*
Comment
le Moyen Orient va-t-il illustrer le théâtre théologique
le plus fondamental de tous, celui où se joue le statut
physico-psychique de deux Etats et quels sont les enjeux
anthropologiques souterrains et secrets des "négociations
israélo-palestiniennes"?
Il
n'est pas de documents anthropologues plus précieux que
les doctrines religieuses, parce qu'on ne comprend rien
au Moyen Orient si l'on n'y spectrographie le corps et
l'esprit d'Israël verbalement ressuscité en terre sainte
en 1947 et relativement concrétisé en 1967 par la reconquête
de la moitié ouest de son ancienne capitale.
A l'heure où Israël joue son destin terrestre et théologique
confondus dans un bras de fer avec les Etats relativement
laïcisés de la terre entière, à l'heure où Gaza dresse
son Golgotha face à l'Israël de Moïse, à l'heure où les
recherches archéologiques récentes désacralisent la bible
avec les armes au phosphore d'une science historique qui
laisse loin derrière elle les Renan et les Freud, on voit
à quel point la connaissance anthropologique de l'identité
onirique des peuples que leurs livres sacrés et leur haute
littérature ont forgée exige une tout autre science du
temps mémorisé que celle qui se nourrissait de la postérité
des dieux de l'Iliade .
*
1 - La christologie politique
2 - Qu'est-ce qu'expliquer
et comprendre ?
3 - Comment décoder les
dogmes religieux ?
4 - Le laboratoire commun
du sacrificateur et de sa victime
5 - Une pesée anthropologique
du "compromis"
6 - Le conclave des naïfs
7 - Une généalogie des
identités oniriques
8 - Les fruits du jardin
de la parole
9 - Les prophètes des
évidences
10 - Le tombeau d'Israël
1 -
La christologie politique
Est-il possible de vérifier la signification anthropologique
universelle du mythe chrétien de "l'incarnation de la vérité"
à la lumière du conflit palestino-israélien? Dans ce cas,
la scission cérébrale d'Israël entre son surmoi biblique et
sa vocation territoriale acharnée éclairerait l'histoire à
une profondeur psychobiologique inédite, parce que les évadés
tout partiels de la zoologie que nous sommes demeurés apparaîtraient
enfin sous les traits de personnages scindés de naissance
entre leur surréalité théologique et leur existence terrestre
; et l'on verrait depuis les origines, les sociétés simiohumaines
hisser dans le "ciel de l'endroit", comme disait Helvétius,
les doubles mythiques qui leur serviront de chefs et de guides
dans le "temporel".
Mais
alors, l'anthropologie critique serait appelée à traquer l'ultime
secret de l'esprit magique. Le mythe de l'incarnation se révèlerait-il
le témoin de la sorcellerie fondatrice de l'humanité et de
toutes les civilisations, parce que ce serait en tant qu'espèce
appelée à se substantifier à l'école de son langage schizoïde
que le simianthrope vocalisé serait devenu le singe dédoublé
que l'on sait - donc l'animal hypertrophié par ses vocables
et accompagné sur la terre par ses dieux?
Attention,
ce dialogue est piégé: il met en scène les enjeux anthropologiques
de la laïcité française Périclès, Protagoras, Socrate,
21 décembre 2009
J'ai
exposé les difficultés que Descartes avait rencontrées avec
la princesse Elisabeth, dont il n'avait pas réussi à attirer
l'attention sur l'évidence que les corps demeurent obstinément
des corps et que les mots s'entêtent à demeurer des mots,
de sorte que la scolastique dichotomique de l'époque avait
grand tort de définir le genre simiohumain comme un "mélange
de chair et d'esprit". Mais alors, comment conceptualiser
le mythe bifide de l'incarnation du "verbe" attribué à une
divinité bipolaire à son tour? Si vous conceptualisez une
armée comme un rassemblement de milliers de corps, si vous
la concevez comme un grouillement de bras et de jambes, si
vous vous persuadez qu'on doit qualifier d' armée des milliers
d'hommes en ordre de marche et prêts à partir en guerre, vous
oubliez que le mot "armée" demeure un vocable et qu'en tant
que tel, jamais ce son ne basculera du côté des musculatures
et des squelettes: il se contentera de désigner des masses
cellulaires, de sorte qu'à l'inverse une multitude armée jusqu'aux
dents ne basculera pas non plus dans le vocable qui lui sert
d'étiquette.
