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A propos des caricatures de Mahomet
Mort et résurrection de l'Europe de la pensée

 

 

Le scandale des caricatures sacrilèges de Mahomet constitue un document d'une portée anthropologique exceptionnelle en ce qu'il permet de mettre en évidence , à la manière d'un catalyseur d'une puissance inespérée, l'incohérence cérébrale d'une civilisation en quête d'une assise mentale qui s'est dissoute avec la Renaissance et qui échoue à se reconstituer sur des fondements rationnels. En vérité, il faut remonter à la victoire du christianisme sur le paganisme pour trouver la source de l'impossibilité de fonder les cultes aussi bien sur une légitimation théologique des mœurs et usages des peuples et des nations que sur des vérités censées révélées.

Cette querelle a été illustrée en 385 par une joute oratoire célèbre entre saint Ambroise et le Sénateur Symmaque. Elle retrouve aujourd'hui toute son actualité politique, parce que cent cinquante ans après Darwin, la pensée européenne n'a pas su élaborer une science du cerveau schizoïde des évadés de la zoologie .

Dans ces conditions, il convient d'observer les revanches larvées du sacré qui se manifestent par la chute de la magistrature dans l'ecclésiocratie et celle, plus secrète, des administrations publiques dans une cléricature. L'Etat dit de droit et devenu pseudo rationnel se trouve sur la défensive faute de moyens intellectuels de comprendre les apories anthropologiques dans lesquelles leur auto-sacerdotalisation rampante précipite les démocraties européennes .

C'est que la Renaissance n'a pas su conquérir un regard de l'extérieur sur le dieu nouveau et sur son " fils ". L'intrusion brutale d'Allah au cœur d'une civilisation privée de connaissance scientifique d'elle-même et des sources psychogénétiques du blasphème débloquera-t-elle une pensée occidentale que le concile de Trente avait vouée à l'échec ? L'encéphale de l'homme pensant de demain s'armera-t-il d'un regard sur une espèce onirique de naissance?

1 - Du choc de trois monothéisme sur le sol des nations
2 - Le panculturalisme de Symmaque
3 - La classe politique française et Symmaque
4 - La classe politique française à la recherche d'une anthropologie fondamentale
5 - Consultation de l'augure romain
6 - La politique et l'autel
7 - La sacerdotalisation des services de l'Etat
8 - Un exemple
9 - Qui est la France ?
10 - La résurrection de l'Europe de la pensée et la zoologie transcendantale

1 - Du choc de trois monothéisme sur le sol des nations

Le paysage intellectuel français et européen se trouve à un tournant de son destin politique et philosophique. Les historiens d'une culture occidentale tombée dans la décérébration diront que la parution des caricatures jugées sacrilèges de Mahomet au Danemark en septembre 2005 et leur migration tardive vers la France et l'Allemagne en février 2006 ont fait exploser le panculturalisme acéphale d'une civilisation livrée à une léthargie philosophique sans remède à la suite de la victoire mondiale de la "pensée" exclusivement pragmatique des Etats-Unis sur l'ex-continent de la raison. Pourquoi les retrouvailles soudaines du Vieux Monde avec les combats de l'intelligence logicienne et socratique ont-elles été déclenchées par l'électrochoc dérisoire du rire ? Chacun sait que ce secouement ridicule n'a pas de cervelle, alors que la philosophie s'est armée, depuis deux millénaires et demi, du sourire semi sarcastique qualifié d'ironique. Une analyse moqueuse de ce mystère conduira au fond anthropologique de la difficulté.

En ce temps-là, trois idoles s'affairaient de conserve autour de l'encéphale simiohumain . La première disait : " Je suis Jahvé, le seul vrai Dieu et Moïse est mon prophète " .La seconde disait : " Je suis le seul vrai Dieu, et je suis scindé entre trois personnages réunis en un souverain unique du cosmos" . La troisième, la plus tardive, disait : " Je suis Allah et Mahomet est mon prophète".

Aussi longtemps que ces trois acteurs cérébraux d'une espèce encore dans l'enfance se sont partagé la gestion des tourments ou des félicités de leurs fidèles dans leur éternité posthume - que ce soit dans un paradis de l'ennui ou dans un gigantesque camp de concentration tout bouillonnant de sang et de larmes sous la terre - et aussi longtemps que la complexion et la dégaine d'un trio d'idoles aux théologies inconciliables entre elles ont régné sur des régions du globe séparées par de grandes distances , le spectacle d'une espèce prise dès le berceau dans les rets de ses songes n'a pas présenté d'obstacle insurmontable à la politique des Etats , lesquels se sont, bien au contraire, aussitôt armés des délires sacrés de leurs sujets pour mieux régner sur leurs têtes . Mais à partir de l'instant où trois panoplies oniriques ont essaimé en tous lieux et se sont affrontées sur les territoires de chaque nation, la coexistence et la collaboration de leurs ardeurs ont commencé de poser à l'encéphale, même profondément endormi des derniers philosophicules européens des questions non seulement gênantes, mais insolubles ; car la confusion mentale généralisée qui en découlait nécessairement à l'échelle de la planète faisait un tel vacarme que la classe politique française se voyait soudainement contrainte de polir à grands frais et avec les moyens du bord un discours qui parût remédier à un si complet désordre dans toutes les têtes . Et comme il n'existait pas encore de connaissance psychogénétique des systèmes immunitaires pseudo cogitants que le cerveau du singe devenu semi pensant sécrète afin de remédier à son effroi originel, la multiplication des dieux uniques tournait à la catastrophe politique. Comment conserver la crédibilité des trois gigantesques exorcismes monothéistes si chacune de ces forgeries se trouvait privée du privilège de revendiquer le monopole de la démence simiohumaine dont les prisonniers de l'île déserte de Pascal sont affligés de naissance ?

2 - Le panculturalisme de Symmaque

La question n'a pas été résolue de savoir qui a réussi à alerter la classe dirigeante inculte de l'Europe de l'époque et lui a remis en mémoire le discours que Symmaque avait prononcé en 385 devant le Sénat romain face à un saint Ambroise coupable d'avoir fait enlever en 380 une déesse de la Victoire qui trônait depuis des siècles dans l'enceinte de l'auguste assemblée et dont nul n'ignorait que la divine protection avait permis la victoire du peuple de la louve sur Annibal, puis conduit les aigles romaines à tant d'autres triomphes mémorables sur tous les champs de bataille de l'Europe .

