Rappel du 4 février 2008
Les
épisodes précédents étaient présentés par l'introduction ci-après
:
Réhabiliter
les mythes religieux dans
la République et légitimer les chefferies locales ne fait pas
une " politique de civilisation ". Une radiographie sociologique
de la justice française est devenue nécessaire afin que la philosophie
retrouve sa vocation naturelle de tribunal international de la
raison politique.
J'ai demandé à l'histoire
de la littérature française de me prêter main-forte. Depuis les
Rabelais, les Montaigne, les Racine, les Voltaire, elle décrit
les désastres auxquels une fausse justice livre les cités. Aujourd'hui,
Thémis cingle toutes voiles dehors vers ses retrouvailles avec
l'esprit du trône et de l'autel. En ce temps-là, juges et procureurs
se trouvaient livrés pieds et poings liés à la solidarité de caste
de la noblesse locale ; puis, à partir de Louis XIV, la bourgeoisie
montante avait commencé de rivaliser avec l'aristocratie. Actuellement,
les Présidents des tribunaux et les Parquets se voient contraints
de céder au " préjugé notabiliaire " dont les barreaux locaux,
même devenus faméliques, demeurent les focalisateurs. Aussi beaucoup
de serviteurs de Thémis manifestent-ils ouvertement leur collusion
ou leur complicité avec les hommes de robe.
Examinons de plus
près les chemins de la logique interne au social qui ont conduit
de la décentralisation administrative à la municipalisation de
la justice française. J'invite le lecteur à peser les civilisations
sur la balance précieuse - fiction ou réalité?- d'un Tribunal
de grande Instance et d'un Parquet menacés de servir de jouets
entre les mains d'un huissier dont la corruption les aura pris
en otage.
Suite du 11 février
2008
Une autorité judiciaire
habilitée à citer des Etats démocratiques à comparaître devant
elle tire sa légitimité politique et juridique de la démonstration
de l'inconstitutionnalité d'une disposition pénale ou civile incluse
dans la législation de l'Etat incriminé, mais aussi d'une philosophie
de l'idée de justice en avance sur son temps - ce qui branche
le cas exposé sur le "Connais-toi" socratique.
*
1
- Suite des aventures judiciaires de M. Lambda
2
- La Cour européenne de Justice
3
- L'échelle de Jacob des civilisations
4
- La démocratie et l'Etat
5
- Le tribunal de la pensée
6
- Une loi inquisitoriale
7
- Un faux fondé sur un miracle
8
- Retour à Socrate
9
- L'école du sacrilège
10
- Le renversement de la charge de la preuve
11
- Le réquisitoire de la pensée
12
- La question du courage de la justice
13
- La Cour de justice de l'Europe et la politique
*
1
- Suite des aventures judiciaires de M. Lambda
Le conte
que j'ai mis sur le net la semaine dernière et que j'avais intitulé
Où
la justice française va-t-elle. Lettre ouverte à un Président
de Tribunal de grande instance a
rencontré un écho tellement inattendu qu'il a été spontanément
diffusé par de nombreux portails qui n'avaient pas encore accueilli
la réflexion anthropologique sur la géopolitique à laquelle je
me livre sur ce site depuis 2001 et notamment par Penser
la France , qui en a reproduit in extenso l'exposé introductif.
Pourquoi
un tel retentissement ? Serait-ce pour le motif que je racontais
l'exploit peu banal d'un simple huissier de justice dont la puissante
corporation était parvenue à prendre en otage et à soumettre à
sa loi un Tribunal de grande Instance et un Parquet de la République
? Sans doute ; mais je crois plutôt que les internautes ont remarqué
que, pour la première fois en France, une paralysie semi maffieuse
de l'appareil de la justice civile par la volonté de notables
locaux ardemment soutenus par un Ministère public complice de
leur influence politique a permis à internet d'opposer une réflexion
citoyenne à l'arbitraire d'un Etat coupable d'interdire à un citoyen
français l'accès à la justice de son pays.
Du coup,
le modeste avocat de la philosophie politique qui signe ces lignes
a pu se faire le défenseur de la victime devant une fraction de
plus en plus nombreuse de Français à l'écoute des forces vives
de la nation sur Internet. J'avais prévu cette évolution d'une
jeunesse intellectuelle d'avant-garde dès octobre 2001 .
-
Internet et la nouvelle élite intellectuelle mondiale,
31 mars 2002
- texte
qu'on trouvera également dans le premier numéro de Mercure
(décembre 2007) , revue dont la vocation clairement annoncée est
de se consacrer entièrement à l'analyse critique des relations
qu'une télévision domestiquée par l'Etat est appelée à entretenir
avec l'opinion publique dans les années agitées et frondeuses
qui s'annoncent à la France de Voltaire ressuscitée.
2
- La Cour européenne de Justice
Le procès
intenté à M. Lambda se distingue de celui dont les accusés d'Outreau
ont été les victimes en ce qu'il demeure d'autant plus microscopique
et sans intérêt dans l'ordre temporel qu'il se révèle titanesque
à titre paradigmatique et symbolique ; car il soulève la question
des relations pacifiées ou tumultueuses du Ministère publique
avec la justice civile au cœur des démocraties européennes placées
sous le joug des garnisons d'un empire lointain depuis plus de
soixante ans. Du coup, l'apparition d'une classe de notables
locaux sur le point de se rendre maîtres de l'Etat de droit et
de tout l'appareil de la justice française soulève un problème
anthropologique au cœur du politique ; car cette caste demeurera
évidemment bien incapable par nature de jamais armer l'Europe
du souffle politique qui lui redonnerait un destin dans l'histoire
et qui permettrait à la France de retrouver sa vocation mondiale
.
