Avertissement
L'anthropologie
critique traite des fondements de la politique et de l'histoire,
mais les moteurs qu'elle observe se rendent inégalement actifs
dans le plein jour de l'actualité. C'est pourquoi il m'a fallu
reporter une première fois la mise en ligne de la suite de
La Nef des fous ou le ballet des catastrophes,
parce que le vote à vive allure de la loi sur les mariages
fictifs entre personnes du même sexe, ainsi que la violente
offensive de l'Etat contre l'autorité traditionnelle des dictionnaires
et contre les droits de l'enfance avaient subitement débarqué
dans l'histoire la plus visible. Cette semaine, un second
retard s'impose, parce que le 26 avril 2013
Le Monde s'est officiellement prononcé pour la satellisation
rapide et irréversible de l'Europe. L'analyse anthropologique
d'un évènement aussi significatif que précipité impose donc
sa priorité à la première science spectatrice de l'inexorable.
*
1 - Une énigme anthropologique
2
- L'analyse anthropologique de l'histoire
et la science des empires
3-
L'archange saint Michel de la politique mondiale
4
- Les anthropologues de Dieu
5
- Une psychophysiologie de la servitude politique
6
- L'Europe au musée
7
- L'anthropologie critique et l'avenir de la culture
européenne
1
- Une énigme anthropologique
Le décryptage anthropologique d'une fatalité politique, celle
de la vassalisation accélérée de l'Europe, a connu un tournant
aussi discret que décisif, le 26 avril dernier avec la parution
en première page du journal Le Monde, d'un éditorial retentissant
signé Natalie Nougayrède, la directrice du quotidien français
le plus prestigieux sur la scène internationale, sous le titre:
"Le XXIe siècle se joue en Asie".
L'affichage d'une volonté de subordination de l'Union européenne
aussi résolue témoigne de méthodes d'assujettissement mûrement
planifiées. Mais si elles se mettent vigoureusement en place,
leur programmation et leur mise en application témoignent, dans
le même temps, d'une maladresse confondante et d'un amateurisme
énigmatique ou du moins difficiles à décoder.
Comment Mme Nougayrède peut-elle écrire: "En mars dernier,
le dernier char d'assaut américain a quitté l'Allemagne. Le
premier était arrivé en 1944"? Personne n'imagine un seul
instant que Mme Nougayrède ignorerait l'incrustation de deux
cents bases militaires en Allemagne depuis 1949, ou la récente
mise hors jeu de l'arme nucléaire française, remplacée
par un bouclier anti-missiles appelé "Patriot" par
anti-phrase et censé prévenir un déferlement imminent des Tartares
sur les arpents des Germains, ou le maintien à perpétuité et
l'extension continue du champ d'opération de cent trente sept
garnisons américaines campées l'arme au pied en Italie, ou le
refus catégorique et définitif de Washington de jamais remettre
la base navale de Naples à l'Etat italien, non plus que
de restituer les forteresses d'Aviano, de Gaète, de Livourne,
de Sigonella, de Pise, de Vérone, de Vicence, de la Maddalena.
Si,
sous un si vigoureux corsetage, l'expulsion pure et simple de
l' Europe de l'arène de la politique internationale crève les
yeux de tous les états-majors, comment décrypter la stratégie
ahurissante de l'empire américain, qui fait écrire à Mme Nougayrède
que le dernier blindé de 1944 aurait quitté une Allemagne censée
définitivement libérée depuis soixante huit ans, alors que tout
le monde observe avec des yeux dessillés l'épaisseur de la cuirasse
de l'armée américaine qui bivouaque résolument sur les terres
d'Arioviste, où elle ne cesse, sans s'en cacher le moins du
monde, d'étendre au grand jour l'exercice de sa souveraineté.
D'ores et déjà la civilisation européenne se trouve définitivement
supplantée sur le théâtre stratégique de l'histoire.