Il faut savoir, primo, qu'un premier discours du sénateur Symmaque, qui fut prononcé sous Gratien en 382, est irrémédiablement perdu et que l'éloquent orateur avait été aussitôt frappé d'exil; secundo, que Gratien avait été assassiné à Lyon en 384 et que son successeur, Valentinien II, n'était pas moins chrétien que son prédécesseur, ce qui empêchait notre vaillant orateur de reprendre l'offensive d'un bon pas, de sorte que ses paroles nous ont bel et bien été conservées, mais toutes suantes de l'auto-censure de l'époque, comme le lecteur pourra le vérifier in Sancti Ambrosii opera omnia, tomus quartus , p. 252, apud Gauthier fratrem, in via Hautefeuille, n° 22, Parisiis 1836. Dans ces conditions, la recette de Thucydide demeurée décidément la meilleure : il fallait, disait-il, mettre résolument dans la bouche des grands témoins de l'histoire de leur temps la saine éloquence dont ils auraient logiquement dû témoigner en raison de la situation réelle dans laquelle ils se trouvaient.

Or, les circonstances de l'époque parlaient toutes seules : les humoristes chrétiens avaient la plume tellement triomphale et respectaient si peu les croyances les plus antiques et les plus vénérables des païens qu'ils se moquaient sans mesure non seulement d'une déesse de la Victoire confusible avec la pierre inerte de sa statue, mais couvraient de leurs sarcasmes les oies bien vivantes du Capitole, dont le saint cacardement avait pourtant averti le peuple romain de l'assaut imminent de maint ennemi de l'empire naissant . Aussi Symmaque avait-il dû tenir à peu près le discours plus provocateur que l'original dont je rapporte fidèlement le propos:

" J'appelle les dessinateurs et les caricaturistes chrétiens à faire preuve de responsabilité, de modération et d'un sain jugement. Nous respectons leur foi, nous leur demandons seulement de respecter la nôtre. La déesse ici présente mérite toute la sainte ferveur de notre culte. Aux adorateurs d'une croix ignominieuse sur laquelle ils ont cru bon de clouer leur nouveau Jupiter , aux fieffés vénérateurs d'un gibet sur lequel nous faisons agoniser nos esclaves reconnus coupables par nos lois des crimes les plus graves, nous ordonnons qu'ils fassent preuve d'un peu de retenue dans le blasphème et l'insulte. Est-il un seul peuple de la terre qui n'honore les dieux attachés aux endroits sacrés où ils ont dressé leurs autels ? [Varios custodes urbibus et cultus mens divina distribuit].

" En retour, les nations leur demandent de légitimer leurs mœurs et leurs usages. [Ubi utile est, ibi et pietas ] Aussi le grand âge des dieux ajoute-t-il à leur majesté naturelle l'éclat des victoires qu'ils ont remportées avec le secours des armes invincibles qu'ils ont mises entre les mains de leurs vénérateurs ; mais nous saluons également avec gratitude les épreuves qu'ils ont subies pour nous et en notre nom. Ils ont partagé notre affliction et ils ont aidé notre foi à les surmonter. Ils sont nos maîtres et nous ne sommes que leurs adorateurs, mais ils ont bien voulu nous élever au rang de compagnons dignes de leur grandeur .

" Sachez donc que la déesse de la Victoire présente en ces lieux ne nous a pas moins soutenus dans nos souffrances qu'elle n'a fait resplendir nos glaives de tout l'éclat de sa gloire. Mais ses triomphes sont d'abord ceux de notre nation. Ses armes et les nôtres se sont confondues ; elles ont donné de conserve à nos légions une immortalité égale à celle des dieux. Ne frappez pas les vieux Romains de l'humiliation et de la honte de la chasser de l'arène de notre histoire et de l'enceinte de notre mémoire. Souvenez-vous de ce que nos orateurs les plus illustres ont fait briller son front de tous les feux de leur génie ; souvenez-vous de ce que la déesse est vivante de l'élévation de nos cœurs et de nos esprits. "

Je ne rapporterai pas les moqueries aggravées qui s'ensuivirent à l'encontre des saintes oies du Capitole. Pourquoi Saint Ambroise n'a-t-il rien voulu retenir de la haute éloquence du Bossuet des dieux anciens? Pourquoi la déesse vilainement traînée par Gratien hors du prétoire sacré quatre ans auparavant n'a-t-elle jamais retrouvé les couleurs de son ciel et le parfum de ses autels ? Pourquoi le peuple romain s'est-il donné un autre interlocuteur mythique dans les nues et un nouveau forgeron des succès guerriers de l'empire jusqu'au désastre du sac de Rome par les barbares en 410, qui ruina pour longtemps la crédibilité militaire du nouveau Dieu de la victoire et fit retourner toute l'Afrique du nord au paganisme - pour ne rien dire de la revanche de Julien l'Apostat qui mûrissait dans les profondeurs du cerveau simiohumain ? Qu'est-il alors advenu de l'encéphale pieusement rénové de notre espèce ?

3 - La classe politique française et Symmaque

Il faut savoir que les érudits du début du XXIe siècle ont renoncé à retrouver celui de leurs confrères qui, dans le plus grand secret, avait rappelé l'existence de cet écrit célèbre à une classe dirigeante française et européenne alors tombée dans une amnésie insondable; mais il est démontré que cette voix anonyme a été aussitôt entendue. Le lendemain même, l'Elysée demandait solennellement à la presse française tout entière de s'armer désormais d'une liberté résolument décérébrée et de ne plus laisser commettre le sacrilège abominable dont le Mahomet évoqué ci-dessus avait été la victime au bénéfice de ses deux confrères, Moïse et Jésus-Christ.

Mariali

Quant à Matignon , sans citer nommément Symmaque, il rappelait expressément que le sacré prend des formes diverses sur la terre, mais il n'avait pas précisé si ces tournures variées répondaient à un modèle immuable. Comment fallait-il interpréter le fameux passage de Symmaque, " suus enim cuique mos, suus cuique ritus " - à chaque peuple ses mœurs, à chaque peuple ses rites ?