C'est
pourquoi il est si nécessaire d'étiqueter une armée à l'aide
de signes et de signaux censés rendre visibles un vocabulaire
privé de corps et qui seuls permettront de la matérialiser
à l'aide d'une signalétique convenue - uniformes, fusils,
casques. Et voilà que tout cet apparat corporel échoue à son
tour à donner au mot armée une ossature, des nerfs et des
estomacs. Et maintenant, portons le regard sur les armées
qu'on appelle la magistrature, le barreau, le corps judiciaire,
le corps électoral, le corps doctrinal. Quel sera le statut
physique des corps qui feindront d'avoir émigré dans le royaume
de la parole et d'y avoir acquis je ne sais quelle substance
vocalo-cérébrale ? Pourquoi le corps judiciaire a-t-il besoin
de robes noires afin de signaler ses régiments en tant qu'appareil
de la justice?
Décidément
l'espèce immergée dans son langage se révèle le singulier
animal qui s'identifie viscéralement aux vocables qu'il prononce,
parce que son discours n'est autre que sa véritable demeure.
Mais si son domicile est construit, comment le construit-il?
Car voici, par exemple, le corps du droit. Qu'en est-il des
corps abstraits, qu'en est-il des personnages grammaticaux
de la tête aux pieds, si je puis dire? Car j'aurai beau mettre
des caporaux, des colonels, des généraux à la tête des légions,
j'aurai beau hiérarchiser cette masse afin d'exercer sur elle
un commandement aussi efficace qu'impérieux, les mots et les
choses ne voudront rien entendre : les premiers persévèreront
à camper dans les têtes, les autres dehors.
C'est
pourquoi le mythe de l'incarnation d'un "verbe divin"
est la sorcellerie verbale fondatrice de la politique et de
l'histoire de l'humanité, celle sans laquelle notre espèce
ne serait pas devenue une interlocutrice d'elle-même, un corps
verbal, un acteur construit de ses propres mains, un animal
artificiel et qui, à substantifier ses artifices langagiers,
se bâtit des armées, des corps judiciaires, des Etats.
C'est
également à ce titre que l'histoire des avatars de la christologie
me servira de document anthropologique central, parce que
nul autre n'est en mesure de conduire une analyse du psychisme
schizoïde de notre espèce; car sitôt évadés du règne animal,
les peuples ont commencé de marcher à la fois sur la terre
et dans des mondes vocaux. Leur élévation identitaire à un
surmoi sacralisateur et réputé purificateur les vaporise dans
un langage substantifiant - un surmoi éthéré, mais qui fournit
à une population son être collectif dûment lessivé et qu'elle
tient à la fois pour national et pour religieux . Ce transport
dans le royaume du sonore n'est autre que le cœur battant
de toute la doctrine du salut et de la rédemption des chrétiens.
2 - Qu'est-ce
qu'expliquer et comprendre ?
On
sait que cette mythologie a connu deux hérésies aussi focales,
donc aussi révélatrices l'une que l'autre des apories de la
condition humaine et dont chacune éclaire la signification
anthropologique universelle qu'il convient d'accorder à l'intercession
fabuleuse d'un "homme-Dieu" doublement idéalisé - donc
lumineux dans un ciel dont il est censé promener les rayons
sur la terre. D'un côté, les ariens soutenaient mordicus que
le "fils" parfait d'un créateur non moins parfait du
cosmos n'était rien de plus qu'un médiateur "adopté"
par la volonté du démiurge et dont les mérites suréminents
lui avaient valu, sitôt né, de se trouver délivré du péché,
mais nullement des autres traits caractéristiques de notre
espèce. Son père divin se serait donc contenté de l'affubler
du titre céleste, et purement honorifique de "fils unique",
à la manière dont les Etats distribuent à tout vat épaulettes
et rubans.
C'est qu'il fallait s'appliquer à légitimer à nos propres
yeux un signe distinctif surajouté par miracle ; mais si cette
faveur paraissait à la fois pleinement méritée et seulement
décorative, la virginité d'une parturiante fécondée par un
sperme purement verbal faisait difficulté. Aussi, les théologiens
ariens de cette grossesse merveilleuse se sont-ils fermement
attachés à en démontrer le cours le plus naturel du monde,
quittes à passer l'éponge sur le caractère extraordinaire
de son origine mythique, parce qu'il fallait que "l'homme-dieu"
fût pleinement homme pour que le terme d'incarnation eût un
sens - ce qu'affirme également l'orthodoxie romaine.
