1
- La solitude du peuple de la justice
2
- Un peuple d'enfants
3
- De la rétroactivité des châtiments
4
- La décentralisation administrative et le retour de la provincialisation
de la justice
5
- La République des notables
6
- Les lettres de cachet de la République
7
- De l'exécution des jugements
8
- Le juge de l'exécution des jugements
9
- La France actuelle et les lois de Vichy
10-
Ce que la France doit au Canard enchaîné
11
- La justice française et la citoyenneté de demain
12
- Une psychanalyse anthropologique du " Dieu de justice "
13
- Les derniers secrets de notre royauté et de notre servitude
1
- La solitude du peuple de la justice
De tous
les peuples de la terre, nous sommes sans doute celui dont les
relations avec sa justice sont les plus intimement liées à son
histoire, donc à son identité nationale. Certes, le principe d'équité
est tellement fondateur de l'ordre politique et de l'esprit civique
que les autres nations ressemblent encore à celles de nos ancêtres
par les origines religieuses qu'elles persévèrent à attribuer
à leur appareil judiciaire. Mais, nous aussi, nous avons commencé
par rattacher le sceptre de nos lois aux prérogatives et apanages
d'un créateur mythique de l'univers, nous aussi, nous accordions
à nos rois la charge honorifique de nous représenter dignement
devant un personnage cérébral tout puissant, nous aussi, nous
avions posé sur la tête de nos monarques la couronne qui reliait
nos travaux et nos jours à la tiare d'un souverain du cosmos.
Mais le
pouvoir de rendre la justice est demeuré tellement lié à celui
d'un roi des nues dans l'esprit de nos congénères que nous avons
dû fonder notre République sur un coup d'Etat théologique. Nous
avons donc déclaré que nos tribunaux rendraient désormais leurs
verdicts au seul nom de notre peuple. C'est donc au prix d'un
sacrilège inouï pour l'époque que nous avons conquis un pouvoir
autrefois exclusivement réservé au sacré; mais nous n'avons pas
encore intériorisé les responsabilités nouvelles auxquelles l'audace
de nos pères nous a appelés. C'est pourquoi nous tardons à entrer
dans la peau des juges que nous sommes tous devenus; c'est pourquoi
nous hésitons à nous compénétrer de l'esprit qui inspire désormais
notre plus haute citoyenneté, celle de prononcer en souverains
la parole de justice à la place de notre Créateur, alors même
qu'il s'en était tellement mal acquitté que nous avons dû le démettre
de ses fonctions et le remplacer avec les moyens du bord.
Faut-il
attribuer au passé commun à notre cerveau actuel et à celui du
reste de l'humanité d'aujourd'hui notre peu d'étonnement au spectacle
de notre vénération récente et imméritée pour notre justice contrefaite?
Notre culte pour elle demeure inné, alors que nous la voyons errer
et s'égarer ici bas ; et nos connivences sont demeurées ridiculement
vivaces avec l'infaillibilité, l'immutabilité, l'omnipotence et
l'omniscience de Jupiter. Bien plus : nos juges en robe noire
tirent toute leur majesté et leur mystère du roi du cosmos que
nos ancêtres avaient installé dans leur tête et auquel nous avons
succédé au pied levé. Mais nous nous distinguons de toutes les
autres peuplades qui trottinent sur notre globe en ce que nous
seuls éprouvons mille embarras à gérer la tiare, la massue et
la foudre que nous avons ravie au législateur suprême devant lequel
se prosternaient nos aïeux. Comment chargerons-nous désormais
nos tribunaux de se montrer les héritiers respectables d'un acteur
que nous avons perdu en chemin?
Réduits
à nous-mêmes sur un astéroïde où nos hordes, peuplades et tribus
s'agenouillent devant leurs songes ancestraux, nous chargeons
des juges orphelins de leur maître d'autrefois de remplacer tambour
battant le despote vieilli sous le harnais que nous avons roué
de coups et exécuté sur notre saint échafaud des droits de l'homme.
Comment se fait-il que nous ne soyons pas pleinement devenus la
nation des Prométhée du droit et de la loi?
En vérité,
le glorieux exploit de notre Révolution a chargé nos épaules d'un
si lourd fardeau que nous ne savons à quelle école des Crusoé
du cosmos nous sommes devenus les juges de notre justice, à quels
maîtres confier la formation de nos juges, sous quelle férule
nous allons les placer, à quelle discipline nous plierons leur
raison, à quels commandements nous soumettrons leur entendement,
à quelles prescriptions nous ficellerons leur encéphale afin de
leur forger un esprit de justice plus civilisé que celui de notre
Dieu mort.
2 - Un peuple d'enfants
Notre plus
grand embarras résulte des obstacles que nous rencontrons pour
dresser l'inventaire des biens que le défunt nous a légués; car
notre rébellion nous a précisément dressés contre la justice bornée
et barbare à laquelle notre ciel prétendait nous soumettre. Ce
fut donc au nom d'une justice un peu plus haute, plus digne et
plus sage que celle de la divinité que nous l'avons portée en
terre sans fleurs ni couronne. Mais maintenant, nous suons sang
et eau à prendre le relais de ses verdicts mal assurés.
