Introduction
Au XVIIIe siècle,
les Voltaire et les Diderot incarnaient l'avant-garde de la
raison et de l'intelligence sur notre astéroïde. Que diraient-ils
aujourd'hui d'un grippage de la pensée et de la philosophie
mondiales qui réduit les armes de guerre contre la religion
musulmane à l'ignorance et à la sottise de quelques caricaturistes?
Comment se fait-il que l'esprit critique de la civilisation
de la science ait dégénéré au point qu'il ne nous reste que
quelques dessinateurs ridicules, comment se fait-il que le culte
de la "liberté d'expression" paie tribut à la vulgarité
et à l'infantilisme au point d'interdire le combat contre l'inculture
et la bêtise, tellement le respect de la "tolérance" met désormais
la faiblesse d'esprit elle-même à l'abri des offenses de la
raison? Si le siècle des Lumières avait combattu le christianisme
avec les armes de Charlie Hebdo, non seulement
la censure ecclésiastique mais les tribunaux de la Sainte Inquisition
auraient encore de beaux jours devant eux.
Mais puisque l'on
n'a trouvé aucun écrivain et aucun philosophe pour traiter de
la question centrale des relations que toutes les religions
entretiennent nécessairement avec le meurtre sacré qui les fonde
et qu'on appelle le sacrifice, je consacrerai deux analyses
successives au cas Andres Behring Breivik, alors qu'il s'agissait
d'une occasion à saisir pour une prise de conscience de la condition
simiohumaine à la lumière d'une anthropologie transcendantale.
Car ce n'est pas
de la Norvège et de sa culture qu'il s'agit, mais de l'immense
et féconde postérité, politique et philosophique de la révolution
littéraire inaugurée avec Antigone et Oedipe-roi
de Sophocle, Crime et Châtiment de Dostoïevski,
La Guerre et la Paix de Tolstoï, La Colonie
pénitentiaire de Kafka, Le Voyage au bout de la
nuit de Céline, qui ont situé le meurtre au cœur de
la politique et de l'histoire.
Certes, la pensée
rationnelle du XVIIIe siècle s'était encore limitée à une guerre
rieuse ou sarcastique contre les superstitions cultuelles les
plus sottes et les plus cruelles dans lesquelles la théologie
de l'immolation rédemptrice des chrétiens était tombée depuis
plus d'un demi-millénaire. Mais au XXIe siècle, s'il se trouvait
que la mythologie doctrinale fondée sur l'assassinat de l'autel
exigeait encore une réfutation calquée sur l'ironie superficielle
de Voltaire, la planète de la raison demeurerait paralysée pour
longtemps encore, tellement les armes de la pesée philosophique
des offertoires et des propitiatoires sont devenues celles d'une
radiographie anthropologique des théologies demeurée viscéralement
oblatives. Mais Platon ne réfutait-il pas déjà le comique cérébral
des sophistes de Zeus par le ridicule dont il couvrait ces précurseurs
de toute la scolastique sur le théâtre de l'histoire des meurtres
sacrés?
C'est dire que le
XXIe siècle conduira à un approfondissement vertigineux de la
connaissance des arcanes zoologiques de la condition simiohumaine;
c'est dire que les actrices de vaudeville qu'on qualifie abusivement
de "sciences humaines" seront reléguées dans l'astronomie de
Ptolémée; c'est dire que le cœur de la civilisation de la pensée
logique a commencé de battre avec le coup d'envoi d'un humoriste
athénien, celui d'un "Connais-toi" sans frontières.
Mais pour que l'anthropologie
critique se donnât l'ambition de porter un regard de l'extérieur
sur deux meurtriers associés, Dieu et Caïn, encore fallait-il
que se produisît un évènement exemplaire - l'apparition d'un
tueur de masse dont le meurtre se révèlerait un décalque parfait
de l'identité saintement dédoublée du génocidaire du Déluge,
dont on sait que la justice se scinde entre les exigences d'une
charité censée infinie et la sauvagerie réputée équitable des
tortures éternelles auxquelles il soumet les récalcitrants à
son autorité politique et morale.
