Le scandale des caricatures
sacrilèges de Mahomet constitue un document d'une portée anthropologique
exceptionnelle en ce qu'il permet de mettre en évidence , à la
manière d'un catalyseur d'une puissance inespérée, l'incohérence
cérébrale d'une civilisation en quête d'une assise mentale qui
s'est dissoute avec la Renaissance et qui échoue à se reconstituer
sur des fondements rationnels. En vérité, il faut remonter à la
victoire du christianisme sur le paganisme pour trouver la source
de l'impossibilité de fonder les cultes aussi bien sur une légitimation
théologique des mœurs et usages des peuples et des nations que
sur des vérités censées révélées.
Cette querelle a été
illustrée en 385 par une joute oratoire célèbre entre saint Ambroise
et le Sénateur Symmaque. Elle retrouve aujourd'hui toute son actualité
politique, parce que cent cinquante ans après Darwin, la pensée
européenne n'a pas su élaborer une science du cerveau schizoïde
des évadés de la zoologie .
Dans ces conditions,
il convient d'observer les revanches larvées du sacré qui se manifestent
par la chute de la magistrature dans l'ecclésiocratie et celle,
plus secrète, des administrations publiques dans une cléricature.
L'Etat dit de droit et devenu pseudo rationnel se trouve sur la
défensive faute de moyens intellectuels de comprendre les apories
anthropologiques dans lesquelles leur auto-sacerdotalisation rampante
précipite les démocraties européennes .
C'est que la Renaissance
n'a pas su conquérir un regard de l'extérieur sur le dieu nouveau
et sur son " fils ". L'intrusion brutale d'Allah au cœur d'une
civilisation privée de connaissance scientifique d'elle-même et
des sources psychogénétiques du blasphème débloquera-t-elle une
pensée occidentale que le concile de Trente avait vouée à l'échec
? L'encéphale de l'homme pensant de demain s'armera-t-il d'un
regard sur une espèce onirique de naissance?
1
- Du choc de trois monothéisme sur le sol des nations
2
- Le panculturalisme de Symmaque
3
- La classe politique française et Symmaque
4
- La classe politique française à la recherche d'une anthropologie
fondamentale
5
- Consultation de l'augure romain
6
- La politique et l'autel
7
- La sacerdotalisation des services de l'Etat
8
- Un exemple
9
- Qui est la France ?
10
- La résurrection de l'Europe de la pensée et la zoologie
transcendantale
1
- Du choc de trois monothéisme sur le sol des nations 
Le
paysage intellectuel français et européen se trouve à un tournant
de son destin politique et philosophique. Les historiens d'une
culture occidentale tombée dans la décérébration diront que la
parution des caricatures jugées sacrilèges de Mahomet au Danemark
en septembre 2005 et leur migration tardive vers la France et
l'Allemagne en février 2006 ont fait exploser le panculturalisme
acéphale d'une civilisation livrée à une léthargie philosophique
sans remède à la suite de la victoire mondiale de la "pensée"
exclusivement pragmatique des Etats-Unis sur l'ex-continent de
la raison. Pourquoi les retrouvailles soudaines du Vieux Monde
avec les combats de l'intelligence logicienne et socratique ont-elles
été déclenchées par l'électrochoc dérisoire du rire ? Chacun sait
que ce secouement ridicule n'a pas de cervelle, alors que la philosophie
s'est armée, depuis deux millénaires et demi, du sourire semi
sarcastique qualifié d'ironique. Une analyse moqueuse de ce mystère
conduira au fond anthropologique de la difficulté.
En
ce temps-là, trois idoles s'affairaient de conserve autour de
l'encéphale simiohumain . La première disait : " Je suis Jahvé,
le seul vrai Dieu et Moïse est mon prophète " .La
seconde disait : " Je suis le seul vrai Dieu, et je suis scindé
entre trois personnages réunis en un souverain unique du cosmos"
. La troisième, la plus tardive, disait : " Je suis Allah et Mahomet
est mon prophète".
Aussi
longtemps que ces trois acteurs cérébraux d'une espèce encore
dans l'enfance se sont partagé la gestion des tourments ou des
félicités de leurs fidèles dans leur éternité posthume - que ce
soit dans un paradis de l'ennui ou dans un gigantesque camp de
concentration tout bouillonnant de sang et de larmes sous la terre
- et aussi longtemps que la complexion et la dégaine d'un trio
d'idoles aux théologies inconciliables entre elles ont régné sur
des régions du globe séparées par de grandes distances , le spectacle
d'une espèce prise dès le berceau dans les rets de ses songes
n'a pas présenté d'obstacle insurmontable à la politique des Etats
, lesquels se sont, bien au contraire, aussitôt armés des délires
sacrés de leurs sujets pour mieux régner sur leurs têtes . Mais
à partir de l'instant où trois panoplies oniriques ont essaimé
en tous lieux et se sont affrontées sur les territoires de chaque
nation, la coexistence et la collaboration de leurs ardeurs ont
commencé de poser à l'encéphale, même profondément endormi des
derniers philosophicules européens des questions non seulement
gênantes, mais insolubles ; car la confusion mentale généralisée
qui en découlait nécessairement à l'échelle de la planète faisait
un tel vacarme que la classe politique française se voyait soudainement
contrainte de polir à grands frais et avec les moyens du bord
un discours qui parût remédier à un si complet désordre dans toutes
les têtes . Et comme il n'existait pas encore de connaissance
psychogénétique des systèmes immunitaires pseudo cogitants que
le cerveau du singe devenu semi pensant sécrète afin de remédier
à son effroi originel, la multiplication des dieux uniques tournait
à la catastrophe politique. Comment conserver la crédibilité des
trois gigantesques exorcismes monothéistes si chacune de ces forgeries
se trouvait privée du privilège de revendiquer le monopole de
la démence simiohumaine dont les prisonniers de l'île déserte
de Pascal sont affligés de naissance ?
2
- Le panculturalisme de Symmaque 
La
question n'a pas été résolue de savoir qui a réussi à alerter
la classe dirigeante inculte de l'Europe de l'époque et lui a
remis en mémoire le discours que Symmaque avait prononcé en 385
devant le Sénat romain face à un saint Ambroise coupable d'avoir
fait enlever en 380 une déesse de la Victoire qui trônait depuis
des siècles dans l'enceinte de l'auguste assemblée et dont nul
n'ignorait que la divine protection avait permis la victoire du
peuple de la louve sur Annibal, puis conduit les aigles romaines
à tant d'autres triomphes mémorables sur tous les champs de bataille
de l'Europe .