Certes, nous nous prenons pour le nouveau peuple élu, celui de
l'incarnation de la justice du monde ; mais que vaut notre vocation
de missionnaires, de messagers ou seulement de porte-drapeaux
des droits de l'humanité si nous demeurons flottants et perplexe
devant l'espèce de justice que nous nous sommes mis sur les bras?
Certes, nous l'avons arrachée des mains du monstre qui nous faisait
rôtir éternellement sous la terre ou périr d' ennui dans son paradis
d'immortels émasculés. Mais nous ne savons sur quel pied faire
danser la justice qui se tortille maintenant devant les tribunaux
et les juges de confection que nous nous sommes donnés.
D'un côté,
nous n'avons pas tiré le meilleur parti de la décapitation du
maître dont notre férocité originelle s'était affublée dans les
nues et dont la sauvagerie n'était qu'un pâle décalque de la nôtre.
Et pourtant, nous perpétuons à l'égard de nos juges devenus tout
humains les signes de la servilité révérentielle que nous avons
héritée des millénaires de nos dévotions et de nos génuflexions.
Mais, dans le même temps, nous sommes demeurés un peuple d'ignorants
du droit et des lois qui nous régissent. C'est que nous portons
les stigmates que le passé de notre droit pénal a gravés au fer
rouge dans nos chairs, de sorte que notre presse ne porte son
attention qu'aux dramaturgies sanglantes dont nos cours d'assise
déroulent les péripéties.
Comment
le goût du tragique qui caractère notre esprit public ne serait-il
pas devenu atavique et congénital à l'identité de notre nation,
puisque, de génération en génération, la justice d'un Dieu des
tortionnaires s'est associée au glaive sans pitié de nos Etats,
de sorte que nos prétoires étaient devenue l'arène naturelle des
châtiments féroces que nous infligions aux meurtriers et dont
le principal était de leur couper la gorge. Notre justice est
née du despotisme de nos théologiens de l'enfer et de nos magistrats
des pendaisons, qui se partageaient une seule et même corde, de
sorte que nos tribunaux sont les successeurs épuisés et désarçonnés
d'une justice dont la légitimité se forgeait sur la double enclume
de nos monarchies au couteau entre les dents et de nos dévotions.
Il en résulte que notre peuple ignore le droit civil et que notre
éducation nationale se garde bien de lui en enseigner les rudiments,
alors que la France connaît chaque année plusieurs millions d'affaires
civiles. Pourquoi n'intéressent-elles personne, alors que le théâtre
de l'arbitraire au quotidien n'est pas d'ordre pénal, mais civil?
3
- De la rétroactivité des châtiments
Prenez
le récent décret du Président de la République qui a privé de
leur rang de grand croix de la légion d'honneur les malheureux
anciens premiers ministres dont la tête a roulé dans le son moins
de deux ans après leur entrée en fonctions. Qui, dans la presse
et dans l'opinion a souligné qu'il s'agit d'une violation du principe
le plus fondamental du droit privé et public des Etats civilisées,
qui interdit la rétroactivité des lois nouvelles si elles se veulent
plus sévères que les anciennes? Certes, il s'agissait seulement
de priver un rival vaincu de son rang dans un ordre demeuré d'esprit
napoléonien, ce qui a entraîné, à titre collatéral, la même sanction
inutilement vexatoire à l'égard de deux anciens premiers ministres
socialistes.
Mais, encore
une fois, il se trouve que quelques journalistes ont dénoncé le
fait du prince, parce que notre mémoire collective porte l'empreinte
indélébile de la tyrannie monarchique et que d'autres ont dénoncé
une République bananière - mais aucun n'a souligné que ce décret
ne pouvait reforger le passé de la France et récrire son histoire.
Si les Français étaient informés des fondements du droit civil
qui régit les Républiques, mille voix auraient rappelé que l'idole
barbare avait inauguré son règne par l'invention du péché rétroactif
par excellence, de sorte que, de génération en génération, nos
ancêtres en payaient les dividendes au tyran imprévisible et fantasque
qu'ils avaient installé à la tête du cosmos.
4 - La décentralisation administrative et le retour
à la provincialisation de la justice
Quel est
le problème anthropologique de fond que posent à tous les Français
les ultimes conséquences de notre révolution politique et philosophique
du XVIIIe siècle, celle qui a arraché sa cuirasse théologique
à notre justice civile et pénale et les a rendues toutes deux
exclusivement humaines? En vérité, ce tremblement de terre a fait
entrer l'humanité tout entière, mais à ses risques et périls ,
dans le règne nouveau de la science du droit qu'appelle une civilisation
désormais principalement fondée sur une justice régulatrice des
relations que les citoyens entretiennent entre eux.
Au premier
abord, cette proposition paraîtra exagérée à mes lecteurs. N'ai-je
pas mis sans cesse l'accent sur la nécessité d'initier les peuples
démocratiques aux arcanes de la géopolitique, n'ai-je pas répété
sans me lasser que les peuples de la liberté privée s'aveuglent
sur la scène internationale et que leur ignorance des affaires
mondiales les assujettit les yeux fermés à un maître étranger?