On sait
que les relations du Ministère public avec la justice civile ont
écrit l'histoire des libertés publiques, puisqu'elles servent
de critère à la distinction entre les régimes tyranniques et les
démocraties. Tout despotisme , mais surtout celui de la petitesse,
commence par s'emparer de l'appareil de la justice tant civile
que pénale ; et, pour cela, il s'applique à les diriger en tandem,
tantôt ouvertement, tantôt subrepticement, mais toujours par le
relais des Parquets qu'il aura placés sous son joug ou rendus
complaisants à ses vœux. Mais dans une civilisation européenne
qui court vers le microscopique sous le bouclier inutile de l'OTAN,
il devient hautement symbolique , donc d'autant plus signifiant,
qu'en l'espèce, le Parquet dont dépend M. Lambda s'insurge contre
les lois de la physique et demande aux eaux du jardin de mon client
de sauter par-dessus un remblai.
Le litige
que j'ai plaidé en première instance sur ce site il y a quelques
jours va maintenant prendre tout son sens politique et toute
sa portée juridique, puisque je vais le plaider de ce pas
devant la Cour européenne de Justice, ce qui me permettra d'interroger
cette haute instance sur sa philosophie du droit ; car seule l'autorité
suprême de cette cour se trouve habilitée à faire comparaître
les Etats démocratiques du Vieux Monde devant elle et à les condamner
au nom d'une justice dont la définition se rapproche sans cesse
davantage de celle de Socrate , tellement la vocation naturelle
de la philosophie est de se constituer en tribunal international
de la raison politique. Quelle est non seulement la mission ,
mais l'apostolat supranational qui inspire la jurisprudence de
la Cour européenne ? Comment la France des "armes et des lois"
va-t-elle plaider contre sa propre législation devant le Tribunal
du ciel des démocraties ? Que dit le législateur d'une civilisation
appelée à sceller l'alliance des Etats modernes avec la philosophie
de la justice à laquelle Socrate fait appel du fond de l'Hadès
depuis vingt-quatre siècles ? Voici donc la plaidoirie que je
vais prononcer.
3
- L'échelle de Jacob des civilisations
" Sans doute
la Cour s'étonnera-t-elle de ce que le Ministère public de la
Vème République illustre désormais, du moins en province, une
complicité de plus en plus ardente de l'Etat avec des barreaux
locaux en panne de procès gros et gras et devenus ardents à remplir
leur gibecière de litiges fabriqués de toutes pièces. Certes,
le procès d'Outreau avait illustré les exploits d'un Parquet en
proie à une psychose collective, celle d'une chasse aux sorcières
que l'on croyait oubliée depuis deux siècles , ce qui avait conduit
le Ministère public à poursuivre d'honnêtes citoyens aux assises.
Cette fois-ci, un Ministère public soucieux, tout au contraire,
de défendre les privilèges d'une caste de notables locaux apporte
son soutien à des avocats nécessiteux et les aide à remplir leur
havresac du gibier de procès tout imaginaires que des huissiers
de justice corrompus leur fournissent en abondance . Quels sont
les revenus de ce commerce ? Sa prospérité résulte-t-elle d'un
riche marché? Dans ce cas , ce ne serait pas seulement le système
judiciaire de mon pays qui se trouverait menacé dans ses fondements,
mais l'existence même d'une République que la défense des droits
de l'homme et du citoyen légitimait depuis 1789 .
" Cette
cause appelle donc la Cour à une réflexion anthropologique approfondie
sur la nature de la justice humaine. Il lui faudra passer derrière
les miroirs qu'on appelle des Etats. Mais il se trouve que
ceux-ci sont à l'image du genre humain , puisqu'ils se montrent
divisés, comme nous tous, entre Blanche Neige et la fée Carabosse.
La République de Platon, celle de l'île d'Utopie de Thomas More
ou encore celle de feu le " paradis soviétique " du prophète Karl
Marx ne s'élèvaient-elles pas dans le ciel des idéalités censées
les définir ? Ces anges ne font-ils pas un violent contraste avec
la fausse justice qui leur sert de bâts? Où l'appareil judiciaire
de la France se situe-t-il sur l'échelle de Jacob des civilisations
?
" Je vous
demande d'aider mon pays à répondre à cette question de fond ,
parce que la Cour européenne de Justice occupe une place nouvelle
dans le destin du droit international public, donc dans l'histoire
de l'esprit. D'un côté , elle a vocation de citer tous les Etats
pourtant qualifiés de démocratiques du Vieux Continent à comparaître
en accusés devant elle, de l'autre, elle autorise de simples citoyens
à se dresser en procureurs sur la scène internationale et à mettre
la nation à laquelle ils appartiennent en accusation dans l'enceinte
de la conscience universelle . Aucune civilisation du passé n'avait
accordé de telles prérogatives à la personne humaine . Mais la
définition même de la justice dont s'inspire la cour se trouve
fécondée par l'histoire de la pensée occidentale depuis la naissance
à Athènes du régime démocratique , il y a vingt-quatre siècles
, puisque les arrêts sans appel de votre haute instance portent
tous, en réalité, sur l'aporie centrale que la vie politique de
l'humanité rencontre sur son chemin, celle des relations biseautées
que tous les Etats du monde sont contraints d'entretenir avec
leur justice tant civile que pénale s'ils entendent entrer ou
sortir de l'arène des peuples civilisés .