De leur côté, les hérétiques d'en face pensaient, au contraire,
qu'en raison des conditions fabuleuses de cette embryogenèse,
le corps visible et tangible du Christ n'était nécessairement
qu'un fantôme et que ce spectre trompait les yeux de chair
d'une humanité abusée en ce qu'il cachait le Jésus non moléculaire
à la vue des fidèles naïf; car, en tant que Dieu, disaient-ils,
l'homme de Nazareth demeurait fatalement un personnage radicalement
invisible, et cela par nature, comme la "vraie France", celle
qu'il faut considérer en son essence "spirituelle",
n'est pas visible en sa substance charnelle et ne se matérialise
en aucun support physique
-
L'humanisme
du XXIe siècle. Comment le simianthrope se construit ses
signifiants,
25 janvier 2010
Il
en résulte que le mythe bipolaire de l'incarnation d'une divinité
souligne les traits de la condition proprement vocale du genre
simiohumain et en porte la singularité jusqu'à la caricature
; car un magistrat n'est pas davantage un magistrat au sens
corporel que Jésus-Christ n'est physiquement Dieu, mais la
société a besoin de le croire incarné et, pour cela, d'y surajouter
les adjuvants décoratifs indispensables aux rétines, donc
à la substantification du "verbe judiciaire".
On voit que si les péripéties qui ont ponctué l'histoire de
la christologie se révèlent d'emblée des documents anthropologiques
et politiques de premier ordre, comme il est dit plus haut,
il convient d'observer les hérésies au titre de constructions
psycho-cérébrales greffées sur l'aporie focale de la condition
magique de l'humanité, celle qu'hypertrophient les orthodoxies.
Car toute théologie renvoie aux deux globes oculaires de l'animal
parlant, puisque tous les Etats du monde se présentent sous
l'apparence d'un corps physique et vocal arbitrairement confondus.
Mais ils ne siègent jamais que dans l'imaginaire d'une identité
collective conceptualisée, donc décorporée par définition
et chargée, précisément à ce titre, d'élever le statut ectoplasmique
des peuples et des nations à leur surréalité para religieuse.
C'est pourquoi, depuis vingt-cinq siècles - de Platon à Kant
et au-delà - la philosophie se demande quelles relations les
"corps théoriques" principiels, donc spectraux par
nature qu'on appelle la physique, les mathématiques, le droit
ou "la philosophie" entretiennent avec l'intelligence
à la fois absentifiante et substantifiante du simianthrope.
Qu'est-ce qu'expliquer si toute explication renvoie à la dichotomie
cérébrale de notre espèce, qu'est-ce que comprendre
si la parole et le monde se mêlent inextricablement dans l'imagination
simiohumaine?
3 - Comment décoder
les dogmes religieux ?
Et
pourtant, le décryptage anthropologique de l'inconscient politique
des mythes religieux demeurera peu heuristique aussi longtemps
qu'on se contentera d' observer leurs édifices cérébraux du
dehors et qu'on les tiendra pour des témoins faciles à décoder
du dédoublement mental de l'espèce simiohumaine entre des
corps muets et des personnages psycho-mentaux volubiles -
on les appelle des dieux. Pour que la connaissance de la dichotomie
originelle dont souffre la boîte osseuse d'une espèce vocalisée,
donc scindée à ce titre et de naissance entre le visible et
l'invisible, pour que la science anthropologique, dis-je,
en vienne à féconder la politologie d'un animal ensorcelé
pour le magicien qu'il est devenu à lui-même, il faudra recourir
à l'éclairage d'une spectrographie des alliances que la "chair"
conclura avec l'"esprit" ; et il sera nécessaire, primo,
de lire l'histoire des formulations successives des dogmes
que les théologiens ont progressivement vaporisés et secundo
les apories anthropologiques que leur contenu charnel et langagier
confondus a rencontrées au cours des siècles de leur laborieuse
élaboration doctrinale. Alors seulement, on observera sur
le vif non seulement comment la "vie religieuse", comme
on dit, se trouve livrée à de difficiles exercices de substantification
de la parole, mais comment l'observation au microscope de
la conque crânienne de cette espèce aboutit à la mise en évidence
des significations psychogénétiques et politiques secrètes,
mais toujours à la fois physiques et conceptuelles des cosmologies
mythiques dont accouche le simianthrope.
