1
- Le conseiller théologique de la démocratie
mondiale
Je ne vais pas lanterner le lecteur par un récit détaillé
des ruses auxquelles il m'a fallu recourir pour obtenir une
interview de Machiavel dans le ciel. Sans doute les spécialistes
du grand Florentin seront-ils curieux de connaître le nom
de l'ange des serruriers auquel j'ai fait appel et qui a bien
voulu forcer pour moi les portes du royaume des cieux. Il
ne serait pas sans intérêt non plus, me semble-t-il, de percer
le secret des âpres négociations, comme on dit, qui ont décidé
le Créateur à offrir à l'auteur du Prince l'opportunité
de mener à titre posthume une carrière diplomatique digne
de son génie. On sait que l'illustre penseur se tient désormais
aux côtés de son souverain dans le vide de l'immensité. On
sait également que la promotion du grand humaniste a conduit
l'illustre commentateur de Tite-Live à exercer une fonction
fort nouvelle parmi les ressuscités, celle de conseiller théologique
de la démocratie mondiale; on sait enfin que, depuis lors,
la gestion des relations publiques entre le ciel de la foi
et celui de la Liberté politique s'est institutionnalisé.
Aussi disposons-nous d'un service de presse épaulé par un
centre d'information de réputation mondiale, de sorte que
l'histoire des conciliabules et des tiraillements entre Machiavel
et le roi du cosmos ne cesse de faire le tour du monde sur
les téléscripteurs.
Mais
trêve d'atermoiements: venons-en au vif du sujet, qui est
de percer les secrets des relations mystérieuses que la planète
de la politique entretient avec le sacré démocratique et dont
la collaboration insolite de Machiavel avec le ciel nous apporte
le témoignage quotidien.
J'ai donc demandé sans détours et de but en blanc au grand
théoricien de l'art de gouverner les corps et les têtes, de
me raconter globalement et pour les besoins un peu simplistes
de la presse quotidienne comment il a fait le siège du Créateur
de l'univers, comment il l'a convaincu de confier à la responsabilité
exclusive de son éminent génie d'historien la direction générale
du département de prospective de la théopolitique, quel rôle
ses assistants et ses collaborateurs jouent depuis lors à
ses côtés et si le secrétariat de la communication et de la
diffusion planétaire de la doctrine du salut par la démocratie
se réserve la gestion et l'administration journalières de
la Justice et de la Liberté du monde.
- En vérité, dit le grand visionnaire, tout s'est déclenché
à Paris le jour où M. Nicolas Sarkozy a paru tout soudainement
décidé à ouvrir une réflexion sérieuse sur l'identité de la
nation française, mais dont il a aussitôt minusculisé l'ambition
en limitant le champ de la pensée à l'exaltation de la terre,
du chant national, de la langue, de la laïcité. On ne pouvait
ouvrir plus imprudemment les vannes d'une vraie réflexion
qu'en limitant la discussion aux légumes du jardin, parce
que l'identité réelle d'un grand peuple est la sœur jumelle
et même la sœur siamoise de son identité intellectuelle, morale
et politique et parce que l'examen de l'identité cérébrale
des peuples conduit à jeter les livres scolaires dans le feu
afin de peser non seulement l'Etat et ses institutions, mais
la classe dirigeante et la démocratie tout entière, ce qui
nous conduit tout droit à l'abîme, c'est-à-dire à la pesée
du genre humain tout entier. Or, on cherche la balance dont
les deux flambeaux s'appellent l'histoire et le destin.
- Et vous pensez la trouver ici?
- Comme vous le savez, la démocratie mondiale n'est qu'un
pâle décalque du ciel de la Liberté et de la Justice des juifs,
des chrétiens et des musulmans. Je me suis donc appliqué à
expliquer au Père éternel qu'à Téhéran et ailleurs M. Nicolas
Sarkozy avait jeté sur la table les cartes de ce mimétisme
atavique entre le ciel et la terre que les circonstances fournissent
à son ciel une occasion exceptionnelle de demander
aux Français si leur identité collective et celle de leur
République idéale se réfléchissent fidèlement, primo, dans
le miroir du népotisme qui fleurit à la cour de leur prince,
secundo, dans le miroir de la justice de cour que ce
prince met au service de sa famille, tertio, dans le
miroir des dépenses somptuaires de la cour. C'est ainsi que
j'ai suggéré et même conseillé avec une ferme insistance au
Créateur d'ajouter séance tenante à la liste des péchés capitaux
celui d'attenter à l'identité du pays et de graver sur l'heure
ce crime nouveau et vieux comme le monde dans le code pénal
de la France et sur le fronton de toutes les mairies et de
toutes les église du pays, ce qui lui a fait comprendre, en
théologien forgé par l'épreuve, qu'il n'y a pas d'identité
des peuples démocratiques ou chrétiens qui ne soit celle du
culte d'une éthique .
2 - Exclusif : Machiavel
me parle de l'Europe
-
Je vois, répondis-je, que la démocratie mondiale est devenue
le théâtre nouveau du conflit multimillénaire entre le "spirituel"
et le "temporel", comme on disait autrefois. C'est confesser
que vous occupez le poste le plus central de la stratégie
du ciel et de la terre. Mais comme notre connaissance scientifique
et philosophique de l'homme et de son histoire depuis l'origine
de notre espèce s'est un peu approfondie depuis votre décès
il y a quatre cent quatre-vingt deux ans, comment, à vos yeux,
le plus vieil échiquier de la politique et de la morale s'est-il
modifié sur notre astéroïde?
Et
lui, un peu sèchement:
- Je ne dispose que d'un petit quart d'heure pour répondre
à vos questions - et encore, c'est beaucoup dire.
- Et moi, du tac au tac: "Raison de plus de ne pas barguigner
davantage".
