1 - Une histoire des Yahous
2 - L'homme est-il un animal semi cérébralisé
3 - A la découverte de l'animalité rationalisée
4 - Les aventures de l'historicité humaine
5 - Les déconfitures de la postérité
de Machiavel
6 - Le message de Sotchi
7 - La Russie et l'avenir de l'Europe
de la pensée
8 - Le pape François et la Russie
1
- Une histoire des Yahous 
On
se souvient des mois les plus dramatiques de 2014: les politologues,
les anthropologues et les méthodologistes les plus célèbres
d'une science historique nouvelle alors en gestation dans
le monde entier avaient commencé de s'avouer la nécessité
d'armer leurs disciplines demeurées flottantes d'un regard
de l'extérieur sur l'animalité sui generis du genre humain,
tellement les disciplines locales des spécialistes les plus
illustres de l'époque perdaient et le code de navigation
de leur rationalité interne. Mais comment conquérir un savoir
englobant et surplombant si aucune cervelle ne venait unifier
le savoir des sciences humaines en général et de leurs comportements
épistémologiques multicolores?
Rappelons,
en tout premier lieu, les circonstances tragiques de l'époque.
L'accès au pouvoir des Trajan, des Hadrien, des Marc-Aurèle
réveillait davantage l'espérance politique de la masse des
citoyens de l'empire que le spectacle de l'extinction des
derniers feux de la civilisation française dont les flambeaux
mourants avaient passé des mains inutiles de M. Jean-Marc
Ayrault à celles, plus vaines encore, de M. Manuel Valls.
Et pourtant, tout le monde savait que la chute de Rome dans
l'abime ne pouvait plus se trouver conjurée, parce que l'heure
avait sonné où le cours fatal de l'histoire n'était plus
exorcisable. Il en était désormais de même pour Paris.
Jusqu'en octobre 2013, les sanctions économiques édictées
à l'échelle internationale contre un Etat souverain de soixante
quinze millions d'habitants, l'Iran, avaient démontré à
quel point la planète était livrée à l'autorité exclusive
des Etats-Unis et d'Israël. Cette politique avait coûté
l'assèchement d'un marché de plusieurs centaines de milliers
de véhicules à la seule industrie automobile des Gaulois.
Et maintenant, Pékin venait rafler la mise : la vente de
Citroen et de Renault à la Chine pour un montant de 14%
seulement de la valeur en bourse de l'entreprise permettait
d'avance à l'empire du Milieu d'accroître sa future appropriation
totale du capital de ces deux marques et cela au fur et
à mesure des besoins de plus en plus pressants en trésorerie
d'une Ve République aux abois. De toutes façons, il était
impossible de jamais diviser par deux ou par trois le montant
des salaires mensuels de la classe ouvrière française, de
sorte que le coût grandissant de la main-d'œuvre du Vieux
Monde ne pouvait que creuser sans cesse davantage, rendre
plus saignante la plaie thanatogène du chômage et conduire
à l'abîme un continent incurable.
Une
entreprise tentaculaire comme Airbus avait huit ans de commandes
en provenance du monde entier à satisfaire; et pourtant
elle faisait maigrir ses effectifs et délocalisait partiellement
sa masse salariale aux Etats-Unis parce que son dirigeant,
un Allemand méthodique et lucide savait que l'avenir commercial
du Titan, donc son existence ramifiée, dépendait exclusivement
de ses succès d'exportateur et que le chiffre des ventes
résultait de la diminution des bénéfices des actionnaires
et de la réduction drastique de la masse ouvrière.
La
logique syllogistique d'Aristote enseigne, hélas, qu'une
civilisation dans laquelle les machines à deux bras et à
deux jambes surmontées d'une tête coûtent plus cher que
les machines de fer et privées de cervelle, repose sur la
contradiction suicidaire d'accumuler des biens destinés
à des goussets vides.
