1 - Petit traité des sacrilèges
2
- L'apparition de Vautrin
3
- Il faut initier le peuple à la connaissance des lois
4
- La politique et le droit
5
- De quel type de tyrannie la France d'aujourd'hui est-elle
devenue la proie ?
6
- Une première classification des tyrannies
7
- Un subterfuge du Parquet
8
- Le droit pénal et la civilisation
9
- Le droit pénal, fondateur de la civilisation
10
- Le juge civil capitule devant les Vautrin du Ministère
public
11
- Aux armes, citoyens !
12
- La suppression du juge d'instruction
13
- L'humanité dans le miroir du politique
14
- Le miroir de la tyrannie
15
- Vers un sursaut jacobin de l'esprit républicain
1 - Petit traité des
sacrilèges
Les Français ignorent le droit civil et le droit public au point
que je crains fort d' ennuyer ces grands enfants par des explications
qu'ils jugeront triviales et offensantes pour la superbe qui couronne
leur souveraineté en loques. Comme l'écrivait Paul Valéry, "la
démocratie est l'art à la fois d'empêcher les hommes de s'occuper
de ce qui les regarde et de les faire décider sur ce à quoi ils
n'entendent rien".
Et
pourtant, si je renonçais à poursuivre la rédaction à l'usage
des adultes d'un petit traité de pédagogie juridico-politique
sacrilège, comment convaincrais-je mes lecteurs de tous âges que,
selon le blasphème de Socrate, l'ignorance est le pire de tous
les maux? Je vais donc sembler abaisser un instant la grandeur
du citoyen paré de la majesté de son verbe et prêter à la France
"des armes et des lois", comme disait un poète, la voix
benête des artisans de l'asservissement de la République à un
appareil judiciaire décentralisé.
Pardonnez-moi, citoyens désireux de s'instruire et curieux , de
vous raconter de cruelles broutilles : savez-vous que les Procureurs
sont censés représenter le Ministère public, donc l'Etat de droit,
et cela à l'étage des responsabilités les plus hautes de ce dernier,
celles d'un garant incorruptible de la constitution, c'est-à-dire
de la loi qui définit la nation et savez-vous qu'à ce titre, les
Parquets sont expressément chargés par le législateur de contrôler
l'honnêteté des huissiers? Pourquoi cela, bonnes gens, sinon parce
que, sans cela, cette corporation pourrait fort bien se truffer
de malandrins et s'accorder la fantaisie non seulement de demander
à ses dupes des taxes exorbitantes au mépris des dispositions
légales, mais dresser des constats miraculés à la simple demande
de clients chicaniers, retors et menteurs, mais fortunés.
Il faut que vous sachiez, en outre, que si vous portez plainte
contre un huissier coupable du délit de rédiger des constats imaginaires
- les juristes appellent cela un faux en écritures publiques
- et si vous en apportez la preuve irréfutable, l'Etat devra
faire son devoir : le procès civil sera obligatoirement retardé
- on dit "suspendu" - parce que la loi prescrit que le
"pénal tient le civil en l'état", ce qui signifie que le
civil sera mis au congélateur dans l'attente de l'issue du procès
pénal, ce qu'impose la logique interne de la science du droit,
puisque l'issue du litige devant le juge civil dépendra entièrement
et exclusivement d'un point de droit non encore officiellement
élucidé, celui de la validité ou de l'invalidité du constat censé
démontrer ou non un dommage ; car ce dernier n'en ressortira pas
moins au droit privé par définition. Mais encore faut-il que le
procureur veuille bien examiner votre plainte, qu'il en pèse sérieusement
les preuves et s'il les juge criantes en diable - des photographies,
par exemple - qu'il rabroue l'huissier et lui adresse un blâme
ou même qu'il confie au besoin le litige à un juge d'instruction
qui pèsera la valeur de la plainte "à charge et à décharge",
c'est-à-dire en se mettant à l'écoute des deux parties.
2 - L'apparition de Vautrin
Mais,
dans le même temps, la loi promulgue que le procureur décide souverainement
de "l'opportunité des poursuites". Qu'est-ce à dire ? Un
Etat de droit peut-il poursuivre des malfaiteurs au vu de l' "opportunité"
ou de "l'inopportunité" de les châtier? Que signifie ce
vocable dans une démocratie digne de ce nom? Comment s'autoriser
à estimer "inopportun" d'interroger un assassin, de le
confondre et de le punir? Le "bon plaisir" du roi ne répandrait-il
pas une odeur de tyrannie? Puisque le pénal ne se négocie pas
de gré à gré entre la République et les gangsters, l'opportunité
flotte entre le despotisme et le maffieux. Elle
outrage le politique considéré dans la noblesse de sa soumission
au législateur. Balzac nous dépeint un Vautrin, ex-chef du gang
des forçats et ex-forçat lui-même, puis Ministre de l'Intérieur
sous la Restauration, qui fit de "l'Etat de droit" de l'époque
le chef du gang et le quartier général des financiers et des voleurs
de la haute bourgeoisie.
Vautrin
a existé: il s'appelait Vidocq et il nous a laissé des Mémoires
sacrilèges, donc plus ensevelis dans le silence de la piété démocratique
que le traité de réfutation de la transsubstantiation eucharistique
par Béranger au XIe siècle ne l'est demeuré sous le tapis des
dévotions de l'Eglise. Vautrin s'était si bien reconnu dans le
personnage immortel de la Comédie humaine et il
en était si fier qu'il a informé ensuite le grand romancier de
certains secrets d'Etat. Mais voyez comment, sous la Vème République,
l'arbitraire va se glisser en tapinois dans la cohérence tout
idéale du droit public : les Procureurs actuels vont porter à
l'audience la double casquette de Vautrin.