Serai-je donc traité de sophiste à soutenir maintenant que la
lucidité des peuples démocratiques passe par leur apprentissage
des arcanes de la justice civile?
Certes,
le Dieu mort tenait dans ses mains le sceptre trans-municipal
des despotes et des rois; certes, son tribunal était celui de
la terreur, parce que le premier pas de la politique se réduit
à faire entrer de force l'humanité dans l'enceinte civilisatrice
des cités et à discipliner au fouet leur marche en bon ordre dans
l'histoire; mais ensuite, qu'arrivera-t-il si l'arbitraire s'insinue
en catimini dans le droit civil, qu'arrivera-t-il si les peuples
plongés dans l' ignorance voient leur justice au petit pied tomber
entre les mains de juges achetés et de procureurs complaisants
aux vœux et aux privilèges des oligarchies locales, qu'arrivera-t-il
si les citoyens tombent au rang d'otages de la rapacité d'une
armée d'avocats et d'une horde d'huissiers ardents à dresser des
constats imaginaires à la demande de leurs clients?
Il existe
deux formes de la tyrannie, celle du sang et celle de l'anarchie,
celle du glaive et celle de l'arbitraire au quotidien, celle qui
prend sa source dans le sacré et celle qui tisse ses réseaux d'étranglement
dans les platitudes de la vie au jour le jour. Etes-vous maintenant
disposés à écouter d'une oreille moins distraite la voix que les
verdicts de la justice civile fait entendre dans une science nouvelle,
celle de la pesée des civilisations sur la balance de l'Histoire?
Dans ce cas, il faut que les Français soient informés de la
régression que leur justice civile subit de nos jours, parce qu'une
décentralisation administrative précipitée et incohérente reconduit
tout droit la République actuelle au provincialisme de la justice
de l'Ancien Régime.
5 - La République des notables
Mais pour
vous apprendre à peser les cruelles platitudes de la tyrannie
banalisée, il faut que je vous en présente une illustration éloquente,
afin que la lumière d'un seul récit suffise à vous éclairer.
Les Français
héritiers des cours royales doivent se trouver informés de ce
que leurs huissiers de justice jouissent d'une "compétence
territoriale", c'est-à-dire d'un monopole qui les autorise
à exercer leur profession sur des arpents qui leur sont expressément
réservés, afin qu'ils n'entrent pas en collision entre eux sur
leurs lopins respectifs. Dans nos villes les plus modestes vous
n'en trouverez qu'un seul, tandis que, dans les moyennes, vous
en recenserez souvent une paire condamnée à se partager le même
gibier.
Supposez
maintenant qu'un huissier rapace s'entende avec un quidam du même
acabit pour lui rédiger une attestation en bonne due et forme
selon laquelle il subirait une nuisance de la part d'un voisin
aisé - par exemple, des eaux de pluie passeraient impunément de
son pré dans le sien. Ce faux en écritures publiques sera-t-il
facile à réfuter ou bien va-t-il prospérer en justice? Car si
la victime faisait appel à l'autre huissier de la ville, comment
déjouerait-elle la complicité qui mettra nos deux lascars de mèche?
Il vaudra donc mieux que vous déposiez plainte au Parquet et que
vous vous réendormiez sur vos deux oreilles, puisque le Ministère
public se trouve chargé par le législateur de contrôler jour et
nuit et d'un œil sévère les huissiers corrompus ou fantasques.
Mais ne
croyez pas que vous goûterez un sommeil paisible. Une lettre du
Parquet vous réveillera en sursaut. Vous pourrez y lire noir sur
blanc que le cas ne regarde en rien le Ministère public, parce
qu'aux yeux de l'Etat de droit, il ne s'agit que d'un petit litige
privé. "De minimis non curat praetor". Notre citoyen répondra
au Ministère public que les officiers ministériels ne sont pas
des citoyens ordinaires, mais des serviteurs de l'ordre public,
et cela à titre statutaire, de sorte que la responsabilité attachée
à leur charge condamne nécessairement l'autorité de la République
à se pencher sur des minusculités que l'Etat de droit ne saurait
dédaigner. Mais votre logique juridique se heurtera au silence
méprisant de l'Etat et de ses grands prêtres, parce qu'en province,
la démocratie protège l'honorabilité des notables sur le même
modèle qu'elle défendait les privilèges de l'aristocratie sous
l'Ancien Régime.