Du coup, toute radiographie
luciférienne du cosmos des assassins devient heuristique à souhait
; et la démonstration de la férocité cachée des religions angéliques
contraint l'humanisme craintif et timide de l'Occident à une
levée d'écrou de ses prisonniers - à savoir les interdits qui
frappent encore de nos jours l'analyse anthropologique donc
sacrilège de Caïn et de son double céleste. La mise en lumière
de la logique séraphique qui commande les massacres sacrificiels
d'hommes et d'animaux illustrera les apories politiques qui
condamnent désormais notre humanisme d'enfants de chœur à percer
la cuirasse du sacré. Le scannage du tueur para biblique Andres
Behring Breivik me permettra de soulever la chape de plomb de
la peur qui paralyse la connaissance socratique de l'identité
réelle des évadés bien-pensants de la zoologie?
*
1
- Salut à la Norvègee
2
La sainteté du vengeur divin
3
- Remerciements
4
- La ciguë de la connaissance
5
- Les cruautés de la ruche et du nid
6
- L'animalité de Dieu
7
- Le microscope inconnu
8
- L'identité du simianthrope
9
- Une laïcité acéphale
10
- Le meurtre de masse
11
- La rencontre des sciences humaines avec Caïn
12
- Le débarquement de Caïn dans les sciences humaines du XXIe
siècle
1
- Salut à la Norvège

On sait que le procureur près la cour d'assise d'Oslo a plaidé
la folie, donc l'irresponsabilité pénale d'un assassin de soixante
dix-sept de ses compatriotes et que les jurés populaires ne l'ont
pas suivi dans sa clémence. Comme la corde, la hache et la guillotine
se trouvent évidemment reléguées au musée dans un pays aussi définitivement
civilisateur que la Norvège et qu'en outre aucun criminel n'y
subit une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à vingt
et un ans, ce sera dès la quarantaine et jusqu'à la fin de ses
jours que la jeunesse de ce pays rencontrera sur les trottoirs
de la capitale un citoyen purifié par le paiement rubis sur l'ongle
et pour solde de tout compte de sa dette à ses concitoyens. Mais
si, depuis l'abolition de l'écartèlement et de l'estrapade, les
progrès de la civilisation des expiations carcérales ne coûtaient
pas cher en frais rédempteurs tarifés, il y a longtemps que les
vengeurs du Beau, du Bien et du Juste montreraient les crocs des
lions de la démocratie. Et puis, rien ne saurait faciliter davantage
l'approfondissement de la science anthropologique que le compagnonnage
des descendants parfumés de Caïn que nous appelons l'humanité
avec un pseudo pourfendeur de la démocratie qui croit combattre
le salmigondis culturel mondial de notre temps par l'assassinat
purificateur.
2
- La sainteté du vengeur divin
La
preuve idéale de ce que l'humanité ne se laisse civiliser qu'à
l'odeur de l'encens que sa crinière répand sur son parcours est
précisément construite à son tour sur le modèle griffu du divin,
de sorte que le Dieu unique et ses foudres ont tout simplement
pris un immense retard sur les senteurs de la justice d'Oslo.
La meilleure preuve en est fort connue : on sait que la bête à
la fois tueuse et fleurie que nous avons substituée aux boys scouts
de l'Olympe de nos pères et que nous avons installée en ermite
de son éternité dans le vide de l'immensité a noyé la masse de
ses créatures le plus charitablement qu'il était possible, à l'exception
d'un certain Noé au sauvetage duquel je dois d'entretenir mes
lecteurs de la connexion séraphique et luciférienne qui relie
le tueur Andres Behring Breivik au génocidaire sacré dont nous
saluons les saints nettoyages mais qui s'est mis tellement à la
traîne des effluves que répandent ses créatures rachetées qu'il
en reçoit siècle après siècle des leçons de justice en retour;
et puisque le tortionnaire céleste que Pascal appelait le " boucher
obscur " n'en finira jamais de me faire bouillir à petit feu ou
à gros bouillons dans ses marmites souterraines, je salue la hauteur
de vues et l'esprit d'équité d'un pays dont les tribunaux se montrent
moins infatigables à mon égard que celui du grand exterminateur
dont deux millénaires n'ont pas suffi à assouvir la vengeance
à l'égard de sa chétive créature.
On me reprochera sans doute de livrer le cyclope divin aux sacrilèges
et aux blasphèmes d'une anthropologie critique dont on connaît
l'indocilité. Mais à qui la faute si les dévots béatifiés par
leur propre obéissance se ruent sur leurs hosties comme les fauves
sur leurs proies, à qui la faute si l'on brûlait tous vifs, il
y a deux siècles encore, les impies dont l'œil évangélique jugeait
pestilentiel le plus illustre des massacres sacrés dont l'humanité
ait conservé la mémoire.