" A ce
titre, non seulement la Cour se présente en juge de la conscience
universelle de notre temps, mais ses décisions portent toujours
sur le point le plus névralgique de l'histoire du monde, celui
de la pesée de l'idée de justice. C'est dire que la vocation
en quelque sorte spirituelle de votre tribunal vous contraint
également à réfléchir sur les relations que les démocraties modernes
entretiennent avec l'histoire entière du monde. La cour de justice
de notre Continent est donc devenue rien de moins que l'instance
suprême où l'homme d'Etat moderne est invité à peser l'idée que
son pays se fait de la justice. Le fait-elle sur la balance d'un
"Connais-toi" socratique retrouvé et approfondi ? Ce retour
aux origines athéniennes de la réflexion sur la justice européenne
scelle l'unité intellectuelle et éthique de la civilisation de
la liberté politique sur laquelle la Cour a fondé toute sa jurisprudence
et continue de la fonder .
" Messieurs
les juges de l'esprit de justice d'un Continent, vais-je donc
plaider contre la France devant vous ou, tout au contraire, mon
devoir est-il de rappeler à la haute instance devant laquelle
notre civilisation se donne à peser que tous les peuples qui composent
l'Europe sont les inventeurs d'une balance de la justice fondée
sur la victoire de l'autorité du droit écrit sur celle du droit
coutumier? Loin de comparaître en pénitent devant la Cour, je
viens chercher auprès d'elle la plus haute légitimation de l'idée
de justice dont la civilisation française s'est armée. Qui arbore
le sceptre de la justice dans ce prétoire ? Qui a donné ce sceptre
à la Cour, sinon la France de Montaigne et de Descartes, l'Allemagne
de Kant et de Nietzsche, la Grèce de Platon, le Danemark de Kierkegaard,
l'Angleterre de Shakespeare et de Swift, l'Espagne de Cervantès
et de Quevedo ? C'est une situation réconfortante, pour un avocat
de l'idée de justice, de demander à l'Europe de juger la France
de la justice, alors que la cour a appris la justice à l'école
du génie de la France . Mais c'est l'honneur de la Cour européenne
de porter sa jurisprudence à la hauteur où chacun des Etats qui
composent le Vieux Continent a rêvé de la porter. Les nations
qui comparaissent devant vous sont les Sisyphe appelés à plaider
devant vous pour la sauvegarde du trésor qu'elles vous ont apporté.
4
- La démocratie et l'Etat
" Voici
donc les faits de la cause : un huissier de justice français ayant
pris en otage un Tribunal de grande Instance de province avec
la complicité du Parquet de son for, la France évitera-t-elle,
avec le secours de la Cour, la disqualification de son Etat aux
yeux du droit international ? Votre instance place les plus hautes
institutions de la République, y compris l'Elysée, sous la tutelle
d'un tribunal planétaire de la justice devant lequel les avocats
habilités à plaider se présentent nécessairement en philosophes
du droit , puisque l'universalité de leur dialectique doit transcender
l'argumentation des législations locales des gouvernements et
des Etats . En un mot comme en cent, quelle est la nature de
l'autorité supérieure à celle des lois territoriales sur laquelle
la Cour fonde sa définition de l'éthique de la justice mondiale?
Qu'enseigne d'ores et déjà votre jurisprudence sur ce point?
" Ceci :
depuis 1789, le sceptre du peuple souverain se trouve entre les
mains non point de la magistrature debout, qui incarne, sous tous
les régimes, l'état de dépendance du Ministère public à l'égard
de l'Etat de l'endroit , mais entre les mains de la magistrature
assise. Comme il se trouve que tout Etat se voit menacé par la
tentation de céder à l'arbitraire que sa puissance lui inspire,
la justice civile est le garant naturel du rêve de la cité idéale
de Platon au sein des démocraties . Le point de droit qu'il vous
appartient de trancher est donc de préciser à quel moment un Parquet
bafoue le concept de démocratie s'il intervient dans une procédure
civile au nom de l'Etat dont il se veut le serviteur. Qu'en est-il
d'une démocratie dans laquelle la complicité du Parquet avec l'auteur
d'un délit interdira, en fait, à l'une des parties au procès de
constituer avocat et de plaider sa cause, faute que le droit civil
l'autorise à démontrer au Tribunal le délit d'un huissier face
à un Parquet volontairement aveugle, muet et sourd ?
" Certes,
les Parquets de l'île d'Utopie que toutes les démocraties rêvent
d'incarner se veulent, eux aussi, les instruments et les serviteurs
du peuple des droits de l'homme et du citoyen, puisque la Constitution
est le creuset de l'évangile dont les deux corps de magistrats
se réclament ; mais comment les porte-parole du pouvoir exécutif
issus d'un suffrage universel réputé infaillible, donc vaticanesque
à son tour, ne seraient-ils pas plus déchirés en leur for intérieur
que les magistrats du siège, qui demeurent solitaires sous le
joug des Etats et qui oscillent entre leur écoute de la voix des
peuples devenus les oracles souverains de la Liberté sur les cinq
continents d'une part et leur soumission à des gouvernements de
passage qui sollicitent leurs faveurs ou leur imposent leurs verdicts?