A ce titre, on a vu que le dogme schizoïde de la naissance
virginale d'un homme-dieu s'éclaire à la lumière de l'inconscient,
dichotomisé à son tour, du mythe moderne de l'incarnation,
celui qui met désormais en scène une politique de la Liberté
que les démocraties réputées auto-purificatrices sont censées
concrétiser à l'échelle planétaire. Comment ces vectrices
de leurs propres Ecritures substantifient-elles leur parole
réputée "délivrante"? Comment leur verbe censé "libérateur"
enfante-t-il une humanité qualifiée de "corps du Christ"
dans l'Histoire? On sait que, depuis saint Ambroise, l'Eglise
catholique se proclame le corps du Christ sacrificiel, donc
le médiateur physique de la parole baptisée de rédemptrice
du "péché du monde". Mais alors, comment le Moyen
Orient va-t-il illustrer le théâtre théologique le plus fondamental
de tous, celui où se joue le statut physico-psychique de deux
Etats et quels sont les enjeux anthropologiques souterrains
et secrets des "négociations israélo-palestiniennes"
?
4
- Le laboratoire commun du sacrificateur et de sa victime
Observons de plus près les enjeux politiques et psychogénétiques
qui sous-tendent l'inconscient religieux du sacrificateur
et de sa victime. Pour en comprendre la véritable nature,
commençons par décrire les difficultés proprement doctrinales
que l'Eglise romaine a rencontrées sur les chemins de sa théologie
bipolaire, ainsi que les efforts herculéens auxquels elle
s'est livrée pour tenter de préciser, à l'aide de raisonnements
serrés, donc de la logique impavide d'Aristote, l'association
ou le mariage nécessaires des deux "natures" d'un dieu
supposé s'être incarné, donc devenu moléculaire. Ne fallait-il
pas que ce Céleste parût à la fois aussi pleinement cellulaire
et aussi pleinement une divinité que les Etats ont besoin
de paraître des corps et des oracles confondus?
On sait que cette promotion titanesque de la confusion originelle
ente les mots et les choses s'est prolongée durant de longs
siècles. On sait également qu'elle était fatalement appelée
à s'achever par une rechute aussi inconsciente que soigneusement
camouflée du christianisme dans le polythéisme le plus cru,
et cela du simple fait que si vous divisez un acteur biphasé
du cosmos entre un "ciel" séraphique et une terre limoneuse,
vous vous rendrez coupable du sacrilège, autrefois jugé digne
du bûcher, d'adorer un Dieu rendu bicéphale, donc que vous
aurez ridiculement privé d'unité psychique ; et si vous unissez
résolument les "deux natures", la divine et l'humaine,
vous renverrez nécessairement le mythe de l'incarnation à
la bancalité irrémédiable des dieux de l'Olympe, qui avaient,
comme tout le monde, une rate, des poumons et des intestins.
Comment un Jésus universalisé, vaporisé et conceptualisé par
le langage serait-il doté d'organes physiques dûment divinisés?
On sait qu'après des siècles de flottement, cette dernière
solution a été expressément retenue par l'Eglise romaine dans
son Catéchisme tragiquement schizoïde de 1992;
mais, une anthropologie ambitieuse de peser les personnages
angélisés par la démocratie que sont non seulement les chefs
d'Etat, mais tous les peuples et toutes les nations de la
terre, une telle anthropologie, dis-je, bénit le laboratoire
théologique du Moyen Orient, qui se révèle bicéphale à souhait
et qui contraindra notre politologie et notre science historique
infirmes à radiographier les "sacrilèges" d'une humanité
censée incarner sa "vérité" vocalisée par les idéaux
de la démocratie. Pourquoi la rechute évidente dans le paganisme
du mythe de l'incarnation des chrétiens, donc dans la substantification
des dieux sur l'échiquier des siècles est-elle universellement
ignorée ou refoulée, sinon parce qu'il s'agit de l'enjeu anthropologique
central dont témoignent tous les Olympe ? Voyons comment Israël
va tenter de matérialiser un mythe rebelle à sa substantification,
comme tous les mythes simiohumains.
Mais, d'ores et déjà, on aura compris que l'avenir de la psychanalyse
est dans le décodage de l'inconscient psychobiologique de
la politique et de l'histoire et que ni Freud, ni Lacan, ne
sont entrés dans le décryptage anthropologique du sacré
.
