Dans sa deuxième
"adresse au roi", mon "paysan du Danube"
reprend les thèmes développés dans sa première
missive et complète
le tableau de l'état de délabrement de la justice
dont toutes les provinces du royaume de France présentent
le spectacle: l'arbitraire des procureurs de la République
et la collusion entre les organes de la machine judiciaire et
les notables locaux ont remplacé le règne du droit
et de la loi en première instance et en appel. La cour
de cassation n'est plus en mesure de répondre à
l'afflux des pourvois et ses arrêts demeurent inappliqués
ou délibérément ignorés dans tous
les fiefs de la monarchie
Je renvoie le lecteur
au texte de présentation de la première missive
de l' "ours mal léché" de Jean
de la Fontaine .
1 - La tyrannie de l'injustice
2
- La soif spirituelle des modernes
3
- Les décombres du temple de la justice
4
- Les geôles du roi Ubu
5
- La marche sur Versailles et le massacre des gardes suisses
6
- Le retour de Lucifer
Deuxième
adresse au roi
1 - La tyrannie de l'injustice
Les malencombres - que Votre Majesté veuille bien consulter le
Littré - tombent comme grêle sur la justice du Royaume. Une odeur
de tyrannie se répand jusque parmi vos courtisans. Vos sujets
les plus ordinaires se piquent de réfléchir au sens des mots de
la politique et du droit et commencent de s'étonner de ce que
le despotisme s'entende en plusieurs sens. Les croyants eux-mêmes
se disent qu'une monarchie dans laquelle Thémis a perdu la tête
est en délicatesse avec le Créateur. Mais si tout Etat dont les
citoyens se débattent dans les rets de l'arbitraire mérite le
nom de tyrannie, les Français sont devenus si savants qu'ils
lèvent le doigt et disent: Distinguo. "Toutes les
tyrannies ne sont pas principalement servies par des juges corrompus.
Un putsch militaire triomphant ne se donne pas d'avance une fausse
justice pour siège et pour assise; un général que la victoire
d'une fraction de la population sur une autre au terme d'une longue
guerre civile a couronné des lauriers d'un souverain n'a pas encore
trouvé le temps de terrasser la justice, même s'il ne manquera
pas d'ajouter cette corde à son arc. En revanche, une révolution
peut brandir les banderoles et les fanions d'une justice populaire
et baptiser la Liberté sur les fonts baptismaux de la Terreur."
Sire,
le genre de tyrannie qui s'est infiltré dans l'appareil judiciaire
de la monarchie et que la République romaine appelait "l'ordre
rationnel des jugements" - la ratio judiciorum - est
tellement difficile à définir que sa pesée en appelle à une balance
inconnue de tous les jurisconsultes que le monde a connus. Je
me propose de la construire pièce par pièce sous vos yeux, mais
je ne suis pas sûr de vous en fournir d'emblée tous les rouages
et les ressorts, parce que le levain de la rébellion contre le
temporel qui lève ou qui fermente en secret dans la masse de vos
sujets n'est autre que celui des retrouvailles de notre temps
avec la haine et le mépris à l'égard de ce bas monde. Cette maladie
a accompagné la ruine de l'empire romain. Elle a peuplé d'anachorètes
le désert de la Thébaïde, rempli couvents et monastères, glorifié
le dégoût pour les affaires de l'Etat et de la nation de centaines
de milliers d'hommes et de femmes pendant un millénaire et demi.
A nouveau, orbus romanus ruit - l'empire romain s'écroule. Mais
où sont passés les ordres monastiques qui permettaient à la royauté
d'hier de repêcher les naufragés de haut rang auxquels la gloire
contrefaite des nations et des empires donnait la nausée? Comment
mêlerez-vous maintenant les eaux sales d'ici bas avec la foi tombée
en déshérence des derniers serviteurs du ciel de vos ancêtres?
Comment les débris de votre justice sur la terre fourniraient-ils
un refuge extra-terrestre aux âmes de feu? La France se cherche
un évangile du droit. Quel est le hosannah du peuple ? Qu'est-il
advenu de la vérité si vos tribunaux ont tué le ciel de la justice?