D'un
côté, c'est à titre statutaire que ces fonctionnaires de la justice
ont été mis au service du pouvoir exécutif par la République des
droits de l'homme et du citoyen, de sorte que la Cour de justice
européenne entend leur retirer leur titre de magistrats et demande
qu'on les appelle des Préfets judiciaires; de l'autre,
ils sont néanmoins réputés jouir du statut et de la dignité des
juges dits "du siège", donc bénéficiaires de la fiction
d'une indépendance pleine et entière à l'égard de l'exécutif.
Dans ces conditions, un Procureur français peut-il refuser tout
net d'instruire la plainte d'un citoyen français contre un huissier
français coupable d'avoir dressé un constat fantasmagorique?
3
- Il faut initier le peuple à la connaissance des lois
On n'a jamais vu une tyrannie reposer sur une autre assise que
celle d'une violation du droit public et privé, donc sur la corruption
généralisée d'un appareil de la justice mis au service des Vautrin
officialisés de la démocratie. C'est pourquoi, mes enfants, vous
devez savoir qu' une République fondée sur les "droits de l'homme
et du citoyen" tombera tôt ou tard dans un mélange vautrinesque
de la tyrannie avec la corruption si elle se passe de vous donner
de génération en génération et dès les bancs de l'école une formation
juridique qui portera sur les principes fondateurs des civilisations.
Mais
peut-il arriver qu'un Etat s'applique subrepticement à institutionnaliser
un despotisme au petit pied et en quelque sorte rudimentaire et,
dans ce cas, quel avantage politique compte-t-il tirer de mettre
en catimini le Ministère public au service d'un arbitraire insinuant,
rampant et de tous les jours? Ici encore, une démocratie qui n'initiera
pas dès le plus jeune âge sa population tout entière à une connaissance
au moins élémentaire des lois et de l'art d'en trahir la lettre
et l'esprit dont usent les Etats se donnera fatalement et à bref
délai la vêture d'un Etat piégé par Vautrin; et comme la tyrannie
emprunte toujours et par définition les chemins d'un arbitraire
porteur du blason de la corruption de ses juges, la première difficulté
d'une pédagogie qui contraindrait une nation à se couronner des
lauriers des juristes sera de vous enseigner à distinguer clairement
les diverses formes de la tyrannie judiciaire que l'histoire a
sécrétées et couvertes de la tenue noire de ses magistrats, tellement
les sceptres noirs de la justice d'Etat diffèrent entre eux au
point qu'il serait stérile de brandir le drapeau d'une Liberté
majusculaire ; car rien n'est plus vain et plus creux que de couronner
le peuple des feux d'une universalité séraphique , rien n'est
plus vide de contenu que le diamant étincelant du concept de Liberté
, rien n'est plus illusoire que la tiare des abstractions révérentielles,
rien n'est plus despotique que l'oriflamme flottant dans le vent
des faux-semblants qui permettent au tyran de se draper de généralités
brillamment sonorisées à l'usage des ignorants.
4
- La politique et le droit
Pour
conduire tout un peuple à une connaissance réelle de ses droits
et pour lui enseigner la radiographie des bijoux de la tyrannie,
il ne suffira donc aucunement de lui inculquer le texte faussement
transparent des lois écrites afin qu'il apprenne à vous les réciter
par cœur. J'ai déjà rappelé que tout droit public et privé ne
s'éclaire qu'à la lumière de l'esprit politique qui lui donne
sa substance, et cela au point que si l'on interdit à un cerveau
d'enfant ou d'adolescent de porter un regard de citoyen sur le
droit et les lois, il comprendra si peu tout l'édifice législatif
auquel il se trouve soumis qu'il demeurera incapable de différencier
les diverses espèces de tyrans et de les distinguer les uns des
autres selon la nature particulière de chacun. Nous allons donc
tenter d'acquérir la compréhension des volontés politiques que
cachent les multiples casquettes des despotes en nous souvenant
que leurs dehors sont toujours vertueux, ce qui permettra à l'enfant
de les cerner dans la spécificité de leur étoffe.
Mais
s'il faudra armer la jeunesse d'une intelligence attentive à souligner
le parallélisme constant entre l'esprit des lois et celui de la
politique afin de mettre sans cesse leur conjonction en pleine
évidence, cette difficulté sera-t-elle un obstacle pédagogique
ou, au contraire, un bénéfice pour l'éducateur? Par bonheur, rien
n'est plus aisé que d'ouvrir les yeux des enfants sur la finalité
tout humaine que poursuit une loi et rien n'est plus malaisé,
en revanche, que de leur expliquer la portée d'une législation
sans élever leur raison naissante à examiner l'intention retorse
qui peut inspirer le pouvoir pseudo séraphique de l'Etat, tellement,
encore une fois, la politique et le juridique s'éclairent tous
deux à la lumière de la droiture ou de la perversion de leur signification.
Certes,
la logique interne du droit lui interdit de mettre une loi en
contradiction flagrante avec une autre. Mais ce sera, ici encore,
la raison politique qui servira de lanterne à l'enfant, parce
que l'arbitraire a besoin, pour asseoir son règne, d'introduire
l'incohérence dans une législation et cela de telle sorte que
tout édifice juridique se rendra tyrannique au prix de sa chute
dans le chaos.
5 - De quel type de tyrannie
la France d'aujourd'hui est-elle devenue la proie ?
Observons
maintenant le type de tyrannie judiciaire et de tyrannie politique
conjointement planifiées - donc intentionnelles et savamment conjuguées
- qui régissent d'un côté la violation systématique des lois et
du droit dont souffre la France d'aujourd'hui, puis, de l'autre,
les carences d'une scolarité non encore sur ses gardes et soucieuse
de jeter le voile épais de l'ignorance sur la violation des principes
qui fondent la démocratie. Quand nous nous serons initiés à l'art
et à la méthode de plonger une population entière dans la méconnaissance
du type d'arbitraire dont elle subira les effets sans en comprendre
la nature et les ressorts et, le plus souvent, sans même s'en
douter, nous aurons la réponse : il s'agira d'une tyrannie auto
apologétique dont la volonté cachée entendra se servir de la décentralisation
administrative pour provincialiser tout l'appareil de la justice
française sous les apparences les mieux apprêtées de la piété
républicaine et du culte de l'universalité des lois.