De
plus, la source principale du chaos économoque mondial résultait
du coup d'Etat monétaire perpétré par Richard Nixon et de
la FED qui, en, 1971, avaient imposé un "flottement" permanent
aux monnaies du monde entier. Du coup, les besoins de l'Etat
créateur de dollars mettaient la valeur des monnaies nationales
à la merci de leur maître d'outre-Atlantique. L'euro, qui
valait 0,80$ en 1999, oscille entre 1,30 et 1,50$ en 2014.
Comme les Etats-Unis ont imposé, en outre, que le commerce
de leurs vassaux ou de leurs subordonnés - c'est-à-dire
du monde entier - fût libellé exclusivement en dollars,
les exportations en euros se trouvent pénalisées de 60 à
80% face au papier-monnaie de leur maître. L'empire des
Machiavel de la démocratie mondiale repose sur sa puissance
militaire et c'est à ce titre que la nouvelle Rome impose
au reste de la planète une escroquerie monétaire himalayenne.
2 - L'homme est-il un animal semi cérébralisé 
Face
à cette tragédie sans issue par nature et par définition,
comment expliquer au corps électoral français primo,
que le gouvernement Ayrault avait jugé saugrenue l'idée
de regarder un instant le monde droit dans les yeux, secundo,
que le verdict prononcé par le suffrage universel avec vingt-deux
mois de retard n'était pas moins ignorant que celui de la
divinité précédente, qu'on avait éduquée là-haut pendant
tant de siècles, tertio, que l'Etat avait écarquillé
les yeux à l'écoute de la sentence et que toute la classe
dirigeante avait demandé avec le plus grand entrain, le
privilège de continuer de diriger la barque, les oreilles
bouchées et un bandeau sur les yeux, quarto, que
cette cécité collective des ambitions permettait aux philosophes
des désastres de rappeler à toutes les sciences dites humaines
de l'époque que, selon Socrate, l'ignorance est la source
de tous les maux - adage auquel François Mitterrand fait
timidement écho en rappelant seulement que "l'ignorance
n'a pas tous les droits"?
Car
enfin, l'élite politique de la nation se révélait soudainement
unanime dans son indignation et sa stupéfaction face à l'étendue
du désastre: personne ne doutait que le suffrage sacré du
peuple avait prononcé un oracle souverain et inattaquable,
puisque hautement inspiré par le ciel irréfutable de la
démocratie. On était seulement ahuri, abasourdi et éberlué
de ce que de tout temps, le avait partagé une condamnation
légitimée à titre préjudiciel par la souveraineté des idéalités
régnantes et que la classe dirigeante ait attendu le culte
du couperet pour saluer unanimement une guillotine infaillible.
Mais
si la solution était à portée d'un tranchoir, pourquoi n'avoir
pas usé plus tôt de cette coutellerie? La bête sait-elle
ce qu'elle prétend savoir ? L'orchestre qui avait continué
de jouer jusqu'à l'engloutissement du Titanic savait, lui,
que le paquebot coulait, inexorablement tandis que la classe
dirigeante française ne partageait en rien cet héroïsme,
car elle savait et ignorait, selon une mixture et un salmigondis
dont les semi-évadés de la zoologie ignorent la recette.
Comment peser la semi connaissance du monde et d'elle-même
dont s'alimente la cervelle de cette étrange espèce, sur
quelle balance apprendre à peser l'animal qui se sait informé,
mais qui ne se l'avoue jamais vraiment, à moins que des
coups de massue sur la tête la mettent provisoirement au
parfum.
3
- A la découverte de l'animalité rationalisée 
Que l'orage grondant eût éclaté, que la pierre qui roulait
sur la pente fût tombée dans la plaine, que le fleuve grossissant
fût sorti de son lit, que toute la classe dirigeante se
fût ruée dans les cuisines afin de confectionner à la hâte
les mêmes plats - et à l'aide des mêmes recettes - tout
cela démontrait que l'espèce humaine écoute ses clarinettes,
ses trompetteries et ses clochetteries. Mais si la valse
des cérémonies rappelait que le chimpanzé hypercérébralisé
sauvegarde jusqu'à la mort ses rituels et ses liturgies
politiques et si les maîtres d'hôtel et les majordomes ne
cessent de défiler, et si les rosettes et les cocardes clopinent
tout leur content. C'est que l'ignorance invétérée et pourtant
désirée du genre humain se veut à la fois aveugle et inguérissable,
donc propre à la bête suicidaire et soumise aux électrochocs
de la fatalité.