Sire,
c'est une tyrannie fort nouvelle et encore mal connue de nos historiens
et de nos anthropologues que celle d'un simulacre de justice .
Vos juges ont déclaré la guerre aux orphelins de la sainteté.
C'est une dictature difficile à peser sur les balances rouillées
de Clio que celle du cadavre du droit. Je vous invite à suivre
le convoi mortuaire qui conduit le christianisme et la loi au
même cimetière. Voici la tyrannie du temporel dont le sceptre
se dresse sur le catafalque de l'espérance du monde, voici le
césarisme dont la couronne de gloire célèbre les funérailles de
la loi.
2
- La soif spirituelle des modernes
Afin
de fournir à Votre Majesté un exemple de la soif spirituelle dont
souffrent ceux de vos sujets que votre règne a privés du trésor
de leur rédemption - ils voudraient boire à la fontaine de jouvence
d'une Eglise digne de ce nom, mais leurs efforts demeurent vains
de jamais s'en redonner une telle - je vais vous raconter la triste
histoire d'un otage de la déréliction des modernes, celle d'un
certain Julien Coupat, qui a tenté, à défaut de fleurir l'autel
d'une Thémis que vous avez portée en terre, avait fondé un phalanstère
dans un village de Corrèze, puis publié, aux côtés de quelques
plumes d'apôtres d'une société parfaite, un ouvrage que votre
Ministre de la justice a aussitôt déclaré subversif, mais que
Votre Majesté jugera bien révélateur du désarroi et hélas de l'incohérence
d'esprit fort nouvelle auxquels l'évangélisme réprimé de votre
peuple se voit désormais livré - car il ne se trouve plus bridé
fermement par l'alliance multi séculaire des rênes du ciel romain
avec celles de la monarchie de droit divin.
Savez-vous,
Sire qu'une foi comprimée conduit au rêve du salut par la grâce
de l'utopie? Savez-vous que, dans toute l'Europe qui nous entoure,
les idéalités prometteuses de 1789 se cherchent désespérément
et depuis deux siècles un ancrage sur les arpents asséchés des
nations ? Faute d'institutions hiérarchisées et tenues d'une main
de fer par des catéchismes en acier trempé, les rêves de vos sujets
vagabondent sans guide et sans boussole sur les routes et chemins
pluvieux de votre royaume.
Julien Coupat a tiré des leçons d'anarchie généreuse des premiers
siècles de l'Eglise, quand les saints évangiles annonçaient l'avènement
de la Liberté. Mais, dans le même temps, et à l'instar de l'Eglise
de saint Ambroise, il a armé de griffes acérées les séraphins
de son langage et glorifié des concepts du salut mitonnés par
la grammaire. C'est ainsi qu'il a pourvu les anges de la solide
mâchoire de leurs idéalités, c'est ainsi que les déités sonores
dont il a truffé une mythologie de la délivrance servent d'idoles
verbales au culte du salut dont vos sujets portent le deuil et
qui les laisse tout dépités. Que va-t-il advenir des utopies dotées
des dents de molosse de leurs catéchètes ? Que va-t-il advenir
d'une tyrannie que ses ailes font voleter dans la stratosphère
de la Liberté.
3
- Les décombres du temple de la justice
Mais
voyez, Majesté, combien le scannage intrépide des ciels que sécrète
l'encéphale onirique de notre espèce est devenu indispensable
à la saine instruction de vos magistrats et de vos procureurs
; car vos sujets se sont mis à errer autour de leurs temples désaffectés;
et ils ont commencé de substituer leurs propres verdicts à ceux
de vos tribunaux. Mais si les Français de la rue rendent désormais
la justice plus dévotement que leur Thémis corrompue, ne faudra-t-il
pas que la monarchie offre le refuge d'une Eglise des saints sacrilèges
à la France des piétés perdues?