2
- L'analyse anthropologique de l'histoire et la science des
empires
L'analyse
du contenu anthropologique de l'éditorial de Mme Nougayrède
illustre la passivité et la complicité des peuples domestiqués
en sous-main par leur "délivreur". L'étude psychobiologique
de la géopolitique est riche d'enseignements sur les méthodes
d'implantation des mythes politiques dans les esprits. On y
récolte une manne d'observations sur l'inconscient messianique
des démocraties modernes et sur le caractère inévitable des
déclins, mais également sur les progrès d'une science historique
mieux informée des ressorts religieux de la psychophysiologie
des peuples et surtout plus ambitieuse de percer à jour et d'interpréter
les rouages des évènements tragiquement ignorés ou délibérément
méconnus. Comment se fait-il que, trois quarts de siècle à peine
après la défaite du nazisme et un quart de siècle seulement
après la chute du mur de Berlin, la politologie européenne semble
avoir entièrement perdu de vue l'axe central de la scientificité
de la discipline des Machiavel ou des Talleyrand, dont l'assise
naturelle n'est autre que la compréhension et l'explication
des travaux et des jours des nations - à savoir, leur rivalité
sur un espace toujours trop étroit à leurs yeux?
Le
caractère instinctif, donc aveugle, de la volonté d'expansion
et de conquête des Etats a quitté le champ du regard de l'historien
et des plus hauts dirigeants. C'est pourquoi une anthropologie
critique de la géopolitique appelée à fonder une science de
l'ascension et du trépas des empires jugerait infantile l'amusement
de décrire et de décrypter l'éditorial de Mme Nougayrède comme
celui d'un agent pleinement conscient des services que l'empire
américain attend de lui, donc d'un instrument dont la duplicité
joyeuse serait de l'ordre de la trahison délibérément et lucidement
assumée.
C'est précisément le contraire qu'il faut comprendre: dans les
déclins, les défenseurs de leur maître sont le plus souvent
touchants de sincérité et pathétiques dans leur bonne foi, parce
que leur servitude demeure involontaire et porte les vêtements
blancs des chevaliers du mythe démocratique dans les têtes,
à la manière dont les croisés au grand cœur portaient l'armure
et la cuirasse de leur croyance en la délivrance du monde. Si
les fidèles du dieu Liberté ne sauraient voir un demi millier
de forteresses étrangères tacheter de leurs drapeaux le sol
du Vieux Monde, comment se pencheraient-ils sur les secrets
psychobiologiques de leur obéissance généreuse aux attentes
de leur foi? Lech Walesa n'a découvert qu'après coup que si
l'Eglise peinte aux couleurs de toutes les nations ne poursuivait
pas des "intérêts d'Eglise" unifiés, elle n'existerait pas,
Vaclav Havel était tellement persuadé que l'Amérique se retirerait
de la Tchécoslovaquie libérée avec son appui qu'il était allé
gentiment remercier le grand Samaritain de Washington et s'était
ridiculisé devant le Congrès. Même un François Mitterrand a
cru que la France récolterait quelques avantages diplomatique
d'avoir participé avec une belle ardeur à la première guerre
du Golfe et Jacques Chirac a été surpris, lui aussi, par la
fureur monocolore du peuple américain outragé par l'hérésie
d'une France soudain désobéissante et butée sur son refus de
combattre un moulin à vent - une fiole censée contenir un poison
foudroyant pour notre astéroïde.