-
Sachez d'abord, me dit-il d'un ton un peu adouci que si ma
place est ici, c'est parce que, depuis le fond des âges, l'éthique
qui pilote l'histoire conjointe de l'identité des peuples
et de leur logique est l'oracle éternel de toute politique
sur cette planète et, par conséquent, la clé du destin de
toutes les nations de la terre. Voyez la logique interne qui
commande l'immoralité de la corporation des pharmaciens américains
et de l'industrie pharmaceutique de cet empire : elle interdit
à M. Barack Obama de jamais améliorer le sort des malades
dont la bourse est un nid d'araignées. Voyez la logique interne
qui pilote l'immoralité dont se réclame la corporation des
banquiers et des caissiers: elle interdira pour longtemps
à l'économie de ce pays et du monde entier de retrouver les
affûtiaux de la santé florissante qu'elle s'efforçait, non
sans succès, d'afficher. Voyez la logique interne qui inspire
l'immoralité parée des colifichets du patriotisme que la corporation
des geôliers impose au drapeau étoilé de la nation américaine:
elle interdira à l'Etat d'abolir les tortures du Moyen Age
dont les prisons ont retrouvé l'usage légal. Voyez la logique
interne qui préside à l'immoralité de la notion même de "devoir
national" qui dicte sa tâche à la corporation des armuriers
de la patrie d'Abraham Lincoln - celle de remplir les arsenaux
sans relâche et à ras bords. Voyez la logique interne qui
régit l'immoralité de la corporation des guerriers, qui verrait
un péché capital dans la réduction du réseau des garnisons
et dans le rétrécissement du tissu des bouches à feu dont
l'empire dévot est tissé: c'est cela qui a contraint Washington
à dresser partout des boucliers réputés protéger la Maison
Blanche d'un ennemi tout imaginaire, puis à les retirer piteusement
dans l'espoir que le retrait de la menace vaudra récompense
au fanfaron.
Mais
voyez comme toute politique est un dosage des armes et des
songes, voyez comme les théologies sont les quartiers généraux
de ce mélange sur la terre ; et s'il en est ainsi, c'est que
l'homme est un animal onirique.
Mais savez-vous que l'identité des nations impies se réclame
à son tour d'une éthique universelle et cela, depuis des millénaires?
C'est pourquoi il n'y a pas de morale qui ne repose en tout
premier lieu sur l'assistance aux lépreux et aux miséreux.
Mieux encore: il y a deux siècles environ, toutes les cités
civilisées de la mappemonde ont décidé d'aller si loin dans
le soulagement des souffrances corporelles des citoyens qu'elles
ont aboli la torture d'un seul élan et sur toute la terre.
Pourquoi ce déplacement de la frontière entre le civisme et
l'incivisme de la torture ou de la faim? Parce qu'à l'instant
où vous décidez de priver les pauvres des progrès de la science
d'Hippocrate et que vous faites des tortionnaires et des bourreaux
les assesseurs de la magistrature, vous frappez toutes les
nations d'une gangrène mortelle.
Mais voyez quelles en seront les conséquences politiques et
militaires; les troupes d'occupation que l'Amérique croira
avoir sainement colloquées à tous les carrefours stratégiques
de la planète se changeront en abcès de fixation d'un cancer
foudroyant. Alors, il est à craindre que les Etats européens
vassalisés par le prétendu messie de la Liberté qu'ils ont
importé d'Amérique en 1945 se réveilleront en sursaut; alors,
la révolte grondera si fort et se généralisera si rapidement
que vous verrez un dangereux tapage agiter les peuples asservis.
Alors, ce sera à vue d'œil que le gousset de leur faux rédempteur
commencera de se vider. Quel sera le premier peuple à se réveiller
d'un sommeil de soixante-cinq ans? Le Japon des Samouraïs.
Puis l'on verra les Germains longtemps assoupis par les sortilèges
et les élixirs que leur vainqueur leur aura fait boire sortiront
de leur sommeil et paraîtront d'abord abasourdis par le spectacle
de deux cents forteresses incrustées sur leur sol et armées
jusqu'aux dents depuis trois quarts de siècle. Peu à peu,
ils se frotteront les yeux de ne voir le casque d'aucun ennemi
pointer son aigrette à l'horizon. Enfin, viendra le tour de
l'Italie la paresseuse de se tâter et de se pincer; son arrogance
naturelle ira-t-elle subitement jusqu'à prétendre retrouver
la possession du port de Naples ou bien sa candeur indolente
paraîtra-t-elle surprise de découvrir, au saut du lit, que
cent trente sept divisions occupent les terres de Rémus et
de Romulus?
3
- Nouvelles révélations de saint Machiavel. Epoustouflant
- Comment, repris-je, voyez-vous la suite des évènements
défiler sur la rétine du ciel?
- Il faut savoir que l'effronterie soudaine ou le courroux
tardif des nations victimes des poisons de la démocratie mondiale
et des tyrannies ointes de l'huile sainte du suffrage universel
menacera de vider les caisses de l'empire avec une telle précipitation
que le toupet de la Liberté contaminera la confiance de tous
les gouvernements de la terre en l'escarcelle de l'empire.
Comment alimenteraient-ils sans fin le pactole de la monnaie
de la grâce, qui est gagée par le ciel le moins intarissable
de tous, celui de la docilité? Car, depuis Luther, l'assèchement
du trafic des indulgences a ruiné la banque de l'imagination
religieuse des peuples dans le monde. Wall Street a les yeux
fixés sur la ligne de flottaison de la raison financière qu'il
convient de protéger de la submersion. Il apparaît, aux yeux
de tout le monde, qu'elle est à fleur d'eau. Qu'adviendra-t-il
des trésoriers de l'Eglise démocratique? La Chine, la Russie,
le Japon, le Brésil et même la France monteront à l'assaut
de la monnaie sacrée. Alors la pluie d' écus de l'étranger
cessera d'inonder de son or les autels autrefois austères
de la foi démocratique; alors la ruine de l'empire fiduciaire
des modernes assèchera les marchés frelatés de Crésus; alors
la rédemption capitaliste aura du plomb dans l'aile.
- Je comprends mieux l'étendue de vos responsabilités,
repris-je à voix basse. Mais un point de votre clairvoyance
m'inquiète: si vous fondez l'identité des peuples sur l'âme
de leur éthique, leur éthique sur le souffle de leurs idéaux,
leurs idéaux sur la confiance qu'ils gardent en leurs mythes
sacrés, tout l'édifice n'est-il pas fissuré d'avance et proche
de s'écrouler en raison de la fatigue de tous les ciels?