Mais pourquoi provincialiser à outrance l'appareil judiciaire
d'un pays, donc paraître libérer avec zèle la patrie du garrot
napoléonien, et cela à seule fin de mieux l'asservir à un Etat
patelin, pourquoi morceler dévotement la France, donc l'émietter
aussi pieusement que sous nos premiers rois? Bien plus : dans
quel intérêt politique une République saine d'esprit s'attacherait-elle
à multiplier les chefferies locales et à les rendre aussi voyantes
que sous la monarchie? Parce qu'une nation parcellisée et réduite
à camper sur ses arpents se couvrira de corporatismes locaux dont
l'ambition de chacun sera seulement de se donner pour trône la
dislocation même de l'appareil entier des lois. Les privilèges
souverains se font un bastion de leurs lopins.
Mais
voyez combien la minusculité de ce type de tyrannie présente de
singularités qui lui interdisent de confondre ses chromosomes
avec tout autre genre d'arbitraire, de sorte que si vous ne l'étudiez
pas à la lumière du chaos juridique particulier qu'il engendre,
jamais vous n'accèderez à la compréhension de la volonté politique
qui l'inspire et le caractérise: car seul un Etat décentralisé
et dispersé par le microscopique sera en mesure d'éteindre tout
débat politique d'ordre général et qui porterait sur la défense
des intérêts supérieurs de la nation. Le gouvernement règnera
donc sur un pays cadastralisé par ses prés carrés, et cela avec
une facilité grandement favorisée de s'être donné le support des
médiocrités villageoises, parce qu'il est plus difficile de fonder
une tyrannie focalisée par un Etat puissamment centralisé - donc
porté, par sa nature même, à faciliter l' émergence de cerveaux
sommitaux et rebelles - que sur une tyrannie microbienne et rabougrie
par une municipalisation générale des esprits. Toute la tyrannie
de l'Etat soviétique reposait sur les privilèges minuscules accordés
au petit peuple sur ses lieux de travail et non sur l'endoctrinement
catéchétique de masse fondé sur le recrutement du clergé de choc
du marxisme-léninisme. On ne fonde pas une tyrannie sur des séminaires,
mais sur des sucettes.
6
- Une première classification des tyrannies
L'enfant dont l'intelligence aura été attirée dès les premières
années de sa scolarité sur la connaissance de la vie quotidienne
des hommes et des peuples insidieusement asservis apprendra à
distinguer deux types généraux de tyrannies municipalisées, mais
rattachées à une perversion propre seulement aux régimes républicains
: d'une part, celle qui reposera sur un Etat centralisé sur le
modèle bonapartiste, donc doté d'une seule tête - à laquelle il
suffira de maîtriser les phalanges supérieures du pouvoir démocratique
pour régner sans partage sur le pays - et celle, d'autre part,
qui dispersera et disséminera des milliers d'encéphales provincialisés
sur leurs jardinets et rendus soucieux de défendre leurs apanages
locaux, de sorte que leurs platebandes n'opposeront aucune résistance
organisée et clairement motivée pour défendre les intérêts supérieurs
du pays sur une scène internationale à laquelle, du reste, ils
n'entendent goutte.
Sachez
que la tiédeur de ce type de tyrannie permettra à un Etat infantilisé
du haut en bas de l'échelle sociale d'étêter les grands partis
politiques, puis de les minusculiser et de les réduire à l'état
vicarial, de sorte qu'une provincialisation fatalement inscrite
dès l'origine dans la logique interne qui commande la décentralisation
intensive d'un Etat deviendra le levier le plus puissant du pouvoir
central, puisque celui-ci aura été magistralement délivré d'opposants
sérieux et se trouvera fatalement appelé à régner sur une nation
tombée en léthargie. La puérilité politique succède à la tutelle
des capitales.
Alors qu'une République fermement unifiée par des institutions
réellement démocratiques se trouve menacée par des coups d'Etat
qui lui font changer de tête à en couper une seule, puis basculer
dans des tyrannies armées du glaive d'une faction ou de plusieurs,
une République précautionneusement réduite aux chefferies des
notables locaux inaugure une tyrannie à la fois molle et insidieusement
infiltrée dans les masses. Il faut un Etat lointain et occupé
ailleurs pour régner seul sur une population informe et réduite
à la sottise des obéissances invertébrées.
Mais si un peuple placé sous le joug d'une démocratie vassalisée
par sa médiocrité et sa paresse et domestiqué en sous-main par
un Etat étranger n'opposera aucune résistance à l'infiltration
parallèle des suçoirs de l'Etat dans sa chair et à l'installation
des bases militaires d'une puissance étrangère sur son territoire
et si, par conséquent, le tyran n'aura à combattre ni soulèvement
général, ni émeute locale sur son sol, parce qu'il faut que surgisse
un chef écouté et qu'il s'arme d'organes énergiques et puissants
pour vaincre un Etat de ce type, encore faut-il que je vous explique
dans le détail, mes enfants les moyens et les méthodes qui permettront
à un pouvoir exécutif tyrannique, mais doucereux et caressant,
d'introduire progressivement les doses d'arbitraire et les germes
du chaos indispensables à la consolidation durable d'une tyrannie
spécialisée dans l'asservissement des moutons.