Quel sort
attend-il les citoyens français sur les terres de leur monarchie
démocratique? Si vous vous adressez à un avocat de l'endroit,
non seulement il refusera tout net de se brouiller avec un huissier
qui alimente son Cabinet en chicanes, mais il vous écrira:
- "Monsieur, apprenez que les
avocats ne plaident jamais qu'au civil et qu'ils ne sont donc
pas habilités à démontrer un délit au nez et à la barbe d'un Procureur
si celui-ci refuse souverainement d'instruire votre plainte, ce
qui, certes, le mettra dans l'illégalité; mais ignoreriez-vous
que la France est redevenue un pays de droit coutumier, du moins
à l'échelle de l'Etat? Sachez en outre que si un avocat peut
quelquefois se trouver indirectement engagé dans une procédure
pénale - à condition que le Parquet aura consenti à poursuivre
le délinquant - il n'en défendra pas moins les seuls intérêts
au civil de son client. C'est pourquoi on dira qu'il s'est "porté
partie civile", ce qui ne transporte en rien ses compétences
sur le terrain du pénal, qui demeure la chasse gardée des Etats.
6 - Les lettres de cachet de la République
- Mais,
s'écrie notre Candide des droits de l'homme, si je ne puis demander
même à un ténor du barreau de Paris de venir me défendre pour
un pont d'or dans une affaire pénale microscopique au seul motif
que l'Etat républicain aura décidé de faire la sourde oreille,
vais-je me trouver condamné au civil au motif que je ne me serai
pas fait représenter à fonds perdus par un avocat? L'un de
vos confrères plaidera-t-il les yeux fermés contre moi au profit
d'un client bénéficiaire d'un constat rendu inattaquable par l'arbitraire
du Parquet? Une complicité coupable entre le procureur et l'huissier
rendra-t-elle l'Etat sourd comme un pot?
- Parfaitement,
Monsieur. A rendre invulnérable un huissier, le Parquet de la
République vous aura purement et simplement privé de la faculté
d'ester efficacement en justice. Mais si vous tenez à vous ruiner
en honoraires inutiles, libre à vous. Il ne vous est pas interdit
de louer une conscience à grands frais.
- Je vois
, Maître, que les Français devraient étudier le droit civil sur
les bancs de l'école, parce que l'ignorance est la source de tous
leurs malheurs. Mais, dites-moi, si je refuse de payer les dommages
et intérêts auxquels j'aurai été injustement condamné et si j'alerte
à grands cris le Parquet général, la Chancellerie, le Président
de la République et jusqu'à la cour européenne de justice que
va-t-il se passer?
- Rien,
Monsieur, absolument rien. Certes, le monde entier vient de commémorer
le soixantième anniversaire de la déclaration universelle des
droits de l'homme ; certes, de grands éditorialistes commencent
d'écrire qu'il appartient aux citoyens de défendre leurs droits,
parce que les Etats, même démocratiques, ont d'autres chats à
fouetter. Mais, voyez-vous, les Français ne s'intéressent qu'au
pénal. Quand le fils du Président de la République emboutit la
voiture d'un quidam et prend la fuite, non seulement il sera acquitté
aux applaudissements de la salle d'audience, mais la victime se
verra condamnée de surcroît pour procédure abusive; quand le chef
de l'Etat ordonne à un juge d'instruction d'inculper l'un de ses
rivaux terrassés, le peuple français entr'ouvre un œil, parce
que l'arbitraire du prince est une vieille connaissance - il y
a plus de mille ans que nous avons pris l'habitude de le rencontrer
sur notre chemin. Le droit civil, en revanche, nous laisse froids,
parce que nous jugeons indigne de notre souveraineté de jeter
un regard aux broutilles et que nous nous abaisserions, pensons-nous,
à ne pas rivaliser avec la majesté dédaigneuse de nos rois d'autrefois.
Voyez ce qui s'est passé avec M. de Filippis, un ancien Directeur
de la rédaction de Libération qu'une juge a fait
tout récemment mettre cul nu par deux fois et tousser afin d'observer
son anus au nom du peuple souverain. Mais du moins la juge appliquait-elle
la lettre de la loi dans toute sa méticuleuse idiotie; du moins
n'y avait-il pas de faute de procédure, puisque deux siècles après
la Révolution de 1789, la stupidité légalisée de l'Ancien Régime
est demeurée plus respectable que le citoyen. Voyez l'affaire
du suicide de Chantal Sébire, qui demandait au Parquet le droit
de mourir. L'Etat pouvait poursuivre au pénal ses proches coupables
d'euthanasie assistée. Le Procureur de Dijon n'en a été empêché
que parce que l'Etat dit de droit lui a fait impérieusement comprendre
que ce serait politiquement inopportun en diable. Mais dans votre
cas, mon pauvre Monsieur, le Parquet incarne le nouveau monarque
que les Français se sont donné, de sorte que son refus régalien
d'instruire votre plainte n'est que la forme nouvelle des Lettres
de cachet de la royauté.
7 - De l'exécution des jugements
- Cher
Maître, comment va-t-on exécuter la décision de justice à laquelle
je serai donc condamné en l'absence de tout défenseur devant le
Tribunal?
- Eh
bien, Monsieur, l'huissier fautif fera le tour des banques de
la région à vos frais; et il demandera à chacune d'elles si vous
y avez ouvert un compte. Les banques lui répondront docilement,
mais en violation d'un arrêt de la cour de cassation du 3 mai
2007, qui a rappelé le décret du 13 juillet 1984 selon lequel
les huissiers sont tenus de présenter un certificat de vérification
ou une ordonnance de taxe exécutoire. Vous remarquerez que
les banques de province ignorent superbement cet arrêt; vous remarquerez
également qu'il aura fallu qu'un plaideur obstiné allât jusqu'en
cassation pour leur rappeler que le décret de 1984 limite l'omnipotence
des huissiers; vous remarquerez enfin que cet arrêt de notre Cour
suprême est demeuré lettre morte sur tout le territoire national.