3
- Remerciements
M.
Andres Behring Breivik n'est l'auteur que d'un Déluge miniaturisé,
mais ses crimes se sont révélés non moins dévotement vengeurs
que ceux du génocidaire insatiable de la Genèse. De plus sa célèbre
hécatombe mettra à sa disposition un meublé de trois pièces dans
une aile spécialement aménagée des Bastille que la Norvège réserve
aux criminels d'un renom exceptionnel. Ce sera donc dans la prison
la plus confortable de ce pays d'avant-garde qu'il me faudra mettre
sous clé l'illustre Dieu inassouvi de Caïn. Dans la première chambre,
le microscopique imitateur norvégien du Titan de la mort dormira
sur les deux oreilles, dans la seconde il se livrera à des exercices
de gymnastique et de musculation solitaires, mais utiles à la
conservation de sa santé tant physique que mentale, dans la troisième
il se livrera à l'étude minutieuse de mon anthropologie admonestative.
Je remercie le gouvernement norvégien de m'avoir procuré un élève
aussi studieux et dont les simianthropologues les plus connus
de la planète m'envieront le privilège d'observer les performances;
car il s'agit bel et bien du spécimen le plus représentatif du
genre simiohumain et de ses idoles les mieux apprêtées, donc de
l'insecte dont les tentacules théologiques se laissent radiographier
en laboratoire. Mais je m'empresse de rassurer les spécialistes
sur la précarité des prérogatives qui me sont accordées. M. Andres
Behring Breivik ne sera que le cobaye sur lequel une science nouvelle
des neurones de Caïn et de ses descendants vérifiera les paramètres
de son savoir et de sa méthode. La théopolitique expérimentale
attendait une courroie de transmission emblématique de la problématique
générale qui l'inspire. Il lui manquait un vérificateur d'exception,
c'est-à-dire une bestiole à projeter sur l'écran géant des expiations
qu'on appelle le péché originel.
4 - La ciguë de la
connaissance
L'anthropologie
d'avant-garde que je tente de déposer sur les fonts baptismaux
d'une simianthropologie universelle attendait un document tellement
paradigmatique qu'il permettrait enfin à cette discipline de filmer
l'histoire de notre espèce d'un côté et, de l'autre, ses ramifications
cérébrales dans le ciel d'un tueur-né. Il s'agit de soumettre
à l'examen des spécialistes du sacré un tableau unifié du champ
entier des carnages sacrés et profanes d'ici bas et de leur illustration
amplifiée dans la théologie des représailles éternelles d'un justicier
absolu, ce qui autorisera cette science à tracer une frontière
nouvelle entre l'animalité de la créature et celle du Dieu qui
la dédouble. Certes, il est sacrilège de mettre en parallèle -
et à la lumière d'un comparatisme périlleux - l'évolution de l'éthique
respective du singe locuteur et des mastodontes sanglants que
sécrète son encéphale. Mais le petit génocidaire d'Oslo nous conduit
tout droit et comme par la main à la question cruciale de savoir
à quel instant le simianthrope est censé avoir quitté définitivement
le règne animal pour devenir le tortionnaire gigantal qui lui
servira de modèle et qu'il vénèrera de siècle en siècle. L'heure
aurait-elle sonné à l'horloge de l'évolution où l'homme commencera
de se colleter, lui aussi, en carnassier solitaire avec un vide
terrifiant?
5
- Les cruautés de la ruche et du nid
Il
faut savoir que le gouvernement norvégien a pris grand soin de
mettre en place une équipe de rivaux résolus de ma discipline:
l'illustre captif sera examiné sous toutes ses coutures et retourné
cent fois sur le gril de la civilisation mondiale d'aujourd'hui.
Un peloton de pédagogues chevronnés pèsera sa démence, sa normalité
ou sa responsabilité restreinte sur la balance de la prudence
du ciel norvégien ; et à titre préventif, mes confrères tenteront
pieusement de réintégrer mon malade dans la communauté confessionnelle
et civique du pays. Mais il s'agira, en réalité, de le conditionner
à nouveaux frais et sur le même modèle d'individu supposé trans-zoologique
et bien connu de notre temps, il s'agira de le faire couler derechef
dans le moule d'un Adam répertorié dans nos herbiers. Bref, on
demande en catimini à mon laboratoire de remettre discrètement
mon scalpel dans sa trousse. Mais on me lance un défi redoutable,
et qu'on se garde bien de m'avouer ; car loin d'observer l'abeille
ou la guêpe avec les yeux souverains de la ruche ou du nid, on
sait que mon laboratoire s'est spécialisé dans l'observation,
la loupe à l'œil, des cruautés de la ruche et du nid. Il y faut
une autopsie des insectes les plus représentatifs des dards dont
ils sont armés sur la terre et dans l'éternité.