7 - Un subterfuge du
Parquet
Et
maintenant, les petits, observez la tyrannie à l'usage d'une nation
en bas âge qu'exercera un Etat démocratique, mais décentralisateur,
donc provincialisateur, oyez comment il protègera, par exemple
les privilèges que la corporation des huissiers a hérités de l'Ancien
Régime : dans le cas évoqué ci-dessus, le Parquet vous répondra
tout uniment et sans sourciller qu'un faux constat ne le regarde
pas, parce qu'il s'agit d'une affaire civile par nature et par
définition. Il faut n'avoir pas froid aux yeux pour faire mentir
l'Etat et la loi à ce point et sans que Rousseau s'en étrangle;
car ce qui, en l'espèce, ressortit effectivement au droit civil,
c'est seulement le dommage prétendument constaté, mais non le
constat délictueux en tant que faux en écritures publiques.
Apprenez également, les petits, que tous les constats portent
nécessairement et exclusivement sur des dommages civils: vos aînés
n'appelleront pas un huissier, mais la police pour constater un
assassinat. Ils ont lu Simenon: le Commissaire Maigret leur a
appris que le cadavre de la victime sera transporté à la morgue
où il sera autopsié par le Dr Blanchot, médecin légiste de son
état. En revanche, dans une République dont les citoyens seront
retombés en enfance, la tyrannie s'infiltrera par le biais d'un
Ministère public effronté et qui feindra, en regardant des adultes
ignorants droit dans les yeux, de confondre un dommage civil avec
un crime ou un délit, ce qui engendrera un chaos juridique éloquent,
parce qu'il sera démontré que le despotisme s'insinue dans l'édifice
du droit par la porte dérobée, toujours la même, d'un grossier
subterfuge qu'on glissera en pleine connaissance de cause dans
la logique juridique. On voit qu'une éducation civique résolument
républicaine enseignera aux futurs citoyens à observer de leurs
yeux le nœud étroit qui rattache l'incohérence juridique à l'arbitraire
politique et comment ces deux pouvoirs se combattent ou s'harmonisent
depuis des siècles au sein de tous les Etats du monde, du simple
fait que tout despotisme a besoin de se corseter d'un Eden et
de se rendre souriant. Hitler et Staline étaient aimés pour leur
loyauté et leur bonté, Néron ravissait tous les cœurs à chanter
avec une couronne sur la tête et Tibère écrivait avec déférence
aux Sénateurs.
8
- Le droit pénal et la civilisation
Et
maintenant, mes chers enfants, examinons ensemble et avec des
yeux écarquillés comment la tyrannie moderne s'attachera à provincialiser
la justice de la France et à installer le pouvoir cajôleur de
l'Etat au-dessus d'une masse livrée à des corporations semi maffieuses.
Que va-t-il se passer au civil si, dans le souci évidemment tout
électoral dont témoignera le pouvoir exécutif de se ménager l'appui
des notables locaux, donc, entre autres, de consolider les prérogatives
de caste de l'influente corporation des huissiers, le Parquet
valide froidement des constats fallacieux? Le citoyen lambda se
trouvera privé du droit constitutionnel le plus fondamental dans
toutes les démocraties du monde, celui d' "ester en justice",
comme disent les juristes, c'est-à-dire de bénéficier d'un jugement
qualifié de "contradictoire" par les spécialistes du droit
civil. Pourquoi cela ? Parce que, dans une ville moyenne, aucun
avocat ne consentira à plaider contre un huissier et contre un
confrère tous deux complices effrontés d'un malfaiteur ou d'un
fraudeur.
Mais il y a plus: un avocat intrépide voudrait-il tenter de plaider
qu'il en serait empêché par le droit français, tout simplement
parce que la loi interdit aux avocats de porter l'accusation dans
les affaires pénales, donc de se substituer à l'Etat déficient
et de défier un Parquet qui n'aura pas retenu un forfait, puisque,
dans ce cas, le délit ne sera pas censé constitué aux yeux de
la loi et se trouvera soustrait d'autorité à tout examen et débat.
Voyez le cercle vicieux : le fait du prince frappera le citoyen
de l'interdiction absolue de démontrer le délit dont il est la
victime dès lors que, de son côté, il suffira à l'Etat de refuser
purement et simplement de tenir compte d'une disposition fondamentale
et universelle du droit constitutionnel pour bâillonner la liberté.
Vous avez dit tyrannie? Si cela n'en est pas une, qu'est-ce
qui le sera?
Mais
voyez comment des instituteurs avertis et qui auront été initiés
au droit éveilleront l'intelligence des enfants: ne sommes-nous
pas revenus, diront-ils, au Vème siècle avant Jésus-Christ, quand
Périclès disait d'Athènes qu'elle était la pédagogue du monde
hellénique tout entier pour avoir imposé à l'Etat, trois siècles
plus tôt, le devoir de châtier seuls les crimes et les délits?
Si le Parquet d'aujourd'hui décide librement de l'opportunité
d'appliquer la loi ou de la cacher sous le boisseau, que deviendra
une nation rendue complaisante aux délinquants par la volonté
même de l'Etat?
Il
est civilisateur au premier chef, donc par nature et par définition,
que le pénal demeure du ressort exclusif du Ministère public ;
et il est légitime qu'aucun Etat civilisé n'autorise la société
civile, toujours obligatoirement et exclusivement représentée
par les barreaux, à remplacer au pied levé un procureur corrompu.
Mais si la souveraineté que s'arroge le Ministère public l'autorise
expressément à se soustraire aux devoirs attachés à ses fonctions
par la loi et si l'Etat lui-même lui demande maintenant d'exercer
le privilège despotique qu'il s'est accordé de rayer d'un trait
de plume les responsabilités que la constitution lui fait un devoir
d'honorer, qui assurera la défense de la civilisation du droit?
9 - Le droit pénal, fondateur
de la civilisation
Mais vous n'êtes pas au bout de vos surprises, mes enfants : sachez
qu'à l'âge adulte et dans le cas extraordinaire où un Procureur
se déciderait à poursuivre un huissier au pénal, vous ne serez
pas habilités pour autant à vous porter partie civile contre la
fraude ou la corruption d'un fonctionnaire ou d'un officier ministériel,
tellement, ils sont grands, les privilèges nouveaux des notables
de l'Etat qui ont remplacé ceux de l'aristocratie et que le peuple
français avait abolis d'un trait de plume au cours de la nuit
d'illustre mémoire du 4 août 1789.