Votre propre banque s'alliera donc tranquillement avec l'huissier
pour vous spolier; et elle tentera même de le payer d'avance et
de sa propre autorité. Elle ira jusqu'à bloquer la totalité
de vos avoirs, ce qui vous autorisera, en cas de besoin, à demander
un déblocage de votre pécule du montant du RMI. A valider aveuglément
une demande illégale de l'huissier, votre banque renversera donc
la charge de la preuve et vous imposera de prendre l'initiative
d'une procédure que la Cour de cassation a expressément imposée
à l'huissier demandeur.
8
- Le juge de l'exécution des jugements
- Mais
on m'a dit que je disposais d'un délai d'un mois pour saisir le
juge dit "de l'exécution des jugements".
- Mon pauvre
Monsieur, ce juge n'est autre que le Président du tribunal qui
vous aura condamné dans les conditions arbitraires que le Parquet
lui aura imposées! De plus, vous
vous trouverez empêché de le saisir pour la bonne raison que vous
devrez obligatoirement lui délivrer une assignation par les soins
du second huissier territorialement compétent de la ville, lequel
refusera non moins impunément que le premier de se soumettre aux
devoirs de sa charge et de desservir son confrère de l'endroit.
- Mais
je puis porter plainte au Parquet, afin qu'il contraigne l'huissier
récalcitrant de s'exécuter.
- Croyez-moi,
l'Etat restera aussi muet que devant, ne serait-ce qu'afin de
ne pas retirer sa protection à l'autre huissier du for. Et puis,
de toutes façons, le Président du Tribunal n'est pas autorisé
à revenir sur le jugement qui lui a été imposé par le Parquet.
- Je sais
cela. Mais je pourrais du moins tenter d'obtenir du juge de l'exécution
une réduction des tarifs abusifs des huissiers.
- Vous
n'y êtes pas: aucun d'entre eux ne respecte les montants fixés
par la loi, de sorte que ce serait une révolution de redresser
leur comptabilité.
- Si je
vous comprends bien, je me trouve pris en étau entre deux pouvoirs
régaliens aussi puissants et invulnérables l'un que l'autre, celui
du Parquet et celui des huissiers; si je vous comprends bien,
ces autorités sont bien décidées à s'épauler réciproquement à
seule fin de protéger les corporatismes locaux; si je vous comprends
bien, les juges de la République ne sont que des bulles de savon.
- Bien
sûr, puisque leur avancement dans la carrière dépend de leur notation
par les Parquets.
- Et pourtant
le Président de la cour d'appel de Paris est intervenu dans la
presse et a demandé une enquête sur le traitement subi par M.
de Filippis. C'est donc que le juge civil peut passer par-dessus
la tête du Procureur et de la Chancellerie, qui avaient nommé
le juge d'instruction et qui le couvraient.
- Vous
n'y êtes pas : les procureurs couvrent systématiquement les juges
d'instruction, comme l'affaire d'Outreau l'a bien démontré. En
l'espèce, il s'agit d'un cas extraordinaire, parce que le peuple
français s'est tout entier embrasé . Depuis l'affaire Callas ou
l'affaire Dreyfus, jamais il n'avait eu les yeux fixés à ce point
sur son appareil judiciaire. Mais dites-vous bien que celui-ci
est une Eglise et que les Français ont retrouvé l'esprit ecclésial
dont ils sont issus ; ils se sentent élus et mandatés aux côtés
d'une instance supérieure au temporel. Je vous mets également
en garde contre les ruses de l'huissier défaillant : il tentera
de masquer la faute professionnelle qu'il commettra de vous refuser
la délivrance de l'assignation , et pour cela, il vous demandera
benoîtement de vous adresser à un avocat du cru, lequel sera évidemment
de mèche avec lui. Naturellement, la présence d'un membre du barreau
n'est nullement prévue par la loi dans cette procédure. Ne le
regrettez pas, puisque de toutes façons, son intervention, bien
que stérile par nature, vous coûterait dix fois plus cher que
vous ne gagneriez si, par l'effet d'un miracle judiciaire, le
juge civil s'autorisait à ramener les tarifs fantaisistes des
huissiers aux normes imposées par la loi.
- Autrement
dit, c'est la complicité de ma banque avec l'huissier qui se trouve
à l'origine de cet imbroglio ; c'est elle qui me contraint de
recourir à une procédure qui pallierait la forfaiture de l'officier
ministériel si les corporatismes locaux ne bloquaient toute la
procédure prévue par la loi.
- Parfaitement.
C'est précisément cette cascade de conséquences dommageables aux
citoyens que la Cour de cassation a tenté de leur éviter. Mais
la plus haute jurisprudence du pays est inapplicable dans une
République que la décentralisation administrative a reconduite
à un droit coutumier antérieur au droit écrit des Romains.
