'invoquer pour attaquer
nos ennemis ou nous défendre contre eux ? Il nous faudra oser nous
poser ces questions si nous voulons prendre le relais de l'Europe
dans la connaissance du genre humain. "
8 - La
docilité de nos vassaux 
N'est-il
pas sage que votre Président soit votre vigie à l'aube du millénaire
où nous serons condamnés à connaître les secrets des alliances anciennes
et nouvelles des religions avec l'Histoire? Quelle serait notre
politique sur le long terme si nous ne savions pas mieux qu'au Moyen
Âge qui nous sommes ? Derrière qui courrions nous si nous pourchassions
Ben Laden un lasso à la main, sinon après nous-mêmes ? Malgré notre
jeunesse nous sommes maintenant suffisamment expérimentés pour savoir
que nous convaincrions aisément les plus dociles de nos vassaux
à s'engager dans une croisade contre un particulier. Nos alliés
se sont résignés depuis longtemps à jouer un rôle de figurants ou
de comparses aux côtés du shérif de l'univers que nous deviendrions
sans peine dans un film de Hollywood à l'échelle de notre puissance
actuelle dans le monde.
Mais
notre expérience de la facilité avec laquelle les peuples les plus
anciens dans l'arène de l'Histoire se laissent réduire à la servitude
nous rendrait-elle sages si nous nous imaginions que notre hégémonie
serait durable de céder à la tentation de nous glorifier d'une force
à portée de nos mains ? Méfions-nous des humiliations inutiles que
nous infligerions alors aux petites nations et de celles que leur
propre lâcheté infligerait alors aux puissances moyennes. Si, à
l'image du monde ancien, l'Amérique jouait à son tour les croisés
et les boute-feu, ce serait pour nous-mêmes que nous rendrions rapidement
dangereuses les défaites et les humiliations que nos alliés masquent
encore sous leurs sourires d'emprunt.
A
Berlin , on rirait jaune à paraître se moquer de notre politique
de gauchos; à Paris, des juristes pince sans rire nous feraient
remarquer que Ben Laden n'est qu'un homme audacieux et que si toute
notre puissance échouait à lui mettre la main au collet, comme leur
Simenon à des tueurs américains dans " Maigret et les gangsters
", nous serons bientôt entraînés à guerroyer contre l'Afghanistan,
puis contre le Pakistan et contre de nombreuses nations dans le
monde entier, entraînés que nous serions comme à notre corps défendant
dans une croisade policière contre un terrorisme non moins mythique
que le Mal au Moyen Âge; et nous serons devenus les croisés d'une
gendarmerie condamnée à entreprendre sans relâche des expéditions
punitives vers des régions lointaines et riches en pétrole ; et
l'on nous regarderait d'un air mi-figue, mi-raisin, ou franchement
narquois, tellement on jugerait suspecte notre foi face à celle
des croisés d'Allah.
9 - Le Bien et le Mal

Mais
nous sommes trop sages pour mettre nos relations internationales
en péril. Nous savons que le premier pas de la folie en politique,
donc de la précipitation, serait de diviser le monde entre les force
du Bien et celles du Mal, nous savons que les scénaristes hâtifs
des religions imaginent des combats de géants entre les héros qu'ils
ont installés dans leurs têtes, nous savons que c'est précisément
à ce genre de prouesses que l'Europe s'est exercée pendant des siècles
et que la dernière convulsion de cette civilisation a convié le
genre humain à une gigantesque bataille entre le péché capitaliste
et la vertu socialiste.
Mais,
je vous le demande, avons-nous gagné la guerre contre les croisés
de Karl Marx avec des armées que nous aurions entraînées à combattre
leur messianisme les armes à la main? Nous n'avons pas terrassé
cet ennemi sur les champs de bataille où s'affrontent les deux Titans
du Bien et du Mal . Et eux, nous ont-ils combattus sur le terrain?
De la perte de combien de divisions ont-ils payé la défaite de leur
délire? Leurs rêves leur ont coûté six millions de morts , il est
vrai, mais c'est à eux-mêmes qu'ils doivent les montagnes de leurs
cercueils, car ils ont exécuté de leurs mains leurs damnés, leurs
mécréants, leurs hérétiques, leurs déviants - et ils ont livré leurs
renégats à l'inquisition et ils les ont torturés au nom de leur
foi et de leur doctrine, exactement sur le même modèle que celui
de leurs guerres de religions , cinq siècles auparavant.
S'ils
ont assassiné leurs semblables dans leurs camps de la mort pour
le motif qu'ils les jugeaient sacrilèges, impies et dignes de leurs
bûchers, comment votre Président ne demanderait-il pas en tout premier
lieu à nos psychologues d'étudier et de comprendre comment le cerveau
marxien, le cerveau islamiste et le cerveau du Moyen Âge fonctionnaient
dans des mondes de la croyance, d'où ils débarquaient sur la terre
pour exterminer les mécréants et les impurs sur toute la surface
de la terre ? Est-il une question plus politique aujourd'hui que
de savoir pourquoi l'homme est un animal théologique, est-il une
question plus politique que de savoir pourquoi, depuis des siècles,
des religions de l'attente et de l'espérance lancent leur foudre
sans discontinuer contre tout l'univers habité? N'est-ce pas un
grand jour pour l'Amérique de la pensée de demain que celui où Socrate
sortira plus vivant des décombres du World Trade Center que l'Europe
ne l'a laissé ressusciter des ruines du mur de Berlin ?