Naturellement, la presse rappelée à la tolérance par les plus hautes instances de l'Etat n'était pas moins privée de mémoire que l'Elysée et Matignon réunis au chapitre du creuset originel du sacré, parce qu'il n'existait pas encore d'anthropologie historico-critique en mesure d'expliquer la nature, la psychologie et les métastases des idoles simiohumaines. Aussi les fidèles d'Allah ont-ils pu faire valoir à la France laïque que l'Islam serait une religion de paix, parce que la rechute de l'Europe dans les ténèbres du Moyen-Age était devenue irrémédiable au point que non seulement toute la classe dirigeante, mais également de nombreux historiens et tous les philosophes officiels avaient oublié l'évidence que les trois idoles étaient nécessairement répressives et iréniques à la fois. Il n'est pas de politique qui n'ait à combattre conjointement sur ces deux fronts, tellement il est impératif de se faire aimer si l'on entend durer, et tellement il est impossible de se faire respecter des gouvernés sans les épouvanter.

Mariali

Tous les dieux brandissent le double sceptre qui leur permet de transporter le simianthrope dans les félicités de l'extase et de le précipiter dans la géhenne des châtiments éternels.

Et pourtant, dans le désastre qui frappait l'intelligence et la mémoire de la civilisation européenne une question de fond progressait à pas feutrés et dans le plus grand secret ; figurez-vous qu'une phalange de penseurs commençait de se dire, in petto, que si les croyances religieuses sont universellement tenues pour vraies et si les idoles périssables que sécrète l'encéphale simiohumain sont toujours censées exister dans l'espace, la pensée logique commandait d'observer les encéphales respectifs de Symmaque et de saint Ambroise avec les yeux des derniers expulsés du règne animal. De quel singe semi pensant étaient-il les témoins et les otages aux yeux des évadés les plus tardifs de la forêt, donc les spécimens les plus perfectionnés de toute la zoologie. Or, ceux-ci n'avaient débarqué dans le monde qu'un siècle et demi après Darwin et un siècle après Freud.

Je les ai consultés. Ils m'ont confié que si saint Ambroise s'était contenté de rejeter les arguments de son adversaire d'un haussement d'épaules accompagné d'une moue dédaigneuse, c'était pour le motif qu'il était convaincu de l'inexistence de tous les dieux enfermés dans la pierre , mais qu'il n'en demeurait pas moins intimement persuadé de l'existence réelle du dieu Jahvé, et cela bien que cette idole n'eût perdu que progressivement ses bras, ses jambes et ses mains " pareilles à des battoirs ", dit l'Ecriture. Puis l' idole des Juifs s'était un peu décorporée, mais non sans avoir pris la précaution d'installer un substitut de ses organes sur la terre en la personne d'un fils qu'il eut d'une mortelle. Et maintenant, m'ont-ils dit, un Jésus doté de son foie, de son estomac et de ses entrailles était censé deviser avec son père dans le ciel, comme il est démontré dans saint Thomas, tandis qu'Allah s'entretenait gentiment avec son prophète dans le ciel d'à côté. Puisque tout ce beau monde a retrouvé ses bras et ses jambes au paradis, on attend un Lucien de Samosate du christianisme.

4 - La classe politique française à la recherche d'une anthropologie fondamentale

Comment se faisait-il que les dieux de l'Olympe avaient péri pour faire place à des successeurs fabriqués sur le même modèle physique et politique? Décidément si le singe-homme avait cru fermement à l'existence de Zeus, d'Osiris ou de Zoroastre pendant deux millénaires et si les dieux ne deviennent des idoles qu'à la suite de la découverte qu'ils n'ont jamais existé ailleurs que dans l'imagination de leurs fidèles et si le simianthrope s'imagine maintenant que trois dieux enfin réels seraient venus remplacer les anciens au pied levé, il devenait d'une entière inutilité scientifique et philosophique de persévérer un instant de plus à débattre de l'inexistence de tous les dieux anciens et nouveaux En revanche, si l'ère des débats oiseux était close, il fallait commencer de se demander pourquoi l'encéphale des évadés de la zoologie sécrète invinciblement des dieux ; car aussi longtemps qu'on n'avait pas les yeux qu'il fallait pour observer cela, on pouvait bien soutenir qu'on était devenu un animal infiniment plus astucieux que les autres , mais il était ridicule de soutenir qu'on serait devenu effectivement pensant.

La preuve irréfutable qu'il s'agissait de la cécité spécifique d'une espèce épouvantée de se trouver larguée toute seule dans l'immensité avait été fournie par le spectacle effarant d'une classe politique française et européenne empressée à reprendre à son compte et à réhabiliter le discours à la fois culturel et théologique de Symmaque : les dieux seraient déclarés exister objectivement quelque part dans le vide de l'espace , disait-on, pour le motif qu'ils symbolisaient l'identité des peuples auxquels ils servaient de focalisateurs multiformes et en quelque sorte de réflecteurs géants de leur identité collective. Il était donc démontré que la distinction entre le sens objectif et le sens culturel du verbe exister n'était pas devenue plus claire dans l'esprit de la classe politique européenne que dans l'esprit de Symmaque en 385.

Du coup, l'obligation s'imposait d'interroger le syndicat des augures des trois dieux uniques sur le point le plus décisif , celui de savoir comment, dix-sept siècles après Symmaque et saint Ambroise, le verbe exister se conjuguait au Vatican, à Jérusalem et à la Mecque. Nul doute que les trois dieux uniques s'étaient arrangés entre eux pour se doter d'une existence à la fois figurée et localisable. Car s'ils ne se trouvaient pas repérables dans le vide de l'infini, il fallait se résigner à les chercher exclusivement dans le cerveau schizoïde du singe-homme - ce qui faisait, de la conquête d'une science réelle de la boîte osseuse dont l'espèce simiohumaine est pourvue le seul objet sérieux de toute anthropologie fondamentale. Comment les trois monothéismes avaient-ils exorcisé cette catastrophe depuis Symmaque et saint Ambroise ?