Mais
voici un peu de baume au coeur pour l'éducation nationale de demain
: les Procureurs se trouveront placés sous la surveillance non
seulement du corps enseignant, mais également d'un Ministère de
la culture responsable de l'avenir de la civilisation française
et chargé de la défendre contre l'Etat lui-même si besoin est,
tellement personne ne se place davantage au cœur de la patrie
de la raison et de la Liberté et nul n'a davantage besoin de se
trouver sans cesse rappelé à l'ordre qu'un Ministère public menacé
par sa propre ignorance et sa propre sottise. Vous me direz que
le Conseil constitutionnel est chargé de cette mission. Mais que
peut-il s'il n'a pas lu les grands écrivains et les philosophes?
Souvenez-vous, mes enfants, de ce que la substitution de l'Etat
de droit écrit à la vengeance privée est la pierre angulaire sur
laquelle la cité civilisatrice a été bâtie au VIIIè siècle avant
notre ère, quand les villes grecques ont substitué l'autorité
d'une politique du droit au règne aveugle de la vendetta généralisée
et ont réussi l'exploit, inouï à l'époque, de faire triompher
le principe selon lequel le citoyen qui se sera couvert de sang
afin de se faire justice ne sera plus absous et sera jugé à son
tour. Mais ce sont les grands écrivains qui ont inspiré les progrès
du droit; et dites-vous bien, mes enfants, que l'acte de baptême
de la civilisation de la justice n'a été rendu possible qu'en
raison de l'extrême sévérité des lois pénales des origines, parce
que seule leur rigueur a pu convaincre des citoyens jusqu'alors
sans défense et contraints de recourir à la force de leurs bras
qu'ils trouveront bien davantage leur compte à remettre leur protection
armée entre les mains des tribunaux qu'à se fier à leurs propres
poignards.
C'est
pourquoi le droit du citoyen de faire appel au pouvoir solitaire
dont seul un Etat civilisé sera autorisé à user afin de servir
de bouclier légal à la population contre les voleurs, les assassins
, les malfaiteurs , puis la plaie des huissiers falsificateurs,
ce droit, dis-je, se trouve désormais inscrit dans la Constitution
à titre de fondement à la fois juridique et culturel de tous les
Etats du monde. Et seuls, depuis lors, les peuples habilités à
faire valoir leur identité d'acteurs d'une histoire devenue culturelle
sur la scène internationale sont légitimés par le droit international
public.
C'est
pourquoi une nation privée de l'autorité d'un pédagogue suprême
n'a pas de gardien de l'esprit des lois face aux fourmis innombrables
de la Lettre.
10
- Le juge civil capitule devant les Vautrin du Ministère public
Nos intellectuels n'ont pas encore été éduqués sur les bancs de
l'école. Leur ignorance du droit et des lois est apparue au grand
jour lorsque le Président Mitterrand a usé de l' expression "le
droit des gens" : tous se sont imaginé qu'il invoquait le
droit des personnes, alors qu'il s'agit des Etats, les gentes,
les peuples. C'est pourquoi nos Procureurs trop dociles
aux intérêts de la basoche sont coupables de prendre appui sur
l'ignorance de nos élites elles-mêmes pour se changer en fossoyeurs
d'une civilisation intellectualisée par le droit.
Sachez,
mes enfants, qu'il n'y a plus d'Etat, donc plus de droit international
public si les faits qui motivent les procédures devant les tribunaux
civils peuvent être librement imaginés par des huissiers spécialisés
dans la littérature de fiction, donc si les procès ne trouvent
leur assise que dans la réalité balzacienne du monde des Vautrin
de la politique. Les huissiers d'autrefois étaient des maçons
assermentés, et c'était sur leurs attestations garanties par l'Etat
que l'édifice du droit était solidement construit. S'ils se font
désormais les fabulistes du droit, la civilisation des lois capitule
tout entière.
Mais
voyez comme il suffira d'une disposition prise quasiment en cachette
par un pouvoir exécutif provincialisé pour ruiner tout l'édifice
du droit public et privé, puisque le citoyen soumis au type de
tyrannie qui résultera fatalement du renoncement d'un Parquet
local à exercer les fonctions à la fois juridiques et culturelles
que la loi lui impose se verra condamner d'office au civil faute
d'avoir pu se faire représenter par un avocat devant le tribunal,
puisque, comme je l'ai rappelé plus haut, ni le barreau local,
ni celui de Paris ne sont autorisé à plaider un délit, alors que
Démosthène lui-même ne saurait innocenter son client s'il lui
est interdit de démontrer la fausseté de l'acte d'accusation.
Mais
alors, regardez bien comment la justice civile française s'est
d'ores et déjà résignée à se présenter bâillonnée devant le Parquet
et combien son indépendance de principe est devenue toute formelle:
quoique dûment informé de la plainte du justiciable,
le tribunal fermera résolument les yeux et déclarera, pieds et
poings liés, que la procédure aura été "réputée contradictoire",
fiction selon laquelle le procès sera censé avoir été conduit
à son terme en pleine conformité avec la loi et avec le droit
constitutionnel français.
11
- Aux armes, citoyens !
Mais
pour enseigner dès l'âge scolaire aux futurs citoyens à radiographier
le pouvoir politique vassalisé qui guide la tyrannie moderne des
notables, il faut que l'arbitraire auquel la République actuelle
livre la justice de province s' éclaire à la lumière des motivations
secrètes qui commandent l'appareil judiciaire d'un Etat que son
amollissement même arme des piques et des épines de la médiocrité.
