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Le paysan du Danube et le roi de France

 

 

Qui ne se souvient de la fable de La Fontaine intitulée Le paysan du Danube? On y entend un "certain paysan des rives du Danube " dont toute la " personne velue représentait un ours, mais un ours mal léché", exposer à Rome les forfaits de l'empire sur ses arpents.

Les rôles se seraient-ils inversés? Le paysan du Danube viendrait-il maintenant se plaindre au Sénat de la ville éternelle de la pesanteur des féodalités locales de sa province et de leur pouvoir de corruption sur la magistrature assise et debout de l'empire romain? Nos campagnes seraient-elles devenues la proie de l'avarice et de l'arbitraire locaux à la suite du retrait désastreux des légions de Germanicus et de Drusus? J'ai imaginé que la France serait demeurée une monarchie de droit divin au cœur d'une Europe convertie à la démocratie et que notre rustre danubien qui, "sous un sourcil épais avait l'œil caché, le regard de travers, nez tortu, grosse lèvre", viendrait exposer les déboires de sa province à Versailles.

Le 15 décembre 2008 j'ai mis sur mon site un texte intitulé La France et sa justice qui démontrait mon ahurissement de ce qu'en province, la décentralisation administrative inaugurée par la gauche en 1981 a conduit les Parquets et les Parquets généraux de la République à cautionner des huissiers délinquants et à s'en rendre les complices en pleine connaissance de cause, afin de renforcer en toute illégalité le poids politique des corporatismes locaux. Cette subversion concertée de l'unité de la nation et de la cohérence de son appareil de la justice exige une provincialisation intensive du Ministère public de la France. Ce triste constat est d'ores et déjà devenu national, puisque, dès le 10 juillet 2008, la Cour européenne de justice a fait valoir que le titre de magistrat devait se trouver purement et simplement retiré aux titulaires actuels de la fonction de procureurs de la Ve République, et cela non seulement en raison de la soumission du Ministère public au pouvoir exécutif du moment, qui les a réduits au rang de "préfets judiciaires", mais également en matière de lutte contre la délinquance.

On comprend, dans ces conditions, qu'il suffise d'un artifice littéraire emprunté à La Fontaine pour bouleverser toute l'interprétation officielle de l'histoire de la France. N'était-il pas admis, depuis Tocqueville, que la tyrannie serait le fruit naturel de la centralisation administrative et que le suffrage universel aurait seulement transporté le despotisme monarchique de la cour de Versailles à la cour de l'Elysée? Or, notre bon sauvage nous apprend non seulement que la source véritable du despotisme n'est autre que la liquéfaction du pouvoir central au profit des folklores locaux, mais que le combat unificateur de cinq siècles de la monarchie et de deux siècles de la République avait substitué le sceptre du droit et de la loi à l'anarchie et à l'arbitraire des chefferies de village.

Cette révolution dans l'interprétation reçue des bienfaits de la démocratie va débarquer dans l'actualité politique nationale avant la fin de l'année, puisque la France aura à répondre de la légitimité même de son Etat face à une communauté européenne devenue l'accusatrice publique du glissement de la patrie des droits de l'homme vers le type de tyrannie provincialisée décrit par Stendhal dans La Chartreuse de Parme.

Du coup, la question de l'indépendance tant des procureurs que des juges civils face à un Etat désormais abusivement qualifié "de droit" aux yeux de la cour européenne de justice appellera une réflexion anthropologique sur le vieillissement de la civilisation européenne à la suite du glissement du Vieux Continent vers un provincialisme antérieur à une France que le roi soleil avait paradoxalement libéralisée. Dans ce contexte, la fiction juridique d'une résurrection de la monarchie jouera le rôle d'un catalyseur, parce que l'analyse des méfaits politiques consécutifs au naufrage des principes civilisateurs de 1789 en sera facilitée aux yeux d'un lecteur désireux de découvrir le véritable enjeu de l'esprit de justice au sein de tous les Etats du monde. Du coup, il apparaîtra que, de leur vivant, les idéalités de la démocratie entretenaient avec la nation des relations parallèles à celles que le trône avait entretenues avec le peuple français par la médiation d'un autel libérateur à l'origine. Il sera également démontré que la centralisation de l'Etat était la garante des droits individuels face à la dissolution d'une République maintenant livrée aux corporatismes locaux et aux hobereaux de village.