5 - Consultation de l'augure romain

Quand il fut apparu à tous les Etats décervelés de l'Europe de Symmaque qu'il leur fallait en tout premier lieu se précipiter à Rome et supplier d'une seule voix le philosophe Benoît XVI de clarifier la question de savoir ce qu'il fallait penser du débarquement massif d'Allah et de ses fidèles dans le royaume du père de Jésus-Christ, lequel campait obstinément sur ses positions et arguait, sans se laisser décontenancer le moins du monde, qu'il se trouvait assis depuis des siècles sur un trône d'or dans le ciel et que son fils siégeait à sa droite, le représentant de la nation de Descartes prit la parole en ces termes :

" Très Saint Père, c'est au nom de mes collègues ici présents, qui m'ont expressément désigné comme leur porte-parole, que je m'adresse au successeur de saint Pierre en humble porteur d'une supplique de tous les Etats catholiques de l'Europe .

" Voici notre embarras : puisque les trois dieux uniques qui occupent nos terres ne se battent plus pour nos cultures multicolores, qui ne sont que les proies bariolées et diversement parfumées d'une opinion flottante que nous voyons tourner et tanguer avec le vent, qu'en est-il du triomphe de l'infaillibilité et de l'intangibilité de leurs dogmes devenus inodores ? Autrement dit, puisque l'organisation cérébrale des souverains célestes du cosmos n'a jamais reposé sur des croyances odoriférantes, mais exclusivement sur l'armature d'une doctrine immuable ; puisque les cottes de maille de la vérité se révèlent tour à tour iréniques et guerrières, mais toujours tressées des fils d'acier d'une orthodoxie impavide, comment la Rome d'aujourd'hui défend-elle contre Symmaque l'hérétique l'armure du seul vrai " Dieu", celui dont le glaive règne depuis deux mille ans sur le champ de bataille de l'histoire universelle et qui a terrassé tant d'impies depuis saint Ambroise?

" Dites-nous donc clairement, Très Saint Père, si nous devons obéir à nos Etats, qui nous demandent maintenant avec insistance de tresser les lauriers de la foi de Jésus-Christ à la gloire de Symmaque. Nous vous informons solennellement de ce que les rumeurs les plus inquiétantes sont venues à nos oreilles : toutes les croyances du monde exigeraient expressément notre " respect ". Mais nous ne savons pas comment il nous faudra apprendre à respecter l'erreur avérée, comment nous nous prosternerons devant des dieux étrangers, comment le veilleur en chef et la sentinelle du règne de la croix sur tout l'univers nous demandera de commettre le péché de sacrilège et de blasphème, comment le Saint Siège, enfin, évitera de s'auto-excommunier et de se précipiter de sa main dans les flammes de l'enfer .

" Dites-nous donc, Très Saint Père , ce que nous ferons des prétentions respectives de Jahvé, d'Allah et du ciel Jésus-Christ si ces trois affidés affichent désormais le même poids et répandent la même senteur sur la balance d'une théologie introuvable et s'il faut déclarer ces divinités aussi réelles, aussi omniscientes et aussi omnipotentes les unes que les autres pour le motif que l'offense, le mépris ou l'insulte à l'égard des fidèles d'une religion quelconque portent atteinte au droit sacré de tous les peuples de la terre de choisir leur dieux à l'étalage de leurs " cultures " et de leurs " usages cultuels " confondus . La vérité révélée des fidèles de la Croix sera-t-elle aussi bien servie par un saint Symmaque agenouillé devant la statue de pierre de la déesse de la Victoire ou devant les oies sacrées du Capitole que par les fidèles de la Mecque, les fidèles de Jahvé , les fidèles prosternés devant le gibet d'un dieu crucifié?

" Dites-nous comment nous devons respirer l'encens qui monte maintenant de l'autel des cultures ; car si tous les autels du monde sont devenus égaux en droit et en dignité, nous demanderez-vous de légitimer tous les magiciens et tous les sorciers de la terre ? Sinon, quel est votre cogito, quelle est votre logique, quel est votre "Connais-toi" dans le caravansérail des dieux qui nous convient à prôner la tolérance. L'un de nos écrivains, E.M. Cioran, a écrit que la tolérance était une " coquetterie d'agonisants " . Que reste-t-il du Dieu unique de Rome s'il existe trois divinités moribondes que Rome elle-même a couchées côte à côte sur le même lit d'agonie ?"

Le dimanche 20 février 2006, le saint philosophe a répondu en ces termes : " Dans le contexte international que nous connaissons actuellement, l'Eglise catholique demeure convaincue que, pour favoriser la paix et la compréhension entre les peuples et entre les hommes, il est nécessaire et urgent que les religions et leurs symboles soient respectés , et que les croyants ne soient pas l'objet de provocations blessant leur démarche et leurs sentiments religieux. " Dans le même temps, il condamnait fermement les positions d'un puissant mouvement catholique polonais auquel Radio Maryja donnait une grande diffusion et dont l'orthodoxie sentait son saint Ambroise.

Jugeant ces réponses dilatoires, la délégation européenne est revenue de Rome avec la conviction que le Saint Siège mettait au rouet le dieu censé avoir fécondé une mortelle et qui avait réussi in extremis à associer son fils unique à son ubiquité.

6 - La politique et l'autel

Pendant ce temps, l'anthropologie moderne découvrait que les réflexes ecclésiaux et cléricaux que la France s'était imaginée avoir vaincus avec la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat en 1905 se reconstituaient au sein de la laïcité et y creusaient le nid d'une manière de théologie du pouvoir rationnel : l'appareil judiciaire en était le premier réceptacle, mais le sacré refoulé émigrait ensuite dans toute l'administration et changeait le service public en Eglise. Cette nosologie reposait sur le principe des vases communicants. L'analyse anthropologique de cette maladie a permis à l'Europe de la raison d'élaborer la première psychanalyse générale de la condition simiohumaine.