Pour le comprendre, observez la loupe à l'œil comment les huissiers
ont obtenu, comme sous la royauté, le privilège exorbitant de
taxer librement le montant de leurs exploits sur tout le territoire
de la République, alors que, dans le même temps, une France aux
yeux mi-clos persiste le plus officiellement du monde à charger
des Parquets endormis de contrôler leurs tarifs.
Dans
un premier temps, le Ministère public a eu l'habileté de déléguer
aux Présidents des tribunaux civils le soin de contraindre ces
officiers ministériels à s'en tenir aux prix qui fixent le montant
de leurs actes: il suffisait de présenter une réclamation écrite
au Président du Tribunal de l'endroit pour qu'il ramène d'autorité
leurs émoluments au niveau décrété par l'Etat. Mais, il y a quelques
mois, on a vu les décentralisateurs décréter un moyen astucieux
de laisser la bride sur le cou à la corporation: le citoyen lésé
devra demander à un autre huissier de présenter dans les règles
une assignation coûteuse au Président du Tribunal afin qu'il veuille
bien rétablir les tarifs légaux.
Vous
me direz que cela lime et rogne astucieusement le pécule des plaideurs
réticents à vider leur escarcelle, parce qu'encore faudra-t-il
que le jeu en vaille la chandelle, donc que des dépenses inutilement
répétées pour seulement accéder à l'écoute de Bridoison ou de
Raminagrobis ne devront pas s'élever au-dessus des frais déjà
abusivement multipliés par le premier huissier. Vous n'y êtes
pas, bonnes gens: peut-être ignorez-vous que, dans les petites
villes, un huissier plus solitaire que Crusoé tient seul les cordons
de la bourse - car il dispose du monopole absolu de dresser des
constats. On appelle ce pactole la "compétence territoriale".
Vous ne trouverez donc aucun officier ministériel, serait-ce à
mille lieues à la ronde qui serait habilité à exploiter la mine
d'or des assignations à adresser au Président du Tribunal de l'endroit.
Peut-être ignorez-vous également que, dans les villes moyennes,
une seule paire d'huissiers dispose de l'écusson de la légitimité
requise et que ces jumeaux refusent tout net de mettre leurs goussets
partagés en difficulté. Peut-être ignorez-vous également que dans
les villes plus peuplées, vous aurez affaire à trois sbires des
protêts et quelquefois à quatre, de sorte que la République a
réussi à laisser trottiner nos bretteurs de la chicane sur le
pré carré des privilèges dont les plaideurs de Racine nous ont
fait connaître les glorieux faits d'arme.
12
- La suppression du juge d'instruction
Les instituteurs prendront soin d'instruire les enfants du sens
politique de la suppression du juge d'instruction et de leur apprendre
à décrypter dès le plus jeune âge l'art des Etats de jeter de
la poudre aux yeux des ignorants. Certes, ce magistrat s'est bien
souvent montré un despote sorti tout droit de la manche de Napoléon.
Souvenez-vous du procès Villemin, dans lequel un juge d'instruction
juvénile et vaniteux avait jeté en prison pour de longs mois une
mère désespérée par l'assassinat de son enfant, puis, devenu une
vedette du petit écran, avait publié à grand tapage un livre à
sa gloire, titré Le petit juge, souvenez-vous de
l'affaire d'Outreau où tant de notables ont été jetés pêle-mêle
en prison sans un minimum de bon sens, souvenez-vous du Directeur
de Libération envoyé cul nu devant le juge, souvenez-vous
de celle qui fêtait ses victoires au champagne, souvenez-vous
de ceux qui forçaient les portes de l'Elysée. Mais savez-vous
que 3% seulement des affaires leur sont confiées et qu'il leur
est interdit de s'auto-saisir, de sorte que c'est toujours l'Etat
qui les lance à la poursuite du gibier et qui leur fournit la
somptueuse vènerie des chasses à courre de la justice démocratique.
La vérité est ailleurs: il y a quarante sept mille avocats en
France. Pour tenter de survivre, cette armée souvent famélique
demande mille cinq cents euros au minimum pour seulement présenter
à la signature du Président du Tribunal les accords conclus entre
les conjoints sagement décidés à se séparer sans mêler la machine
de l'Etat au règlement de leurs affaires de ménage. Les prérogatives
des robes noires vont s'étendre à l'assistance de leurs clients
dès leur arrestation. Mais vous imaginez bien que les délinquants
sans le sou - ils sont assistés par des avocats désignés d'office
et fort mal payés par l'Etat - n'y trouveront aucun avantage,
tandis que les notables, soutenus par un avocat souvent hors de
prix, disposeront d'une toute autre influence auprès de ce grand
notable de l'Etat qu'est le procureur. C'est pourquoi Mme Guigou
, ancienne Garde des Sceaux, déclare que nous assistons à la fin
du mythe de l'égalité des citoyens devant la loi, tandis que M.
Robert Badinter écrit : "L'argent sera le nerf de la guerre
(…). L'efficacité de l'avocat dépendra de ses relations avec le
procureur." (Le Monde, 2 septembre 2009).
L'Etat
provincialisateur fait coup double: d'un côté il classera sans
suite les affaires les plus gênantes pour lui, ce qu'il fait déjà
et depuis fort longtemps, puisque les juges d'instruction sont
empêchés de se saisir eux-mêmes, comme il est rappelé ci-dessus,
de l'autre, les barreaux locaux et les notables verront leur confraternité
naturelle renforcée avec des procureurs auxquels vous savez que
la Cour européenne de justice a d'ores et déjà retiré leur titre
de magistrat.