Mais alors, la question de l'éthique de l'Etat moderne face à la "vita privata" des Romains ne se replace-t-elle pas au cœur de la réflexion politique mondiale? Comment le suffrage populaire empêchera-t-il une République fractionnée en parcelles autonomes de reconduire la nation à l'omnipotence des corporations de l'Ancien Régime progressivement retrouvées sous la bannière de Marianne et cautionnées par le bonnet phrygien?

 

1 - La grande misère de la justice romaine

2 - La sacralisation des idéalités de la démocratie

3 - Le roi de France en pédagogue de la démocratie de demain

4 - L'inconscient théologique de la démocratie

5 - De la pestifération de l'Etat

6 - La monarchie en pédagogue de la République

7 - Les sources des démocraties de la torture

8 - Le cheval Incitatus

 

Adresse au roi

1 - La grande misère de la justice romaine

Sire, l'humble laboureur qui vous adresse ces lignes se veut fidèle à son roi, agenouillé devant l'autel et reconnaissant à la Providence d'avoir accordé à votre dynastie le privilège et la charge de gouverner le royaume de France . C'est donc avec la conviction de servir l'alliance du trône avec le Créateur du monde que j'adresse à Votre Majesté une bien modeste supplique, celle de m'accorder l'insigne privilège d'exposer à Votre Grandeur les malheurs qui accablent vos sujets sous le sceptre de votre justice.

Savez-vous, Sire, que le jardin fleuri de la planète que le ciel a confié à votre sage gouvernance, est ravagé du lever au coucher du soleil par des meutes d'huissiers corrompus et avides, qui dressent de faux constats à la pelle sans que vos intendants leur mettent la main au collet? Savez-vous, Sire, que ce trafic enrichit les hommes de robe, qui fourmillent à ce point dans votre royaume que leurs légions s'élèvent à cinquante mille robes noires ou parées d'hermine? Savez-vous, Sire, que si cette basoche famélique ravage les villes et les villages, la faute en incombe à vos Ministres, dont la morgue ne daigne plus jeter un regard aux souffrances de votre peuple? Savez-vous, Sire, que vos procureurs et vos procureurs généraux affichent leur complicité effrontée avec une corruption des agents de l'Etat qui ruine les fondements juridiques et moraux de la monarchie?

Sire, la cour européenne des droits de l'homme va très prochainement tenter d'invalider définitivement la dignité traditionnelle du titre de magistrat que la monarchie accorde à vos procureurs depuis Pépin le Bref. Savez-vous, Sire, que, le 10 juillet 2008, la juridiction démocratique devenue commune à tout le continent européen a froidement affirmé que votre royaume sera cité à comparaître avant la fin de l'année devant le tribunal du Vieux Monde? Savez-vous, Sire, que des gazettes insolentes circulent à Paris et jusque dans vos provinces les plus reculées et qu'elles citent sans sourciller les termes dont le tribunal de la civilisation de la Liberté a osé se servir, selon lequel le "procureur de la République n'est pas une autorité judiciaire " au motif qu'il " lui manque, en particulier, l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pour qu'il soit qualifié de la sorte"?

2 - La sacralisation des idéalités de la démocratie

Qu'il soit permis à un indigne serviteur de Votre Majesté d'attirer ses regards sur la dialectique peu chrétienne et même sur l'impiété éhontée qui a permis à la Cour de justice susnommée de falsifier un point de droit pourtant élucidé depuis la loi des XII tables. Sachez donc , Sire, que la logique juridique des Romains vous donne une occasion en or de démontrer aux démocraties des bravades qui encerclent le trône de France que le débat se trouve d'avance et arbitrairement faussé au détriment de la monarchie. Quel est le tissu de présupposés peu orthodoxes et même contraires à l'enseignement de l'Eglise qui enveloppe leurs dires? L'étoffe qui permet à tout le Vieux Continent de fonder sa jurisprudence sur le postulat extraordinaire selon lequel les magistrats civils des démocraties et eux seuls se trouveraient intronisés d'office dans le royaume de la justice par une autorité immanente aux idéalités séraphiques de 1789, de sorte que leur statut para-théologique les habiliterait à défendre les libertés civiles de vos sujets au nom du ciel et de la grâce des Républiques modernes.