Dans un premier temps, les élites dirigeantes s'étaient trouvées bien empêchées de retrouver le discours mi-cultuel mi-culturel de Symmaque, mais également celui d'une Eglise catholique condamnée à jouer au perroquet de Symmaque - donc réduite, par le naufrage de toute sa dogmatique, à chercher, elle aussi, un vain refuge auprès de toutes les cultures du monde. Cette asthénie théologique rendait inévitable un dislocage mondial des cosmologies mythiques ; mais si les religions légitimées par leur territoire se voyaient jetées dans un no man's land sans remède et si, dans le même temps, elles se trouvaient assaillies par Allah, toute la classe politique française se voyait condamnée à affronter des apories liées aux insuffisances ridicules de sa propre catéchèse. Certes, les cadres politiques des nations se sont toujours montrées sous-informées des progrès du savoir rationnel de leur temps, et cela pour le motif fort simple que leur ambition n'est pas de devenir savants en humanité, mais d'agir ; et l'action n'a jamais d'autre objectif que de faire taire les " querelles ", comme l'étude du comportement politique des orangs-outangs l'avait démontré dès le milieu du siècle précédent.

Mais dès lors que la nécessité scientifique d'approfondir la connaissance du singe humain débarquait dans le champ de l'action des gouvernements, l'ignorance portant sur le vrai et le faux simiohumains se révélait aporétique, parce que le divorce multimillénaire entre l'utile réduit à la cécité et la lucidité réduite à l'impuissance conduisait rien moins qu'à la confusion mentale. Certes, cette aporie focale n'était pas une nouvelle venue en Europe. Au XVIe siècle, la rationalité proprement politique imposait-elle aux Etats de soutenir le dogme cruel et sanglant de la " présence réelle " de la chair et du sang de la victime du sacrifice sur les autels des chrétiens ou à fonder le culte de la croix sur un statut purement figuré de l'immolation rituelle?

L'expérience politique avait bientôt démontré que le catholicisme se trouvait mieux armé pour symboliser la sauvagerie naturelle du singe-homme s'il se procurait une offrande physique appropriée sur l'offertoire de la mort, parce qu'une victime humaine prenait plus efficacement qu'un symbole la relève des boucs , des bœufs et des génisses qui avaient remplacé Isaac depuis Abraham. Mais, ce faisant, Rome perdait toute crédibilité dans l'ordre du savoir scientifique et philosophique ; et cette croyance s'effondrait en un seul siècle dans l'élite intellectuelle mondiale pour avoir perdu son sceptre cérébral dans l'absurde, tandis que les protestants voyaient le troupeau de leurs brebis fondre comme neige au soleil , mais donnaient à l'Europe les Kant, les Schelling, les Hegel, les Nietzsche et conquéraient une hégémonie cérébrale absolue au sein de la civilisation de la pensée pour s'être élevés au rang de guides d'une philosophie délivrée de l'absurde.

7 - La sacerdotalisation des services de l'Etat

La difficulté nouvelle que soulevait le débarquement foudroyant de l'Islam et de sa théologie du VIIe siècle dans une Europe intellectuellement moribonde se révélait fatalement insoluble du seul fait que la religion de Mahomet était demeurée une vraie religion, c'est-à-dire une cosmologie mythique, ce qui lui permettait de s'imposer sans débattre dans le champ entier de la politique : une fable sacrée n'est pas discutable, puisqu'il est impie de seulement prétendre en vérifier les allégations . Mais, dans le même temps, comment un Etat laïc peut-il prétendre assagir le fanatisme naturel des dogmes sans les profaner s'ils sont protégés par la loi et si le Vatican lui-même penchait maintenant du côté de Symmaque à seule fin de conjurer une résurgence des fureurs meurtrières du XVIe siècle, qui avait vu deux versions du christianisme entasser des cadavres d'hérétiques au nom de leurs orthodoxies respectives? La loi de 1905 n'était-elle pas demeurée lettre morte avant que la réforme radicale de Michel Debré de 1958 eût imposé des manuels scolaires habilement savonnés dans les écoles d'enseignement du mythe sacré ? N'avait-il pas fallu se résoudre à confier jusque dans les enceintes de la foi l'enseignement public à des professeurs démythifiés à l'écoute d'une raison qui allait enfanter une ignorance nouvelle à soustraire la jeunesse à toute information sur les religions? N'avait-il pas fallu que les examinateurs des épreuves du baccalauréat fussent choisis parmi les professeurs formés à l'école du mutisme de l'Etat si l'on entendait éradiquer la tournure d'esprit originelle du simianthrope ?

Amputation inutile : malgré ces efforts titanesques, la République sécrétait maintenant la même puissance ecclésiocratique qu'elle avait tenté d'exterminer ou de juguler et qui rongeait désormais les organes du pouvoir démocratique. Etait-ce pour le seul motif que Michel Debré était un idolâtre de l'Etat ? Etait-ce pour le seul motif qu'il avait retiré d'une main à l'Eglise ce qu'il restituait de l'autre à un clergé qu'on avait vu s'imprégner spontanément des privilèges de l'infaillibilité et de l'intangibilité de l'institution romaine? Les causes du sacré résistaient décidément à la détection seulement voltairienne de la maladie : il fallait détecter le bacille au plus profond du capital psychogénétique d'un animal flottant entre le rêve et le sol .

Par bonheur, le spectacle d'une République qui peinait à mettre au pas les deux églises laïques qu'elle avait nourries dans ses entrailles, celle de la machine judiciaire et celle d'un demi million de prêtres inamovibles et ardents à défendre leurs privilèges, allait rendre l'affaire idéalement politique. Jacques Floch, député (PS, Loire-Atlantique) s'était exclamé : " Ah ! le corporatisme… C'est fou ! Il faudra que ces messieurs apprennent que, dans une société démocratique, il n'y a pas d'intouchables. Comme les politiques, les juges doivent être critiquables et critiqués. " De son côté, Le Monde (19-20 février 2006) écrivait : " De même, lorsque le premier président de la Cour de cassation, Guy Canivet, écrit au chef de l'Etat pour lui faire part des craintes que lui inspirent les méthodes de la commission et l'atteinte portée, selon lui, à l'image de la justice en France et à l'extérieur, l'on se demande si le plus haut des magistrats n'oublie pas un peu rapidement la première des atteintes portée à l'image de la justice qu'est l'affaire d'Outreau elle-même. "

Mais pour tenter d'élaborer une anthropologie ambitieuse de livrer les secrets du sacré simiohumain et de ses réflexes inquisitoriaux au sein du clergé d'Etat, la notion de corporatisme se révélait ridiculement inadéquate, faute qu'elle répondît à la problématique resquise pour une pesée psychobiologique des confessions religieuses. De plus, l'ecclésiocratie d'Etat se révélait une pathologie beaucoup plus amollie par sa sécurisation salariale que celle de l'Eglise, qui avait perdu ses prébendes et vivait de la charité publique. Aucune hiérarchie de l'Etat ne disposait du pouvoir effectif de châtier, ou même de redresser un fonctionnaire coupable d'avoir violé les principes " théologiques " de la République - et d'abord le principe " sacré " de la séparation des pouvoirs , Montesquieu avait été retourné comme un gant. Il s'était même métamorphosé en théoricien principal de la sacerdotalisation de l'Etat , puisque la magistrature se faisait maintenant de son autonomie constitutionnelle la forteresse de sa sacralité.