C'est pourquoi ma plaidoirie témoigne de ma confiance en la mission
d'une haute Cour dont la boussole montre le nord à une République
française semi idéale , comme toutes les démocraties, et dont
les droits en quelque sorte spirituels se trouvent lésés par un
Parquet qui en trahit les idéaux . Le gouvernement français se
rendra-t-il coupable de forfaiture s'il refuse de sanctionner
un Parquet soucieux , de son côté, de protéger les corporatismes
locaux , notamment celui les barreaux de province , dont les privilèges
ébranlent désormais la démocratie au cœur de l'appareil de la
justice, du fait que le préjugé notabiliaire a progressivement
remplacé le préjugé nobiliaire antérieur à la Révolution de 1789
? Mais un Etat peut-il se trouver accusé de forfaiture ? Peut-il
exister un Tribunal dont les arrêts seraient ceux du ciel de la
justice ?
5
- Le tribunal de la pensée
" A l'heure
où les Parquets français en viennent à entraver le cours des procédures
civiles; à l'heure où leur refus d'instruire une plainte au pénal
prive l'une des parties au procès de la capacité d'ester réellement
en justice , faute qu'un avocat local soit disposé à démontrer
un délit devant un Ministère public oublieux des devoirs de sa
charge ; à l'heure où l'instruction de la plainte que mon client
a déposée au Parquet conduirait à l'extinction pure et simple
de la procédure diligentée par le demandeur au civil, puisque
celui-ci prétend valider un faux en écritures publiques avec la
complicité de l'Etat, comment les Présidents des Tribunaux de
grande Instance de la France disposeraient-ils du pouvoir de courir
au secours de l'Etat de droit et de l'esprit de justice des démocraties
qu'ils sont censés représenter et qu'ils voient menacées jusque
dans leurs fondements par le Ministère public ? C'est donc le
cœur de toutes les tyrannies que vous voyez battre en France aujourd'hui
. Mais c'est le génie de l'esprit de justice de la France de
1789 qui inspire l'universalité de votre vocation et qui a donné
son écho international à votre jurisprudence, c'est la France
des droits de l'homme qui vous appelle au secours du trésor qu'elle
vous a légué et dont vous gérez l'héritage.
" La Cour
ne se laissera donc pas arrêter sur le chemin de sa réflexion
sur la justice par la minusculité et le ridicule du litige entièrement
fictif censé opposer deux propriétaires terriens dont l'un s'est
armé d'un faux en écritures publiques avec la complicité d'un
Parquet de la République. Souvenez-vous de l' adage : " Petite
cause, grands effets " : l'histoire universelle ne présente-t-elle
pas de nombreux exemples d'un quarteron de conjurés dont l'entêtement
s'est appliqué à changer une broutille en un tonneau de poudre
et qui se sont fait exploser avec leur engin ? Vous ne vous arrêterez
pas non plus à la maladresse d'un huissier qui constate un miracle
- celui du bond de l'eau d'une rigole par-dessus un talus d'une
hauteur d'un demi mètre. Car ce qui importe, c'est que votre justice
donne une haute leçon de droit à un Etat qui disqualifie son appareil
judiciaire tout entier à remplir le sac à malices d'un avocat
local. Il y faut une méditation sur la nature secrète des Etats
démocratiques .
6
- Une loi inquisitoriale
" Car
l'inconstitutionnalité du refus du Parquet d'instruire la plainte
de M. Lambda repose sur l'inconstitutionnalité de la loi du 5
mars 2007 votée par un Parlement français qui a promulgué qu'un
Parquet n'aura plus à prononcer un non-lieu : il lui suffira de
s'abstenir d'engager une procédure pénale afin d'instruire une
plainte . Après un silence matois et moqueur de trois mois de
l'Etat , le non-lieu sera censé avoir été dûment couché par écrit
. De plus, pendant ce délai, le plaignant ne pourra se porter
partie civile au procès , de sorte que seule la procédure engagée
au civil se poursuivra. Cette loi est donc inconstitutionnelle
au motif qu'elle conduit nécessairement à des situations juridiquement
illogiques et même incohérentes. En effet, pendant les trois mois
d'attente passive d'un non-lieu masqué et honteux, puisque tacite,
le défendeur se trouvera interdit de démontrer le délit qui fonde
l'action du demandeur, ce qui permettra au tribunal de se boucher
les oreilles et de poursuivre aveuglément la procédure au civil
. Ira-t-il jusqu'à condamner le citoyen Lambda en raison du refus
de l'Etat de lui accorder un accès réel à l'appareil de la justice
de son pays ?
" Mais,
de plus, la loi se garde bien de préciser quels seront les délits
que le Parquet pourra purement et simplement refuser d'instruire.