Du
coup, les sciences humaines de l'époque ont commencé de
se dire qu'il fallait commencer d'apprendre à regarder le
Yahou de l'extérieur; car il se trouve ce bimane se révèle
doté d'une infime "lueur de raison", selon les dires et
les écrits d'un certain Jonathan Swift. L'homme serait-il
demeuré le chimpanzé des forêts qui dansait sous la pluie
à l'annonce d'un ouragan?
4 - Les aventures de l'historicité humaine 
Mais
comment se faisait-il qu'une mutation du regard des historiens
sur leur matériau se fût déclenchée précisément au lendemain
des évènements de 2014 en Crimée, alors que le tissu des
travaux et des jours des nations européennes demeurait tout
événementiel sur la scène internationale et ne semblait
nullement avoir changé soudainement de nature? Qu'y avait-il
de nouveau dans la notion même d'historicité pour
qu'une refonte radicale de la pesée du temps des nations
s'imposât au sein de l'espèce simiohumaine? Il était bien
naturel, n'est-ce pas, que la guerre des empires présentât
le spectacle classique du vieillissement des armures demeurées
entre les mains fatiguées des générations précédentes, il
était bien naturel, assurément, que le mot Liberté se fût
évaporé sur les brûle-parfums du vainqueur de 1945, il était
bien naturel, évidemment, que les encensoirs du messianisme
démocratique se fussent prélassés sur les coussins des narrateurs
de l'épopée de 1789, il était bien naturel, n'est-il pas
vrai, que la Russie reconquît son territoire du XVIIIe siècle
et s'assurât l'accès de la Mer Noire, il était bien naturel,
enfin, qu'une Europe engloutie et progressivement dissoute
dans l'atlantisme approuvât d'un seul élan et sans avoir
été seulement consultée le remplacement de son portier,
M. Rasmussen, un Danois, par M. Soltenberg, ancien premier
ministre de Norvège, tellement, dans les naufrages politiques,
un homme de paille chasse l'autre.
Mais,
derrière le décor qu'un néologisme vieux de deux décennies
permettait de qualifier d'événementiel, le regard
que Clio portait sur notre espèce avait entièrement changé
d'envergure et de structure, parce qu'un siècle et demi
après la parution de L'Evolution des espèces de
Darwin, le rideau des heures se levait sur un tout autre
spectacle et s'ouvrait sur un paysage connu, mais jamais
exploré, celui d'un animal plus projeté sur le théâtre de
ses songes que jamais. Comment l'historien moderne était-il
devenu un radiographe et un anthropologue de la vie de ses
congénères dans le fantastique religieux, comment avait-il
conquis le rang d'examinateur et d'interprète d'une espèce
dont l'animalité spécifique commençait de se dessiner en
traits précis au spectacle de ses lectisternia?
La
lectica était la chaise à porteurs capitonnée des
Anciens. Aussi, le verbe sternere nous rappelle-t-il
l'origine somptueuse des mots prosternation, prosternement,
sternum. Apprendre à lire notre histoire sur la rétine
des poulets du sacrifice, qu'on appelait des hostiae,
n'est-ce pas consternant? Certes, depuis Homère notre littérature
s'efforce d'ouvrir l'œil de Clio sur la bête dont les rêves
sacrés conquièrent des empires capables de terrasser la
mort. Le siècle de Corneille avait tenté de peindre nos
amours avec, pour toile de fond, l'histoire sanglante de
nos Etats et de nos rois. Puis le XVIIIe siècle a mis le
temps de notre histoire à l'écoute du rire et de la farce;
puis Balzac a peint l'humanité de son temps en anthropologue
et en biologiste de nos sociétés; puis Schiller a fait de
l'histoire du monde le cœur battant de notre espèce; puis
Malraux a raconté la Condition humaine sur
le fond orchestral de la guerre d'Espagne et d'une évangélisation
marxiste dont la sotériologie submergeait la planète de
son temps - mais, cette fois-ci, ce n'est plus l'histoire
apostolique des évènements qui éclaire le narrateur en retour,
mais la bête des autels, des sacrifices et des lectisternes
d'autrefois qui voit défiler des évènements eschatologisés
sur la rétine d'un nouveau rédempteur, la Liberté.