13
- L'humanité dans le miroir du politique
Si, dès les bancs de l'école, l'instituteur s'attachait à faire
tomber les écailles des yeux des futurs citoyens, il deviendrait
républicain que l'éducation nationale rappelât chaque année à
l'ensemble du corps enseignant que sa mission est celle d'une
sentinelle de la civilisation française et que toute tyrannie,
qu'elle soit spectaculaire ou larvée, prive le peuple de l'exercice
des droits attachés à la personne humaine par le génie civilisateur
de l'humanité. Comme elles seraient patriotiques, les directives
pédagogiques d'une République qui inclurait dans ses devoirs et
sa vocation d'expliquer aux enfants qu'un Etat despotique parviendra
toujours à donner le change et à sauver les apparences du droit
et de la liberté aux yeux des ignorants et des sots et qu'il est
aisé de couvrir l'arbitraire des vêtements dorés des procédures
solennellement privées de contenu réel, parce que réduites à la
parade d'une danse rituelle!
Sachez, mes enfants, que sous la République, les Romains avaient
osé vulgariser l'expression : vervecum in patria, la "dans
la patrie des imbéciles", et qu'à ce titre, vous avez
le droit de savoir que vous appartenez déjà à la génération des
arrière-petits-fils de Darwin. Que vous enseigne l'auteur de L'évolution
des espèces? Qu'une nation livrée à une mauvaise justice retombe
parmi les sorciers. Songez également, mes enfants, que les magiciens
ont découvert , il y a des milliers d'années, que les sortilèges
et les amulettes sont les clés du pouvoir politique, parce qu'ils
permettent de masquer aux yeux des sots la violation ou la négation
pure et simple de l'esprit de la loi.
Quand
un Parquet du pays des contes d'Alice décide en toute souveraineté
que la fraude ou la corruption d'un huissier n'est qu'une histoire
à dormir debout dans une démocratie vouée au culte des merveilles
de la Liberté et qu'il est sacrilège de profaner l'innocence native
dont bénéficie la justice dans l'Eden de la civilisation des droits
de l'homme, on verra tout l'appareil du droit civil prendre appui
sur les dérobades et les défaussements en chaîne d'un "Etat
de droit" tartuffique des pieds à la tête; et les fausses
dévotions républicaines se calqueront sur le modèle des piétés
contrefaites que le génie de Molière ou le Stendhal du Rouge
et le Noir ont immortalisées.
Mes enfants, l'éducation nationale a le devoir de vous enseigner
les rudes vérités que les grands écrivains du monde entier et
de tous les temps ont couchées noir sur blanc sur le papier et
que l'on vous cache dans les plis d'une catéchèse républicaine
pudibonde. Rêvons d'une génération éclairée dès son plus jeune
âge d'un regard en mesure d'observer à la fois l'histoire du droit
et de la politique dans leur crudité, l'histoire des Etats et
celle des cerveaux dans leur tragique, l'histoire barbare de la
croyance en une divinité scindée entre son ciel et sa chambre
des tortures sous la terre.
Formons donc des pédagogues-anthropologues dignes des plus hauts
blasphèmes de l'inte et qui porteront un regard profanateur sur
deux perversions étroitement conjointes, celle de la politique
et celle du droit public attelées au même corbillard. Alors seulement
la jeunesse de France radiographiera la justice de la nation à
la lumière d'un parallèle saisissant entre le tartuffisme juridique,
le tartuffisme politique et le tartuffisme des fausses piétés
- et toute notre haute éducation nationale se rendra panoramique
à l'école d'une anthropologie abyssale, tellement la tyrannie
s' enracine au plus profond de l'humanité et des Etats!
Et
maintenant, allons au plus secret des catéchèses faussement vertueuses
et tentons d'initier les enfants à l'apprentissage des ultimes
arcanes du politique. Quel est le tissu de Swift? La politique.
Le tissu de Shakespeare? La politique. Le tissu de Cervantès?
La politique. Le tissu de Molière, de Rabelais, de Balzac? La
politique. Quels sont leurs sacrilèges? Que disent-ils à nous
tendre le miroir dans lequel ils nous demandent d'apprendre à
nous regarder droit dans les yeux?
14
- Le miroir de la tyrannie
Ils nous disent que seul un scannage de l'Etat provincialisateur
nous permettra de découvrir l'intérêt essentiel qui l'appelle
à s'aliéner de nombreux citoyens sur tout le territoire de la
République et cela au seul profit d'une impunité et d'un arbitraire
destinés à culminer dans la complicité des Parquets avec la corporation
des huissiers et des barreaux locaux. Ce choix politique n'est-il
pas incompréhensible à première vue, donc irrationnel et même
suicidaire aux yeux du tyran lui-même si l'on ne s'arme d'un microscope
et d'un télescope étroitement associés? Car il faut savoir que
l'influence des notables grands et petits s'est toujours révélée
décisive et qu'eux seuls fondent les régimes politiques sur la
durée, parce qu'il n'appartient jamais qu'à eux d'entretenir un
climat propice à la légitimation du pouvoir d'Etat et de le rendre
inexpugnable.
Mais pourquoi ces blasonnés se sont-ils montrés de tous temps
les bastions et les forteresses des gouvernements tenus pour légitimes?
Ils ont tué Romulus, puis ils ont prétendu qu'il était descendu
du ciel pour légitimer leur autorité toute neuve et prophétiser
à leur seul avantage le glorieux avenir des Romains. Ce sont eux
encore qui, quelques siècles plus tard, ont livré la République
des Quirites aux Caligula, aux Néron et aux Tibère. Que font-ils
qui leur appartienne en propre à l'heure où la France flotte sur
la scène internationale et hésite à saisir son avenir et celui
du monde à bras le corps? Voyez comme ils s'attachent à rassurer
un peuple rendu d'ores et déjà tout passif, voyez comme ils cautionnent
maintenant leur propre ignorance et la cachent sous l'apparat
attaché aux colifichets de leur honorabilité de façade.