Je suppose qu'il lui sera difficile de mettre sous son coude une
dénonciation de meurtre. En revanche, cette loi est précisément
conçue à ravir pour renforcer les corporatismes notabiliaires
locaux et leurs moyens de pression sur les Parquets, puisque le
Procureur pourra, à leur demande, s'offrir le plus légalement
du monde le luxe de laisser un huissier de justice , donc un acteur
assermenté de la justice française , rédiger de faux constats
, et cela sans qu'il coure le risque de se trouver inquiété le
moins du monde au pénal - ce qui explique que le Parquet ait répété
à mon client que l'affaire était civile et le resterait du seul
fait que le barreau local avait souverainement pris cette décision.
Or, une loi qui abroge le principe selon lequel le pénal tient
le civil en l'état et qui permet au Ministère public d'un Etat
démocratique de confiner artificiellement dans l'enceinte du civil
des procès pénaux par nature et par définition, un tel Parquet
interdit, en réalité, au défendeur, tout accès réel à l'appareil
de la justice.
7
- Un faux fondé sur un miracle
" Mais
de plus, cette loi est totalement incohérente, parce qu'après
le prononcé d'un non-lieu tacite par le Parquet, il est ridicule
d'accorder à M. Lambda le droit tardif et illusoire de se porter
partie civile face à un Parquet qui se croisera les bras et regardera
d'un œil moqueur le pauvre avocat du défendeur engagé à démontrer
vainement un délit dont l'Etat aura écarté l'examen d'un revers
de main.
" Mais
l'incohérence à laquelle conduit l'inconstitutionnalité de la
loi va plus loin encore et confine au grotesque juridique si l'on
songe que la cause repose entièrement sur un constat tout imaginaire
et que M. Lambda devra donc commencer par confesser, la tête sur
le billot et les mains liées dans le dos, la validité, la rectitude
et l'honnêteté du faux constat , ainsi que l'existence d'un dommage
réel, faute de quoi il ne saurait se trouver autorisé à faire
plaider sa cause devant la justice de la France. Quels seront
les moyens du Parquet de ce nouveau Saint-Office qui réduiront
mon client à cette extrémité ? Rien d'autre que la loi fort ancienne
qui édicte que le défaut de constitution d'un avocat entraîne
automatiquement le prononcé du jugement sur les seules allégations
du demandeur. Mais qu'est-ce donc qu'un tribunal inquisitorial,
sinon une instance devant laquelle une orthodoxie interdit de
prouver que la terre est ronde et qu'elle tourne autour du soleil
?
" C'est
pourquoi je demande à la Cour de déclarer inconstitutionnelle
la loi théologale du 5 mars 2007 au motif qu'elle a étendu l'arbitraire
d'une justice d'Etat d'esprit doctrinal jusqu'à anéantir toute
possibilité à mon petit Galilée local de faire connaître au tribunal
la véritable nature de la cause - à savoir que des eaux, quelle
que soit leur nature et leur provenance, ne sauraient davantage
inverser leur cours et gravir une pente que des sorcières chevaucher
leur balai.
8
- Retour à Socrate
"Mais
il y a pis : tout procès inquisitorial est fondé sur des verdicts
sans appel, du seul fait qu'une orthodoxie ne saurait permettre
de démontrer la pertinence d'une proposition qui ne sera jamais
réfutée en tant que telle , mais seulement par le caractère sacrilège
du refus des hérétiques de l'admettre pour vraie
. Or, la République n'a pas aboli la procédure en appel, de
sorte que le jugement rendu par un tribunal coupable d'avoir interdit
au défendeur d'apporter la preuve du délit d'un huissier mettra
les juges de la cour d'appel devant un choix cornélien : ou bien
ils tenteront de réfuter la loi du 5 mars 2007 , ce qui leur est
interdit par la Constitution, ou bien ils la légitimeront contraints
et forcés, et la République retrouvera le délit de proférer des
faits interdits de profération et d'examen , ce qui ramènera la
France au Moyen-Age . Car un Etat rationnel n'a nul besoin d'interdire
l'allégation selon laquelle deux et deux feraient cinq, tellement
la vérité n'en appelle pas à la protection ridicule d'une censure
doctrinale pour s'imposer à la science .
" Certes,
la Cour n'ignore pas que les démocraties européennes sont, en
réalité , entièrement livrées à l'arbitraire des Etats , puisque
plus de quatre-vingt-dix pour cent des plaintes au pénal font
l'objet d'un non-lieu aussi souverain et immotivé que les lettres
de cachet ; et il est évidemment inconstitutionnel, dans une civilisation
fondée sur le droit écrit depuis les Romains, de rendre des décisions
de justice massivement unilatérales et non argumentées. Mais l'heure
n'est pas venue de soulever ce débat devant la Cour. En revanche,
quand le refus pur et simple du Ministère public d'un Etat laïc
d'instruire une plainte au pénal conduit le civil à l'absurdité
et au chaos d'une théologie des sacrilèges, je fais confiance
à la Cour pour rappeler au législateur cartésien que la sous-conversation
qui constitue la substance de la cause ne l'autorise pas à violer
la logique interne d'une science juridique que le droit romain
avait élevée au rang d'une discipline de la raison.