C'est
ainsi que Julien Coupat ayant été arrêté à potron minet, et cela
fort rudement par vos sbires de la répression musculaire de l'hydre
du Terrorisme, les manifestations publiques des Français se sont
multipliées afin de le libérer par la force au besoin des griffes
de votre justice tout armée de piques et de mousquets; et c'est
le pavé qui a demandé à cor et à cri la libération de ce prophète
d'une justice inspirée par l'apostolat de vos sujets. Mais il
y a pis : à son tour, votre justice est devenue la proie d'un
songe en folie. Savez-vous, Sire, que le Terrorisme, c'est Lucifer
en personne et que l' ubiquité de ce personnage le rend non moins
insaisissable par nature et par définition que les sorcières chevauchant
leur balai? Savez-vous que les essaims d'esprits démoniaques que
l'ange déchu répand dans l'atmosphère traversent les airs du Nord
au Sud et de l'Est à l'Ouest de la France?
Le
Démon nouveau est arrivé. Comment combattre ses farces et attrapes
à coups d'arquebuses? Comment capturer dans les rets de vos tribunaux
les légions serrées du Malin dont les escadrilles affolent les
derniers servants des hosties de votre justice? Dieu avait ficelé
votre monarchie à l'éternité de son ciel ; mais puisque, je le
redis, vous n'avez plus de cloîtres pour accueillir le flot des
cénobites qui se pressent et piétinent aux portes de vos Eglises
désertées, faites du moins, je vous en supplie, des décombres
de votre justice sur la terre de France le dernier habitacle du
droit et de la loi.
4
- Les geôles du roi Ubu
La
plume maladroite de votre paysan du Danube s'épuise à vous dire
que vos sujets assiègent vos tribunaux et qu'ils les trouvent
sevrés de Dieu et des hommes. Sire, le peuple de votre capitale
a si bien houspillé le Parquet de votre capitale qu'il y a fait
l'apprentissage le plus désastreux qui se puisse concevoir de
l' impuissance de l'idée de justice sur cette terre et de la corruption
de votre Ministère public. Il a donc fallu que Julien Coupat publiât
dans le journal le plus illustre de Paris une page entière de
moqueries et de quolibets sur le caractère burlesque de son incarcération
pour que la coupe du ridicule et de l'arbitraire confondus débordât
et que notre moine d'une France idéale fût renvoyé à son phalanstère.
Mais on me dit que je me trompe, on me dit de tous côtés que vos
juges ne l'ont nullement renvoyé dans son couvent, on me dit que
vos juges l'ont assigné à résidence, on me répète que vos juges
lui ont interdit de rencontrer ses frères d'armes. Je me fais
l'écho de la clameur populaire: Sire, vos juges l'ont placé sous
contrôle judiciaire, vos juges l'ont soumis à la contrainte de
pointer au commissariat de son patelin, vos juges l'ont condamné
à verser une caution de seize mille euros pour couvrir les frais
de réparation des dégâts imaginaires qu'il était réputé avoir
occasionnés: il aurait appuyé nuitamment des échelles d'aluminium
ou de bois sur les lignes électriques des chemins de fer et y
aurait suspendu des crochets grâce à la protection miraculeuse
contre les dangers de foudroiement par électrocution que le Démon
du Terrorisme accorde à ses disciples.
5 - La marche sur Versailles
et le massacre des gardes suisses
Sire, le pire pour un peuple nostalgique de ses havres célestes
est de faire, jour après jour, le triste apprentissage de la fausse
justice des hommes sur cette terre et de déambuler, la mine défaite
et l'œil hagard, dans les ruines de feu la France des lois.
Les évènements ont permis à vos sujets de suivre heure par heure
les péripéties de la libération d'un innocent par des magistrats
tout dépités de rendre leur proie. Le juge d'instruction avait
depuis longtemps conclu à l'évidente innocence de l'accusé du
roi Ubu ; mais le Parquet avait fait appel, de sorte que vos sujets
ont pu constater de visu, si je puis dire, la vassalité apeurée
de vos magistrats de seconde instance - celle que j'ai soulignée
dans ma lettre précédente à Votre Majesté
Le paysan du Danube
et le roi de France, 25 mai 2009
mais
que la Cour européenne de justice avait dénoncée depuis longtemps
et avec l'éclat que vous savez. Pis que cela : par quatre fois,
la liberté de Julien Coupat a été demandée par son avocate et,
par quatre fois, le Parquet a fait appel à une cour de coquins
et de faquins.