Quelle
est donc leur inspiration millénaire et que savent-ils d'instinct,
sinon que les masses du XXIe siècle ne sauraient disposer davantage
que celles d'hier et de demain des moyens de défendre les intérêts
supérieurs d'une nation dans une civilisation plus fragmentée,
compartimentée et livrée aux folklores que jamais ? Ce sont les
hobereaux de la politique qui garantissent le sommeil des peuples
par le seul spectacle qu'ils leur offrent de leur aisance tranquille
et bien vêtue. Leurs privilèges étriqués rendent aux Etats de
l'Europe vassalisée d'aujourd'hui l'immense service de mettre
leurs intérêts véritables en veilleuse. L'émiettement et la parcellisation
d'un continent est une pointure qui convient à leurs pieds.
C'est pourquoi toutes les révolutions populaires ont été téléguidées
non point par les masses, mais par des notables froissés et un
instant insuffisamment choyés. Leur encolure offensée mobilise
leur petitesse tantôt au profit de quelque prince éclairé, tantôt
de quelque soudard de passage. Si un grand homme - un Solon, un
Périclès, un Scipion l'Africain - les tient par la bride et dore
leur licol, ils paraissent de taille à donner de l'éclat et de
la grandeur aux cités. Athènes, Venise, Florence, Rotterdam, Londres,
Paris ont paru porter leurs armoiries; mais en réalité, ils ne
s'agrippent jamais qu'à leur minusculité couronnée; et c'est dans
le miroir de la petitesse de leur justice qu'il faut les regarder
déambuler. Puisse le petit manuel du tyranneau pansu nous enseigner
que le tonneau de poudre n'est jamais le peuple, mais les besaces
et les bedaines des baronnets girondins rendus un instant indociles
par des outrages passagers à leur étiquette et ambitieux seulement
de retrouver leurs tabourets.
Si
notre éducation nationale formait une génération instruite des
arcanes du droit et de la politique, les futurs historiens de
la vassalisation de l'Europe observeraient au microscope l'ignorance
et la complaisance des notables du XXe siècle, et ils seraient
éberlués de ce qu'une classe dirigeante élue au suffrage universel
par un peuple ignorant aura gardé le silence sur l'occupation
militaire de tout le territoire du Vieux Monde par les bases militaires
d'une puissance étrangère pendant soixante-dix ans. Vous êtes
les responsables de l'intelligence de la civilisation de demain;
mais si les Etats démocratiques d'aujourd'hui ne décidaient pas
de forger une génération de la lucidité politique, les élites
dirigeantes de demain seront de la même facture que celles d'aujourd'hui
et il sera bien inutile de les accuser de lâcheté et de sottise,
puisque seule l'ignorance est la source de tous les maux.
15
- Vers un sursaut jacobin de l'esprit républicain
Direz-vous
que le type de tyrannie que sécrètent les Etats décentralisateurs
et provincialisateurs est tellement bénin qu'il suffira d'instruire
les nouvelles générations des tyrannies plus sérieuses que celle-là
et qui confient les rênes de la nation à une puissante police
politique ou à une junte militaire ? Direz-vous que le naufrage
de l'Etat démocratique dans la provincialisation des lois est
moins dangereux que celui des baïonnettes sur lesquelles Mirabeau
rappelait combien il est difficile de s'asseoir? Dans ce cas,
lisez d'autres textes encore sur ce site :
- II - Le paysan
du Danube et le roi de France, 15juin
2009
- I - Le paysan
du Danube et le roi de France, 25
mai 2009
- La
France et sa justice (Bis) , 22
décembre 2008
- La France
et sa justice, 15 décembre 2008
- L'anthropologie
critique et la pesée des civilisations, L'Etat et la corruption
de l'appareil de la justice, 9 Lettres ouvertes à Mme Rachida
Dati, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux,
30 juin 2008
- La justice
française face à l'hydre de la corruption interne (suite)
Lettre ouverte à M. François Fillon et à Mme Rachida Dati,
26mai 2008
- La justice
française face à l'hydre de la corruption - Lettre ouverte
à un Procureur de la République, 31
mars 2008
- Où la justice
française en est-elle ? (suite) M. Lambda se rend devant la
Cour européenne de Justice, 11 février
2008
- Où la justice
française en est-elle ? Lettre ouverte à un Président de Tribunal
de grande Instance, 4 février 2008
C'est que les tyrannies répondent aux formes diverses qu'empruntent
les décadences, de sorte que la médiocrité recourt à des armes
plus émoussées que celles dont use la folie batailleuse des condottiere.
Mais croyez-moi, toutes les tyrannies ont rendez-vous avec le
sang.
Mais peut-être ai-je quelques chances de vous inquiéter davantage
si je vous confie que j'ai pris un soin scrupuleux à vérifier
que, du haut en bas de la hiérarchie, l'Etat actuel est au courant
du complot girondin, puisqu'il le pilote et y met activement la
main. Sachez donc, les enfants, que les Ministres de la Justice
successifs de la France ont décidé de donner systématiquement
raison aux Parquets locaux qu'ils chargent de classer sans suite
les constats fictifs des huissiers; sachez que la République des
droits de l'homme n'a cure de priver les victimes de la capacité
d'ester en justice.
J'oubliais les dernières nouvelles du front. Le 8 septembre 2009,
le Syndicat de la magistrature publiait le communiqué suivant:
"En cas de pandémie de grippe H1N1, le gouvernement aurait
prévu des mesures qui relèvent de l'Etat d'exception : les audiences
seraient confiées à un seul magistrat, la détention provisoire
serait prolongée, les gardés à vue ne verraient leur avocat qu'à
la 24e heure de leur détention."
Citoyens, n'ignorez pas plus longtemps les commencements timides
et les lents cheminements d'une tyrannie provisoirement armée
de la petitesse d'esprit de la province. Sinon la tyrannie des
poignards vous prendra par surprise. Quand leur heure sera venue,
il sera trop tard pour combattre vos étrangleurs. Ils sont déjà
dans l'escalier. Quand ils frapperont à vos portes, ils vous laisseront
tout benêts.
le
14 septembre 2009