" Mais
vous remarquerez que seul Socrate dispose des armes réelles d'une
logique juridique fondée sur le crime de lèse-majesté né du "Connais-toi"
et qui permet à la raison universelle de plaider au fond la cause
de M. Lamda devant vous . Car si le législateur n'avait pas élevé
la race impie des buveurs de la ciguë des profanations au rang
suprême de la civilisation européenne, aucune dialectique ne serait
en mesure de rendre compte en droit de la portée et du poids anthropologiques
de la procédure engagée contre mon client . Pourquoi cela, sinon
parce que la loi arbitraire et inconstitutionnelle que vous rejetterez
ne se trouvera définitivement réfutée en tous ses articles que
devant un tribunal de philosophes que notre époque a commencé
de constituer depuis un siècle et demi environ. Car la science
anthropologique moderne s'approche à pas de loup de la question
de la dichotomie cérébrale qui fait du simianthrope un animal
illogique.
" Encore
une fois, Messieurs les juges, ne laissez pas un instant détourner
votre haute attention de l'enjeu universel dont cette cause n'est
que le porte-manteau ou le déguisement ; et souvenez-vous de ce
que l'ironie socratique a fait débarquer le rire dans l'histoire
.
9
- L'école du sacrilège
" C'est
parce que le comique est le survêtement du tragique du monde que
les vérités profondes trouvent leur assise dans le symbolique
. Si la faute imaginaire que mon client n'était pas symbolique,
s'il ne se voyait pas sommé de réparer à ses dépens un dommage
symbolique, s'il n'était pas symbolique que M. Lambda se trouve
empêché par le Parquet de son for de plaider réellement sa cause
devant un Tribunal de son pays, si la faute de déverser des eaux
usées dans le pré du voisin, née de la plume d'un huissier coupable
de faux en écritures publiques n'était pas symbolique, si cette
faute figurée ne se plaçait pas au cœur de la politique et de
l'histoire des signes et des symboles, comment la Cour européenne
que l'ironie socratique de ses arrêts rendra symbolique à son
tour serait-elle légitimée à condamner la France terrestre au
nom du Descartes symbolique qu'elle demeure à elle-même et auquel
elle ne saurait se montrer infidèle sans se trahir autant qu'elle
vous trahirait ?
" Car enfin,
que fait le genre simiohumain tout entier depuis qu'il s'est tout
symboliquement évadé de la zoologie, sinon de tenter de déverser
ses eaux usées en direction des empires infernaux? Toutes les
théologies stockent les péchés du monde sous la terre afin de
faciliter l'ascension figurée de l'humanité dans les vapeurs de
son éternité. Mais ce n'est pas le lieu d'approfondir ce débat
sur le statut anthropologique du symbolique . Les philosophes
ne sont habilités à plaider devant Cour européenne de Justice
que dans la mesure nécessaire à l'éclairage socratique du cerveau
schizoïde qui scinde l'humanité entre le réel et le signe. Or,
en France, les présidents des tribunaux n'ont pas encore suffisamment
passé par l'apprentissage du symbolique pour savoir que, depuis
Cicéron , la science du droit et la philosophie ont scellé une
sainte alliance entre leurs génies respectifs, puisque la santé
des Etats et celle des lois renvoie à la santé des esprits.
C'est pourquoi mon client m'a chargé de plaider devant vous la
cause la plus symbolique : ce seraient les eaux usées de la
justice française , dit-il, qui s'écouleraient dans son pré.
"Comment
justifier cette argumentation, sinon en vous rappelant que la
Cour européenne de Justice est fondée sur un extraordinaire renversement
de la charge de la preuve et que ce renversement est hautement
symbolique à son tour, puisque ce sont les Etats qui font figure
d'accusés devant elle et qu'il leur appartient de réfuter des
particuliers qui les apostrophent rudement en ce prétoire et qui
leur disent : " Qu'avez-vous fait du drapeau de mon pays ? Qu'avez-vous
fait du blason de ma patrie? Qu'avez-vous fait de l'idée de civilisation
dont l'Europe est le symbole ? Qu'avez-vous fait de la France
qui porte le flambeau des médiateurs, des messagers et des apôtres
de l'intelligence de l'humanité ?
10
- Le renversement de la charge de la preuve
" Or la
philosophie occidentale repose tout entière sur le même renversement
symbolique de la charge de la preuve que celui qui a permis à
la Cour de bouleverser toute la jurisprudence des Etats. Accusé
de corrompre la jeunesse, Socrate retourne l'accusation contre
le procureur Mélétos, auquel il démontre froidement que l' éthique
de l'Etat athénien conduit les Athéniens à la ruine, Diogène,
fils d'un faux monnayeur, dénonce, lui aussi, à l'école de votre
Cour de justice, l'infamie de la fausse monnaie que frappent la
politique et l'histoire du monde, Aristote supplie à vos côtés
l'idée pure de Platon de revenir habiter un monde dont son maître
spirituel l'avait délogée, Descartes voudrait, comme la Cour,
que la raison scientifique se donnât le sens commun pour demeure,
Marx refuse, comme vous qu'une " main invisible
", celle du marché , pilote l'économie mondiale et , aujourd'hui
encore, il vous demande qui fait mouvoir cette main artificielle
; comme vous, Hume examine à la loupe l'idée pure de cause qu'enfante
la causalité causative des scolastiques et découvre primo,
que la voix de cette idole verbale n'enfante pas la rationalité
du monde, secundo, qu'elle ne se cache nullement dans le
cosmos, tertio, que ce vocable plein d'enflure ne rend
nullement intelligible l'univers, parce qu'il se cache en quelque
recoin des circonvolutions du cerveau demeuré semi animal du genre
simiohumain. Vous aussi, vous rendez la justice à l'école de la
démythification de la fausse justice que tous les philosophes
vous ont enseignée; car vous êtes placés pour en observer les
ressorts comme les philosophes observent les rouages de l'encéphale
de l'humanité.