3-
L'archange saint Michel de la politique mondiale
C'est
précisément parce qu'il serait erroné d'y dénoncer une
tartufferie éhontée que l'éditorial de Mme Nougayrède nous présente
en pointillé un document théopolitique d'une grande valeur anthropologique
et qu'il serait ridicule d'y voir la main de Molière. L'acier
de ce camouflage est trop épais pour valider une herméneutique
de ce genre. Pour écrire noir sur blanc, comme il est rappelé
ci-dessus, que les armes et les troupes d'occupation de l'Amérique
des Quichotte du monde moderne auraient quitté une Europe pleine
de gratitude et qu'un chapitre de l'histoire du Toboso serait
définitivement clos, il serait stérile d'invoquer la sottise
ou la candeur des serfs. Il faut une vision sentimentale de
l'histoire, une foi ardente, un sacré soustrait au regard, mais
omniprésent, un royaume de l'imaginaire para religieux pour
éclairer une vision salvifique, euphorisante et messianique
de l'histoire: l'Europe, dit le credo, aurait été sauvée des
eaux en 1945 par la bénédiction béatifiante d'un ange Gabriel
de la démocratie universelle.
L'anthropologie
critique élabore la science de l'inconscient sotériologique
du genre simiohumain. Elle démontre que seul un type de cécité
au grand cœur, que seul un aveuglement eschatologisé, que seul
un élan de la foi en une délivrance supra-terrestre peut expliquer
la naïveté d'origine biblique qui sous-tend le récit de Mme
Nougayrède, dont voici le mot à mot: "La Chine suit de très
près les tourments des Européens, la fragilité de la monnaie
unique et d'une Union au projet politique en panne. Elle suit
tout aussi attentivement la façon dont pourrait se former un
nouveau canevas transatlantique dédié au libre-échange. On veut
parler ici du projet d'accord Etats-Unis-Union européenne sur
la création d'un grand ensemble tarifaire et normatif que le
président Barack Obama a décidé de placer parmi ses priorités
internationales sitôt réélu."
Le
ton est bénédictionnel et "normatif": "Ce grand ensemble
de libre-échange regrouperait 50% du PIB mondial, aiderait la
croissance et consoliderait Américains et Européens face au
grand défi chinois du XXIe siècle."
4 - Les anthropologues
de Dieu
On
voit que la place gentiment réservée à une Europe "consolidée"
et dont la crédulité confessionnelle serait modelée à l'effigie
d'une démocratie du salut la pelotonnerait au pied du trône
des Etats-Unis d'Amérique. Le géant d'outre-Atlantique serait
supposé promouvoir et même glorifier le rang d'un partenaire
d'un demi milliard de consommateurs reconnaissants et apparemment
traités en égal, alors que toute alliance entre un Titan en
armes et un infirme bénit de plein droit le regard condescendant
du maître sur ses serviteurs. La méconnaissance du tissu réel
de l'histoire d'un monde hiérarchisé depuis le paléolithique
crée une fausse collégialité et même une complicité illusoire
entre des dirigeants et des subordonnés. Voici les clauses de
ce type de pacte: "La logique est la suivante :si l'ensemble
transatlantique ne s'organise pas mieux, la Chine ne finira-t-elle
pas un jour par imposer ses normes en arguant de son poids de
deuxième économie mondiale?" On occupe d'avance une certaine
place, on se trouve parqué d'office dans sa "famille", comme
disait M. Sarkozy, on appartient de naissance à telle horde
ou à telle autre.
C'est
pourquoi, dans son interview datée du 3 mai du Président Nicolas
Marudo, Mme Nougayrède évoque le "supposé impérialisme des
Etats-Unis", puis demande à son interlocuteur: "Qui,
au XXIe siècle, doit être l'allié du Venezuela, l'Europe ou
la Chine et la Russie?", ce qui présuppose que l'Europe
occupera nécessairement le rang de satellite des Etats-Unis.
Le Président lui répond sèchement qu'il existe un BRICS qui
représente trois milliards d'habitants.