- C'est pourquoi, me dit modestement l'auteur sommital, vous
me voyez siéger le plus discrètement possible aux côtés du
Père éternel que voici - et de me montrer de la main une machinerie
dorée affalée à ses côtés. S'il m'arrive, ajouta-t-il, de
lui parler à l'oreille et de lui dispenser des conseils de
bon sens, c'est que je suis parvenu - non sans mal, il est
vrai - à lui mettre dans la tête qu'il n'y a pas de paradis
crédible sans une politique relativement prudente sur la terre
et, vice versa, pas de politique de la foi suffisamment
appétissante sans un paradis bien achalandé en prébendes et
en châtiments. Tout Eden s'entretient à grands frais dans
l'arène de la politique et l'histoire située dans le ciel
s'entretient à grands frais sur la terre. C'est dire également
qu'il n'y pas de paradis marchand sans filouterie sacrée parmi
les hommes, pas de filouterie théologique sans intelligence
du cirque des nations, pas d'intelligence des semi évadés
de la zoologie sans radiographie des secrets religieux du
cerveau schizoïde d'une créature aussi pieusement qu'astucieusement
scindée entre le ciel et l' enfer de ses dévotions.
- Et pourtant, repris-je, si vous avez scanné la boîte
osseuse des fuyards actuels du règne animal, je suis convaincu
que le génie visionnaire qui vous inspire et que vous avez
mis à l'école de la scission cérébrale qui caractérise notre
bancalité psychogénétique éclaire d'ores et déjà
l'avenir politique de la planète tout entière.
- Sans doute, sans doute, me fut-il répondu d'un air entendu,
mais comment tenterais-je, ajouta-t-il mi-figue, mi-raisin,
de vous suggérer les fondements de la politique trans-euclienne
s'il est bien impossible, hélas, de vous initier en un quart
d'heure à une connaissance même rudimentaire des ressorts
à la fois théologiques et viscéraux de la politique à quatre
dimensions, et d'abord de celle des démocraties biphasées
depuis la réfutation du théorème de Pythagore? Ne soyez donc
pas surpris de me trouver si timidement installé à la gauche
d'un Créateur dichotomisé à son tour et sous l'œil de plus
en plus perplexe du fils schizoïde ; car l'histoire réelle
des démocraties cérébralisées et politisées sur le modèle
bipolaire m'a contraint d'éclairer quelque peu un Dieu demeuré
bifide - son grand âge l'a rendu aussi dur d'oreilles que
l'univers à trois dimensions.
Toute
politique est une théologie déguisée et toute théologie est
nécessairement scissipare. Puis il m'a donc fallu initier
ce personnage coulé dans le creuset biblique au culte de la
liberté et des droits désormais réputés se trouver attachés
de naissance et indéfectiblement à l'homme en tant qu'homme,
ce qui a mis encore davantage en évidence, si possible, non
seulement que la théologie politique est la clé de l'inconscient
de l'histoire des peuples et de l'identité cérébrale des nations,
mais qu'à leur tour les Républiques utilisent - et fort à
leur insu - les ressorts religieux inconscients de la créature,
ce que, je le confesse, ce grand maladroit en psychanalyse
de Père éternel ignorait encore, tellement les monarchies
l'avaient sottement trompé à étaler si longtemps sur ses autels
l'or et la pourpre de son ciel de polichinelle de l'éternité.
4 - Quelques rudiments
de théopolitique
- Je vous remercie, repris-je, de m'instruire du moins
des rudiments de la théopolitique qui vous paraissent accessibles
à mon entendement. Mais si je vous ai bien compris, un prince
qui serait devenu conscient de la scission psychogénétique
qui pilote et égare une espèce née flottante entre le "temporel"
et le "spirituel", comme disaient nos ancêtres, un tel prince,
dis-je, ne devra-t-il pas savoir mieux que personne où faire
passer la frontière entre le ciel et la terre, donc entre
le rêve et le réel au sein des démocraties? Comment saurait-il
à quel moment précis l'un des deux empires empiètera nécessairement
sur le territoire de l'autre ? Comment naviguera-t-il sans
cesse entre deux récifs de la fatalité aussi redoutables que
gigantesques et dont chacun menacera de l'écraser à chaque
instant?
- Ce que je vous ai bien insuffisamment appris, reprit Machiavel,
est cependant suffisant pour vous permettre du moins de comprendre
que le secret le mieux gardé de la théologie est l'art des
deux Eglises, celle du ciel et celle des Etats, de mettre
en commun l'histoire du monde à l'école du "sens de la
vie" que leurs dieux respectifs se partagent et de faire
de leurs Olympes subrepticement associés ou conjoints les
interprètes assermentés des évènements qui se bousculent et
semblent jouer des coudes tout seuls sur la terre. Cette association
est aisée à comprendre, puisque les deux confessions obéissent
à ce que la raison pratique impose aux deux écoles
du politique. Mais les démocraties assermentées par leurs
dieux à elles - leurs idéaux idolâtrés - ont réussi l'exploit
de paraître changer tout cela : l'autorité de leurs vocables
sacrés, prétendent-elles, se serait définitivement substituée
à celle des Saintes Ecritures dont nos ancêtres se racontaient
les péripéties et les épisodes. Il en résulte que votre nouvelle
religion vous fait passer à côté de l'histoire réelle du monde,
tellement elle vous est désormais racontée tout de travers
par les prêtres de votre langage sacralisé, dont l'ignorance
de la nature du politique pilote leur vocabulaire de la rédemption
démocratique. Vous êtes devenus les otages de deux totems,
la Liberté et la Justice et vous vous perdez dans leur grammaire
cahotante et flottante.
Pour
que je puisse seulement tenter de vous raconter l' histoire
réelle du monde et l'avenir des rêves sacrés qui vous attend
ou vous guette, il faudrait que je m'applique quelques instants
seulement à vous narrer ce qui est effectivement arrivé sur
la terre et ce qui s'y passe aujourd'hui, parce que, pour
l'instant, seules les têtes politiques de demain seront en
mesure de vous en faire le récit.
- Je crois avoir compris, répondis-je, que les problématiques
servent de codes de déchiffrement à la connaissance et que
les grilles de lecture étant collectives par nature, elles
téléguident les preuves en tant que preuves, donc la croyance
en l'intelligibilité du monde. Si je crois, par exemple, que
le soleil est un dieu, il me suffira de montrer du doigt les
moissons et je dirai : "La preuve est là, ne niez pas les
faits les mieux démontrés, un peu d'humilité intellectuelle,
je vous prie!" Les peuples primitifs montrent du doigt les
fourmilières afin de montrer qu'elles sont l'œuvre des sorciers,
les peuples plus modernes montrent du doigt la régularité
des trains de la nature pour démontrer, croient-ils, que l'univers
obéirait à un ordre juridique calqué sur le modèle des cités.