- Maître,
je vous admire de m'informer de tout cela avec une franchise qui
fait honneur au véritable l'esprit de votre profession. Je vais
essayer de devenir un meilleur connaisseur des lois de mon pays
. Mais qu'est-ce qui vous inspire un si beau souci du droit et
de la loi dans une République qui entend bien en ignorer le premier
mot?
- Ah Monsieur,
ne me remerciez pas, je prends ma retraite dans quinze jours.
9
- La France actuelle et les lois de Vichy
Revenons
à la problématique générale dont vous n'avez sûrement pas perdu
de vue le goût de la cohérence qui l'inspire : il s'agissait de
savoir si les tyrannies s'enracinent au premier chef dans le mépris
pour le droit civil qui nourrit les Etats despotiques ou principalement
dans leur dédain à l'égard du droit pénal, alors que les deux
types de dictatures rivalisent de zèle à placer les Parquets sous
leur autorité directe et en faire les instruments d'un peuple
asservi. Quel est l'arbitraire que vous jugerez le pire, celui
des Etats contraints d'étaler leur force à tous les regards afin
de régner par le spectacle de leurs armes dans les rues ou celui
de se donner le luxe de cacher leurs forfaits parce que l'iniquité
s'insinuera en silence dans les rouages de la société civile?
Pour vous éclairer davantage sur ce point, demandez-vous en
tout premier lieu pourquoi le peuple français n'apostrophe pas
ses juges et sa justice à pleine voix, à grand bruit et en plein
air, alors que notre presse ne paraît pas, pour l'instant, trop
rudement enchaînée, de sorte qu'il serait aisé aux rédacteurs
de nos quotidiens de renseigner les citoyens du poids écrasant
du joug sous lequel une démocratie contrefaite par la décentralisation
de l'Etat les a asservis. Pourquoi les journalistes n'informent-ils
pas les Français de ce qu'un Etat dans lequel les Parquets ne
poursuivent que les délits de leur choix n'est pas une République?
Vous ne
comprendrez cette difficulté qu'à consulter les archives de Thémis.
Vous y apprendrez que le régime de Vichy avait non seulement interdit
toute critique publique des décisions de justice, mais également
tout écrit de nature à porter atteinte à la rutilance, à la souveraineté
et à la majesté des tribunaux. Pourquoi cela, sinon parce que
l'alliance de la justice avec le pouvoir politique trouve sa source
dans la majesté du Dieu mort. Or, la loi de resacralisation
de la justice républicaine subrepticement promulguée sous l'occupation
allemande n'a pas été purement et simplement retirée de l'arsenal
des lois pénales de la IVe et de la Ve République, elle est seulement
devenue progressivement inapplicable, notamment à la suite de
l'intervention énergique et publique d'un Président de la cour
de cassation, lequel ne pouvait que se contenter de la proclamer
obsolète. Sachez donc que, depuis la Libération, la France
ignore qu'en 1945, elle n'avait retrouvé la "Liberté" qu'aux applaudissement
tout formels d'un peuple placé sous la tutelle d'une loi de lèse-majesté
nullement abolie, puisque les citoyens demeuraient entièrement
frustrés du droit de commenter les décisions de leur justice,
même les plus iniques et les plus spectaculairement dictées par
l'Etat. Or, cette liberté-là a nourri l'œuvre des Rabelais, des
Montaigne, des Montesquieu, des Racine, des Molière, des La Fontaine,
et au XIXe, les dessins au vitriol de Gavarni . Savez-vous qu'en
1939 encore, l'exécution publique de Weidman avait conduit Colette
à traiter les juges français d'assassins à la première page de
France Soir?
10
- Ce que la France doit au Canard enchaîné
Quelle étrange
République, n'est-il pas vrai, que celle où les lois placent les
Parquets au-dessus des lois ! On comprend qu'un peuple proclamé
souverain, mais hébété par sa soumission à une presse bâillonnée
par la souveraineté de sa justice ne soit pas près de retrouver
ses esprits. Mais, en 1982, les magistrats d'Aix en Provence ayant
fait main basse sur des objets de grande valeur placés sous scellés
au Greffe du Tribunal de cette ville et le Canard enchaîné,
encore lui, ayant révélé un enrichissement de la magistrature
locale française aussi discutable, M. Badinter, alors garde des
Sceaux s'en était vivement ému à la suite de la plainte contre
l'insolent volatile des Raminagrobis et des Bridoison effrontés
de province; car non seulement ils réclamaient le silence du
peuple français au nom de la loi de lèse-majesté de Vichy au bénéfice
de leurs cambriolages et chapardages, mais ils s'étaient mis en
tête de poursuivre leur dénonciateur au pénal pour outrage à la
magistrature.
La France
ne doit donc le retour discret à la liberté d'expression de sa
démocratie en matière de justice qu'à la maladresse procédurale
d'une association de voleurs et de malfaiteurs en robe noire.