C'est pourquoi un empire n'"argue" jamais. Pourquoi avancerait-il
des arguments? Sitôt qu'il accède à un certain degré de développement
de sa musculature, tout le monde s'incline devant lui. Pourquoi
lèverait-il le petit doigt, alors que son ossature parle pour
lui ? Voyez comme il déclenche massivement le réflexe de la
vénération spontanée et de la subordination empressée: depuis
des millénaires, le genre humain est un titanesque automate
de l'obéissance. C'est pourquoi ses prosternations théologiques
se révèlent des documents anthropologiques normatifs: on y voit
un roi incontesté du cosmos s'auto-congratuler d'une voix de
Stentor et se proclamer omnipotent et omniscient. Quelle est
la preuve la plus incontestable qu'il en fournit? Le feu des
tortures éternelles au nom desquelles deux milliards d'humains
s'agenouillent, parce qu'ils y voient le sceptre de la sainte
justice de leur maître.
C'est
dire que tout empire terrestre n'est jamais qu'une pâle copie
du modèle absolutisé dont les Olympe transportent l'effigie
dans le ciel: si les trois monothéismes ne se scindaient pas
entre les sucreries qu'ils distribuent dans les nues et les
châtiments épouvantables qu'ils infligent à leurs créatures
pécheresses sous la terre, l'anthropologie critique perdrait
ses plus éloquents témoins de l'histoire sanglante de l'humanité.
Mais tout pouvoir politique est une théologie miniaturisée et
aux patenôtres affaiblies. C'est pourquoi le scannage anthropologique
de Dieu progresse dans les souterrains de l'Europe de la pensée.
5
- Une psychophysiologie de la servitude politique
La
Chine et ses "normes" sont perçues comme redoutables du seul
fait qu'il s'agit d'un empire en pleine ascension sous le soleil
- mais les "normes" que l'OTAN vient d'imposer au grand jour
à la France, à savoir le choix du "tout Microsoft" en
lieu et place d'un "logiciel libre", excluent l'indépendance
informatique et industrielle de l'Europe. Pourquoi n'y a-t-il
pas eu d'appel d'offre ou de procédure publique d'attribution
de ce marché? Parce que Microsoft travaille avec la NSA (National
Security Agency), autrement dit en étroite collaboration
avec les services secrets de l'occupant de l'Europe. L'ange
Gabriel de la démocratie mettra subrepticement en place
et selon son bon plaisir des programmes d'espionnage de tous
les utilisateurs du Vieux Monde - et il se mettra en mesure
de perturber les logiciels de ses vassaux. De plus, Microsoft
opposera son veto à la vente de tout matériel que l'Europe fabriquerait
à partir de ses logiciels propres. La vassalisation culturelle,
intellectuelle et linguistique de l'Europe est l'objectif prédominant
de l'expansion idéologique de l'empire américain depuis 1944
- c'est dire que "l'exception culturelle" sera la première victime
à immoler sur l'autel du "grand ensemble tarifaire et normatif
".
Mais
la France est pour beaucoup, quoiqu'indirectement dans un processus
de domestication aussi patelin, parce qu'elle se frotte les
mains d'avoir échappé à la réoccupation militaire de son territoire
à la suite de son retour pitoyable sous le sceptre américain
de l'OTAN, dont le quartier général, lové en France pendant
toute la IV République et jusqu'en 1966, s'est ensuite tapi
à Mons en Belgique. Or, les populations allemande et italienne
commencent seulement de s'apercevoir de l'enracinement d'un
empire étranger et armé jusqu'aux dents sur leur sol - mais
leur épiderme le ressent bien davantage que le péril vague et
lointain de l'émergence, sur la mappemonde, d'une Chine qui
aurait le mauvais goût d'"arguer" de son poids industriel
et commercial sur la scène internationale. C'est l'illusion
de son autonomie retrouvée qui fournit à la France les apprêts,
les attraits et toute la bijouterie dont se parent les démocraties
vassalisées sous la quincaillerie et les affûtiaux d'une pseudo
souveraineté peinte en fer.