" C'est
pourquoi, Messieurs les juges d'une Cour devant laquelle l'Europe
des juriste et celle de Socrate pèsent ensemble la conque cérébrale
de notre espèce, l'examen de la question de la nature symbolique
des eaux usées de ce monde exige maintenant un exposé de sa provenance
métaphorique; car vous savez bien que le philosophe est un humoriste
de la pensée auquel les eaux usées et les stations d'épuration
des peuples et des nations livrent les secrets de l'histoire et
de la politique. Depuis que les autels ont trépassé, qui tient
le sceptre du symbolique entre ses mains, sinon l'homme qui a
fait de la ciguë le vin de l'intelligence ? Et voyez comme l'ironie
socratique élève le drame de l'histoire au symbolique: les deux
plus grands chefs-d'œuvre de l'ironie philosophique ne sont-ils
pas un Don Quichotte et des Voyages de Gulliver
dont la portée symbolique élève l'un l'illusion, l'autre la sottise
au rire du tragique? Car le tragique est rieur au plus secret
du génie humain, le tragique rit au plus profond des sacrilèges
des prophètes . Je demande à la Cour de replacer la France sous
le sceptre du symbolique
11
- Le réquisitoire de la pensée
" Du haut
de l'ironie dont elle a fait sa potence, la philosophie prononce
le réquisitoire des signes de l'esprit qui retournera la charge
de la preuve contre un Procureur français et qui lui demandera
si l'arbitraire de l'Etat qu'il prétend incarner est de nature
à purifier les eaux sales de la démocratie.
" Car enfin,
quoi de plus comique et de plus tragique tout ensemble qu'un Procureur
de la République française qui apprend sans se troubler le moins
du monde qu'un huissier de justice placé sous son contrôle par
la loi du 28 juillet 1985 rédige de faux constats à la pelle afin
de remplir la giberne d' avocats peu scrupuleux , quoi de plus
comique et de plus tragique tout ensemble qu'un Procureur de la
République qui répond, sinon littéralement, du moins en substance
à mon client que les délits des huissiers de justice ne sont pas
interdits dans la République, parce qu'il faut bien faire vivre
des barreaux locaux réduits à crier famine en raison de l'immensité
de l'armée de leurs robes noires; quoi de plus comique et de plus
tragique tout ensemble, qu'un Procureur qui propose à mon client
de choisir un défenseur corrompu à son tour et qui, en échange
d'une maigre pitance, se montrera tellement docile aux directives
du Ministère public qu'il se gardera bien de dénoncer ni l'huissier,
ni l'avocat complice d'un faux en écritures publiques, quoi de
plus comique et de plus tragique tout ensemble qu'un Procureur
dont la philosophie des eaux usées de la République ressortit
à une forme bien connue du culte de la lettre - la scolastique
?
" La
France de la justice est-elle seulement une métaphore juridique
ou bien rencontre-t-elle quelquefois le monde d'ici-bas ? Pour
l'apprendre, écoutez la raison des philosophes européens . Depuis
vingt-quatre siècles, eux seuls vous expliquent le cours majestueux
des fleuves parallèles de la politique et de l'histoire qu'on
appelle l'innocence et la souillure, le savoir et l'ignorance,
la peur et la vaillance, la raison et la sottise, depuis vingt-quatre
siècles, eux seuls font boire à la justice , à l'Etat de droit
et à la civilisation l'élixir de l'ironie , cette arme du symbolique
qui ridiculise le faux à feindre de lui faire parler vrai et qui
renverse la charge de la preuve à l'école du sourire de la raison.
12
- La question du courage de la justice
" Mais
où donc la question du courage de la justice française et européenne
est-elle allée se nicher ? Dans le Lachès, c'est à l'école du
courage de l'éthique que Platon a enseigné l'art de séparer les
eaux pures des eaux usées des nations . Il s'agissait de savoir
si l'apprentissage de l'escrime était nécessaire à la formation
du soldat athénien. Le Général Lachès, grand baroudeur,
ridiculisait cet exercice d'école : c'était, disait-il, demander
trop de réflexion et d'habileté aux citoyens de les initier au
maniement des armes du duel. De son côté, le Général Nicias en
vantait les mérites. Mais l'ironiste de la guerre demande aux
deux théoriciens des carnages comment on peut défendre réellement
la patrie de la justice et de la raison si l'on n'a pas de connaissance
réfléchie de la nature du courage militaire. Le Général Lachès
prétend que la vaillance des recrues doit les rendre aveugles
et stupides afin qu'elles se montrent le plus efficace possible
sur le champ de bataille où l'inconscience et la sottise des combattants
des deux bords nourrit leur bravoure, tandis que le Général Nicias
semble sorti tout droit de l'école de guerre des Etats modernes.
Ne va-t-il pas jusqu'à soutenir que le courage de la bêtise rabaisse
les soldats au rang des bêtes sauvages? Ne pense-t-il pas que
l'intelligence sur le champ de bataille qu'on appelle l'Histoire
n'est pas celui des animaux féroces, tels le tigre et le lion,
mais celui des fins escrimeurs ?