Mais
puisque l'indignation de vos sujets risquait de se tourner en
fureur et qu'elle avait été relayée par la presse la plus officielle
de votre Royaume, quelle farce pour la monarchie que de recourir
à un nouvel et long interrogatoire de l'accusé à seule fin de
donner le change à votre couronne, quel ridicule qu'une capitulation
forcée de votre trône, quelle comédie d'annoncer au public que
le Parquet de l'Etat de droit "renonçait" enfin à faire
appel, tellement il était devenu évident, aux yeux de toute la
population, que si la Place Vendôme avait cru bon de prolonger
les simulacres et simagrées d'une Thémis livrée à votre Ministère
de l'Intérieur, vos juges de cour auraient obtempéré une cinquième
fois d'affilée.
Sire, je fais appel à votre sagesse et à celle de votre dynastie
pour arracher la monarchie à la sottise de vos procureurs. Sinon,
craignez que vos sujets ne deviennent de fins connaisseurs des
procédures gesticulatoires de la justice de la France. D'ores
et déjà, je vois des juges en herbe arpenter le pavé de Paris,
d'ores et déjà, je vois des citoyens nantis de l'autorité et du
pouvoir d'agir de l'extérieur sur vos tribunaux et sur vos cours
d'appel marcher sur Versailles.
6
- Le retour de Lucifer
Progressons
encore de quelques pas, Sire, dans l'analyse du type de tyrannie
qu'enfante une justice dont nos latiniste du Danube m'ont enseigné
que Cicéron l'accusait de répandre certum odorem dictaturae,
une forte odeur de dictature. Votre Majesté remarquera
qu'aux yeux de vos plus illustres jurisconsultes, l'orateur romain
mettait l'accent sur les parfums et qu'il insistait sur le pouvoir
despotique qu'exercent tour à tour les bonnes et les mauvaises
senteurs de la politique, parce qu'il savait que les tyrannies
reposent moins sur le tranchant des glaives dégainés , qui ne
peuvent étinceler partout, que sur la capacité de ll'organe
nasal des citoyens de les flairer.
Sire, il me semble que ma supplique précédente à Votre Majesté
mérite d'autant plus la grâce de votre détection de l'encens
de la pestilence de la monarchie que le paysage de la France s'est
dédoublé au point de présenter désormais deux versants convergents
de la puanteur de César partout répandue. D'un côté, votre justice
d'un train de sénateur se provincialise de jour en jour et sur
tout le territoire du Royaume sous l'égide ou la férule de l'arbitraire
de vos procureurs et de vos procureurs généraux. Il en résulte
que les corporatismes locaux retrouvent toute la malodorance qu'ils
répandaient au Moyen Age. De l'autre, le cœur du royaume est rongé
par une maladie nauséabonde, celle de la centralisation militarisée
d'un appareil de la justice livré à des guerriers armés de pied
en cape. C'est que votre police porte le heaume d'une croisade
contre l'hydre de l'Herne du Terrorisme.
Il
en résulte un double retour aux ténèbres du Moyen Age, l'un fondé
sur la dislocation du royaume par la municipalisation accélérée
de vos tribunaux, l'autre d'origine satanique. Sire le Terrorisme
est devenu un instrument aux mains de vos spécialiste du
pif du Diable. Cette théologie est contagieuse. Car si
le vieil esprit de sorcellerie qu'illustre le mythe du Terrorisme
mondial prend maintenant sa source dans la capitale même des cerveaux
et si les maléfices de Lucifer s'alimentent du soutien du trône
et de l'autel, que va-t-il advenir d'une civilisation dont l'esprit
magique trouvera sa source à Versailles?
Sire, la folie de votre fausse justice étend son réseau à l' écoute
des chefferies qui se déchirent à la cour. Mais voyez comme il
est indispensable que vous redonniez à vos sujets un temple du
droit purifié de ses hérésies; car si le christianisme que vous
avez hérité de vos pères ne nourrit plus la foi des orphelins
de la Liberté et si votre dynastie ne donne plus à la justice
d'ici bas un temple et des prêtres dignes de votre ascendance,
c'est le royaume qui fera naufrage, tellement le cœur de l'Etat
et celui de la politique a toujours été le ciel commun à la nation
et à l'esprit de justice. .
le
15 juin 2009