Le
socle anthropologique de la servitude de la France sur le globe
terrestre actuel est fort mal masqué par le livre d'images dont
Le Monde se montre le dessinateur. Ce modèle de
la géopolitique ne trompe plus personne dans la haute classe
en livrée. Des années avant sa chute, M. Strauss-Kahn
avouait déjà sur TF1 qu'un petit pas de plus rendrait définitive
la vassalisation fort avancée de la France. Il est de règle,
dans les dorures des déclins, qu'une proportion considérable
de la classe dirigeante et de l'intelligentsia arbore spontanément
les rubans et les dentelles d'une légitimation rampante ou étalée
au grand jour de l'hégémonie du plus fort et il est coutumier
que les naufragés de leur gloire passée s'indignent de l'impiété
de paraître profaner l'ascendant qu'exerce l'orthodoxie du lion
nouveau. Il faut lire et relire la fable de La Fontaine intitulée
Les animaux malades de la peste.
6 - L'Europe au
musée
C'est
dans cet esprit que Mme Nougayrède sollicite le Président de
la République de caresser la crinière du fauve: "M. Hollande,
qui avance à pas de loup sur ce terrain comme sur d'autres,
n'a pas placé la France en force motrice de ce projet. Sans
plus, non plus (sic) , chercher à s'en démarquer ostensiblement."
Autrement dit, la France de l'habileté diplomatique est appelée
à franchir à pas feutrés la frontière entre la souveraineté
et la vassalité. Elle semble vouloir garder un instant encore
ses cartes et ses broderies d'autrefois dans sa manche. A ce
titre, elle feint d' avancer dans les deux directions à la fois,
mais la Mer Rouge s'ouvrira au passage du nouveau peuple de
l'exode. Mme Nougayrède saurait-elle, dans son for intérieur,
que la force s'allie au glaive? Dans ce cas, telle serait la
raison cachée qui lui ferait soutenir pieusement, mais à titre
provisoire, que l'Europe ne brillerait déjà plus de l'éclat
des épées d'un autre, parce qu'un char d'assaut symbolique aurait
quitté son musée en Allemagne occupée sous l'œil des caméras
du monde entier pour aller prendre une place bien méritée dans
un musée de New-York.
Mais
au sein d'un monde dont la géopolitique demeure muette et bouche
cousue, l'anthropologie critique dépose l'inconscient politique
des théologies sur les plateaux de sa balance ; et elle observe
le poids variable de l'enracinement des démocraties dans le
mythe biblique de la délivrance dont témoigne l'expansion idéologique
de l'Amérique. L'aiguille s'arrête sur un document politico-religieux
aussi éloquent que le Prince de Machiavel; et
elle tente de démontrer aux amateurs de dentelles que l'histoire
véritable s'apprend à l'école du fabuliste qui, deux siècles
avant Balzac a étudié le genre humain dans le miroir de l'allégorie
dont des animaux lui tendent les effigies.
C'est dans cet esprit qu'il faut regarder l'Europe se réfléchir
dans son musée à elle: "Le reflux américain de l'Europe se
poursuit: suite logique de la réorientation vers l'Asie-Pacifique
voulue par le président Obama. Se poursuivent aussi les affres
européennes, dans le lancinant sentiment de déclassement lié
à la crise."
Non, dit le ciel de la raison, le "lancinant sentiment de
déclassement" ne résulte pas de la crise; celle-ci n'est
jamais que le dernier soubresaut de l'effacement d'une civilisation
oublieuse de ce que l'histoire se forge sur l'enclume de la
volonté politique. Les odeurs d'intendance montent du désert
que l'action a quitté.
7
- L'anthropologie critique et l'avenir de la culture européenne
Le
scannage des relations que l'anthropologie critique entretient
avec la pesée de l'inconscient théologique, donc guerrier, de
la politique mondiale ne s'arrête pas à mi-chemin: la main de
velours de Mme Nougayrède nous conduit au terme de l'analyse
comparée du mythe religieux et du mythe démocratique, donc à
l'examen du fonctionnement parallèle des deux vassalisations.