" Socrate
a plus d'un tour dans son sac : ce qu'il demandait en douce aux
deux types de disputeurs au service de l'art de la guerre à Athènes,
c'était de répondre à la question de savoir si le courage de l'éthique
peut armer le bras et le cœur de la justice au sein des Etats
; ce qu'il demandait d'avance à la Cour européenne de Justice,
c'était de répondre à la question de savoir si la France demeure
la fontaine d'où jaillissent les eaux vives de sa justice .
" Les philosophes
européens demandent à la Cour d'épurer les eaux usées de l'histoire
du monde ; les philosophes européens demandent à la Cour que la
justice quitte l'arène des fauves et des bretteurs, les philosophes
européens demandent à la Cour qu'elle donne à la justice du monde
une haute civilisation pour assise. Quand l'Europe quittera la
caverne des illusions, des ombres et des songes, il lui faudra
boire la ciguë de la vérité , et déserter l'école des fauves et
des bretteurs du droit , et disqualifier les deux juridictions
afin de faire changer de prétoire à l'idée de justice . Comment
cela ?
13
- La Cour de justice de l'Europe et la politique
" La France
est une coupable indocile, la France du refus de l'injustice féconde
la justice à retourner pour la dernière fois la charge de la preuve.
Que dit-elle à la Cour ? Que la justice est aussi une armure de
l'intelligence , une armure de la politique et une armure de l'histoire.
Voyez comme elle dresse dans les nues un sommet inaccessible à
vos arrêts , voyez comme elle creuse à vos pieds le gouffre d'où
monte à vos narines l'odeur du moribond qui s'appelle la civilisation
européenne.
" Je convie
la Cour à jeter les yeux de la justice sur les peuples qu'elle
représente: le sol de tous les Etats de l'Europe demeure quadrillé
de garnisons étrangères armées jusqu'aux dents. Savent-ils
que si, dans moins de dix ans, l'Europe n'aura pas obtenu de l'occupant
qu'il retourne chez lui, la civilisation européenne aura trépassé
, parce que la troisième génération de la servitude en aura enfanté
une quatrième , la dernière, celle qui ne s'étonnera même plus
de la présence du glaive de l'étranger sur son territoire.
" Quels
sont les yeux d'une justice européenne qui ne voit pas les quatre-vingt
dix-huit bases militaires des guerriers venus d'au-delà des mers
qui enserrent la patrie de Goethe et Schiller , quels sont les
yeux d'une justice européenne qui ne voit pas les griffes des
cent trente-sept places fortes qui pointent leurs missiles vers
le ciel de la nation de Dante et de Pétrarque , quels sont les
yeux d'une justice européenne qui ne voit pas les forteresses
de la terreur et de la foudre qui vassalisent le Vieux Monde de
la Suède à la Sicile et de la Belgique à la Mer Noire ? Savez-vous
qu'une civilisation dont les yeux ne s'ouvrent plus sur les armes
de l'étranger installé sur ses terres est une civilisation défunte,
parce qu'il n'y a pas de liberté politique sous un casque, un
bouclier et un drapeau venus d'ailleurs? C'est pourquoi l' arène
de la justice sur laquelle Socrate appelle la Cour à porter son
regard est celle des enfants de 1789, d'un côté, et celle des
esclaves et des vassaux, de l'autre .
" Quelle
est donc la justice qui ouvre les yeux des juges sur les chaînes
de la servitude, sinon celle que Socrate vous demande d'ouvrir
sur vous-mêmes ? Et quelle arène de la justice s'offre-t-elle
alors à vos regards ? Celle de la tragédie à laquelle les eaux
pures et les eaux sales de la France vous renvoient. Car, il y
a plus de quatre décennies que mon pays a fait déguerpir l'étranger
. Sachez que la solitude de la France parmi les nations serves
qu'elle voit siéger parmi les juges de la Cour lui donne la voix
de son courage, celle de vous dire qu'elle connaît mieux que les
nations assujetties à une puissance étrangère la menace de mort
qui frappe les civilisation livrées à l'anéantissement de leurs
élites politiques.
" Or, la
France des élites de l'action se trouve menacée par la municipalisation
de ses dirigeants; et c'est de cela qu'il est question au plus
profond de la cause que j'ai défendue devant la Cour. Car le drame
de l'Europe entière d'aujourd'hui est celui du naufrage de sa
classe dirigeante dans la minusculité notabiliaire. Comment
la démocratie porterait-elle de vrais chefs d'Etat au pouvoir
? Comment la victoire de 1945 n'aurait-elle pas porté dans ses
flancs le joug de la servitude si le sceptre de la justice a passé
dans les mains du vainqueur , si sa justice n'est que l'arme de
sa puissance et si elle vassalise les peuples qu'elle n'a délivrés
de la tyrannie que pour les soumettre à sa loi ?
" Mais
si la Cour élève sa réflexion sur la justice à une radiographie
anthropologique de la politique, elle aura pris rendez-vous avec
le philosophe qui avait assigné l'humanité à comparaître devant
le tribunal de la vie et de la mort de la Grèce et qui demandait
aux Athéniens de son temps de l'installer au Prytanée de la justice
du monde .
" Le Prytanée
avec lequel vous avez rendez-vous est celui de la France de la
justice. "
Le
11 février 2008