Car si vous observez Caïn avec les gentilles bésicles du Dieu
de Caïn sur le nez, vous le verrez avec les yeux béatifiés de
la Norvège, donc avec les lunettes de la conscience auto sanctifiante
de la piété protestante, tandis que si vous observez le tueur
réfléchi sur la rétine de Caïn, vous aurez des surprises, dont
la première sera de faire progresser le "Connais-toi" d'un certain
buveur de la ciguë de la connaissance.
6
- L'animalité de Dieu
Dès
ses premiers pas, je ferai de mon tueur sanglant le plus socratique
des auxiliaires de la mort, afin qu'en retour il initie ses éducateurs
démocratiques au démontage des saints ressorts et des engrenages
dévots de la théopolitique d'un gibet sur lesquels les semis évadés
de la zoologie ont été construits par la nature, puis affûtés
à l'épreuve de leurs potences. Alors seulement, le nid de guêpes
deviendra la balance sur laquelle notre espèce s'exercera à la
pesée du Caïn céleste et de son sosie parmi nous. Quand nous connaîtrons
les arcanes de l'animalité partagée de Dieu et de sa créature
- ces deux-là se révèleront de mèche - et il faudra bien qu'ils
avouent sous le bistouri du chirurgien ce qu'il adviendrait de
leur éthique en indivision s'ils quittaient le règne animal d'un
commun accord et la main dans la main. Mon spécimen norvégien
nous conduira donc à la découverte des secrets de l'évolutionnisme
darwinien. Aussi vaut-il la peine de coucher sur la table d'opération
les documents anthropologiques à disséquer qu'on appelle des théologies
; car seule cette audace-là d'une raison encore à venir nous permettra
d'observer sous anesthésie l'humanité enfermée dans le bloc opératoire
du sacré.
7 - Le microscope
inconnu
La question posée à la psychobiologie mondiale des mythes religieux
par le spécimen inachevé de simianthrope célestiforme qu'illustre
mon monstre norvégien exige la construction d'un microscope inconnu.
Car la lentille de l'anthropologie classique observait avec assurance
les traits censés séparer de tous les autres le seul animal devenu
bavard. Et qu'enseigne pourtant la logique la plus élémentaire
de l'évolutionnisme, sinon qu'une bête provisoirement mise au
piquet entre l'espèce qu'elle voudrait déserter et celle dans
laquelle elle rêve d'entrer ne saurait, dans le même temps, prétendre
avoir d'ores et déjà débarqué dans la seconde un chapelet à la
main. Il est donc irrationnel de s'imaginer qu'une ossature et
une boîte crânienne qui auront seulement changé quelque peu de
forme et de voilure seront devenus ceux d'un homme achevé. Au
contraire, une bête rendue locutrice par un miracle neuronal répondra
à un modèle zoologique dont la spécificité demeurera entièrement
à décoder; et toute la difficulté de ce déchiffrement sera précisément
de tracer les sillons qui seuls nous permettront de constater
qu'une bête propulsée sur le chemin qui la conduit du connu à
l'inconnu aura subitement débarqué avec armes et bagages parmi
les anges et les séraphins. Qu'en est-il de l'identité à décrypter
du Caïn céleste et de son émule lilliputien sur la terre?
8
- L'identité du simianthrope
Le simianthropologue averti constatera que tout bimane phonétisé
par le langage articulé se construit nécessairement son identité
sur le socle de diverses signalétiques collectives, donc sur les
solfèges codés qui lui serviront d'assise psycho-cérébrale. Le
sens proprement simiohumain du monde se révèlera tantôt inné tantôt
sécrété en cours de route par l'encéphale sonorisé du groupe.
Les référents identitaires de cet animal demeureront néanmoins
instables et changeants sur le cadran de son évolution cérébrale:
les époques, les climats et la géographie changeront sans cesse
de poids sur les plateaux de la balance.
M.