Vous déclarez donc, si je vous ai bien compris, que les évènements
n'ont de sens que si l'on croit avoir appris à les lire sur
un échiquier consciemment ou inconsciemment socialisé.
- Parfaitement, me dit-il. Je vais donc vous raconter en quelques
mots ce que nous narrent aujourd'hui les historiens rescapés
du naufrage des théologies d'autrefois et qui errent désormais
au milieu des ruines de toute véritable science historique,
puisqu'ils ont substitué le monopole de leurs falsifications
propres du "sens de la vie" aux falsifications de l'histoire
dont les théologiens d'autrefois se réservaient l'exclusivité.
5
- L'esprit d'inquisition débarque dans la politique mondiale
C'est
pourquoi nous courons à toute allure vers un affrontement
aussi titanesque qu'au Moyen Age et aux siècles des grandes
croisades entre les raisonnements et arguments politiques
construits sur le modèle du sacré et ceux que construit l'esprit
pratique. Nous assistons à un débarquement nouveau et sans
précédent de l'irrationnel sur la planète, ce dont M. Ahmadinejad
a pris acte en ces termes dans un discours télévisé: "Voyez
où nous en sommes maintenant. Il y a quelques années, les
Occidentaux nous disaient d'arrêter toutes nos activités nucléaires.
Aujourd'hui, ils veulent une coopération nucléaire avec la
nation iranienne. Nous passons enfin de la confrontation à
la coopération."
Pour
comprendre la signification simianthropologique, donc théopolitique
du spectacle cérébral auquel la civilisation mondiale peut
se trouver conduite en raison de la scission entre ses savoirs
et ses Olympes, ses laboratoires et ses temples, ses savants
et ses prêtres, il faut observer comment la raison mythologique
commence par scinder le monde entre la vertu et le vice -
donc entre le Bien et le Mal, la piété et le péché - afin
de faire comparaître son "interlocuteur" devant son
tribunal. Le sujet se verra alors mis en accusation et jugé
pour un seul motif, à savoir une culpabilité prédéfinie en
tant que telle et placée hors de tout débat, puisque réputée
d'origine transcendante au monde et donc soustraite par définition
à toute contestation de sa légitimité.
Que
le comportement accusatoire de l'autorité de type religieux
soit inquisitorial par définition , vous en avez une démonstration
internationale sous les yeux, puisque la question de l'identité
morale, intellectuelle et politique du peuple iranien n'est
pas liée au brandissement de quelques images à fonction totémique,
mais au rang et à la nature même de l'encéphale de ce peuple,
donc au pilotage de sa dignité métazoologique en tant qu'animal
surréel et pourtant immanent au monde.
Voyons maintenant de plus près comment l'Occident a retrouvé
les méthodes et la mentalité des tribunaux de la foi, donc
le principe de l'intangibilité de la doctrine et par conséquent,
de la légitimité de signifier à l'interlocuteur qu'il lui
appartient de jouer docilement son rôle d'accusé - donc de
n'argumenter que dans l'enceinte de la problématique précirconscrite
par l'autorité absolue. TITRE: L'Iran a apporté une réponse
ambiguë au projet de l'administration Obama, qui réclame des
clarifications.
Il
en était exactement de la sorte devant les tribunaux de la
foi. Si les juges avaient entendu Galilée grommelant: "Et
pourtant elle tourne", l'hérésie se trouvait irréparablement
démontrée par l'aveu, parce que la question n'était nullement
de savoir si elle tournait ou non sur son axe, mais si la
réponse était conforme à la définition ecclésiale de la vérité.
Les Etats-Unis veulent tester le régime iranien, c'est-à-dire
savoir si, oui ou non la terre est fixe ou tourne sur elle-même
à ses yeux. "La réponse iranienne est jugée très
décevante par les Occidentaux. Elle ne satisfait pas aux conditions
posées le 21 octobre par l'Agence internationale de l'énergie
atomique (AIEA) à l'issue de discussions à Vienne." Autrement
dit, personne ne soulève davantage la question de la légitimité
des juges qu'au Moyen-Age. Le
tribunal se contente de froncer les sourcils de l'orthodoxie:
"Mais la marge de manoeuvre est incertaine, et le temps
compté. Les Etats-Unis donnent des signes d'impatience et
réclament de l'Iran "des clarifications". "Nous
avons besoin d'une réponse formelle", a déclaré, jeudi,
le porte-parole du département d'Etat, Ian Kelly.
Vous
remarquerez que, dans les procédures inquisitoriales italiennes
de mon temps, les magistrats faisaient preuve de la même patience
, de la même apparence de charité, de la même volonté de secourir
le pécheur, de le soustraire, si possible, aux flammes éternelles:
la vérité religieuse dispose de la tranquillité d'âme et de
la sérénité d'esprit des convictions absolues. Comme l'accusé
joue sa peau, on lui témoigne une apparence de respect, on
lui concède un semblant de liberté, mais s'il se révèle relaps
et renégat, que voulez-vous que nous y fassions, le démon
se sera emparé de sa proie.
Je force le trait, mais voyez comme les princes de mon temps
à Florence préfiguraient la guerre d'aujourd'hui entre l'esprit
d'orthodoxie et l'esprit politique, qui demeure paradoxalement
désarmé face au vocabulaire du sacré. D'abord, l'orthodoxie
actuelle se fait du souci: "Selon les responsables français,
britanniques et israéliens, ces travaux-là - l'enrichissement
de l'uranium - n'ont jamais cessé, contrairement à ce qu'avaient
avancé en 2007 les agences de renseignement américaines."
La
presse a évoqué la "diplomatie de M. Nicolas Sarkozy"
face aux "agissements nucléaires" de Téhéran. Un Etat
de soixante-quinze millions d'habitants peut se trouver accusé
"d'agissements" impies par définition, alors
que huit Etats, dont Israël, avec ses cinq millions d'habitants,
disposent d'une arme incohérente par nature, puisqu'elle ne
saurait jouir du double statut d'une arme de guerre et d'une
arme de l'apocalypse. Mais, dans le même temps, l'autorité
empruntée des coalisés de la foi est branlante, puisqu'une
orthodoxie au sein de laquelle apparaît un désaccord sur les
dogmes n'est plus une Eglise, mais une entreprise politique
à ciel ouvert. C'est pourquoi il faut que vous appreniez à
bien distinguer le débat théologique proprement dit, donc
doctrinal, du débat politique.