Car le christianisme se contentait d'installer dans le néant
un souverain du cosmos et du vide devant lequel toutes les créatures
se trouvaient nivelées à seule fin de ne dresser aucun obstacle
à l'omnipotence en expansion d'un roi de l'immensité et de l'éternité.
Le mythe démocratique, lui, est bel et bien construit sur le
même modèle: il égalise tout le monde devant sa face d'ange,
mais seulement afin d'assurer à coup sûr, et en coulisses, l'ascension
du bénéficiaire véritable de l'opération, le nouveau chef immaculé
et le maître de justice de la politique internationale.
Du
coup, l'analyse anthropologique d'un éditorial de Mme Nougayrède
inconsciemment greffé sur le mythe de l'Exode et du salut conduit
à une spéléologie de nature à nous éclairer sur l'avenir de
la "sortie d'Egypte" de la politique et de la culture européennes.
Car la Renaissance avait ouvert une brèche dans la forteresse
des "essences" et des "quintessences"; et elle avait commencé
de fractionner la cosmologie pharaonique de l'époque: les langues
et les croyances soudainement diversifiées et dispersées en
une mosaïque sur la planète des coutumes et des mœurs y perdaient
l'autorité monolithique que seul le monothéisme biblique s'était
trouvé en mesure de leur accorder. De même, la découverte, il
y a soixante ans, de l'ADN a brisé l'universalité artificielle
du concept d'homme et rouvert tout subitement les sciences humaines
à une connaissance abyssale du singulier dont la Renaissance
avait seulement tracé la voie.
Mais, à l'instar du XVIe siècle, on voit une phalange d'avant-garde
du savoir et de la pensée se heurter à la résistance acharnée
d'une arrière-garde démocratique construite sur le modèle superficiel
et verbifique de la théologie du Moyen Age. Le mythe pseudo-unificateur
de la "Liberté" ne fait que servir un nouveau monolithisme de
la foi, non plus celui d'un créateur imaginaire de l'univers,
mais celui d'un empire exercé à brandir des totems démocratiques
tentaculaires - des concepts au service d'une scolastique vorace
de l'abstrait.
Une étape nouvelle du décryptage du simianthrope conceptualisé
s'annonce à l'heure où l'Etat idéocratique dépose sur les autels
de la Liberté l'universalité artificielle, niveleuse et despotique
de son langage des idéalités, donc d'une égalisation mythologique
des créatures chargée d'assurer le triomphe d'un ciel de confection.
L'empire américain est devenu le substitut d'une nouvelle incarnation
du dieu biblique; mais, cette fois-ci, les armes de la connaissance
d'un sacré vassalisateur ne sont plus seulement celles de la
philologie renacentiste et d'une histoire rationnelle des religions
qui faisait ses premiers pas, mais celles d'une science qui
conduit à l'analyse psychobiologique comparée de l'asservissement
théologique et de son parallèle, l'asservissement au mythe démocratique.
Le
tournant décisif de la pensée occidentale est celui qui ouvre
un champ immense à la connaissance rationnelle du singulier
et aux conquêtes nouvelles de l'individualisme. Le Moyen Age
des modernes se révèle celui de la fausse autorité intellectuelle
que conquiert une scolastique du concept de "Liberté".
Décidément, si l'agonie politique d'une Europe subrepticement
théologisée nous conduit à la caverne d'Ali Baba où se cache
le trésor d'une seconde Renaissance de la raison et de la pensée,
celle du nominalisme retrouvé et fécondé, il faut remercier
Mme Nougayrède d'avoir voulu élever la France au rang de "force
motrice" de la course à l'abîme, mais d'avoir vendu la mèche
sans s'en douter, puisqu'il lui faut feindre que les troupes
d'occupation auraient quitté l'Europe jusqu'au dernier char
d'assaut pour que la démocratie réapprenne à sortir du monastère
des droits de l'homme abstrait et à s'initier au regard réaliste
que les vrais Etats portent sur le genre humain.
Le
4 mai 2013