Le basculement subit de la science historique des génuflexions
dans l'examen anthropologique des prosternations de l'humanité
devant cette idole, a subitement donné au philosophe, primo,
une distanciation nouvelle, secundo une proximité
inédite: un recul transcendantal d'abord, parce que l'anecdotique
se noie maintenant dans l'ampleur de la vision du narrateur
stellaire, une proximité ensuite, parce que le récit historique
classique s'incruste désormais dans le discours englobant
des observateurs sommitaux de la bête. On ne comprend plus
les évènements à l'écoute des évènements eux-mêmes, on les
pèse sur la balance des regardants de Sirius. C'est cette
distanciation soudaine de la raison des historiens attachés
à fabriquer le cerveau de la bête qui donne derechef à une
théologie soudainement redevenue prospective - donc à nouveau
greffée sur une anthropologie abyssale et sacrilège - une
scientificité qui met le pape François en position de psychanalyste
de la vie mystique et en explorateur virtuel des méthodes
d'une science mondiale iconoclaste. L'animal immergé de
naissance dans le temporel inspire désormais une politologie
rationnelle à vocation planétaire. La vision blasphématoire
des mystiques féconde en secret une psychologie expérimentale
étendue à l'histoire et à la politique de la bête des origines
à nos jours.
5 - Les déconfitures de la postérité de Machiavel 
Pour illustrer ce point décisif, rappelons que, depuis le
Ve siècle avant notre ère, la politologie occidentale et
la science historique se divisent entre les constructeurs
de cités idéales d'un côté, tous issus de la République
parfaite, mais imaginaire de Platon, et les réalistes de
l'autre, dont le Thrasimaque du même Platon,
avait mis en scène l'esprit pratique et le cynisme politique.
Depuis
Thucydide ou Tacite, la science historique oscille entrez
Ménélas et Iphigénie, Cléon et Antigone, Montesquieu et
Joseph de Maistre, Machiavel et Karl Marx, Hérode et Jésus-Christ.
Mais si la politologie sérieuse se trouve entre les mains
des réalistes, leur devoir était de se doter d'une
connaissance spéléologique de la bête onirique, parce qu'on
ne saurait raconter objectivement les guerres de religion
du XVIe siècle et prétendre se visser le casque de la science
des utopies sur le tête si l'on n'a pas de connaissance
des enjeux politiques et psychiques qui pilotent les délires
théologiques de la bête.
Ce
blocage neuronal des sciences humaines et la chute de leurs
méthodes dans une paralysie des anthropologies de laboratoire
remonte précisément à Machiavel, ce grand humaniste et ce
passionné de politique expérimentale qui, le premier, a
osé se donner l'histoire du monde pour champ d'observation
et de vérification, mais qui ne pouvait conduire la politologie
de son siècle à un décryptage psychologique et anthropologique
des mythes dont la cervelle de la bête se révèle le théâtre,
parce que son époque l'interdisait encore par la peur la
plus efficace, celle du bûcher. Né en 1469 et mort en 1527,
le prudent Florentin passe à pas feutrés sur les guerres
rarissimes que Cicéron appelait des bella pro religionibus
suscepta - en ces temps reculés, les dieux des vaincus
passaient sans rechigner dans le camp des vainqueurs et
sans se faire tirer longtemps l'oreille.