6 - L'articulation
du théologique avec le politique
-
Il me semble, dis-je, que cette frontière est également
observable dans toutes les têtes, puisque M. Obama joue sur
les deux tableaux, tandis que M. Nicolas Sarkozy agit en homme
politique au sein d'une organisation mentale de type exclusivement
religieux. Pouvez-vous préciser l'enjeu théologique et m'éclairer
sur son articulation avec l'enjeu politique?
- Fort bien, dit Machiavel. L'enjeu théologique est vieux
comme la Genèse: il est interdit de consommer la pomme du
nucléaire qui mûrit sur l'arbre de la connaissance, lequel
se trouve maintenant planté, comme vous le savez, dans l'Eden
des démocraties. Mais pourquoi est-il interdit d'acquérir
le savoir, alors que, selon Socrate, l'ignorance serait la
source de tous les maux? Parce que si les gouvernements ne
savaient pas d'avance d'où vient l'univers, qui l'a fabriqué
et organisé, quelles règles et quels principes commandent
l'action humaine, et surtout comment l'encéphale de l'espèce
doit se trouver préconstruit pour fonctionner sous les ordres
d'un chef du cosmos, comment voulez-vous que les Etats disposent
d'une autorité reconnue et incontestée afin d'assurer la discipline
et l'obéissance des peuples? Si l'Iran se rendra intouchable
quand il disposera du succédané de l'omnipotence divine qu'on
appelle maintenant le pouvoir de dissuader, comment voulez-vous
que les huit autres Olympes continuent de se partager la planète?
La notion de dissuasion est donc non seulement le cœur de
la théologie et de la politique, mais un cœur dont les battements
innervent à la fois les Etats et les Eglises.
-
Parmi les têtes politiques, repris-je, vous savez que les
unes prétendent que M. Nicolas Sarkozy est d'origine juive
et qu'il serait au service des intérêts d'Israël dans le monde
; les autres soutiennent que les Iraniens ont un encéphale
microscopique et qu'ils sont à peine évadés des forêts, de
sorte que si l'on mettait la bombe entre les mains de ces
chimpanzés du monde moderne, ils se rueraient bêtement sur
leurs voisins et s'amuseraient à les pulvériser , sans se
dire un instant qu'il existe huit Zeus armés de la même foudre,
et d'abord Israël. Comment interprétez-vous ces deux positions?
-
M. Nicolas Sarkozy est né entre 1950 et 1960. Cette génération
s'est trouvée baignée dès le berceau dans un monde biphasé
entre le camp du Bien, représenté non seulement par Israël,
mais par la civilisation à la fois capitaliste et messianique
de l'Amérique. Certes, la presse relève que les autorités
israéliennes elles-mêmes reconnaissent que la France fait
tout ce qu'elle peut pour Israël et jusqu'à entraîner au besoin
l'Europe entière dans le sillage d'Israël: on romprait au
besoin les liens transatlantiques au profit de Tel-Aviv: "M.
Sarkozy s'est fortement agacé du refus de son homologue américain
de mentionner le site secret de Qom lors d'une réunion du
Conseil de sécurité consacrée au désarmement nucléaire. Pendant
des mois, Paris avait pressé Washington de dénoncer l'existence
de ce site clandestin. L'administration américaine n'y a consenti
que lorsque les Iraniens avaient déjà avoué. Le ministre français
des affaires étrangères, Bernard Kouchner, a récemment insisté
devant des journalistes sur le risque d'une action militaire
israélienne."
Mais
M. Nicolas Sarkozy n'est pas un serviteur d'Israël que le
suffrage populaire aurait porté par malencontre au pouvoir.
C'est un homme d'Etat privé de profondeur d'esprit.
Il est sincère dans ses convictions, comme le sont tous les
croyants. Or, la politique étrangère est le territoire de
l'art de gouverner sur lequel il est impossible de s'avancer
sans profondeur d'esprit, parce que le myope n'y voit pas
ce qu'il fait. Comment voulez-vous piloter un Etat si vous
ne voyez pas sur quelle trajectoire sa situation géographique
et son identité propre l'a placé? Aujourd'hui, l'alliance
de la Syrie avec l'Iran est plus inébranlable que jamais,
l'Egypte elle-même a refusé de participer à une rencontre
avec le Ministre des affaires étrangères d'Israël - il s'agit
d'un ancien videur de boîte de nuit - la Turquie prend la
tête de l'Europe de demain et lui montre avec éloquence le
chemin en s'alliant avec l'Iran, la Russie, la Chine et l'Inde
- bref, en prenant la place que la France aurait pu prendre
. Le monde change de pôle et le manque de profondeur d'esprit
de M. Nicolas Sarkozy l'empêche de le comprendre.
Sur le second point, le retard cérébral de la classe dirigeante
européenne et mondiale n'est pas tel qu'une fraction significative
de cette élite croirait à la thèse du chimpanzé que vous avez
évoquée plus haut. La seule question féconde aux yeux de l'anthropologie
critique - que j'appelle une simianthropologie - est de découvrir
pourquoi Israël parvient à répandre dans le monde entier la
croyance à une réaction zoologique du peuple iranien. Un tel
prodige n'est possible qu'en raison de la complicité de quatre-vingt
quinze pour cent de l'humanité actuelle avec la vocation messianique
non seulement d'Israël, mais surtout de la démocratie mondiale,
qui est tenue pour salvifique, rédemptrice et eschatologique.
C'est sur cet immense retard cérébral du simianthrope
actuel que joue Israël en toute sécurité et avec la science
que vous savez.
Aujourd'hui, le capitalisme s'est bel et bien révélé ce que
Marx en avait dit; mais que faire si l'autre alternative ,
celle d'un songe évangélico-politique, conduit fatalement
au désastre économique? Nous sommes enfin entrés dans le débat
de fond, celui de la pesée de l'encéphale de notre espèce.