Dans un premier temps, le nouveau corps clérical républicain s'était auto-idéalisé sur le modèle des idéalités d'une démocratie aussi séraphiquement universelle que feue la Révélation, ce qui lui avait fourni le masque de ses référents doctrinaux et l'avait dotée d'une identité de caste subrepticement séparée du corps de la nation - sacer signifie séparé.

Dans un second temps, la mise à part insidieuse des détenteurs sacerdotaux de l'autorité publique s'était armée du prestige d'un pouvoir réputé transcendant au temporel, ce qui avait conduit les corps de l'Etat à se métamorphoser en miroirs mentaux d'eux-mêmes. Rendue inconsciemment spéculaire, toute puissance s'auto-réfléchit dans le miroir de son ego auto idéalisé et maintenant flatteur. Les nouveaux prêtres se trouvaient élevés, comme les anciens , au-dessus du " profane " par leur propre image .

Dans un troisième temps, les membres de la nouvelle Eglise s'étaient changés en prêtres larvés, mais non moins intangibles que les précédents. Devenus les dépositaires exclusifs et intouchables d'une justice idéalisée, ils se voyaient soustraits aux regards du dehors par le credo pseudo démocratique lui-même .

Dans un quatrième temps, l'administration s'était transformée en un nid vrombissant de serviteurs de leur propre autel. Les nouveaux devins se sentaient désormais entre eux à honorer en commun les rites de l'idole nouvelle - l'Etat.

Dans un cinquième temps, le principe républicain de la séparation des pouvoirs était devenu la toge dans laquelle le nouveau clergé se drapait , parce que les fondements mêmes de la République servaient maintenant d'assise aux privilégiés d'une caste sacrée. Puisqu'aucune autorité hiérarchique ne disposait plus du pouvoir coercitif et impérieux de redresser les erreurs individuelles des ministres nouveaux du culte, l'appareil de la justice et celui de l'Etat reproduisaient de conserve le modèle de la Cité interdite de l'empire du Milieu qui avait servi jusqu'en 1908 à la fois de temple administratif et d'oracle aux empereurs de Chine.

8 - Un exemple

Un exemple frappant avait illustré cette résurrection du pouvoir ecclésial au cœur de l'Etat. Un juge d'instruction juvénile et inexpérimenté avait constamment été soutenu par son supérieur hiérarchique immédiat - le procureur - dans une procédure inquisitoriale absurde : fort de son intronisation dans le temple de la justice, ce jeune magistrat avait jeté en prison sans examen sérieux treize innocents que des enfants en bas âge s'étaient amusés à dénoncer pour pédophilie. Mais le mythe de la sainteté de l'enfance ne trouvait-il pas son origine dans l'église d'en face ? Tout le christianisme n'était-il pas fondé sur la sanctification d'un berceau? Une mère de famille censée avoir été fécondée par un dieu n'avait-elle pas été élevée au rang de reine du ciel ?

La rencontre fusionnelle, au plus profond de l'inconscient religieux de la nation, entre les deux théologies - la République disait maintenant : " Les enfants ne mentent pas " - avait conduit à un scandale retentissant en raison de la nécessité dans laquelle l'institution judiciaire s'était ensuite trouvée de profaner son infaillibilité naturelle par l'innocentement sacrilège de tous les accusés. Le jeune juge d'instruction était un scribe du temple livré pieds et poings liés à la lettre de la loi. Il avait été gentiment, mais publiquement malmené par le rapporteur de la Commission parlementaire, M. Philippe Houillon, qui avait mis l'infantilisme et la crédulité du néophyte sous une crue lumière devant des millions de téléspectateurs ahuris de découvrir le mythe de la souveraineté du peuple français au nom duquel les jugements des tribunaux sont censés rendus.

Du coup la sainte magistrature s'était dressée tout entière contre cette profanation de la pureté de son appareil sacerdotal. Plus de deux cents magistrats dont trente cinq présidents de cour d'appel avaient officiellement protesté contre cette intrusion du profane dans leur temple. L'union syndicale des magistrats était montée au créneau pour dénoncer " une atteinte sans précédent à la séparation des pouvoirs et à l'indépendance des juges " (Le Monde, 18 fév.06), puisque " la prise de décision du magistrat " devait demeurer soustraite à tout examen. Aussi le syndicat sacré " déplorait-il que les juges eussent été interrogés sur l'élaboration de leurs décisions juridictionnelles ". Celles-ci devaient demeurer calquées sur le modèle de la souveraineté qu'exprimaient les motu proprio du Saint Siège.

Mais le plus instructif était l'impuissance du juge de la mise en détention face au Parquet et au juge d'instruction : comme il ne servait, en réalité, que de façade à une apparence de démocratie, il avait rendu cent vingt-cinq décisions au cours de l'instruction, toutes à charge, tellement le véritable pouvoir reposait sur l'alliance du juge d'instruction avec le procureur . Le même système régnait au civil, où trois magistrats étaient censés rendre un verdict commun , alors qu'un seul instruisait et jugeait; et également dans toute l'administration publique, qui fonctionnait du haut en bas de l'échelle sur le leurre selon lequel toute décision d'un fonctionnaire d'autorité était censée avoir été prise démocratiquement par une " commission ". Mais l'Administration lui faisait connaître par écrit comment elle devait voter et toujours à l'unanimité. Ce modèle était calqué sur celui de l'Eglise qui, dans les conciles, faisait voter les évêques à l'unanimité sur un point de doctrine. La politologie laïque avait entièrement oublié que la justice était à la fois le sceptre et le glaive de Dieu et que le ciel ne pesait pas ses verdicts sur une balance, parce que son infaillibilité était celle de sa souveraineté et inversement.