Mais
les évènements d'Ukraine interdisent désormais à la politologie
scientifique d'ignorer les rouages et les ressorts planétaires
de l'humanité religieuse, parce que les défenseurs des autels
pseudo universels de la Liberté américaine, débarqués à
Kiev à coups de milliards de dollars se sont révélés une
masse d'ignorants, de profiteurs et de corrompus. Du coup,
le vieil humanisme européen n'est plus de taille à donner
à la Russie la boussole d'une connaissance anthropologique
de l'encéphale des évadés de la zoologie.
Si les évènements mondiaux n'avaient pas illustré la chute
du mythe démocratico-chrétien dans un machiavélisme au petit
pied et si une religion de maffieux de la Liberté n'avait
alerté le cerveau endormi du culte chrétien, la science
historique des nouveaux regardants de la bête n'aurait pas
conquis un recul post-darwinien à l'égard de la boîte osseuse
de l'animal prosterné de naissance devant sa propre image
glorifiée à l'école de ses auréoles verbales?
Avec
une Crimée encastrée entre l'Amérique des croisés de leurs
abstractions célestifiées et une Russie éclairée par les
jeux de Sotchi, la scène illustre désormais une conjonction
saisissante entre l'histoire christianisée du cerveau simiohumain
et le récit en images évangélisées des évènements historiques
les plus sanglants; mais l'anthropologue moderne dispose-t-il
d'ores et déjà d'un champ d'observation unifié, délimité
et localisé des aventures cérébrales de l'animal dont nous
parlons? Dans ce cas, le pape François et la Russie proposeraient-ils
à la politologie mondiale et à la science historique une
nouvelle plateforme épistémologique de la connaissance universelle
du genre humain.
6 - Le message de Sotchi 
Pour
tenter d' approfondir cette question dans la postérité épistémologique
et méthodologique de Machiavel, il faut commencer par rappeler
qu'une éthique de la politique et de l'histoire se révèle
nécessairement le moteur secret de de l'humanité. Aussi
l'ex-empire des Tsars a-t-il couronné la fête des corps
glorifiés par leur musculature par la fête des marathoniens
de leur soleil. C'est au nom de Tolstoï, de Gogol, de Dostoïevski,
de Tchékhov, de Soljenitsyne, de Chagall de Tchaïkovski,
de Rimski-Korsakov, de Rachmaninov que la Russie de ses
étoiles et de ses œuvres a convié la planète à renouveler
l'alliance de la lumière éphémère des ossatures avec les
flambeaux éternels de l'intelligence russe.
La
Grèce antique n'a pas appelé les Platon, les Sophocle, les
Eschyle à couronner de la tiare d'Homère les corps de ses
athlètes; et ce fut à l'écoute de l'âme de la civilisation
mondiale que les écrivains, les compositeurs et les poètes
de l'âme de l'humanité sont allés triompher dans le stade
à Sotchi. C'est cette Russie-là que la France de la raison
appelle à secourir l'Europe des barbares mécanisés.
Car le Vieux Continent, lui aussi, a longtemps enfanté des
fils mémorables de la lumière du monde. Puisse la nation
de Catherine II et de Pierre le Grand écouter les appels
du génie agonisant de l'Europe - car ce soleil mourant nous
annonce, en retour, que l'heure est propice à un nouvel
élan spirituel et politique de l'ex-empire des tsars sur
la scène internationale.
Je
disais plus haut que la crise ukrainienne changera l'interprétation
de l'histoire du monde, parce qu'il sera impossible aux
Etats-Unis d'entraîner longtemps ses vassaux dans une défense
des idéaux frelatés de la démocratie de Kiev, parce qu'il
sera impossible à une classe ukrainienne aussi corrompue
que la précédente de prendre la tête de la civilisation
de la Liberté, de l'Egalité et de la Justice: il n'y a pas
de lord Byron caché dans les coulisses de la démocratie
planétaire pour chanter les retrouvailles d'une Hellade
de pacotille avec des contrefaçons du mythe de 1789.