Tout le débat avorté de 1917 à 1989, puis entre 1989 et aujourd'hui,
tout le débat sur le développement du cerveau du simianthrope
actuel va se placer au cœur d'une véritable connaissance de
notre espèce mi-onirique, mi-politique. S'agit-il d'un retard
irrémissible, ou bien les "agissements nucléaires"
d'un accusé enfermé dans une géopolitique de
l'aveu nous donnent-ils une occasion unique de progresser
dans la connaissance de l'état de notre boîte osseuse un demi
millénaire seulement après ma descente chez les morts?"
7
- Les ratés de la religion démocratique
-
Comment en sommes-nous arrivés là?
-
Examinons les faits : Israël se situera pour longtemps au
cœur du destin onirique de la planète dite des "droits
de l'homme", parce qu'au lendemain de la seconde guerre
mondiale, l'empire américain avait réussi l'exploit extraordinaire
de prendre seul et en toute hâte la tête de la croisade de
la planète tout entière pour la décolonisation précipitée
des peuples conquis par les nations dominantes d'autrefois,
ce qui avait conduit Washington à déclarer la guerre à ses
anciens alliés, la France et l'Angleterre, au motif que ces
deux nations, secondées par Israël, s'étaient coalisées afin
d'interdire au Colonel Nasser de nationaliser le canal de
Suez. Mais Paris et Londres avaient rapidement battu en retraite,
principalement en raison des menaces de pulvérisation atomique
que Washington et Moscou leur avaient conjointement adressées,
mais également en raison de l'épuisement du Royaume-Uni, que
la guerre contre le nazisme avait laissé exsangue. La débandade
des tories à la Chambre des Communes avait été sans remède,
parce qu'elle avait été conduite par la poigne des travaillistes
de l'époque, qui avaient trouvé des accents révolutionnaires
pour prendre la revanche des valeurs de la démocratie, disaient-ils,
sur le vieux Churchill et sur son pâle successeur, Anthony
Eden.
Israël a compris sur l'heure que les pièces avaient changé
de codes sur l'échiquier du monde; et l'on a vu ce petit Etat
prendre tout seul et résolument en mains les relations nouvelles
et qu'il fallait rendre catastrophiques de l'Amérique avec
le monde arabe. Non seulement les gouvernements successifs
du peuple hébreu ont réussi l'exploit de mettre en place,
d'organiser, de faire fonctionner et surtout de financer sur
tout le territoire du Nouveau Monde le plus gigantesque réseau
d'influence politique et militaire de tous les temps, mais
il est parvenu, de surcroît, à faire bénéficier sa main-mise
sur le pays du statut juridique que les droits nationaux réservent
aux entreprises privées de leurs ressortissants. Seul le Saint
Siège avait réussi, avec l'ordre des Jésuites, à installer
ses agents sur le territoire de tous les autres Etats aux
fins d'y défendre ses intérêts politiques et religieux au
détriment de ceux de ses hôtes. On sait que les Jésuites ont
formé les élites françaises, tant nobiliaires que du tiers
état pendant près de deux siècles.
Voir
-
Certus
odor dictaturae, Deuxième Lettre ouverte aux Français juifs
de mon pays,
7 septembre 2009
-
Certus
odor dictaturae, Lettre ouverte aux Français juifs de mon
pays,
1er septembre 2009
Naturellement
le prestige politique et culturel de la civilisation américaine
dans le monde musulman n'a pas tardé à s'en trouver compromis
et souvent anéanti, parce que la géographie interdisait au
peuple hébreu de s'étendre sur un autre territoire de la planète
que sur celui de l'Islam. Comme on ne pouvait ressusciter
les colonisateurs - la France et l'Angleterre - il ne restait
qu'à rendre islamophobe l'Amérique tout entière. Il a fallu
un demi siècle à l'empire américain pour comprendre qu'il
avait perdu son rôle de croisé mondial de la Liberté et d'ange
Gabriel au cœur sur la main, parce que la mappemonde de la
rédemption par la décolonisation commençait de changer de
pôle politique à l'écoute de la Russie, de la Chine, de l'Inde
et de l'Amérique du Sud , qu'on appelait les puissances montantes.
- Vous enseignez maintenant au Père éternel que les évènements
changent radicalement de sens historique selon l'échiquier
sur lequel on situe leur interprétation. Vous lui enseignez
également que la créature a toujours tenu la main et
guidé la plume de son prétendu géniteur. Mais si l'histoire
sainte truquait tout autant et seulement autrement l'histoire
des peuples et celle de leur identité nationale que la théologie
des démocraties de la Liberté s'attache aujourd'hui à changer
le tissu et l'éthique de Clio, comment le démontrez-vous?
- Voici : supposez seulement que l'empire américain retrouve
un jour son prestige et son influence anciens dans un monde
arabe aux yeux duquel il avait pris les traits d'un Messie
de la décolonisation, Israël reconquerrait-il pour autant
le royaume de Salomon? Pour départager le récit surnaturel
du récit temporel, il faut commencer par vous demander laquelle
des deux interprétations répond le mieux au statut psychobiologique
d'une espèce théologisée de naissance par sa schizoïdie cérébrale,
qui la fige dans des représentations doctrinales du monde
et la lance dans l'inconnaissable. Pour cela, vous observerez
en premier lieu que deux stratégies seulement s'offrent désormais
à la théopolitique des fidèles de Jahvé. La première remonte
aux chimpanzés, qui savent fort bien se proclamer menacés
par un ennemi imaginaire pour sortir leurs griffes et montrer
leurs crocs. La seconde est plus proche des comportements
collectifs propres aux fuyards tardifs de la zoologie, ce
qui rend leur examen simianthropologique considérablement
plus instructif aux yeux des interprètes récents des millénaires
de l'évolution cérébrale de notre espèce.