Il
faut savoir, primo, qu'un premier discours du sénateur
Symmaque, qui fut prononcé sous Gratien en 382, est irrémédiablement
perdu et que l'éloquent orateur avait été aussitôt frappé d'exil;
secundo, que Gratien avait été assassiné à Lyon en 384
et que son successeur, Valentinien II, n'était pas moins chrétien
que son prédécesseur, ce qui empêchait notre vaillant orateur
de reprendre l'offensive d'un bon pas, de sorte que ses paroles
nous ont bel et bien été conservées, mais toutes suantes de l'auto-censure
de l'époque, comme le lecteur pourra le vérifier in Sancti
Ambrosii opera omnia, tomus quartus , p. 252, apud
Gauthier fratrem, in via Hautefeuille, n° 22, Parisiis 1836. Dans
ces conditions, la recette de Thucydide demeurée décidément
la meilleure : il fallait, disait-il, mettre résolument dans la
bouche des grands témoins de l'histoire de leur temps la saine
éloquence dont ils auraient logiquement dû témoigner en raison
de la situation réelle dans laquelle ils se trouvaient.
Or, les circonstances de l'époque parlaient toutes seules : les
humoristes chrétiens avaient la plume tellement triomphale et
respectaient si peu les croyances les plus antiques et les plus
vénérables des païens qu'ils se moquaient sans mesure non seulement
d'une déesse de la Victoire confusible avec la pierre inerte de
sa statue, mais couvraient de leurs sarcasmes les oies bien vivantes
du Capitole, dont le saint cacardement avait pourtant averti le
peuple romain de l'assaut imminent de maint ennemi de l'empire
naissant . Aussi Symmaque avait-il dû tenir à peu près le discours
plus provocateur que l'original dont je rapporte fidèlement le
propos:
"
J'appelle les dessinateurs et les caricaturistes chrétiens à faire
preuve de responsabilité, de modération et d'un sain jugement.
Nous respectons leur foi, nous leur demandons seulement de respecter
la nôtre. La déesse ici présente mérite toute la sainte ferveur
de notre culte. Aux adorateurs d'une croix ignominieuse sur laquelle
ils ont cru bon de clouer leur nouveau Jupiter , aux fieffés vénérateurs
d'un gibet sur lequel nous faisons agoniser nos esclaves reconnus
coupables par nos lois des crimes les plus graves, nous ordonnons
qu'ils fassent preuve d'un peu de retenue dans le blasphème et
l'insulte. Est-il un seul peuple de la terre qui n'honore les
dieux attachés aux endroits sacrés où ils ont dressé leurs autels
? [Varios custodes urbibus et cultus mens divina distribuit].
" En retour, les nations leur demandent de légitimer leurs mœurs
et leurs usages. [Ubi utile est, ibi et pietas ] Aussi
le grand âge des dieux ajoute-t-il à leur majesté naturelle l'éclat
des victoires qu'ils ont remportées avec le secours des armes
invincibles qu'ils ont mises entre les mains de leurs vénérateurs
; mais nous saluons également avec gratitude les épreuves qu'ils
ont subies pour nous et en notre nom. Ils ont partagé notre affliction
et ils ont aidé notre foi à les surmonter. Ils sont nos maîtres
et nous ne sommes que leurs adorateurs, mais ils ont bien voulu
nous élever au rang de compagnons dignes de leur grandeur .
" Sachez donc que la déesse de la Victoire présente en ces lieux
ne nous a pas moins soutenus dans nos souffrances qu'elle n'a
fait resplendir nos glaives de tout l'éclat de sa gloire. Mais
ses triomphes sont d'abord ceux de notre nation. Ses armes et
les nôtres se sont confondues ; elles ont donné de conserve à
nos légions une immortalité égale à celle des dieux. Ne frappez
pas les vieux Romains de l'humiliation et de la honte de la chasser
de l'arène de notre histoire et de l'enceinte de notre mémoire.
Souvenez-vous de ce que nos orateurs les plus illustres ont fait
briller son front de tous les feux de leur génie ; souvenez-vous
de ce que la déesse est vivante de l'élévation de nos cœurs et
de nos esprits. "
Je ne rapporterai pas les moqueries aggravées qui s'ensuivirent
à l'encontre des saintes oies du Capitole. Pourquoi Saint Ambroise
n'a-t-il rien voulu retenir de la haute éloquence du Bossuet des
dieux anciens? Pourquoi la déesse vilainement traînée par Gratien
hors du prétoire sacré quatre ans auparavant n'a-t-elle jamais
retrouvé les couleurs de son ciel et le parfum de ses autels ?
Pourquoi le peuple romain s'est-il donné un autre interlocuteur
mythique dans les nues et un nouveau forgeron des succès guerriers
de l'empire jusqu'au désastre du sac de Rome par les barbares
en 410, qui ruina pour longtemps la crédibilité militaire du nouveau
Dieu de la victoire et fit retourner toute l'Afrique du nord au
paganisme - pour ne rien dire de la revanche de Julien l'Apostat
qui mûrissait dans les profondeurs du cerveau simiohumain ? Qu'est-il
alors advenu de l'encéphale pieusement rénové de notre espèce
?
3 - La classe politique
française et Symmaque 
Il faut savoir que les érudits du début du XXIe siècle ont renoncé
à retrouver celui de leurs confrères qui, dans le plus grand secret,
avait rappelé l'existence de cet écrit célèbre à une classe dirigeante
française et européenne alors tombée dans une amnésie insondable;
mais il est démontré que cette voix anonyme a été aussitôt entendue.
Le lendemain même, l'Elysée demandait solennellement à la presse
française tout entière de s'armer désormais d'une liberté résolument
décérébrée et de ne plus laisser commettre le sacrilège abominable
dont le Mahomet évoqué ci-dessus avait été la victime au bénéfice
de ses deux confrères, Moïse et Jésus-Christ.

Mariali
Quant à Matignon , sans citer nommément Symmaque, il rappelait
expressément que le sacré prend des formes diverses sur la terre,
mais il n'avait pas précisé si ces tournures variées répondaient
à un modèle immuable. Comment fallait-il interpréter le fameux
passage de Symmaque, " suus enim cuique mos, suus cuique
ritus " - à chaque peuple ses mœurs, à chaque peuple
ses rites ?