Sans les calembredaines bruyantes des juges d'Aix en Provence
, jamais les lois de Vichy ne seraient tombées en quenouille.
Mais, encore une fois, le peuple de Descartes est loin d'avoir
retrouvé toute sa tête. Par bonheur, les Plaideurs de Racine ou
le Tartuffe de Molière rappellent aux Français qu'un peuple privé
de regard sur sa justice n'est qu'un peuple de serfs , parce que
le royaume du droit et de la loi est celui du Dieu décapité, de
sorte qu'une nation qui refuse d'assumer l'héritage du souverain
de la justice qu'il a porté en terre et qui ne prend pas la responsabilité
de peser sa justice sur la balance de l'humanité et d'elle seule
se fait l'esclave des Bridoison qui tomberont en grêle et qui
se partageront le sceptre de la tyrannie.
11 - La justice française et la citoyenneté de
demain
Quel est
l'apprentissage du droit civil qui fera un jour de la France une
République ? Nul autre que l'initiation de la démocratie des droits
de l'homme aux secrets d'une alliance devenue fondatrice de la
citoyenneté moderne, celle qui associera un regard lucide sur
la politique nationale à la clarté d'esprit qu'exige désormais
la connaissance rationnelle des enjeux dont la scène internationale
est devenue le théâtre . Car la justice est tellement le nœud
du politique qu'il n'y a pas de peuple qui puisse demeurer libre
s'il tombe entre les mains des corporatismes et des chefferies
ardents à confisquer ses droits civils . Comment l'Europe saurait-elle
seulement qu'elle se trouve placée sous le joug de l'OTAN , comment
se verrait-elle occupée par des troupes étrangères six décennies
après ses prétendues retrouvailles avec la Liberté si quelques
huissiers devenus souverains sur leur lopin montent des procès
fictifs et cadenassent impunément l'Etat du seul fait qu'ils auront
acheté une charge qui rendra inattaquables leurs faux constats?
C'est cela
que Vichy avait compris : faites de la justice locale un bastion
de la fraude, faites des tribunaux des forteresses du silence,
faites de quelques officiers ministériels des sbires du Parquet
et de faux gardiens de l'Etat et vous aurez la recette du despotisme
et de l'anarchie réunis , tellement un peuple livré à la petitesse
de quelques tyranneaux se trouvera également privé d'armure dans
l'arène des nations. On ne fonde pas une démocratie sur un troupeau
endormi, on ne construit pas une République sur un cheptel de
citoyens muets et sans défense. Dites-moi maintenant si je vous
ai convaincus de la pertinence d'un vieil adage qui dit: "Charbonnier
est maître chez soi"? Car s'il
n'est pas son maître dans sa propre demeure, comment porterait-il
sur l'agora la voix de la France?
12
- Une psychanalyse anthropologique du " Dieu de justice "
Mais n'imaginez
pas que la République vous tienne pour quittes, ne rêvez pas que
la démocratie aurait cessé de demander des comptes à ses faux
témoins. Nous n'aurons rien gagné si nous ne nous livrons à un
examen plus cruel encore, celui d'un diagnostic qui nous conduira
au décodage de notre condition d'otages de nos propres idéaux
. Car enfin, d'où vient notre effroi de regarder notre justice
droit dans les yeux ? Pourquoi sommes-nous demeurés si craintifs
face à l'appareil du droit et des lois qui devraient faire la
fierté de notre démocratie ? Pourquoi la victoire de nos ancêtres
sur le trône et l'autel nous laisse-t-elle timides et tremblants
? Pourquoi est-ce bel et bien au grand jour que s'étale notre
fausse justice, pourquoi est-ce bel et bien en plein soleil qu'elle
présente le spectacle de son autarcie effrontée, pourquoi est-ce
bel et bien à la lumière des droits de l'homme que son autocratie
parade dans la pourpre et les ors. D'où vient notre réticence
à offenser une justice qui humilie la République et qui se fait
un jouet de la démocratie, d'où vient la panique d'entrailles
qui semble saisir l'Etat lui-même quand son appareil judiciaire
le défie?
Souvenons-nous
de notre silence atterré et pourtant demeuré respectueux à l'heure
où le Conseil supérieur de la magistrature a proclamé blanc comme
neige le procureur qui avait soutenu la procédure ahurissante
de l'affaire d'Outreau. Comment se fait-il que le peuple français
et toute la presse se soient montrés à la fois outrés et soumis,
stupéfaits et vassalisés, révoltés et secrètement consentants
à leur asservissement? Comment se fait-il que nous n'ayons en
rien montré notre stupeur et notre consternation de ce que l'Etat
et la Chancellerie eux-mêmes eussent capitulé en rase campagne
devant l'omnipotence crûment affichée de la corporation suprême
des juges de la République qui se sont aussi souverainement auto-absous
que le génocidaire du Déluge, qui s'était pourtant repenti du
bout des lèvres d'avoir recouru à la noyade générale de sa créature?