La justice et l'administration de la République reproduisent invinciblement celles de la monarchie, non seulement parce qu'on n'extirpe pas aisément sept siècles de théocratie de l'inconscient politique et religieux d'un peuple, mais parce que la fusion entre le souverain et le prêtre est inscrite dans le capital psychobiologique du singe-homme : réunir entre les mêmes mains le sceptre de la terre et celui du ciel est l'âme même du sacerdoce. C'est pourquoi la révolution la plus profonde , mais aussi la plus fragile de 1789 , est-elle dans la substitution de la balance humaine de la justice à la foudre de la justice divine ; c'est pourquoi les verdicts des tribunaux sont rendus " au nom du peuple français ", afin de rappeler inlassablement qu'il n'y a pas de laïcité sans dépossession du sceptre sacerdotal du ciel et qu'une République privée de ce fondement philosophique n'est qu'une théocratie déguisée.

Le rapporteur Philippe Houillon avait demandé au juge d'instruction pourquoi un tétraplégique en chaise roulante depuis son enfance et débile mental de surcroît, avait été inculpé, puis n'avait pas " bénéficié d'un non-lieu " à la suite de l'accusation d'un enfant . On le comprendra si l'on songe qu'Yves Bot, procureur général de Paris et Jean-Claude Marin, procureur de la République, avaient apporté leur soutien aux encycliques du juge Burgaud et du Procureur et qu'aucune autorité judiciaire n'avait déploré le sort des innocents emprisonnés pendant de longues années. Le sacré n'est pas compassionnel.

9 - Qui est la France ?

La connaissance anthropologique du simianthrope n'ayant pas progressé d'un iota depuis Renan, les trois idoles censées n'en faire qu'une seule s'amusaient à jouer au chat et à la souris avec leurs fidèles respectifs ; et ces diablesses se gaussaient à jouer sur les deux tableaux . Mais puisqu'elles s'ingéniaient à faire croire à leurs dévots qu'elles existaient à la fois au figuré et physiquement, la question du statut anthropologique des Etats et de leur justice débarquait aussi bien dans l'administration que dans la politique des démocraties dites rationnelles. La science historico-critique allait-elle réussir à ouvrir les yeux d'une classe politique européenne encore dans l'enfance sur la nécessité d'observer la manière dont les docteurs des trois idoles tentaient de concilier les formes inconciliables par nature qu'empruntaient leurs célestes personnages, puisque ceux-ci demeuraient scindés entre leur statut vaporeux et leur statut corporel? La difficulté était-elle résolue à la manière dont la République, la Liberté, la Démocratie avaient réussi à faire croire aux citoyens qu'elles existaient en ce sens qu'elles s'incarneraient en des acteurs dotés de bras et de jambes, de sorte que la politique des démocraties serait dédoublée, comme celle de l'Eglise, entre le ciel de ses idéalités et la terre?

Dans ce cas, qu'en était-il du personnage onirique qu'on appelle la France ? S'il s'agissait d'un personnage seulement imaginaire, comment le faire exister en chair et en os? Un Ministre prête-t-il sa substance corporelle à la République ? La robe des magistrats, l'uniforme des gendarmes, l'étoffe du drapeau ou les notes de la Marseillaise substantifient-ils la République comme le pain et le vin de la messe sont censés se trouver changés en la chair et le sang réel d'un Jésus physique ? La question de savoir où se cache la vraie France débarquait dans la science historique et dans la politique, parce que l'affaire des caricatures d'Allah commotionnait la France de la pensée, et cela à l'heure même où l'électrochoc du procès d'Outreau posait la question du statut réel et du statut onirique de la justice. Faut-il en conclure que l'anthropologie scientifique a pris un rendez-vous définitif avec l'histoire du cerveau simiohumain en février 2006 ? Dans ce cas, les visiteurs de ce site savent que j'attendais cette heure depuis le 11 septembre 2001, qui avait permis un premier débarquement dans la géopolitique de ma recherche sur le sacré simiohumain .

Pourquoi un si grand retard ? C'est qu'au début du XXI siècle, la classe politique française et européenne était redevenue aussi incapable que celle du Moyen-Age de seulement se poser la question du statut anthropologique du verbe exister appliqué à Jahvé, au Dieu trinitaire, à Allah ou aux idéalités qui structurent la politique des démocraties. Dans ces conditions, il était bien impossible d'étudier le statut historique des personnages symboliques. C'est pourquoi, dans leur appel commun au " respect des croyances ", Jacques Chirac et Dominique de Villepin ne se demandaient pas un instant pourquoi une espèce dont l'historicité propre condamne son cerveau dédoublé à sécréter des acteurs à la fois oniriques et publics croit cependant dur comme fer en leur existence objective, au sens où l'entend l'état civil, sans jamais seulement tenter de s'interroger sérieusement sur la cause de leur métamorphose en acteurs à la fois réels sur la scène du monde et agissants à leur manière dans le vide de l'éternité. Et pourtant, le vrai Socrate est celui qui symbolise l'histoire réelle de la philosophie occidentale, le vrai Jésus n'est pas le fils d'un charpentier de village, mais celui du personnage symbolique que traquent les christologues, le vrai Mahomet n'a pas de corps physique et c'est l'histoire du corps cérébral du singe-homme qu'il raconte.

Par bonheur, l'Islam obscurantiste rendait à la République le fier service de lui mettre une affaire d'Etat sur les bras, celle de savoir comment l'encéphalogramme plat de la France allait persévérer de se réclamer d'une connaissance réelle de l'humanité si sa classe dirigeante pilotait la nation dans les ténèbres . Autrement dit, comment une Europe privée de science anthropologique allait-elle naviguer sur l'océan de l'histoire, comment un continent enténébré dirait-il aux derniers philosophes : " Passez-moi le cerveau de l'humanité au scanner socratique " ? Jamais une République acéphale ne jugera suspect le verbe respecter appliqué à des croyances si celles-ci sont seulement des opinions, donc des allégations subjectives par définition et si la question n'est pas posée de la subjectivité propre au symbolique. Mais puisque la Renaissance n'avait pas su doter la civilisation européenne d'un humanisme plus profond, qui aurait su qui étaient les hommes symboliques et comment ils s' " incarnent ", l'obscurantisme musulman permettra-t-il à l'Occident de sortir de l'obscurantisme chrétien?