Naturellement,
la presse rappelée à la tolérance par les plus hautes instances
de l'Etat n'était pas moins privée de mémoire que l'Elysée et
Matignon réunis au chapitre du creuset originel du sacré, parce
qu'il n'existait pas encore d'anthropologie historico-critique
en mesure d'expliquer la nature, la psychologie et les métastases
des idoles simiohumaines. Aussi les fidèles d'Allah ont-ils pu
faire valoir à la France laïque que l'Islam serait une religion
de paix, parce que la rechute de l'Europe dans les ténèbres du
Moyen-Age était devenue irrémédiable au point que non seulement
toute la classe dirigeante, mais également de nombreux historiens
et tous les philosophes officiels avaient oublié l'évidence que
les trois idoles étaient nécessairement répressives et iréniques
à la fois. Il n'est pas de politique qui n'ait à combattre conjointement
sur ces deux fronts, tellement il est impératif de se faire aimer
si l'on entend durer, et tellement il est impossible de se faire
respecter des gouvernés sans les épouvanter.

Mariali
Tous les dieux brandissent le double sceptre qui leur permet de
transporter le simianthrope dans les félicités de l'extase et
de le précipiter dans la géhenne des châtiments éternels.
Et pourtant, dans le désastre qui frappait l'intelligence et la
mémoire de la civilisation européenne une question de fond progressait
à pas feutrés et dans le plus grand secret ; figurez-vous qu'une
phalange de penseurs commençait de se dire, in petto, que si les
croyances religieuses sont universellement tenues pour vraies
et si les idoles périssables que sécrète l'encéphale simiohumain
sont toujours censées exister dans l'espace, la pensée logique
commandait d'observer les encéphales respectifs de Symmaque et
de saint Ambroise avec les yeux des derniers expulsés du règne
animal. De quel singe semi pensant étaient-il les témoins et les
otages aux yeux des évadés les plus tardifs de la forêt, donc
les spécimens les plus perfectionnés de toute la zoologie. Or,
ceux-ci n'avaient débarqué dans le monde qu'un siècle et demi
après Darwin et un siècle après Freud.
Je
les ai consultés. Ils m'ont confié que si saint Ambroise s'était
contenté de rejeter les arguments de son adversaire d'un haussement
d'épaules accompagné d'une moue dédaigneuse, c'était pour le motif
qu'il était convaincu de l'inexistence de tous les dieux enfermés
dans la pierre , mais qu'il n'en demeurait pas moins intimement
persuadé de l'existence réelle du dieu Jahvé, et cela bien que
cette idole n'eût perdu que progressivement ses bras, ses jambes
et ses mains " pareilles à des battoirs ", dit l'Ecriture.
Puis l' idole des Juifs s'était un peu décorporée, mais non sans
avoir pris la précaution d'installer un substitut de ses organes
sur la terre en la personne d'un fils qu'il eut d'une mortelle.
Et maintenant, m'ont-ils dit, un Jésus doté de son foie, de son
estomac et de ses entrailles était censé deviser avec son père
dans le ciel, comme il est démontré dans saint Thomas, tandis
qu'Allah s'entretenait gentiment avec son prophète dans le ciel
d'à côté. Puisque tout ce beau monde a retrouvé ses bras et ses
jambes au paradis, on attend un Lucien de Samosate du christianisme.
4 - La classe politique
française à la recherche d'une anthropologie fondamentale
Comment
se faisait-il que les dieux de l'Olympe avaient péri pour faire
place à des successeurs fabriqués sur le même modèle physique
et politique? Décidément si le singe-homme avait cru fermement
à l'existence de Zeus, d'Osiris ou de Zoroastre pendant deux millénaires
et si les dieux ne deviennent des idoles qu'à la suite de la découverte
qu'ils n'ont jamais existé ailleurs que dans l'imagination de
leurs fidèles et si le simianthrope s'imagine maintenant que trois
dieux enfin réels seraient venus remplacer les anciens au pied
levé, il devenait d'une entière inutilité scientifique et philosophique
de persévérer un instant de plus à débattre de l'inexistence de
tous les dieux anciens et nouveaux En revanche, si l'ère des débats
oiseux était close, il fallait commencer de se demander pourquoi
l'encéphale des évadés de la zoologie sécrète invinciblement des
dieux ; car aussi longtemps qu'on n'avait pas les yeux qu'il fallait
pour observer cela, on pouvait bien soutenir qu'on était devenu
un animal infiniment plus astucieux que les autres , mais il était
ridicule de soutenir qu'on serait devenu effectivement pensant.
La
preuve irréfutable qu'il s'agissait de la cécité spécifique d'une
espèce épouvantée de se trouver larguée toute seule dans l'immensité
avait été fournie par le spectacle effarant d'une classe politique
française et européenne empressée à reprendre à son compte et
à réhabiliter le discours à la fois culturel et théologique de
Symmaque : les dieux seraient déclarés exister objectivement quelque
part dans le vide de l'espace , disait-on, pour le motif qu'ils
symbolisaient l'identité des peuples auxquels ils servaient de
focalisateurs multiformes et en quelque sorte de réflecteurs géants
de leur identité collective. Il était donc démontré que la distinction
entre le sens objectif et le sens culturel du verbe exister n'était
pas devenue plus claire dans l'esprit de la classe politique européenne
que dans l'esprit de Symmaque en 385.
Du coup, l'obligation s'imposait d'interroger le syndicat des
augures des trois dieux uniques sur le point le plus décisif ,
celui de savoir comment, dix-sept siècles après Symmaque et saint
Ambroise, le verbe exister se conjuguait au Vatican, à
Jérusalem et à la Mecque. Nul doute que les trois dieux uniques
s'étaient arrangés entre eux pour se doter d'une existence à la
fois figurée et localisable. Car s'ils ne se trouvaient pas repérables
dans le vide de l'infini, il fallait se résigner à les chercher
exclusivement dans le cerveau schizoïde du singe-homme - ce qui
faisait, de la conquête d'une science réelle de la boîte osseuse
dont l'espèce simiohumaine est pourvue le seul objet sérieux de
toute anthropologie fondamentale. Comment les trois monothéismes
avaient-ils exorcisé cette catastrophe depuis Symmaque et saint
Ambroise ?