5 - Une pesée
anthropologique du " compromis "
Le décryptage de l'inconscient politique qui sous-tend la
bancalité existentielle du compromis se poursuivra à l'école
des enseignements anthropologiques de la postérité qui attend
Darwin et Freud. La continuation de la guerre en Afghanistan,
par exemple, ressortit au modèle courant du compromis politique
en ce qu'elle résulte de la pression conjuguée des généraux
du Pentagone et d'un complexe militaro-industriel qu'enrichit
le premier empire militaire à l'échelle de la planète. De
même la pression diplomatique illusoire sur la Chine
-
M. Barack Obama est-il un
homme d'Etat? (2) L'heure de vérité au Moyen Orient : Le
retard scientifique de la classe dirigeante mondiale,
21 mars 2010
demeure dans la tradition des chancelleries en ce qu'elle
est destinée à diaboliser l'Iran aux yeux de la planète entière,
alors que tout le monde comprend que le futur armement nucléaire
de cette nation ne saurait menacer Israël, qui feint seulement
de se trouver corporellement en grand danger face à l'épouvantail
qu'elle a fignolé, puisque deux Olympes se neutralisent physiquement
sitôt qu'ils disposent de la même foudre de Zeus - celle d'une
dissuasion réciproquement tétanisante.
En revanche, le "compromis" théologique qui sous-tend
une politique de la dissimulation tartuffique des enjeux anthropologiques
secrets et communs à Guantanamo et aux "négociations israélo-palestiniennes"
n'a pas encore trouvé sa définition dans les dictionnaires
de psychanalyse, parce qu'il se révèle d'une autre nature
. Voyons comment sa signification renvoie à une bipolarité
du psychisme humain que Freud n'a pas expliquée , parce que
la "sublimation" d'un "père" réputé musculaire
du cosmos et explicitée dans L'avenir d'une illusion
de 1927 n'explique pas la sincérité viscérale de la
croyance du sujet en l'existence dite "réelle" d'un
"père céleste" autrefois doté d'une ossature, puis
de plus en plus vocalisé.
On
sait que la théologie romaine se trouve de plus en plus "dangereusement"
idéalisée et désubstantifiée, mais à ses risques et périls,
si je puis dire, tandis que les dieux des Grecs sont demeurés
résolument campés sur leurs deux jambes et fort ripailleurs
sur l'Olympe, de sorte qu'ils "existaient" bel et bien
à la manière du Jésus incarné de l'Eglise romaine que saint
Thomas prive de nourriture et de boisson au paradis, mais
exclusivement afin de "prouver sa résurrection". Quelle
est la spécificité du règne de ce personnage
cosmologique dans les esprits?
Si
vous voulez comprendre les embarras alimentaires que le genre
simiohumain rencontre avec le mythe de sa résurrection physique,
lisez les chapitres que saint Thomas d'Aquin consacre aux
problèmes de nutrition et de digestion de Jésus et des autres
ressuscités au paradis - puisque le concile de 1962 s'est
bien gardé de priver le "docteur angélique"
de son rang officiel au sein de la théologie romaine.
Mais
on voit à nouveau qu'il n'est pas de documents anthropologues
plus précieux que les doctrines religieuses, parce qu'on ne
comprend rien au Moyen Orient si l'on n'y spectrographie le
corps et l'esprit d'Israël verbalement ressuscité en terre
sainte en 1947 et relativement concrétisé en 1967 par la reconquête
de la moitié ouest de son ancienne capitale.
Depuis
lors, la conquête par cet Etat, de sa "substance" physique
se déroule sous les yeux de notre anthropologie infirme sans
que la question de l'identité physico-psychique du peuple
hébreu n'apparaisse encore clairement, alors qu'il s'agit
bel et bien de la parturition d'une nation terrestre par le
songe céleste dont elle est gravide. Quel combat titanesque
que de tenter d' incarner la grossesse de la parole biblique
sur cette terre!
C'est pourquoi l'enfantement de la notion même de réalité
appliquée pêle-mêle à une divinité, à une nation, à un Etat,
à une science, à un art ou à des objets matériels renvoie
au décodage des idoles devant lesquelles une espèce cérébralement
scindée entre le concret de l'abstrait s'agenouille. C'est
que le langage abstrait de cet animal le vaporise dans l'atmosphère
et, à ce titre, c'est sans relâche qu'il peuple son encéphale
de personnages à la fois idéaux et censés physiquement agissants.