Pour
comprendre ce point décisif, écoutez ce que dit maintenant
l'Etat Israël entre quatre yeux aux dirigeants du plus puissant
empire du monde. "Depuis soixante cinq ans, je soutiens pleinement
et de toutes mes forces la domination sans partage que vous
exercez sur l'Europe, depuis soixante cinq ans, je vous ai
aidés fidèlement à asservir ce continent tout entier et définitivement,
depuis soixante cinq ans, j'ai mis une civilisation brillante
à l'école de votre glaive et à l'écoute de votre évangile,
depuis soixante cinq ans, je cautionne, je légitime, je sanctifie
votre saint empire au profit d'une occupation militaire perpétuelle
qui se trouve désormais inscrite dans les constitutions
de vos vassaux ; sans moi, votre puissance serait vaine et
s' effondrerait en un instant.Cessez
donc de vous imaginer que vous occupez l'Europe par l'effet
d'un miracle de la démocratie, votre idole, cessez de croire
que vos valets ont couru de leur plein gré se placer sous
votre bannière en Irak ou en Afghanistan. Votre laquais Rasmussen
n'est pas dupe de la solde que vous lui versez, il sait que
je suis là. Sans Israël, vous ne sauriez par quel territoire
transporter vos armes en Afrique et au Moyen Orient. Songez
seulement que si l'Europe tournait maintenant ses regards
vers le pôle ascendant du monde de demain et si je l'encourageais
à marcher d'un bon pas en direction des puissances qui domineront
le monde avant vingt ans, vous pourrez toujours vous vanter
d'avoir conquis quelques lopins de Mohammad sur les rives
de la Méditerranée, vous en serez réduits à jouer les manchots
sur la scène internationale et jamais plus les circonstances
ne vous feront passer pour les sauveurs du monde. Songez que
vos légions occupent encore fermement l'Allemagne et l'Italie,
songez que le port de Naples vous appartient, songez que,
sans la docilité des descendants de Salamine, la Méditerranée
retomberait bientôt entre les mains de ses riverains, songez
que les descendants de l'empire romain se réveilleraient et
vous crieraient d'une seule voix: "Mare nostrum, mare nostrum!
Voyez, déjà le Japon ne ravitaillera plus vos navires de guerre
à partir du mois de janvier! Ecoutez la sonnette d'alarme
que je tire pour votre salut."
- Mais croyez-vous vraiment aux chances de succès d'Israël?
- Il est évident que l'Etat juif perdra cette bataille sur
les deux fronts, mais nous ne savons pas encore comment. Sur
le premier point, le nucléaire vit ses dernières heures. Même
Washington s'est décidé à soumettre au monde entier le projet
d'abandonner cet agonisant. L'état actuel de l'évolution de
la boîte osseuse de notre espèce exclut d'ores et déjà qu'elle
se vaporise aveuglement dans l'atmosphère. Si vous mettez
l'arme de leur suicide entre les mains de deux macaques simiohumains
instruits d'aujourd'hui, ils rengaineront sagement leur foudre.
- Vous jugez donc que l'Iran disposera nécessairement de
l'arme moribonde?
-
Cela ne fait aucun doute, parce que chacun sait qu'il sera
encore longtemps d'usage de la brandir bêtement. Le songe
nucléaire ressemble à celui que l'Eglise romaine a laissé
mourir de sa belle mort, celui de l'excommunication majeure.
Bientôt, seuls les derniers orangs-outangs pousseront leurs
terribles hurlements aux frontières de leurs forêts.
8
- L'avenir d'une arme moribonde et l'avenir théologique
d'Israël 
J'observai,
sidéré, le visage attachant du premier philosophe de la politique;
et je me disais que cet homme-là avait appris le monde à commenter
les dix premiers livres de Tite-Live, comme il le reconnaît
lui-même. Or, dans ces premiers livres, le grand historien
avait chanté l'avenir glorieux des Romains, mais douté, pour
ne pas dire plus, de l'autorité des auspices et de leurs poulets.
De plus, ce Voltaire de l'Antiquité avait démontré les ruses
des premiers patriciens, qui avaient tué Romulus de leurs
mains, puis l'avaient fait dévaler du ciel et lui avaient
mis d'exaltantes prophéties dans la bouche afin de donner
l'aval des dieux à leur nouvelle puissance sur la plèbe romaine,
qui avait besoin de conserver dans le ciel le dieu qu'elle
avait adoré sur la terre. Sûrement, me disais-je, ce grand
mort a appris, il y avait un demi millénaire de cela, à regarder
les hommes et leurs dieux avec les yeux du simiologue. Il
reprit d'une voix plus chaude et plus rieuse.
- Voyez la vanité des rodomontades du monde entier à l'égard
de la foudre stérile de l'Iran: ce peuple est devenu tellement
conscient de ce que l'arme nucléaire n'est qu'un pétard mouillé,
mais qu'on ne saurait, pour autant, pousser l'insolence démocratique
jusqu'à refuser à une grande nation la dignité suprême de
mettre un sabre de bois sur sa hanche et de parader avec un
pommeau d'or fixé à la ceinture qu'il aura suffi aux plus
ardents des guerriers de Téhéran de feindre au grand jour
de renoncer à l'arme d'un prestige de pacotille pour que les
partis du centre et de la gauche, saisis d'une sainte ardeur,
prennent le relais de la défense tonitruante de ce colifichet
de l'honneur national. Voyez la France : elle aussi s'était
bien gardée de signer le traité de non-prolifération de l'apocalypse
onirique avant d'avoir conquis le prestige de maîtriser une
mythologie inutilisable sur un champ de bataille. Les seuls
Etats condamnés à renoncer au mythe fascinatoire du jugement
dernier sont les vaincus de la dernière guerre: l'Allemagne,
l'Italie et le Japon. Quant à Israël, s'il refuse, lui, de
signer son renoncement à une apocalypse pour les singes, c'est
seulement parce qu'il lui faut, le pauvre, faire semblant
de s'en trouver dépourvu - sinon, comment se donnerait-il
le rôle de l'innocent menacé, comment convaincrait-il le monde
entier de fermer les yeux sur son expansion territoriale continue
en Cisjordanie?
Quant à l'autre stratégie des matamores de leurs gosiers,
voyez comme ils courent à l'échec : jamais l'Europe ne demeurerait
sous la tutelle d'Israël si l'empire américain renonçait à
sa laisse et à son collier, jamais l'Europe ne persévèrerait
à susciter l'hostilité des Etats arabes et de la religion
de Muhammad dans le monde entier si le Nouveau Monde descendait
au fond du gouffre où la chute du dollar le précipitera.
- Mais alors, poursuivis-je, qu'en est-il du rendez-vous
de notre espèce avec la logique théologique qui pilote ses
gènes?