5 - Consultation de l'augure
romain 
Quand il fut apparu à tous les Etats décervelés de l'Europe de
Symmaque qu'il leur fallait en tout premier lieu se précipiter
à Rome et supplier d'une seule voix le philosophe Benoît XVI de
clarifier la question de savoir ce qu'il fallait penser du débarquement
massif d'Allah et de ses fidèles dans le royaume du père de Jésus-Christ,
lequel campait obstinément sur ses positions et arguait, sans
se laisser décontenancer le moins du monde, qu'il se trouvait
assis depuis des siècles sur un trône d'or dans le ciel et que
son fils siégeait à sa droite, le représentant de la nation de
Descartes prit la parole en ces termes :
" Très Saint Père, c'est au nom de mes collègues ici présents,
qui m'ont expressément désigné comme leur porte-parole, que je
m'adresse au successeur de saint Pierre en humble porteur d'une
supplique de tous les Etats catholiques de l'Europe .
"
Voici notre embarras : puisque les trois dieux uniques qui occupent
nos terres ne se battent plus pour nos cultures multicolores,
qui ne sont que les proies bariolées et diversement parfumées
d'une opinion flottante que nous voyons tourner et tanguer avec
le vent, qu'en est-il du triomphe de l'infaillibilité et de l'intangibilité
de leurs dogmes devenus inodores ? Autrement dit, puisque l'organisation
cérébrale des souverains célestes du cosmos n'a jamais reposé
sur des croyances odoriférantes, mais exclusivement sur
l'armature d'une doctrine immuable ; puisque les cottes
de maille de la vérité se révèlent tour à tour iréniques et guerrières,
mais toujours tressées des fils d'acier d'une orthodoxie impavide,
comment la Rome d'aujourd'hui défend-elle contre Symmaque l'hérétique
l'armure du seul vrai " Dieu", celui dont le glaive règne
depuis deux mille ans sur le champ de bataille de l'histoire universelle
et qui a terrassé tant d'impies depuis saint Ambroise?
" Dites-nous donc clairement, Très Saint Père, si nous devons
obéir à nos Etats, qui nous demandent maintenant avec insistance
de tresser les lauriers de la foi de Jésus-Christ à la gloire
de Symmaque. Nous vous informons solennellement de ce que les
rumeurs les plus inquiétantes sont venues à nos oreilles : toutes
les croyances du monde exigeraient expressément notre " respect
". Mais nous ne savons pas comment il nous faudra apprendre
à respecter l'erreur avérée, comment nous nous prosternerons devant
des dieux étrangers, comment le veilleur en chef et la sentinelle
du règne de la croix sur tout l'univers nous demandera de commettre
le péché de sacrilège et de blasphème, comment le Saint Siège,
enfin, évitera de s'auto-excommunier et de se précipiter de sa
main dans les flammes de l'enfer .
" Dites-nous donc, Très Saint Père , ce que nous ferons des prétentions
respectives de Jahvé, d'Allah et du ciel Jésus-Christ si ces trois
affidés affichent désormais le même poids et répandent la même
senteur sur la balance d'une théologie introuvable et s'il faut
déclarer ces divinités aussi réelles, aussi omniscientes et aussi
omnipotentes les unes que les autres pour le motif que l'offense,
le mépris ou l'insulte à l'égard des fidèles d'une religion quelconque
portent atteinte au droit sacré de tous les peuples de la terre
de choisir leur dieux à l'étalage de leurs " cultures "
et de leurs " usages cultuels " confondus . La vérité révélée
des fidèles de la Croix sera-t-elle aussi bien servie par un saint
Symmaque agenouillé devant la statue de pierre de la déesse de
la Victoire ou devant les oies sacrées du Capitole que par les
fidèles de la Mecque, les fidèles de Jahvé , les fidèles prosternés
devant le gibet d'un dieu crucifié?
"
Dites-nous comment nous devons respirer l'encens qui monte maintenant
de l'autel des cultures ; car si tous les autels du monde sont
devenus égaux en droit et en dignité, nous demanderez-vous de
légitimer tous les magiciens et tous les sorciers de la terre
? Sinon, quel est votre cogito, quelle est votre logique, quel
est votre "Connais-toi" dans le caravansérail des dieux
qui nous convient à prôner la tolérance. L'un de nos écrivains,
E.M. Cioran, a écrit que la tolérance était une " coquetterie
d'agonisants " . Que reste-t-il du Dieu unique de Rome
s'il existe trois divinités moribondes que Rome elle-même a couchées
côte à côte sur le même lit d'agonie ?"
Le dimanche 20 février 2006, le saint philosophe a répondu en
ces termes : " Dans le contexte international que nous connaissons
actuellement, l'Eglise catholique demeure convaincue que, pour
favoriser la paix et la compréhension entre les peuples et entre
les hommes, il est nécessaire et urgent que les religions et leurs
symboles soient respectés , et que les croyants ne soient pas
l'objet de provocations blessant leur démarche et leurs sentiments
religieux. " Dans le même temps, il condamnait fermement les
positions d'un puissant mouvement catholique polonais auquel Radio
Maryja donnait une grande diffusion et dont l'orthodoxie sentait
son saint Ambroise.
Jugeant ces réponses dilatoires, la délégation européenne est
revenue de Rome avec la conviction que le Saint Siège mettait
au rouet le dieu censé avoir fécondé une mortelle et qui avait
réussi in extremis à associer son fils unique à son ubiquité.
6 - La politique et l'autel
Pendant
ce temps, l'anthropologie moderne découvrait que les réflexes
ecclésiaux et cléricaux que la France s'était imaginée avoir vaincus
avec la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat en 1905 se
reconstituaient au sein de la laïcité et y creusaient le nid d'une
manière de théologie du pouvoir rationnel : l'appareil judiciaire
en était le premier réceptacle, mais le sacré refoulé émigrait
ensuite dans toute l'administration et changeait le service public
en Eglise. Cette nosologie reposait sur le principe des vases
communicants. L'analyse anthropologique de cette maladie a permis
à l'Europe de la raison d'élaborer la première psychanalyse générale
de la condition simiohumaine.
Dans
un premier temps, les élites dirigeantes s'étaient trouvées bien
empêchées de retrouver le discours mi-cultuel mi-culturel de Symmaque,
mais également celui d'une Eglise catholique condamnée à jouer
au perroquet de Symmaque - donc réduite, par le naufrage de toute
sa dogmatique, à chercher, elle aussi, un vain refuge auprès de
toutes les cultures du monde. Cette asthénie théologique rendait
inévitable un dislocage mondial des cosmologies mythiques ; mais
si les religions légitimées par leur territoire se voyaient jetées
dans un no man's land sans remède et si, dans le même temps, elles
se trouvaient assaillies par Allah, toute la classe politique
française se voyait condamnée à affronter des apories liées aux
insuffisances ridicules de sa propre catéchèse. Certes, les cadres
politiques des nations se sont toujours montrées sous-informées
des progrès du savoir rationnel de leur temps, et cela pour le
motif fort simple que leur ambition n'est pas de devenir savants
en humanité, mais d'agir ; et l'action n'a jamais d'autre objectif
que de faire taire les " querelles ", comme l'étude du
comportement politique des orangs-outangs l'avait démontré dès
le milieu du siècle précédent.