7
- La Russie et l'avenir de l'Europe de la pensée
Le
champ d'exercice le plus décisif des exploits de la raison
du monde qu'il appartient à la France et à la Russie de
féconder côte à côte est celui d'une connaissance abyssale
de l'âme cachée de nos deux pays. Savez-vous que la nation
laïque, la nation "incroyante", la nation de Descartes et
des droits universels de l'intelligence rationnelle est
également celle des Bernanos, des Péguy, des Claudel ? Comment
expliquez-vous cette convergence? Se pourrait-il que le
souffle ascensionnel de la France fût précisément celui
d'une mystique orientale dont l'orthodoxie russe se veut
l'héritière?
Dans
ce cas, la "théologie de l'esprit" dont l'Europe et la France
se nourriraient depuis longtemps, mais secrètement, se mettrait
à l'écoute de saint Jérôme, de saint Grégoire de Nysse,
de saint Grégoire de Naziance, de saint Jean Chrysostome.
D'un côté, comment recevrions-nous le message civilisateur
des jeux olympiques d'hiver de Sotchi si nous méconnaissions
la nature de la fête de l'esprit et des corps dont la Russie
a offert le spectacle à un Occident médusé, de l'autre,
la Russie des profondeurs rappelle à une Europe oublieuse
de ses sources orientales que l'Occident de la Renaissance
se fonde tout entier sur la redécouverte des lumières du
Moyen Orient et que nous devons aux hellénistes du XVIe
siècle la traduction en latin des mystiques orientaux que
l'empire romain moribond avait à peine commencé d'entreprendre.
Depuis
lors, nous avons reperdu la mémoire des ascensions de l'intelligence
critique dont les mystiques orientaux présentent le théâtre
aux alpinistes de la vie intérieure de l'humanité. Depuis
vingt-cinq siècles, la philosophie mondiale se demande comment
distinguer clairement la raison, que les Grecs appelaient
également le savoir, de la simple opinion publique, qui
est désordonnée, irraisonnée et flottante. Mais, chez Kant
déjà, la notion utilitaire de raison a fait naufrage dans
le superficiel, tellement l'analyse de la généalogie psychobiologique
des principes qui régissent la logique d'Aristote et la
"raison pure" ont porté la quête du "rationnel" occidental
à la critique des sécrétions tridimensionnelles de la bête
cogitante - celle que les Anciens avaient baptisée l'animal
rationale.
Du
coup, nos premiers anthropologues transcendantaux commencent
de se demander, in petto et dans la postérité de
Nietszche, si la vraie "vie spirituelle", comme on disait,
ne serait pas liée à une ascèse purificatrice de la notion
de raison. Cette symbiose entre les corps et les voix était
à l'œuvre à Sotchi- mais les organisateurs des jeux ne savaient
pas à quel carrefour de cette coalescence mystérieuse le
dieu Kronos leur avait donné rendez-vous - à savoir, le
carrefour où l'âme de la Russie débarquait dans le stade
olympique. Quels sont les ultimes secrets psychiques d'un
évadé de la zoologie que ses chromosomes voudraient rendre
ascensionnel dans l'arène du monde?
Décidément,
les ressorts de l'élévation humaine ne se cachent pas dans
les rouages des dogmes impérieux que professe une théologie
de juristes. Hier encore, le Saint Siège se voulait tout
imprégné d'un esprit doctrinal et césarien. Mais quoi de
plus étranger à la philosophie des Grecs dont l'Orient chrétien
demeure pourtant tout imprégné! Par delà l'esprit de discipline
des armées, le souffle qui inspire l'embryon de raison de
notre espèce n'a jamais été militaire. L'orthodoxie de l'Eglise
russe a hérité du génie irénique de Socrate, et elle en
a fait don à la civilisation mondiale - Gogol, Dostoïevski,
Tolstoï respirent à la même hauteur que Péguy, Bernanos,
Claudel. C'est pourquoi Paris a servi, sans s'en douter
le moins du monde, de caisse de résonance universelle à
la postérité d'une "théologie de l'esprit " inspirée par
des saints étrangers à la hiérarchie des guerriers.