L'existence proprement mentale d'un vivant à la fois socialisé
par sa parole et réputé se trouver transporté corporellement
dans des identités collectives vocalisées à souhait le condamne,
comme il est dit plus haut, à mêler le concept au réel et
à confondre l'universel qui le vaporise avec le singulier
qui l'attache à la glèbe.
La psychanalyse anthropologique du mythe central de l'incarnation,
donc des relations variables en intensité qu'un acteur tout
verbal - mais qu'on croit dûment substantifié, tel que Jésus-Christ
- entretient tantôt avec sa réplique terrestre, tantôt avec
sa duplication mythologique dans le "ciel", cette étude
de la double attache du simianthrope schizoïde se situe au
cœur de la pesée de l'histoire bipolarisée de l'espèce simiohumaine
actuelle; mais le Moyen Orient va illustrer sur le vif non
seulement le mythe chrétien de l'incarnation des signifiants,
mais les impasses anthropologiques qu'illustre le drame eucharistique
de la pseudo substantification de la vérité et qui sous-tend
désormais de toute sa symbolique l'échec fatal des négociations
politiques en cours. Car dans l'état actuel de son évolution
cérébrale, notre espèce s'imagine encore que les signifiants
se chosifient, que le vrai se substantifie, que la parole
se matérialise et que l'Israël biblique aura débarqué au Moyen
Orient quand il aura rayé la Palestine de la carte et que
les chancelleries du monde l'accueilleront dans le temple
des idéalités de la démocratie.
6
- Le conclave des naïfs
Pour comprendre le Moyen Age à nouveaux frais, c'est-à-dire
sur le terrain anthropologique, il faudra disposer d'une balance
à peser les relations supposées "substantifiques" que
le "naturel" entretient avec le "surnaturel",
parce que ces relations caractérisent le dichotomie cérébrale
propre à telle civilisation à telle heure de son voyage dans
sa propre bipolarité psychobiologique. Seule la balance à
peser ce dosage mi-cérébralisé et mi-matérialisé permettra
de comprendre quel est l'enjeu anthropologique abyssal du
transport antinomique du peuple d'Israël en Palestine en 1947.
Nous n'avions pas de méthode pour étudier ces questions in
vivo - et voici que s'ouvre un laboratoire de la condition
cérébrale simiohumaine qui promet de se révéler sanglante
à l'école du scannage des sacrifices bipolaires auxquels se
livre le singe ambitieux d'éterniser son corps. Mais ne fallait-il
pas des circonstances extraordinaires pour que la civilisation
mondiale apprît à peser l'âme meurtrière et le cerveau biphasé
que l'humanité met au service des crimes qu'elle commet sur
l'autel de l'Histoire?
D'ores
et déjà, il crève les yeux qu'il sera aussi peu question d'une
négociation rationnelle et sereine entre deux parties légitimement
attachées à défendre des avantages chiffrables sur un champ
de bataille qu'il n'était question, au Concile de Chalcédoine
en 450, de s'entendre posément sur un partage "raisonnable"
entre les statuts humain et divin confondus ou séparés de
Jésus-Christ, parce qu'une négociation guerrière de ce genre
n'est pas du ressort de la rationalité interne qui commande
la diplomatie traditionnelle, mais renvoie aux enjeux théologiques
souterrains et inconscients dont témoigne l'irrationnel et
l'émotionnel religieux aux yeux de l'anthropologie critique
dont accouchera notre siècle.
C'est
pourquoi l'échec inévitable du conclave des naïfs ouvert par
M. Obama sera tragique. Mais combien ce drame même se révèlera
scientifiquement fécond sur le long terme, on le comprendra
à l'examen des discussions conciliaires entre les coperniciens
et les géocentristes, les darwiniens et les créationnistes,
les monophysites et les ariens, les jansénistes et les partisans
de la Bulle Unigenitus. Certes, ils n'en appelaient
pas encore à des arguments pesables sur la balance des peseurs
et des radiographes des dogmes. Et pourtant, la spectrographie
psychobiologique des compromis de type théo-politique est
en marche.