Mais dès lors que la nécessité scientifique d'approfondir la connaissance
du singe humain débarquait dans le champ de l'action des gouvernements,
l'ignorance portant sur le vrai et le faux simiohumains
se révélait aporétique, parce que le divorce multimillénaire entre
l'utile réduit à la cécité et la lucidité réduite à l'impuissance
conduisait rien moins qu'à la confusion mentale. Certes, cette
aporie focale n'était pas une nouvelle venue en Europe. Au XVIe
siècle, la rationalité proprement politique imposait-elle aux
Etats de soutenir le dogme cruel et sanglant de la " présence
réelle " de la chair et du sang de la victime du sacrifice
sur les autels des chrétiens ou à fonder le culte de la croix
sur un statut purement figuré de l'immolation rituelle?
L'expérience
politique avait bientôt démontré que le catholicisme se trouvait
mieux armé pour symboliser la sauvagerie naturelle du singe-homme
s'il se procurait une offrande physique appropriée sur l'offertoire
de la mort, parce qu'une victime humaine prenait plus efficacement
qu'un symbole la relève des boucs , des bœufs et des génisses
qui avaient remplacé Isaac depuis Abraham. Mais, ce faisant, Rome
perdait toute crédibilité dans l'ordre du savoir scientifique
et philosophique ; et cette croyance s'effondrait en un seul siècle
dans l'élite intellectuelle mondiale pour avoir perdu son sceptre
cérébral dans l'absurde, tandis que les protestants voyaient le
troupeau de leurs brebis fondre comme neige au soleil , mais donnaient
à l'Europe les Kant, les Schelling, les Hegel, les Nietzsche et
conquéraient une hégémonie cérébrale absolue au sein de la civilisation
de la pensée pour s'être élevés au rang de guides d'une philosophie
délivrée de l'absurde.
7
- La sacerdotalisation des services de l'Etat 
La difficulté nouvelle que soulevait le débarquement foudroyant
de l'Islam et de sa théologie du VIIe siècle dans une Europe intellectuellement
moribonde se révélait fatalement insoluble du seul fait que la
religion de Mahomet était demeurée une vraie religion, c'est-à-dire
une cosmologie mythique, ce qui lui permettait de s'imposer sans
débattre dans le champ entier de la politique : une fable sacrée
n'est pas discutable, puisqu'il est impie de seulement prétendre
en vérifier les allégations . Mais, dans le même temps, comment
un Etat laïc peut-il prétendre assagir le fanatisme naturel des
dogmes sans les profaner s'ils sont protégés par la loi et si
le Vatican lui-même penchait maintenant du côté de Symmaque à
seule fin de conjurer une résurgence des fureurs meurtrières du
XVIe siècle, qui avait vu deux versions du christianisme entasser
des cadavres d'hérétiques au nom de leurs orthodoxies respectives?
La loi de 1905 n'était-elle pas demeurée lettre morte avant que
la réforme radicale de Michel Debré de 1958 eût imposé des manuels
scolaires habilement savonnés dans les écoles d'enseignement du
mythe sacré ? N'avait-il pas fallu se résoudre à confier jusque
dans les enceintes de la foi l'enseignement public à des professeurs
démythifiés à l'écoute d'une raison qui allait enfanter une ignorance
nouvelle à soustraire la jeunesse à toute information sur les
religions? N'avait-il pas fallu que les examinateurs des épreuves
du baccalauréat fussent choisis parmi les professeurs formés à
l'école du mutisme de l'Etat si l'on entendait éradiquer la tournure
d'esprit originelle du simianthrope ?
Amputation inutile : malgré ces efforts titanesques, la République
sécrétait maintenant la même puissance ecclésiocratique qu'elle
avait tenté d'exterminer ou de juguler et qui rongeait désormais
les organes du pouvoir démocratique. Etait-ce pour le seul motif
que Michel Debré était un idolâtre de l'Etat ? Etait-ce pour le
seul motif qu'il avait retiré d'une main à l'Eglise ce qu'il restituait
de l'autre à un clergé qu'on avait vu s'imprégner spontanément
des privilèges de l'infaillibilité et de l'intangibilité de l'institution
romaine? Les causes du sacré résistaient décidément à la détection
seulement voltairienne de la maladie : il fallait détecter le
bacille au plus profond du capital psychogénétique d'un animal
flottant entre le rêve et le sol .
Par
bonheur, le spectacle d'une République qui peinait à mettre au
pas les deux églises laïques qu'elle avait nourries dans ses entrailles,
celle de la machine judiciaire et celle d'un demi million de prêtres
inamovibles et ardents à défendre leurs privilèges, allait rendre
l'affaire idéalement politique. Jacques Floch, député (PS, Loire-Atlantique)
s'était exclamé : " Ah ! le corporatisme… C'est fou ! Il faudra
que ces messieurs apprennent que, dans une société démocratique,
il n'y a pas d'intouchables. Comme les politiques, les juges doivent
être critiquables et critiqués. " De son côté, Le Monde
(19-20 février 2006) écrivait : " De même, lorsque
le premier président de la Cour de cassation, Guy Canivet, écrit
au chef de l'Etat pour lui faire part des craintes que lui inspirent
les méthodes de la commission et l'atteinte portée, selon lui,
à l'image de la justice en France et à l'extérieur, l'on se demande
si le plus haut des magistrats n'oublie pas un peu rapidement
la première des atteintes portée à l'image de la justice qu'est
l'affaire d'Outreau elle-même. "
Mais
pour tenter d'élaborer une anthropologie ambitieuse de livrer
les secrets du sacré simiohumain et de ses réflexes inquisitoriaux
au sein du clergé d'Etat, la notion de corporatisme se révélait
ridiculement inadéquate, faute qu'elle répondît à la problématique
resquise pour une pesée psychobiologique des confessions religieuses.