Mais comment l'Europe défend-elle sa pauvre science d'un droit fondé sur des concepts sacralisés? Elle prétend que l'indépendance des juges civils découlerait de la Révélation qui censée inspirer leurs Constitutions, tandis que vos procureurs tomberaient dans l'arbitraire, non point par accident ou malencontre, mais du seul fait que leur bon plaisir serait consubstantiel à la malédiction dont tous les Etats du monde sont frappés de naissance, qu'ils soient monarchiques ou démocratiques. Je puis vous aider, Sire, à réfuter une hérésie qui ferait dresser les cheveux sur la tête des Bartole et des Cujas; car la cour de justice d'une Europe devenue faussement séraphique affiche ce présupposé dans toute sa malfaisance et en des termes quasiment blasphématoires : vos procureurs, dit le Vieux Continent, seraient devenus de simples "préfets judiciaires" de sorte qu'ils se trouveraient nécessairement soumis à vos injonctions; et celles-ci seraient régaliennes dans l'œuf en raison de la tare atavique dont ils ne sauraient se purifier.

Mais si l'on accuse ouvertement le trône et l'autel de la France d'intervenir non seulement dans les affaires qualifiées de "sensibles", mais également en matière de lutte contre la délinquance de droit commun, comment réfuterez-vous jamais l'impudence de cette argumentation si l'armée de vos huissiers commet impunément le délit de dresser de faux constats contre monnaie sonnante et trébuchante, et si, comme je me suis permis de le révéler à Votre Majesté, l'appareil entier de votre justice fait corps avec les nouveaux tire-laine?

3 - Le roi de France en pédagogue de la démocratie de demain

Sire, le droit international public légitime les Etats en mesure d'exercer effectivement les fonctions qui les fondent et les définissent. Une cour européenne de justice qui se veut au service des démocraties défend-elle vraiment le droit constitutionnel des Républiques à qualifier les procureurs de préfets et à leur accoler l'adjectif de "judiciaire" à titre de colifichet, de décoration ou de ruban ? Un préfet est un fonctionnaire d'autorité rattaché au ministère de l'intérieur. Dans quelle mesure se raccrochera-t-il au ministère de la justice par le seul effet d'un vocable dont Thémis l'affublera négligemment? Tous les juristes de votre royaume refuseraient de voir vos procureurs endosser la tenue d'un ministère public hybride et voué par nature à faire glisser une monarchie de préteurs intègres vers une tyrannie que votre dynastie honnit depuis Saint Louis.

Mais encore une fois, Sire, comment votre trône très chrétien se ferait-il le pédagogue éclairé des démocraties modernes, qui sont encore dans l'enfance et inexpérimentées, et comment dénonceriez-vous la candeur juvénile des législateurs du peuple de 1789 - ils s'imaginent qu'il suffit de contraindre les magistrats de César à porter une tenue démocratique pour sauver les Républiques - si de votre côté vous laissez les huissiers et la basoche de la France porter devant vos tribunaux des causes imaginaires et présenter au monde entier le spectacle ridicule de vos juridictions de province que leur Parquet condamne à rendre des jugements fondés sur des faits plus verbifiques que toute la scolastique? Sire, la cour européenne transporte une justice démocratique vagissante au pays d'Alice et de ses merveilles; ne transportez pas la monarchie dans un royaume de la justice tombé de la dernière pluie et tournant dans le vide. Il vaut mieux rendre vertueux vos procureurs que de légitimer le tenue de centurion dont les démocraties s'apprêtent à les revêtir.

4 - L'inconscient théologique de la démocratie

Songez également, Sire, aux dommages que causerait sur l'heure à votre royaume la folie opposée si vos solides raisonnements ne la réduisaient à quia . Il vous faut donc réfuter en droit et à la seule école de la logique juridique la croyance désormais partout répandue et sottement confirmée en tous lieux selon laquelle la magistrature debout serait rendue indépendante par miracle et ex opere operato si seulement elle se trouvait soustraite constitutionnellement à la souillure réputée inhérente à tout pouvoir exécutif en ce bas monde! Il s'agit d'une théologie politique faussement naïve, selon laquelle la créature, sitôt nantie de la grâce démocratique, jouirait mécaniquement d'une innocence pré-adamique tout subitement retrouvée, de sorte qu'il suffirait de la soustraire à l'autorité temporelle des Etats par la force du verbe républicain pour la rendre à sa sainteté native. Et pourtant, Sire, telle est bel et bien la candeur crypto-théologale qu'affichent maintenant les démocraties européennes.

Mais pourquoi la cour européenne de justice se proclame-t-elle démocratique sur un modèle outrageusement idéalisé, pourquoi se porte-t-elle sur les fonts baptismaux de 1789 pour prononcer l'édit selon lequel la magistrature assise, elle, serait compénétrée ab ovo d'une pureté consubstantielle aux Républiques? Pourquoi celles-ci se prétendent-elles appelées à protéger les "libertés individuelles" au nom des verdicts universels du dieu Liberté , comme si cet évangélisme judiciaire se trouvait inné et trouvait ses fondements dans les idées pures de Platon ? Réponse : parce que, depuis le premier siècle chrétien, l'Etat passe pour incarner César, l'Etat symbolise le temporel régalien, l'Etat se confond au Mal, l'Etat figure le bourreau de Jésus-Christ et, au mieux, Ponce Pilate.