Andres Behring Breivik se présente sous la lentille du simianthropologue
en spécimen frustré de l'usage et du maniement quotidien des signes
convenus qui rendaient sa nation et son peuple reconnaissables
entre tous. Ce phénomène est fort connu. Les historiens de l'époque
byzantine l'ont décrit depuis longtemps. Quand les identités collectives
se mélangent à l'extrême, on tombe dans les brouillaminis d'une
décadence dont le naufrage de la civilisation grecque nous a fourni
l'exemple le plus illustre.
9
- Une laïcité acéphale
Les
fjords glacés et les soleils couchants du grand nord sont-ils
les signaux du trépas prochain de la civilisation de la pensée
critique et le premier pas de ce naufrage sera-t-il l'interdiction
universelle de disséquer les dieux déguisés en porteurs de la
casaque des cultures? Comme les religions sont les souveraines
de l'encéphale simiohumain et de la logique embryonnaire dont
cet animal s'est armé depuis sa sortie partielle de l'Eden de
la zoologie, il est devenu évident qu'à cadenasser les Célestes
dans leurs empyrées originels, on exterminera toute science et
toute philosophie prospectives notre astéroïde et que les mesureurs
de mon petit génocidaire réduiront son hérésie à un grain de sable.
Car il est plus incontestable encore qu'en déclarant intouchables
la foule des religions qui se pressent aux portes du ciel, l'éthique
culturelle de la planète d'aujourd'hui s'interdit expressément
non seulement un approfondissement de la connaissance rationnelle
de l'homme et de son histoire, mais des radiographies anthropologiques
de la tiare de l'auto-bénédiction glorieuse qu'Adam se pose sur
la tête.
Une
pensée laïque sans contenu philosophique est une outre vide. Le
combat contre l'infantilisme philosophique et scientifique de
l'Eglise ne redeviendra donc fécond que si la raison laïque apprend
à décrypter la pauvreté de son propre regard, donc la superficialité
de sa connaissance du genre humain. On ne lutte pas contre une
mythologie si l'on a chu soi-même dans des superstitions langagières.
La laïcité sans tête de la France actuelle croit tourner à son
propre avantage un culte des idéalités dont elle n'a pas découvert
les racines anthropologiques.
10 - Le meurtre de
masse
Puisque la rage meurtrière que l'engloutissement des relais identitaires
du genre simiohumain de l'endroit a soudainement inspirée à mon
spécimen norvégien répond à une fureur exterminatrice calquée
sur les ressorts psycho-cérébraux de l'orchestrateur benêt du
Déluge, nous devrons apprendre à observer la sottise du simianthrope
dans le miroir universel que nous tend sa théologie du salut et
des châtiments. Alors seulement nous découvrirons la solitude
d'une colère qui devrait nous frapper d'un étonnement heuristique.
Car sitôt que cet animal dispose de l'accord unanime de ses congénères
dans le brandissement de la signalétique qui lui permet de s'identifier
à un ciel et de s'y localiser, il se rue sur les hérétiques sans
faire de quartier et les extermine jusqu'au dernier.
Prenez
l'assassinat sacré de la saint Barthelemy. Quelle était la nature
de la bataille théologique entre deux signalétiques de la foi
chrétienne qui se déchiraient en ce temps-là sur toutes les places
publiques de l'Europe de Caïn et du Dieu de Caïn ? Les uns arguaient
mordicus que le meurtre perpétré par les paroles réputées effectivement
trucidatoires du prêtre face à l'autel de la messe procuraient
aux fidèles les cellules de chair et l'hémoglobine d'un cadavre
à mâcher et à boire dans un esprit apostolique, tandis que les
malpensants de l'époque soutenaient, la tête sur le billot, que
le repas sanglant n'était que le signe et le symbole d'une immolation
originelle à la fois honnie et providentielle; car elle était
censée avoir sauvé notre espèce tout entière du trépas. Depuis
lors, il fallait confesser que nous nous trouvions transportés
en bloc au paradis de notre immortalité.