J'ai
confiance en notre sagesse parce que, nous aussi, c'est par la défaite
de nos armes que nous avons été instruits de ce qu'on ne combat
pas un délire congénital à notre espèce - le rêve d'un salut dans
les nues qui nous conduit au carnage sur la terre - avec des bataillons
de guerriers et des bombardiers de la rédemption. Nous avons été
vaincus par les guerriers de Karl Marx à Saïgon parce que les soldats
de la délivrance par la terreur sont mieux armés que nous pour défendre
un lopin de terre au nom de leur ciel; mais que reste-t-il de leur
rêve de nettoyage de l'univers ? Que reste-t-il du renversement
de l'ordre du monde dont se nourrissaient leur théologie de l'apocalypse?
Non, ce n'est pas à la guerre que nous avons écrasé la religion
d'un avènement de l'Eden, mais seulement à l'école de notre sagesse
politique , qui nous a enseigné la patience, parce que l'utopie
est la forme du délire que prennent toutes les religions du monde
si l'on néglige la précaution de transporter leur folie dans un
au-delà inoffensif. Le paradis soviétique fut un building, lui aussi,
et il est tombé en ruines de lui-même en 1989, parce que le messianisme
politique s'accompagne toujours d'une tyrannie qui a besoin de cacher
son échec sous le manteau de la terreur.
Retournons-nous
sur notre passé et sur le passé de toute l'humanité pour nous demander
pourquoi Périclès déconseillait aux Athéniens de se lancer dans
l'expédition démesurée de Sicile, sachant que cette entreprise précipitée
des vainqueurs de Salamine allait entraîner la ruine d'Athènes.
La Sicile était-elle donc plus redoutable que l'empire de la Perse
? Retenons la leçon : si nous poursuivions le minuscule Ben Laden
dans le monde entier comme s'il s'agissait d'une prise glorieuse,
nous connaîtrions à notre tour le désastre de l'expédition de Sicile,
mais à l'échelle de la terre entière et tous nos bombardiers ne
pourraient empêcher l'effondrement de la puissance et du prestige
de l'Amérique dans le monde.
10 - La peine de mort 
Se
trouvera-t-il demain dans ce pays un Président plus sage et plus
prévoyant que je ne le suis, hélas, et qui vous peindrait notre
chute dans le microscopique avec des accents de prophète si nous
nous lancions dans la folle équipée de couronner de l'auréole des
saints et des martyrs un frelon d'Allah dont nous ferions un saint
de l'Islam ? Dites-vous que si nous l'attrapions, nous serions frappés
d'un ridicule plus mortel encore. Imaginez seulement un instant
le spectacles que donneraient au monde les descendants d'Abraham
Lincoln tout enflammés de la passion d'asseoir un croisé sur la
chaise électrique, imaginez une nation civilisée et qui demeure
la plus puissante de la terre exécutant un fou dont nous ne saurions
ni quel est le Dieu qui se promène dans sa tête, ni quel est celui
qui se promène dans la nôtre, puisque leur ciel et celui de l'Amérique
ne se partagent ni les mêmes terres, ni les mêmes têtes, ni la même
doctrine? Me répondrez-vous que nous tuons aussi nos criminels par
le poison. Mais si nous empoisonnions un meurtrier devant toutes
les télévisions du globe avec un venin raffiné et rapide , ne jugerait-on
pas plus déshonorante encore la disproportion entre notre puissance
et notre proie microscopique et ne passerions-nous pas pour des
barbares ?
11 - Le péril
des factions 
Avec
mes faibles yeux, je vois seulement que nous deviendrons un clown
cruel aux yeux de nos descendants; mais je vois également qu'aux
yeux des historiens et des classes politiques du monde entier, nous
servirions dès aujourd'hui de modèles de l'aveuglement qui frappe
les puissants au sommet de leur gloire. Car les petits États se
donneraient aisément, eux aussi, des terroristes à combattre à notre
école, parce que ce serait sur notre modèle qu'ils auraient appris
à s'étendre sur le sol de leurs voisins sous couleur de se venger
des attentats que leurs propres ambitions expansionnistes auraient
déclenchées en retour sur leurs terres. Que voient encore mes yeux
trop faibles? Que ce serait en outre dans nos propres murs que nous
deviendrions bientôt les jouets des factions et des clans que d'autres
nations ne manqueraient pas d'entretenir à grands frais parmi nous,
comme les richissimes partisans d'un Crésus africain, Mithridate,
avaient soudoyé des sénateurs romains encore honnêtes et pauvres.
12 - Le pain
de l'esprit 
Souvenons-nous
de la grandeur et de la puissance politique que nous avons légitimement
conquises il y a seulement un demi siècle. Pourquoi avons-nous mérité
la reconnaissance de toutes les nations, sinon parce que nous avons
incarné la victoire de la liberté dans le monde entier ? J'ai confiance
que nous ne n'éteindrons pas la lumière de l'Histoire qui a fait
de nous un pain de l'esprit aux yeux de tous les peuples de la terre.
Ce pain-là nourrira la mémoire des civilisations pendant des siècles.
Le destin de ce pain est entre vos mains.
1er mai 2002
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