De plus, l'ecclésiocratie d'Etat se révélait une pathologie
beaucoup plus amollie par sa sécurisation salariale que celle
de l'Eglise, qui avait perdu ses prébendes et vivait de la charité
publique. Aucune hiérarchie de l'Etat ne disposait du pouvoir
effectif de châtier, ou même de redresser un fonctionnaire coupable
d'avoir violé les principes " théologiques " de la République
- et d'abord le principe " sacré " de la séparation des
pouvoirs , Montesquieu avait été retourné comme un gant. Il s'était
même métamorphosé en théoricien principal de la sacerdotalisation
de l'Etat , puisque la magistrature se faisait maintenant de son
autonomie constitutionnelle la forteresse de sa sacralité.
Dans
un premier temps, le nouveau corps clérical républicain s'était
auto-idéalisé sur le modèle des idéalités d'une démocratie aussi
séraphiquement universelle que feue la Révélation, ce qui lui
avait fourni le masque de ses référents doctrinaux et l'avait
dotée d'une identité de caste subrepticement séparée du corps
de la nation - sacer signifie séparé.
Dans un second temps, la mise à part insidieuse des détenteurs
sacerdotaux de l'autorité publique s'était armée du prestige d'un
pouvoir réputé transcendant au temporel, ce qui avait conduit
les corps de l'Etat à se métamorphoser en miroirs mentaux d'eux-mêmes.
Rendue inconsciemment spéculaire, toute puissance s'auto-réfléchit
dans le miroir de son ego auto idéalisé et maintenant flatteur.
Les nouveaux prêtres se trouvaient élevés, comme les anciens ,
au-dessus du " profane " par leur propre image .
Dans un troisième temps, les membres de la nouvelle Eglise s'étaient
changés en prêtres larvés, mais non moins intangibles que les
précédents. Devenus les dépositaires exclusifs et intouchables
d'une justice idéalisée, ils se voyaient soustraits aux regards
du dehors par le credo pseudo démocratique lui-même .
Dans un quatrième temps, l'administration s'était transformée
en un nid vrombissant de serviteurs de leur propre autel. Les
nouveaux devins se sentaient désormais entre eux à honorer en
commun les rites de l'idole nouvelle - l'Etat.
Dans un cinquième temps, le principe républicain de la séparation
des pouvoirs était devenu la toge dans laquelle le nouveau clergé
se drapait , parce que les fondements mêmes de la République servaient
maintenant d'assise aux privilégiés d'une caste sacrée. Puisqu'aucune
autorité hiérarchique ne disposait plus du pouvoir coercitif et
impérieux de redresser les erreurs individuelles des ministres
nouveaux du culte, l'appareil de la justice et celui de l'Etat
reproduisaient de conserve le modèle de la Cité interdite
de l'empire du Milieu qui avait servi jusqu'en 1908 à la fois
de temple administratif et d'oracle aux empereurs de Chine.
8
- Un exemple 
Un
exemple frappant avait illustré cette résurrection du pouvoir
ecclésial au cœur de l'Etat. Un juge d'instruction juvénile et
inexpérimenté avait constamment été soutenu par son supérieur
hiérarchique immédiat - le procureur - dans une procédure inquisitoriale
absurde : fort de son intronisation dans le temple de la justice,
ce jeune magistrat avait jeté en prison sans examen sérieux treize
innocents que des enfants en bas âge s'étaient amusés à dénoncer
pour pédophilie. Mais le mythe de la sainteté de l'enfance ne
trouvait-il pas son origine dans l'église d'en face ? Tout le
christianisme n'était-il pas fondé sur la sanctification d'un
berceau? Une mère de famille censée avoir été fécondée par un
dieu n'avait-elle pas été élevée au rang de reine du ciel ?
La
rencontre fusionnelle, au plus profond de l'inconscient religieux
de la nation, entre les deux théologies - la République disait
maintenant : " Les enfants ne mentent pas " - avait conduit
à un scandale retentissant en raison de la nécessité dans laquelle
l'institution judiciaire s'était ensuite trouvée de profaner son
infaillibilité naturelle par l'innocentement sacrilège de tous
les accusés. Le jeune juge d'instruction était un scribe du temple
livré pieds et poings liés à la lettre de la loi. Il avait été
gentiment, mais publiquement malmené par le rapporteur de la Commission
parlementaire, M. Philippe Houillon, qui avait mis l'infantilisme
et la crédulité du néophyte sous une crue lumière devant des millions
de téléspectateurs ahuris de découvrir le mythe de la souveraineté
du peuple français au nom duquel les jugements des tribunaux sont
censés rendus.
Du coup la sainte magistrature s'était dressée tout entière contre
cette profanation de la pureté de son appareil sacerdotal. Plus
de deux cents magistrats dont trente cinq présidents de cour d'appel
avaient officiellement protesté contre cette intrusion du profane
dans leur temple. L'union syndicale des magistrats était montée
au créneau pour dénoncer " une atteinte sans précédent à la
séparation des pouvoirs et à l'indépendance des juges " (Le
Monde, 18 fév.06), puisque " la prise de décision du
magistrat " devait demeurer soustraite à tout examen. Aussi
le syndicat sacré " déplorait-il que les juges eussent été
interrogés sur l'élaboration de leurs décisions juridictionnelles
". Celles-ci devaient demeurer calquées sur le modèle de la
souveraineté qu'exprimaient les motu proprio du
Saint Siège.
Mais le plus instructif était l'impuissance du juge de la mise
en détention face au Parquet et au juge d'instruction : comme
il ne servait, en réalité, que de façade à une apparence de démocratie,
il avait rendu cent vingt-cinq décisions au cours de l'instruction,
toutes à charge, tellement le véritable pouvoir reposait sur l'alliance
du juge d'instruction avec le procureur . Le même système régnait
au civil, où trois magistrats étaient censés rendre un verdict
commun , alors qu'un seul instruisait et jugeait; et également
dans toute l'administration publique, qui fonctionnait du haut
en bas de l'échelle sur le leurre selon lequel toute décision
d'un fonctionnaire d'autorité était censée avoir été prise démocratiquement
par une " commission ". Mais l'Administration lui faisait
connaître par écrit comment elle devait voter et toujours à l'unanimité.
Ce modèle était calqué sur celui de l'Eglise qui, dans les conciles,
faisait voter les évêques à l'unanimité sur un point de doctrine.
La politologie laïque avait entièrement oublié que la justice
était à la fois le sceptre et le glaive de Dieu et que le ciel
ne pesait pas ses verdicts sur une balance, parce que son infaillibilité
était celle de sa souveraineté et inversement.