5 - De la pestifération de l'Etat

Sire, si vous ne démontrez à l'Europe devenue idolâtre de ses idéalités politiques - ses concepts sont devenus ses idoles - comment civiliserez-vous jamais les sauvages de leurs vocables et les bêtes féroces du sonore?

Mais Votre Majesté connaît trop bien le libéralisme du droit romain et du droit canon qui s'en est inspiré pour ne pas rejeter une conception de la justice qui évacue stupidement de toute l'histoire et de toute la politique de sens rassis l'évidence que ni les procureurs, ni les magistrats civils ne se métamorphosent en angelots sitôt que l'Etat desserre la légitime étreinte de son autorité sur leur charge. Voyez, Sire, comme leurs Parquets demeurent rebelles de naissance à l'angélisme que leurs constitutions idéales leur accordent; voyez, Sire, comme leurs procureurs se montrent, au contraire, d'autant moins des séraphins du droit que l'Etat les livre à la tentation du despotisme précisément à leur laisser la bride sur le cou; voyez, Sire, ce qu'ils ont fait de leur indépendance prétendument immaculée sitôt que le blason de la pureté démocratique leur a été accordé par les seuls rédacteurs des idéalités constitutionnelles dont leurs Républiques ont fait leur hostie.

Et maintenant leurs Républiques minusculisées, provincialisées jusqu'à l'os et devenues à elles-mêmes leur pain bénit se trouvent livrées à l'arbitraire des corporations du cru dont elles protègent farouchement les enclos. Mais comment peuvent-ils prétendre que tout Etat doté d'une tête pensante en deviendrait tout subitement néronesque ou caligulesque, comment toute justice fermement dirigée par un Etat de droit ennemi des féodalités de patelins bondirait-elle sans cesse sur ses créatures pour le motif que le péché originel dont tout gouvernement, même de droit romain, serait entaché lui ferait consommer la pomme fatale que lui tendrait le serpent tentateur de la Genèse?

6 - La monarchie en pédagogue de la République

Sire, enseignerez-vous au Vieux Continent que votre royaume a été rassemblé par le combat inlassable de vos aïeux contre le provincialisme de leur temps et qu'il y a fallu la main de fer de la loi et du droit romain retrouvés? Mais le Vieux Continent est un ignorant. Ce malheureux ne sait pas qu'il s'est mis à l'école de la monarchie française du Moyen Age, celle d'avant l'unification de la France sous le sceptre des meilleurs de ses rois, ce malheureux ne sait pas que le provincialisme retrouvé d'une monarchie encore dans les limbes et tragiquement démembrée menace maintenant leurs démocraties.

Voyez, Sire à quel naufrage politique la ruine de la logique du droit conduit tous les Etats ; voyez, Sire, comme la piété démocratique réputée innée dont ils affublent désormais leur magistrature tant assise que debout réfute jour après jour leur théologie de la grâce naturelle qu'ils accordent candidement à leur nouvelle divinité, la Liberté. Les Etats européens se sont parcellisés en provinces au point qu'ils n'ont plus de vrais chefs de leurs Parquets et de leur Parquets généraux à Paris, à Rome, à Berlin, à Madrid, ce qui ampute leurs gouvernements de leurs prérogatives anciennes de guerriers des droits et des libertés naturels de leurs citoyens.

7 - Les sources des démocraties de la torture

La question épineuse de la sacralisation et de la désacralisation des procureurs des républiques idéales s'est également déplacée des chefferies de la province vers le cœur commun à la politique internationale et au droit public. Exemple : quand le Garde des Sceaux d'une démocratie européenne fait appel de la décision autocratique d'un juge d'instruction d'esprit virginal d'engager motu proprio une action pénale aux fins d'inculper pour hérésie trois despotes étrangers coupables de sacrilèges à l'égard des trois idéalités dont la souveraineté est censée régir les constitutions démocratiques, on voit l'Etat de cette même démocratie alléguer tout soudainement que le rôle d'un Ministère de la Justice démocratique n'est pas de défendre à tout prix un évangile judiciaire, certes respectable, mais par trop intemporel. L'Histoire n'est pas un couvent, disent alors les Républiques, mais l'arène des intérêts proprement politiques et fort peu séraphiques des nations pseudo angélisées par des Constitutions platonisées.