Que
la victime du sacrifice convertisseur fût corporelle ou figurée,
des armées de bêtes parlantes se trouvaient alors engagées sur
le champ de bataille d'une guerre à mort pour la "défense et illustration"
de leur migration massive vers le paradis perdu d'Adam et Eve
et retrouvé à l'école d'une potence miraculée. On allait tous
retrouver l'innocence d'une créature rachetée in extremis par
une crucifixion délivrante et sauvage. Il ne fait pas l'ombre
d'un doute que les deux identités salvifiques jugeaient sanctifiants
et rédempteurs les massacres nécessaires au sauvetage d'une éternité
posthume conquise au forceps de la torture. Du reste, le pape
de la charité avait fait graver une médaille en or massif afin
de célébrer dignement les retrouvailles de la créature rescapée
du péché originel par le meurtre indispensable à la rédemption
universelle de l'humanité.
11
- La rencontre des sciences humaines avec Caïn
On
voit que l'animalité spécifique du simianthrope immortalisé par
un gibet repose sur des symboles sanctificateurs, donc sur des
signes et des emblèmes de sa survie dans une béatitude accordée
à titre du paiement d'un tribut et que les attaches cérébrales
et psychiques qui ficellent cet animal à des mondes imaginaires
et fantastiques pose à la simianthropologie la question la plus
pressante de toutes, celle de savoir si notre sainteté peut se
déficeler de ses repères dans un au-delà surnaturel ou si un désenchaînage
aussi sacrilège précipite la simianthrope dans une déréliction
tellement désespérée que ses tentatives d'une guérison blasphématoire
déclencheraient une saint Barthelemy sanglante par semaine.
Cette
aporie médicinale est d'autant plus tragique aux yeux de la simianthropologie
expérimentale que la paix conclue en Irlande entre les catholiques
et les protestants date de quelques années seulement et que le
massacre récent de centaines de milliers de Tutsis par leurs congénères,
les Hutus, démontre à quel point les signes et les symboles dont
s'arment les diverses identités collectives entre lesquelles le
simianthrope se divise ne se laissent nullement parquer dans les
diverses théologies du sacrifice bien saignant entre lesquelles
cet animal se partage: le champ entier de la politique - donc
du profane - s'allie à son tour aux vastes territoires livrés
de la purification de type immolatoire afin de conduire notre
espèce à de gigantesques étripages expiatoires - donc nettoyeurs
- auxquels il ne manque que le remède lustral d'une liturgie chargée
d'en sacraliser le meurtre.
12
- Le débarquement de Caïn dans les sciences humaines du XXIe siècle
On voit également l'immense portée simianthropologique de la décision
de la cour d'assise d'Oslo de déclarer M. Andres Behring Breivik
sain d'esprit, donc responsable de ses actes et pleinement coupable
pour ce motif-là. Si la solitude de son crime avait été déclarée
démente, donc innocente aux yeux de la loi et soustraite au lavage,
la masse des individus dont notre espèce se compose aurait joui
longtemps encore d'une tranquillité cérébrale et morale à l'abri
de tout nettoyage, parce que les deux questions les plus abyssales,
celle de l'universalité de Caïn le meurtrier et celle de l'étroite
connexion de ce héros biblique avec sa copie dans le ciel des
trois monothéisme n'auraient pas eu l'occasion de débarquer dans
une connaissance anthropologique de la fonction de lessivage qu'exercent
les meurtres expiatoires. Mais nos sciences humaines dans les
limbes sont demeurées tellement irrationnelles qu'elles demeurent
amputées d'avance de toute analyse méthodique de l'espèce tueuse
de naissance: l'humanisme mondial se regarde encore avec les yeux
angéliques de la ruche et du nid.
Décidément,
nous découvrons un peu tard qu'à peine évadés partiellement du
règne animal, nous avons installé un génocidaire "à notre image
et ressemblance" dans le ciel. Le tueur d'Oslo n'est donc qu'un
prototype normal de la piété des prétendus fuyards de la
zoologie; et il devient grotesque, le spectacle de leur cécité
que nos sciences humaines nous présentent dévotement , elles qui
persévèrent à passer sous silence la question de la nature meurtrière
des idoles que sécrètent pieusement des tueurs-nés. C'est dans
les crimes de ses dieux que le simianthrope se dédouble saintement;
et il ne se doute pas un instant de la vocation viscéralement
assassine des masques d'anges et de séraphins derrière lesquels
il cache son vrai visage depuis des millénaires. Qu'en est-il
de ce jumelage sacré si l'abolition de la peine de mort mettra
sans cesse sous les yeux des Norvégiens le Caïn aux yeux bandés
que l'humanité est demeurée à elle-même?
C'est
l'examen de cette question délicate que vous attendez de la plume
de votre serviteur la semaine prochaine. ?
Le
10 juin 2012