Tel était, au début du XXIe siècle, l'enjeu politiqueet intellectuel du débarquement de trois divinités planétaires sur des territoires délimités. Puisqu'il était devenu rigoureusement impossible de conférer à trois cosmologies fabuleuses le monopole de connaître l'origine et le destin de l'univers, il fallait demander à chacune de ces mythologies délirantes rien moins que de s'amputer de leur nature même. Certes, un saint Ambroise ne se trouvait nullement embarrassé par les ramifications et même par la prolifération des dieux étrangers et en contradiction les uns avec les autres sur le sol de l'Italie ; peu importait la diversité de leurs complexions, puisqu'ils n'existaient pas. Le polythéisme de Symmaque était un panculturalisme inné, donc un chaos de songeries simiohumaines avant la lettre et qui ne gênaient pas les chrétiens. Un instant, les guerres puniques avaient inspiré à la classe politique de l'empire naissant la terreur pieuse que les dieux romains se fussent irrités de l'afflux des immigrants divins venus déposer leurs autels sur le sol de la patrie. Le christianisme allait faire changer de ciel à la terreur religieuse. Mais si cinq siècles après la Renaissance, Allah revendiquait le monopole du remplissage de la tête effarée de l'humanité, le pays de Descartes avait le choix de retourner à Symmaque ou de commencer à penser droit , ce qu'il avait oublié depuis la mort de Renan.

Un siècle après la loi de 1905, la France redécouvrait qu'une science historique privée de raison devient la plus superficielle et la plus vaine des disciplines et que les seuls historiens dignes de mémoire apprenaient à séparer le verbe savoir du verbe comprendre : Thucydide, Montaigne, Monstesquieu , Tocqueville, Michelet, Taine se mettraient aujourd'hui à l'étude du cerveau semi animal des fuyards de la mort.

10 - La résurrection de l'Europe de la pensée et la zoologie transcendantale

Au XVIe siècle, le singe semi pensant avait commencé de déserter les autels d'une idole qui avait réussi à lui interdire des siècles durant la pratique de la musique, de la peinture, de l'art dramatique, de la poésie, du théâtre , des mathématiques, de l'astronomie et de toutes les sciences exactes. Au XVIIe siècle, les évadés partiels de la zoologie avaient recommencé de féconder leur embryon d'entendement; au XVIIIe, leurs caricaturistes voltairiens les avaient préparés aux sacrilèges à venir; au XIXe, ils avaient découvert le continent de leur inconscient ; au début du XXIe, il était enfin devenu bien impossible aux démocraties occidentales de frapper d'anathème les progrès de la connaissance anthropologique du cerveau biphasé de l'espèce simiohumaine .

C'est alors seulement qu'une Europe poussée dans les cordes par le retour au polythéisme panculturaliste s'est souvenue de quelques bribes des noblesses de l'intelligence critique; c'est alors seulement qu'une espèce jaillie des forêts africaines est redevenue cogitante ; c'est alors seulement que le Vieux Monde s'est remis à couronner son encéphale de lauriers; c'est alors seulement que l'animal au cerveau schizoïde s'est remis à l'écoute d'un certain Socrate, lequel avait dit au devin d'Athènes : "Ainsi, tu admets qu'il y a réellement entre les dieux des guerres, des inimitiés terribles, des combats, tant d'autres choses du même genre, que racontent les poètes , et qui nous sont représentées par nos bons artistes dans diverses cérémonies sacrées, par exemple aux grandes Panathénées , où l'on en voit plein le voile que l'on va porter à l'acropole ? Devons-nous dire que tout cela est vrai, Euthyphron ? " (Euthyphron, 6, b-c)

Du coup, l'Europe avait paru changer de tête : ayant définitivement déserté les débats grotesques sur l'existence " objective " de Zeus , de Zoroastre , d'Osiris , de Jahvé, d'Allah et du dieu offert à son père au titre de victime propitiatoire sur un gibet, il était enfin permis d'observer les descendants d'un quadrumane à fourrure que la nature a dotés d'un cerveau dichotomique - schizoïde , biphasé, bifide, bipolaire - ce qui les condamne à s'offrir à leurs dieux . Qu'en est-il d'un animal qui s'auto-immole sans relâche sur ses autels et qui paie à la mort le tribut sanglant que son idole lui réclame ?

Clinique hippocratique et clinique socratique, in Correspondance avec le Dr Jean-Marie Delassus, 14 février 2006

Les anthropologues socratiques se disaient : " Puisque nous appartenons à une espèce en évolution entre l'animal et l'espèce inconnue qui nous attend , il est évident que nous ne sommes pas encore devenus des hommes, mais seulement des êtres en attente de l'achèvement de leur parcours . Comment saurions-nous seulement à quelle borne nous nous trouvons provisoirement arrêtés ? Mais si nous sommes en route et si nous allons quelque part, nous ne nous fabriquons jamais que des dieux aussi précaires et inachevés que nous-mêmes . Essayons donc de percer davantage les secrets de notre simiohumanité chaotique et, pour cela, mettons-nous à l'école de nos idoles, les jeunes et les vieilles, car elles se sont nécessairement divisées à notre école et en apprentis de leurs fabricants. Puisqu'elles ne sont jamais que de fidèles copies de nous-mêmes, pouvons-nous nous mettre à meilleure école qu'à celle de ces caricaturistes du singe-homme? Comment se fait-il qu'elles aient toutes une auréole et une bombe sur la tête ? Décidément, si Mahomet nous permet de nous remettre à l'école de nos sacrilèges, nous lui devrons le déblocage de toute la philosophie occidentale . L'Europe s'est alors souvenue de ce que sa cervelle l'avait autrefois armée d'un glaive en acier trempé, lequel avait permis à Socrate de ferrailler avec les idoles. On l'appelait la dialectique. Quand le Continent de la logique fut reparti à l'assaut des animaux que leurs ancêtres avaient appelé des dieux, l'étude anthropologique de la théologie des trois dieux uniques et devenue une zoologie transcendantale.

24 février 2006