La
justice et l'administration de la République reproduisent invinciblement
celles de la monarchie, non seulement parce qu'on n'extirpe pas
aisément sept siècles de théocratie de l'inconscient politique
et religieux d'un peuple, mais parce que la fusion entre le souverain
et le prêtre est inscrite dans le capital psychobiologique du
singe-homme : réunir entre les mêmes mains le sceptre de la terre
et celui du ciel est l'âme même du sacerdoce. C'est pourquoi la
révolution la plus profonde , mais aussi la plus fragile de 1789
, est-elle dans la substitution de la balance humaine de la justice
à la foudre de la justice divine ; c'est pourquoi les verdicts
des tribunaux sont rendus " au nom du peuple français ",
afin de rappeler inlassablement qu'il n'y a pas de laïcité sans
dépossession du sceptre sacerdotal du ciel et qu'une République
privée de ce fondement philosophique n'est qu'une théocratie déguisée.
Le
rapporteur Philippe Houillon avait demandé au juge d'instruction
pourquoi un tétraplégique en chaise roulante depuis son enfance
et débile mental de surcroît, avait été inculpé, puis n'avait
pas " bénéficié d'un non-lieu " à la suite de l'accusation d'un
enfant . On le comprendra si l'on songe qu'Yves Bot, procureur
général de Paris et Jean-Claude Marin, procureur de la République,
avaient apporté leur soutien aux encycliques du juge Burgaud et
du Procureur et qu'aucune autorité judiciaire n'avait déploré
le sort des innocents emprisonnés pendant de longues années. Le
sacré n'est pas compassionnel.
9 - Qui est la France
? 
La connaissance anthropologique du simianthrope n'ayant pas progressé
d'un iota depuis Renan, les trois idoles censées n'en faire qu'une
seule s'amusaient à jouer au chat et à la souris avec leurs fidèles
respectifs ; et ces diablesses se gaussaient à jouer sur les deux
tableaux . Mais puisqu'elles s'ingéniaient à faire croire à leurs
dévots qu'elles existaient à la fois au figuré et physiquement,
la question du statut anthropologique des Etats et de leur justice
débarquait aussi bien dans l'administration que dans la politique
des démocraties dites rationnelles. La science historico-critique
allait-elle réussir à ouvrir les yeux d'une classe politique européenne
encore dans l'enfance sur la nécessité d'observer la manière dont
les docteurs des trois idoles tentaient de concilier les formes
inconciliables par nature qu'empruntaient leurs célestes personnages,
puisque ceux-ci demeuraient scindés entre leur statut vaporeux
et leur statut corporel? La difficulté était-elle résolue à la
manière dont la République, la Liberté, la Démocratie avaient
réussi à faire croire aux citoyens qu'elles existaient en ce sens
qu'elles s'incarneraient en des acteurs dotés de bras et de jambes,
de sorte que la politique des démocraties serait dédoublée, comme
celle de l'Eglise, entre le ciel de ses idéalités et la terre?
Dans ce cas, qu'en était-il du personnage onirique qu'on appelle
la France ? S'il s'agissait d'un personnage seulement imaginaire,
comment le faire exister en chair et en os? Un Ministre prête-t-il
sa substance corporelle à la République ? La robe des magistrats,
l'uniforme des gendarmes, l'étoffe du drapeau ou les notes de
la Marseillaise substantifient-ils la République comme le pain
et le vin de la messe sont censés se trouver changés en la chair
et le sang réel d'un Jésus physique ? La question de savoir
où se cache la vraie France débarquait dans la science historique
et dans la politique, parce que l'affaire des caricatures d'Allah
commotionnait la France de la pensée, et cela à l'heure même où
l'électrochoc du procès d'Outreau posait la question du statut
réel et du statut onirique de la justice. Faut-il en conclure
que l'anthropologie scientifique a pris un rendez-vous définitif
avec l'histoire du cerveau simiohumain en février 2006 ? Dans
ce cas, les visiteurs de ce site savent que j'attendais cette
heure depuis le 11 septembre 2001, qui avait permis un premier
débarquement dans la géopolitique de ma recherche sur le sacré
simiohumain .
Pourquoi un si grand retard ? C'est qu'au début du XXI siècle,
la classe politique française et européenne était redevenue aussi
incapable que celle du Moyen-Age de seulement se poser la question
du statut anthropologique du verbe exister appliqué à Jahvé, au
Dieu trinitaire, à Allah ou aux idéalités qui structurent la politique
des démocraties. Dans ces conditions, il était bien impossible
d'étudier le statut historique des personnages symboliques. C'est
pourquoi, dans leur appel commun au " respect des croyances
", Jacques Chirac et Dominique de Villepin ne se demandaient pas
un instant pourquoi une espèce dont l'historicité propre condamne
son cerveau dédoublé à sécréter des acteurs à la fois oniriques
et publics croit cependant dur comme fer en leur existence objective,
au sens où l'entend l'état civil, sans jamais seulement tenter
de s'interroger sérieusement sur la cause de leur métamorphose
en acteurs à la fois réels sur la scène du monde et agissants
à leur manière dans le vide de l'éternité. Et pourtant, le vrai
Socrate est celui qui symbolise l'histoire réelle de la philosophie
occidentale, le vrai Jésus n'est pas le fils d'un charpentier
de village, mais celui du personnage symbolique que traquent les
christologues, le vrai Mahomet n'a pas de corps physique et c'est
l'histoire du corps cérébral du singe-homme qu'il raconte.
Par
bonheur, l'Islam obscurantiste rendait à la République le fier
service de lui mettre une affaire d'Etat sur les bras, celle de
savoir comment l'encéphalogramme plat de la France allait persévérer
de se réclamer d'une connaissance réelle de l'humanité si sa classe
dirigeante pilotait la nation dans les ténèbres . Autrement dit,
comment une Europe privée de science anthropologique allait-elle
naviguer sur l'océan de l'histoire, comment un continent enténébré
dirait-il aux derniers philosophes : " Passez-moi le cerveau de
l'humanité au scanner socratique " ? Jamais une République acéphale
ne jugera suspect le verbe respecter appliqué à des croyances
si celles-ci sont seulement des opinions, donc des allégations
subjectives par définition et si la question n'est pas posée de
la subjectivité propre au symbolique. Mais puisque la Renaissance
n'avait pas su doter la civilisation européenne d'un humanisme
plus profond, qui aurait su qui étaient les hommes symboliques
et comment ils s' " incarnent ", l'obscurantisme musulman
permettra-t-il à l'Occident de sortir de l'obscurantisme chrétien?