Les saintes écritures qui légitiment la piété de la démocratie en ce bas monde sont donc calquées sur le réalisme religieux de la monarchie; et toutes deux demeurent scindées entre le ciel et la terre. Raison de plus, Sire, de défendre les véritables intérêts politiques de la France à l'intérieur de ses frontières; car si votre sceptre devait assister passivement au pourrissement de la justice nationale, comment défendriez-vous le prestige et le rang de la cour des Capétiens sur la scène internationale?

Sire, je vous conseille ardemment de soutenir plus que jamais la vocation première de la monarchie de vos ancêtres, celle de centraliser l'Etat au nom d'une justice que vous appellerez sans cesse à lutter contre le cancer des corporatismes locaux; car le spectacle de la gangrène judiciaire qui frappe maintenant les démocraties de l'Europe entière prend tout son sens sitôt que l'on veut bien quitter en esprit l'enceinte artificielle selon laquelle une pestifération native frapperait tous les pouvoirs exécutifs du monde et cela quelle que soit leur volonté de respecter une haute éthique de la politique.

Mais pour comprendre ce point, il faut que Votre Majesté se souvienne de ce que la malédiction qui frappe le temporel n'est pas d'origine chrétienne pour un maravédis et qu'elle prend sa source dans les excès des derniers empereurs romains. La fatalité du despotisme et de l'iniquité modernes se trouve enracinée dans un sacré d'un type entièrement nouveau, celui que sécrètent désormais les autels que les idolâtres dressent à leurs idéalités verbifiques. Voyez comme il les introduisent en catimini dans les Sorbonne où leurs concepts glorifiés leur enseignent une catéchèse toute scolaire de l'histoire ! Le despotisme monarchique est trépassé, mais la chute des Parquets et des Parquets généraux des Républiques dans les délices et les blandices de leurs féodalités magnifiées en a pris le relais.

8 - Le cheval Incitatus

C'est dans cet esprit, Sire, que je termine cette missive à vous faire connaître les ultimes signes et présages des dangers que court le Royaume de France dans le naufrage de sa double magistrature.

J'ai dit plus haut à Votre Majesté que votre Ministre de la Justice refuse de réprimer les exactions de vos procureurs et de vos procureurs généraux; j'ai informé, Votre Grandeur de ce que beaucoup de causes civiles portées devant les tribunaux d'instance et de grande instance du Royaume reposent sur de faux exploits de vos huissiers. J'ai appris à mon roi que, pour l'instant, son ministère public n'en a cure et que ses sujets demeurent livrés à l'âpreté et à l'avarice des barreaux dont la pléthore encombre les arpents du royaume.

Mais tout cela ne prend tout son sens, Sire, qu'en raison de ce que la basoche n'est pas habilitée à se substituer à la carence de vos procureurs et qu'il lui est interdit de plaider au pénal contre la corruption de vos auxiliaires de justice. C'est pourquoi, Sire, des délinquants groupés en corporations influentes se trouvent investis par la force des choses de l'autorité judiciaire de la monarchie. Il ne suffit pas que vos huissiers soient devenus des malandrins; il est plus dommageable encore à l'Etat que leurs victimes soient ensuite condamnées d'office en justice parce que vos juges civils ont le front d'invoquer leur statut de défenseurs naturels des droits de vos sujets très chrétiens pour reprocher ensuite aux victimes de vos huissiers de n'avoir pas constitué avocat, alors que tout avocat chargé d'une cause pénale se trouverait interdit de la défendre dès lors que non seulement le pénal échappe à la compétence des barreaux en raison même du statut de ces derniers, mais que, de surcroît, vos sujets ne sont pas autorisés à se porter partie civile contre la corruption ou la fraude des huissiers si, par extraordinaire le Parquet tentait d'éradiquer ce fléau de votre monarchie.

Sire, votre sceptre a la charge d'assurer le libre exercice des droits que le peuple français a placés sous la souveraine protection d'une justice de légende, celle de Saint Louis sous son chêne. Protégez le royaume contre l'arbitraire de vos propres agents, hissez la balance de votre Justice au-dessus de votre propre tête et de celle de la monarchie, ne laissez pas vos sujets dans l'incapacité d'ester en justice sitôt que la lubie d'un Parquet soustrait Thémis au premier devoir d'une royauté éclairée, tenez d'une main ferme les rênes d'Incitatus, le cheval fou que Caligula avait nommé Consul.

le 25 mai 2009