7 - Une généalogie
des identités oniriques
Mais
pour comprendre la nature de l'aporie qui fera échouer le
conclave des naïfs évoqué plus haut, encore faut-il se mettre
en mesure de comprendre la généalogie de l'identité onirique
des peuples et des nations. Car cette espèce mémorise ses
itinéraires dans l'univers de son langage. Si le chimpanzé
et l'homme appartiennent tous deux à des espèces socialisées
ab ovo, il faut se demander comment la parole biblique a enfanté
la surréalité mythique d'Israël. Certes, les mots sont les
premiers instruments de la parturition et des métamorphoses
des identités oniriques. Les patries en sont venues à se reconnaître
au simple énoncé des vocables qui leur servent à la fois de
clés et de fétiches et qu'elles gravent sur les frontons de
leurs temples. La France se reconnaît dans la proclamation
solennelle du règne de trois concepts insubstantifiables -
la Liberté , l'Egalité et de Fraternité ; l'Allemagne
d'hier se regardait dans le miroir qui lui renvoyait l'image
de son "Deutschland
über alles", l'Angleterre pavanait sous le ciel de son
"God save the King" et l'Amérique se glorifie encore
sous nos yeux de se placer sous l'aile du Dieu de l'Amérique.
Mais
le véritable véhicule du statut mental du genre simiohumain
actuel est le récit mythologique. C'est à l'école des interprétations
"théologiques" de leur propre histoire que les Etats
se transportent encore de nos jours dans l'identité surréelle
que leur forge le langage des dieux qu'ils sont devenus à
eux-mêmes. Aussi la Révolution française se trouvera-t-elle
racontée tantôt comme une épopée de la délivrance de l'humanité
tout entière du despotisme multiséculaire de la royauté, tantôt
comme la rébellion assassine d'une racaille ennemie du ciel,
le marxisme narrera la levée de l'espérance des fils d'Adam
ou la démonstration tragique de l'incapacité politique et
intellectuelle de la classe ouvrière mondiale à prendre son
destin entre ses propres mains. Mais c'est toujours leur identité
onirique que les évadés de la zoologie se forgent à l'école
des récits dramatiques ou candides qui les transportent dans
leur légende et qui fait d'eux des témoins pathétiques de
leur propre mémoire portée au sacré ; et c'est cette postérité-là
de Renan que les historiens actuels d' Israël commencent seulement
de comprendre (Voir La Bible et l'invention de l'histoire
de Mario Liverani, 2003 et 2007, trad. Ed. Bayard 2008).
8
- Les fruits du jardin de la parole
Mais Israël présente une particularité inimitable : son récit
pseudo biographique, son paradis de la parole sacrée, son
royaume céleste trouvent leur support onirique dans un monument
de l'écrit qu'on appelle l'Ancien Testament et qui
sert encore de temple à la surréalité mythologique de l'humanité
croyante d'aujourd'hui. C'est avec cette identité fabuleuse
que se déroulera une négociation politique qui n'a aucune
chance d'aboutir dès lors que les négociateurs ignoreront
que les cartes du jeu sont surréelle. Les récits fondateurs
de l'identité rêvée des autres peuples de la terre demeurent
partiels et livrés à des lectures non moins contradictoires
que celles de la Révolution française. Rome se racontait son
histoire à l'écoute d'Enée, dont Virgile a fait le héros national
et le fondateur de l'empire de la Louve, mais l'abbé Barthelemy
écrivait déjà en 1788 dans son Voyage du jeune Anacharsis
en Grèce: "Dans ce temps-là vivait un homme qui
s'appelait Enée ; il était bâtard, dévot et poltron . (…)
Son histoire commence la nuit de la prise de Troie. Il sortit
de la ville, perdit sa femme en chemin, s'embarqua, eut une
galanterie avec Didon, reine de Carthage, qui vivait quatre
siècles après lui… ".
A l'heure où Israël joue son destin terrestre et théologique
confondus dans un bras de fer avec les Etats relativement
laïcisés de la terre entière, à l'heure où Gaza dresse son
Golgotha face à l'Israël de Moïse, à l'heure où les recherches
archéologiques récentes désacralisent la bible avec les armes
au phosphore d'une science historique qui laisse loin derrière
elle les Renan et les Freud, on voit à quel point la connaissance
anthropologique de l'identité onirique des peuples que leurs
livres sacrés et leur haute littérature ont forgée exige une
tout autre science du temps mémorisé que celle qui se nourrissait
de la postérité des dieux de l'Iliade.