Tel était, au début du XXIe siècle, l'enjeu politiqueet intellectuel
du débarquement de trois divinités planétaires sur des territoires
délimités. Puisqu'il était devenu rigoureusement impossible de
conférer à trois cosmologies fabuleuses le monopole de connaître
l'origine et le destin de l'univers, il fallait demander à chacune
de ces mythologies délirantes rien moins que de s'amputer de leur
nature même. Certes, un saint Ambroise ne se trouvait nullement
embarrassé par les ramifications et même par la prolifération
des dieux étrangers et en contradiction les uns avec les autres
sur le sol de l'Italie ; peu importait la diversité de leurs complexions,
puisqu'ils n'existaient pas. Le polythéisme de Symmaque était
un panculturalisme inné, donc un chaos de songeries simiohumaines
avant la lettre et qui ne gênaient pas les chrétiens. Un instant,
les guerres puniques avaient inspiré à la classe politique de
l'empire naissant la terreur pieuse que les dieux romains se fussent
irrités de l'afflux des immigrants divins venus déposer leurs
autels sur le sol de la patrie. Le christianisme allait faire
changer de ciel à la terreur religieuse. Mais si cinq siècles
après la Renaissance, Allah revendiquait le monopole du remplissage
de la tête effarée de l'humanité, le pays de Descartes avait le
choix de retourner à Symmaque ou de commencer à penser droit ,
ce qu'il avait oublié depuis la mort de Renan.
Un
siècle après la loi de 1905, la France redécouvrait qu'une science
historique privée de raison devient la plus superficielle et la
plus vaine des disciplines et que les seuls historiens dignes
de mémoire apprenaient à séparer le verbe savoir du verbe
comprendre : Thucydide, Montaigne, Monstesquieu , Tocqueville,
Michelet, Taine se mettraient aujourd'hui à l'étude du cerveau
semi animal des fuyards de la mort.
10 - La résurrection
de l'Europe de la pensée et la zoologie transcendantale 
Au XVIe siècle, le singe semi pensant avait commencé de déserter
les autels d'une idole qui avait réussi à lui interdire des siècles
durant la pratique de la musique, de la peinture, de l'art dramatique,
de la poésie, du théâtre , des mathématiques, de l'astronomie
et de toutes les sciences exactes. Au XVIIe siècle, les évadés
partiels de la zoologie avaient recommencé de féconder leur embryon
d'entendement; au XVIIIe, leurs caricaturistes voltairiens les
avaient préparés aux sacrilèges à venir; au XIXe, ils avaient
découvert le continent de leur inconscient ; au début du XXIe,
il était enfin devenu bien impossible aux démocraties occidentales
de frapper d'anathème les progrès de la connaissance anthropologique
du cerveau biphasé de l'espèce simiohumaine .
C'est
alors seulement qu'une Europe poussée dans les cordes par le retour
au polythéisme panculturaliste s'est souvenue de quelques bribes
des noblesses de l'intelligence critique; c'est alors seulement
qu'une espèce jaillie des forêts africaines est redevenue cogitante
; c'est alors seulement que le Vieux Monde s'est remis à couronner
son encéphale de lauriers; c'est alors seulement que l'animal
au cerveau schizoïde s'est remis à l'écoute d'un certain Socrate,
lequel avait dit au devin d'Athènes : "Ainsi, tu admets qu'il
y a réellement entre les dieux des guerres, des inimitiés terribles,
des combats, tant d'autres choses du même genre, que racontent
les poètes , et qui nous sont représentées par nos bons artistes
dans diverses cérémonies sacrées, par exemple aux grandes Panathénées
, où l'on en voit plein le voile que l'on va porter à l'acropole
? Devons-nous dire que tout cela est vrai, Euthyphron ? "
(Euthyphron, 6, b-c)
Du coup, l'Europe avait paru changer de tête : ayant définitivement
déserté les débats grotesques sur l'existence " objective " de
Zeus , de Zoroastre , d'Osiris , de Jahvé, d'Allah et du dieu
offert à son père au titre de victime propitiatoire sur un gibet,
il était enfin permis d'observer les descendants d'un quadrumane
à fourrure que la nature a dotés d'un cerveau dichotomique - schizoïde
, biphasé, bifide, bipolaire - ce qui les condamne à s'offrir
à leurs dieux . Qu'en est-il d'un animal qui s'auto-immole sans
relâche sur ses autels et qui paie à la mort le tribut sanglant
que son idole lui réclame ?
Clinique
hippocratique et clinique socratique, in Correspondance avec
le Dr Jean-Marie Delassus, 14
février 2006
Les
anthropologues socratiques se disaient : " Puisque nous appartenons
à une espèce en évolution entre l'animal et l'espèce inconnue
qui nous attend , il est évident que nous ne sommes pas encore
devenus des hommes, mais seulement des êtres en attente de l'achèvement
de leur parcours . Comment saurions-nous seulement à quelle borne
nous nous trouvons provisoirement arrêtés ? Mais si nous sommes
en route et si nous allons quelque part, nous ne nous fabriquons
jamais que des dieux aussi précaires et inachevés que nous-mêmes
. Essayons donc de percer davantage les secrets de notre simiohumanité
chaotique et, pour cela, mettons-nous à l'école de nos idoles,
les jeunes et les vieilles, car elles se sont nécessairement divisées
à notre école et en apprentis de leurs fabricants. Puisqu'elles
ne sont jamais que de fidèles copies de nous-mêmes, pouvons-nous
nous mettre à meilleure école qu'à celle de ces caricaturistes
du singe-homme? Comment se fait-il qu'elles aient toutes une auréole
et une bombe sur la tête ? Décidément, si Mahomet nous permet
de nous remettre à l'école de nos sacrilèges, nous lui devrons
le déblocage de toute la philosophie occidentale . L'Europe s'est
alors souvenue de ce que sa cervelle l'avait autrefois armée d'un
glaive en acier trempé, lequel avait permis à Socrate de ferrailler
avec les idoles. On l'appelait la dialectique. Quand le Continent
de la logique fut reparti à l'assaut des animaux que leurs ancêtres
avaient appelé des dieux, l'étude anthropologique de la théologie
des trois dieux uniques et devenue une zoologie transcendantale.
24
février 2006