-
Il sera religieux, le drame qui attend le peuple juif, me
répondit ce grand homme, parce que, depuis les origines, la
théologie est la clé du monde et elle le restera. C'est pourquoi
Israël s'est condamné à clouer éternellement la démocratie
mondiale sur la croix de son péché originel, celui d'être
né du viol des principes universel du droit international
au profit . De génération en génération et à son corps défendant,
l'Etat hébreu sera, sur tout notre astéroïde, l'épine dans
le pied de la civilisation du droit Le rappel lancinant de
l'illégitimité d'un Etat fondé sur l'expulsion par la force
du peuple palestinien du territoire de ses ancêtres démontrera
que mon titre de conseiller en théologie de la démocratie
mondiale n'est pas usurpé. Un jour les grands Etats comprendront
que notre espèce est en cours d'évolution et qu'il est indispensable
de savoir à quelle station-service notre pauvre encéphale
se trouve arrêté.
9
- La Palestine, gibet du monde

- Mais dans ce cas, m'écriai-je, comment pouvez-vous soutenir
la politique d'un Dieu qui croit dur comme fer qu'il existe
- alors que vous savez bien qu'il n'en est rien?
- Vous voulez rire , dit Machiavel en relevant un sourcil
amusé. Certes, le personnage majestueusement assis à ma gauche
semble une machinerie dont les treuils, les câbles et les
ressorts sont aussi visibles que les poulets des augures dont
Tite-Live se riait. Voyez comme je fais hocher l'idole du
bonnet, voyez comme je lui fais tourner la tête à gauche et
à droite à ma guise, voyez comme je lui ouvre et lui ferme
les yeux à mon gré. Mais Dieu n'est pas ici, parce que la
Florence véritable n'est pas davantage dans les uniformes
de ses policiers, dans les robes noires de ses juges, dans
l'étoffe et la hampe de ses étendards que Rome dans les poulets
du sacrifice et Dieu dans ses ciboires. Vous aurez beau chercher
Florence dans ses murailles, ses rues et ses chapelles, jamais
vous ne trouverez Florence ailleurs que dans l'âme de ses
habitants. Qui est Dieu, qui est Florence, qui sont tous les
Etats et toutes les nations de la terre, sinon des personnages
intérieurs, des acteurs cérébraux? Et qui fait l'histoire,
sinon des héros invisibles et qui existent pleinement de ne
pas se trouver dans leur chair et leurs ossements? Et quelle
est leur identité, à tous ceux-là, sinon celle de leur éthique?
- Mais alors, répondis-je, comment faut-il traiter de l'existence
théologique du genre humain et de son histoire?
-
Si Dieu et Florence existent dans toutes les têtes, me dit
le Platon de la politique moderne et si la démocratie mondiale
est calquée sur le culte d'une Liberté casquée, et si son
casque est celui de sa Justice, que vous enseigne cette divinité-là?
Voyez comme elle se présente en annonciatrice, en messagère,
en prophétesse de l'âme de l'humanité! C'est donc en logicien
que je vois Israël clouer l'âme et l'esprit de la démocratie
mondiale sur la potence de son reniement du dieu que l'homme
s'appelle à devenir à lui-même. Mais voyez comme l'Eglise
a renoncé à conquérir le monde le glaive dans une main et
la croix dans l'autre; voyez comme la démocratie a fini, elle
aussi, par se convertir à son existence intérieure. Combien
de temps la démocratie mondiale se laissera-t-elle clouer
par Israël sur le gibet de sa propre mort, le gibet de la
Palestine?
-
Machiavel, Machiavel, m'écriai-je, votre poste de conseiller
politique de la théologie mondiale des démocraties est plein
d'embûches ! Savez-vous quelle potence vous attend?
-
Certes, dit le grand Florentin, j'ai sur les bras tout le
poids d'un Vatican des cierges et du pain bénit. Mais je suis
un esprit politique; et j'ai appris dans Tite-Live que Rome
a péri quand l'âme de Rome est devenue le catafalque des Romains.
Les peuples morts ont logé leur cercueil dans leur tête.
10
- Qui va peser le peseur? 
-
Ah! combien
j'aurais voulu poser une dernière question à l'auteur du Prince!
Mais en quel coin ou recoin de la scène me serais-je blotti
pour observer du dehors le prétendu Créateur du cosmos? Car
enfin, me disais-je in petto, si la morale politique est une
actrice diablement retorse en ce bas monde et si les gestionnaires
de génie de l'identité éthique des peuples se révèlent aussi
rusés que Lucifer, leur compère, et enfin, si l'âme que notre
planète voudrait rendre éternelle est appelée à comparaître,
elle aussi, devant un tribunal de l'intelligence dont les
juges se révèlent récusables, comment un Bien et un Mal absolus
exerceront-ils la magistrature suprême de juger à leur tour
les lois et la Justice d'une divinité toujours impotente ?
Ce personnage vaporisé dans le vide n'est-il pas aussi schizoïde
en diable que ses deux assesseurs? Qui me fournira la balance
à peser sa fausse souveraineté? Quelqu'un se cache-t-il seulement
derrière toutes les carrosseries du monde?
Bien
avant Nietzsche, saint Machiavel a tenté de donner un regard
d'aigle aux hommes d'Etat de son temps. Mais quelle sera la
super divinité qui dressera le portrait en pied des trois
infirmes du ciel d'aujourd'hui? Pourquoi aucun ne me dit-il,
primo, pourquoi les pauvres et les malades doivent
se trouver secourus et non plus jetés à la voirie, secundo,
pourquoi les vrais Etats doivent s'abstenir de torturer leurs
citoyens, tertio, pourquoi toutes les démocraties modernes
servent de casernes aux vainqueurs implantés sur leurs territoires
depuis la fin de la dernière guerre, quarto, pourquoi
le singe cérébralisé se scinde dès le berceau entre ses glaives
et son bel canto?
Trop
tard. Un appariteur a surgi.
-
Le temps de l'audience accordée à votre minusculité est écoulé
, me dit-il.
Il
ne me restait qu'à remercier le maître de la politique moderne
pour la grâce dont il m'avait fait bénéficier .
J'ai déjà dit au lecteur pressé que j'avais engagé un filou
d'ange-serrurier pour forcer les portes de l'Eden. A la sortie,
mon monte-en-l'air m'a rouvert la porte à deux battants.
Le 9 novembre 2009