9
- Les prophètes des évidences
Comment
calculer le montant de la facture que réclamera la peur de
penser la bipolarité cérébrale de notre espèce? Pour cela,
il convient de se demander pourquoi les prophètes ont toujours
raison : c'est que ces logiciens sans peur et sans reproche
ne sont que les modestes chevaliers de leur propre droiture
d'esprit. A ce titre, ils se contentent de promener sur les
platitudes du sens commun cartésien la lanterne des lumières
naturelles les plus répandues de l'entendement artisanal de
leur temps, celles sur lesquelles l'auteur du Discours
de la méthode a bâti son fameux : "Je pense donc
je suis".
Si
j'existe suffisamment pour "penser", dirait aujourd'hui
le Diogène des Méditations métaphysiques, je
dois me demander en tout premier lieu ce que "penser veut
dire". Que signifiait ce verbe du temps où un gouvernement
soviétique construit sur l'utopie évangélique tentait d'interdire
à notre espèce de consommer la pomme gâtée du profit? Savait-on
que ce langage enfanterait nécessairement une fainéantise
de masse messianisée et d'apparence vertueuse et que cette
piété porterait la hotte des idéalités rédemptrices les plus
mirifiques que le langage simiohumain est capable de sécréter?
Savait-on que ces vapeurs travailleuses allaient engendrer
une ecclésiocratie redoutablement salvatrice et que les goulags
du salut par l'intercession de cette grammaire se rempliraient
à nouveaux frais de victimes du dernier-né des paradis de
la parole sacrée?
Puis,
plus raisonneur en diable que jamais, le logicien-prophète
saura de science non moins certaine que le capitalisme triomphant
ne manquera pas de s'imaginer que ses victoires sur la terre
incarneraient la vérité politique et qu'elles donneraient
raison à l'argent-roi tant au ciel des anges que sur la terre
des marchands. Puis, non content de se reposer sur ses lauriers,
sa Majesté le Profit se convaincra que bien mal acquis se
rend édénique et que l'auto-sanctification de ses bienfaits
se nourrira de plumer en règle un prolétariat terrassé pour
longtemps. Alors, ce trophée de caissiers s'hypertrophiera
dans le vide ; et l'on verra une gesticulation boursière internationale
et un chômage planétaire se substituer à l'industrialisation
raisonnée de l'Ile au trésor imaginée
aux XVIIIe et XIXe siècles par les Robert Louis Stevenson
du capitalisme.
10
- Le tombeau d'Israël
Entre les mémoriaux respectifs du zoo et de la jungle - entre
l'utopie ensanglantée et le chaos - qu'adviendra-t-il d'Israël?
L'empire américain, diront les logiciens du destin, connaîtra
le même sort que les empires britannique et ottoman, qui ont
sombré dans la pénurie financière engendrée par leur extension
territoriale inconsidérée. Combien de temps, se demanderont
les Cassandre de la dialectique, la charge titanesque d'entretenir
une flotte de guerre acharnée à promener ses falots et ses
bouches à feu sur toutes les mers du globe et de desservir
jour et nuit plus de mille places fortes disséminées sur les
cinq continents, combien de temps, se demanderont les Isaïe
des évidences, faudra-t-il pour que le navire et tout son
équipage coulent pavillon haut, combien de temps pour que
les masses arabes se réveillent et se dressent contre leurs
gouvernements corrompus, combien de temps pour que de nouveaux
capitaines du Coran prennent la relève de l'éthique des navigateurs
d'Allah en haute mer?
En fin de parcours, on verra la fureur et le mépris de l'opinion
internationale clouer Jérusalem au pilori de l'ubiquité de
l'image et du son; puis la crucifixion de Gaza sur la croix
du monde divisera Israël entre les deux partis que Flavius
Josèphe décrivait au 1er siècle, celui des "modérés"
et celui des "zélotes". Mais les zélotes disposeront
de l'arme nucléaire. Alors, les nouveaux guerriers de Massada
menaceront de pulvériser la terre entière. Chacun retiendra
son souffle. Il y aura des retards de la foudre. Mais comme
il sera impossible que les roitelets David et Salomon retrouvent
leur empire imaginaire, la planète épouvantée dansera quelque
temps au bord du gouffre. Aucune force, ni celle des armes,
ni celle de la raison ne convaincront le peuple hébreu d'abandonner
la terre de ses songes ; et l'heure de l'ultime "Connais-toi"
sonnera au beffroi de la folie éternelle ou de la sagesse
tardive du monde. .
Le 28 mars 2010