Comment
Cervantès, Swift, Shakespeare, Rabelais, Molière auraient-ils
trouvé leur souffle littéraire dans la fruste théologie
du père de famille des Romains ? C'est aux côtés de Gogol,
de Tolstoï, de Dostoïevski, que la France demande à la Russie
de l'aider à changer le regard du monde sur l'histoire de
l'esprit et de l'âme de l'humanité; et c'est pourquoi, le
26 mars 2014, le pape François, qui a débarqué sur la scène
de la politique internationale par l'exploit d'aider la
Russie à tuer dans l'œuf la guerre de Syrie, a dit au croisé
d'outre-mer d'une Liberté démocratique armée jusqu'aux dents
que la guerre est toujours une défaite du genre humain tout
entier et que la vie spirituelle passe par la compassion
franciscaine.
8 - Le pape François et la Russie 
Qu'est-ce
que la compassion en tant qu'échiquier d'une politologie
mondiale ? On sait qu'à partir de la Réforme de Luther et
de Calvin, la France républicaine se cache à elle-même et
- jusque dans l'enceinte de ses écoles publiques - la criante
évidence que la raison européenne du XVIe siècle a tourné
résolument le dos à Thomas d'Aquin, le juriste de Dieu et
le philosophe aristotélicien. Cela ne peut s'expliquer que
si, de génération en génération, la culture et la pensée
de l'Occident ont pris en secret la direction opposée à
celle d'un empire de conquérants. Tentons d'expliquer cela
à la lumière d'une anthropologie ambitieuse de sonder les
profondeurs psychobiologiques des fuyards du règne animal.
Le pape François est un théologien italien et sud-américain
initié aux secrets de l'ascension intérieure des mystiques
orientaux. Le seul fait qu'il se soit nourri des fruits
de la spiritualité orthodoxe crève les yeux de tous les
connaisseurs de l'histoire des théologies monothéistes.
Mais il se trouve que François d'Assise avait retrouvé d'instinct
l'évangélisme irénique de l'Eglise d'Orient. Qu'est-ce d'autre
d'accorder tous ses droits à l'esprit saint, qu'est-ce d'autre
de faire prendre au "souffle de Dieu" le pas sur une hiérarchie
ecclésiale militarisée par le couple guerrier du Père et
du Fils, qu'est-ce d'autre que d'accorder le premier rang
à l'alliance des poètes et des saints, qu'est-ce d'autre
que d'attirer l'attention des chancelleries du monde entier
sur la souffrance des peuples jetés jour après jour dans
la géhenne d'une histoire ensauvagée, qu'est-ce d'autre
que tout cela, sinon délégitimer le culte pour des idéalités
à la fois abstraites, idolâtres et enragées, qu'est-ce d'autre
que de frapper d'ostracisme les promesses du salut que véhiculent
les mots d'une théologie vaniteuse, qu'est-ce d'autre que
d'en appeler aux saints nourris du mythe symbolique de la
descente de l'esprit saint sur les disciples à la Pentecôte?
La théologie orthodoxe est la fille aînée du mythe de la
caverne, dont la signalétique occupe une place centrale
dans la littérature mondiale. Selon Platon, l'humanité est
demeurée plongée dans les ténèbres de l'ignorance, de l'aveuglement
et de la peur, l'humanité se montre tout entière ficelée
par les jambes et par le cou à un petit banc, l'humanité
ne voit que des ombres défiler sur un petit mur - mais un
soleil brille par delà les ténèbres du monde. Si les prisonniers
de l'antre tentaient de monter vers le soleil et de recevoir
la lumière dans tout son éclat, ils se frapperaient de cécité,
parce qu'il faut un long apprentissage pour regarder la
vérité en face. C'est cela, le message de la spiritualité
grecque, c'est cela, le feu de la France "chrétienne", et
c'est de ce feu-là que le génie commun à notre nation et
à la Russie se veulent les sentinelles et les flambeaux.
C'est
ce que nous examinerons de plus près la semaine prochaine.