Pour le
comprendre, seule une introspection critique, seule une psychanalyse
de l'inconscient théologique de notre civilisation courra au secours
de notre raison endormie. Car nous ne supportons pas encore notre
condition de profanateurs de l'autocratie de feu notre justice
divine. Et pourquoi demeurons-nous tout rétifs et transis devant
le cadavre de notre Créateur mythique, pourquoi le sceptre du
ciel fatigué qui est tombé entre nos mains nous livre-t-il à un
malaise mêlé d'angoisse, comme si nous étions des orphelins inexpérimentés
et demeurés maladroits de l'idole que nous avons pourtant renversée
en raison de son immoralité ? D'un côté, nous prétendons que nous
n'avons pas froid aux yeux, d'un côté nous demandons aux prêtres
matois de notre fausse justice qu'ils se confessent à haute et
intelligible voix devant nos autels nouveaux, ceux de notre liberté,
d'un côté, nous demandons qu'ils comparaissent devant nos tribunaux
et qu'ils cessent de se retirer dans le temple de leur justice
et de s'en faire un asile, alors qu'ils bafouent nos lois sans
relâche . Mais d'un autre côté, d'où viennent notre révérence
pour leur fausse majesté, et notre mutisme, et notre dévotion
refoulée face à leur sacralité empruntée, sinon du fait que notre
justice se dédouble au plus secret de nos consciences? A notre
tour de nous scinder entre notre autonomie et nos trivialités,
entre notre prêtrise et nos compagnonnages, entre notre mystère
et nos profanations de matamores de notre platitude!
13
- Les derniers secrets de notre royauté et de notre servitude
En vérité,
la démocratie nous initie à l'ambiguïté du Dieu mort, à la dichotomie
de sa politique et de la nôtre, à la scissiparité de notre condition
et de la sienne, à la bipolarité d'une historicité humaine qui
nous divise à son image. Le sacré nous habite et nous fuit, nous
scinde et nous rassemble. Comment exercer un vrai pouvoir à l'égard
de nous-mêmes si, pour y parvenir, il nous faut séparer nos deux
voix intérieures, celle que prononce la terre et celle qui jaillit
de dessous le tabernacle de nos lois? Elles sont faites de main
d'homme et pourtant, il nous faut les enraciner dans un absolu.
Comment feindre seulement de nous initier au sacré qui fonde toute
politique, puisqu'il nous octroie le surplomb d'une vérité sans
laquelle nous perdrions l' autorité que nous tentons d'exercer
sur la face terrestre de nous-mêmes?
Allons,
demandons à la justice qui nous déchire et nous donne notre armure
qu'elle fasse de nous des spéléologues sans peur de l'autorité
des Etats! Car il n'est pas de pouvoir politique qui ne se donne
un levier, pas de puissance humaine qui ne se hausse au-dessus
de sa prise, pas de règne qui ne se trouve son élévation de surplomber
sa conquête. Mais qu'est-ce que cette mise à distance, cet écart
souverain, cet espace qui enfante la conscience, sinon le sacré?
Mais alors, le juge se situe au cœur de l'Histoire, parce qu'il
occupe la charnière entre le vide et le monde, mais alors son
tribunal le retranche de tout le temporel pour faire entendre
la voix de la "vérité", mais alors sa magistrature copie la parole
d'un ciel censé s'incarner sur la terre.
C'est pourquoi
les Français hésitent et tremblent devant des juges devenus à
eux-mêmes leurs dieux accablés et glorifiés. C'est cela, l'inconscient
qui les fait à la fois paniquer et regarder de haut l'Etat et
le monde entier à l'école de leurs magistrats. Mais s'ils sont
appelés, eux-aussi, à faire entendre le sacré au cœur de l'histoire
laïque, comment se retireraient-ils dans un tabernacle de la République
et comment proféreraient-ils à leur tour la parole autonome du
sacré démocratique? C'est pourtant de cette autonomie sacrilège
de la conscience politique moderne que le citoyen a hérité, c'est
de cela qu'il a la charge depuis 1789 , c'est de cela qu'il est
désormais responsable, c'est cela que les magistrats savent et
ignorent, c'est cela, l'inconscient qui leur fait regarder en
souverains la France et toute la planète.
C'est pourquoi
nous sommes secrètement tentés de tomber en léthargie et de nous
décharger sur nos juges du fardeau de notre propre dédoublement
entre le législateur et le citoyen. Mais si nous mettons le bât
de l'Histoire et de la politique sur les épaules de nos juges,
qu'adviendra-t-il de la République? Toute prêtrise n'abuse-t-elle
pas des pouvoirs attachés à son sacerdoce, tout devin ne s'enveloppe-t-il
pas dans la parure des sorciers? Et voici que l'Etat lui-même
rend les armes; voici qu'avec un lâche soulagement, il vous change
un procureur en une brebis innocente afin de ne pas profaner la
blancheur des magiciens de la liberté!
Mais notre
anthropologie critique psychanalyse les sortilèges auxquels le
sacré républicain tente de s'exercer. Puissent les cierges qu'allumera
la raison de demain faire descendre dans la rue un peuple décidé
à percer les derniers secrets de sa royauté et de sa servitude.
le 15 décembre 2008