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Section Les défis de l'Europe
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Conseils et directives du Département d'Etat américain, du Pentagone et de la CIA

à leurs agents d'influence en France

 

Dans le Monde du 22 mai 2008, M. Jean-Claude Casanova a exprimé la position officielle que prendra ce quotidien concernant la politique que M. Nicolas Sarkozy inaugurera au cours de la présidence française de l'Union européenne et qui visera à replacer notre pays sous commandement militaire américain en temps de paix. Il est largement admis que M. Jean-Claude Casanova est un " agent d'influence " des Etats-Unis . Pour des raisons mystérieuses, il s'ingénie à en légitimer la rumeur. Son exposé est tellement limpide qu'on y lit en filigrane, mais à livre ouvert les instructions des services secrets du Pentagone ; et pourtant, il est d'ores et déjà devenu bien évident que la question du statut des "agents d'influence" français va débarquer dans l'actualité.

MM. Balladur, Hervé de Charette et Giscard d'Estaing ont démontré d'avance que toutes les têtes pensantes de la France politique sont aux aguets, puisque tous trois ont réagi dans le Monde sitôt que M. Nicolas Sarkozy eut proposé que M. Tony Blair fût appelé à la future présidence de l'Europe - ce qui a contraint sur l'heure le chef de l'Etat à y renoncer. Mais une politique toutes griffes dehors ne sera pas intelligible non plus tant que nos pauvres sciences humaines n'auront pas de connaissance anthropologique de l'inconscient religieux des démocraties les plus laïques d'apparence. C'est pourquoi je me suis contenté d'expliciter les rudiments de cette discipline par la voix même de la CIA, dont j'ai copié les instructions à ses agents d'influence en France.

1 - L'oubli des lois de l'histoire

Vous devez garder constamment présent à l'esprit que les Européens ont oublié, non seulement les lois et les leçons de l'histoire des empires, mais les règles élémentaires qui assurent leur expansion , de sorte que la clé de notre puissance est dans le salut que notre prêtrise de la démocratie apporte au monde entier. Nous sommes les officiants, les missionnaires et les apôtres de la religion de la Liberté. N'oubliez jamais que le vrai prodige sur lequel repose notre empire n'est autre que la rechute pour longtemps du Vieux Continent dans l'enfance après trois générations seulement d'accoutumance à notre présence militaire .

2 - Une cécité mystérieuse

Nos armes se trouvent fichées sur le sol de l'Allemagne, où nous avons tissé un réseau de cent quatre vingt dix-huit places fortes armées jusqu'aux dents. Nous disposons de cent trente sept garnisons de la Liberté en Italie , alors qu'il n'existe pas une ombre de menace militaire qui nous permettrait d'alléguer que ce gigantesque quadrillage protègerait l'Europe contre un ennemi en chair et en os. Vous devez comprendre que si, par un miracle de leur foi, nos armées sont devenues aussi invisibles aux yeux des Européens que le roi de Danemark aux yeux de ses courtisans dans un conte célèbre d'Andersen, c'est que notre domination se nourrit de la fascination mystérieuse que le bandeau de leur rédemption exerce sur leur esprit : pour que nous soyons parvenus à faire débarquer notre mythe politique sur la terre, il faut que nous ayons soumis les peuples que nous dominons à la vision infantile du monde que nous leur avons inculquée depuis 1945 et que leur entendement se soit asservi à jamais au regard que notre génie leur a appris à porter sur eux-mêmes .

Mais vous devez prendre également la mesure de la fragilité d'un empire entièrement fondé sur l' imagination. Car le danger soviétique ayant disparu , il nous faut convaincre nos " alliés ", comme nous les appelons, qu'ils sont menacés par un danger tout nouveau et terrible, mais hélas , moins évident aux yeux des ignorants et des aveugles qu'aux nôtres, puisque notre globe oculaire est le seul à voir en chair et en os le démon du Mal marcher de long en large sur la terre entière. Une fois encore, voyez comme la foi démocratique est la clé de la puissance politique et morale de notre empire : si vous ne défendez la sotériologie que nous incarnons, si vous ne traquez le Diable qui court à bride abattue sur les cinq continents, comment leur insuffleriez-vous jamais l'épouvante religieuse qui les rendra fiers de nous servir ?

3 - Une politique hallucinatoire

Vous devez savoir que le règne d'une sophistique politique sur les cerveaux est le même que celui qu'exercent les théologies, qui nous ont appris que leur génie ne songe jamais à mettre en doute l'hypothèse de l'existence d'une divinité bancale par nature, puisque les Français ont déclaré que son existence avait grand besoin de se trouver établie par le sûr effet de leur propre volonté et que le verdict fondateur de leur foi tomberait de leur propre bouche , ce qu'ils ont accompli par la voie d'une proclamation solennelle que leur Napoléon a fait entendre au monde entier. Vous étudierez donc le cerveau simiohumain à l'école de votre scannage psychogénétique des orthodoxies que cet organe s'est mis à sécréter il y a quelques millénaires seulement; car leur civilisation a bâti toute sa réflexion politique sur le postulat originel selon lequel il existerait un créateur et un régisseur du cosmos. Or, notre empire est le premier depuis Charlemagne qui ait réussi à faire débarquer dans la politique mondiale une axiomatique hallucinatoire de ce type. Nous sommes présents en Europe à la fois parce que cela est inscrit dans la nature des choses et parce que telle est la catéchèse latente et informulée à laquelle obéissent les peuples qui nous accordent le titre de sauveurs du monde.

4 - L'habillage messianique d'un empire

Vous veillerez donc en tout premier lieu à ce que notre occupation militaire de l'Europe ne soit jamais présentée en termes militaires, mais toujours sous l'habillage messianique qui permet à notre patrie d'habiter le temple mondial de la vérité.

Pour que la démocratie se présente sous les traits d'une Eglise universelle, il importe que notre existence se fonde sur un paysage séraphique. Le socle biblique sur lequel repose toute notre puissance politique n'est autre que le caractère angélique de notre présence sur cette terre. Sans l'évidence que notre patrie et composée des phalanges démocratique de la Liberté, toute la réflexion des Européens sur le sort auquel leur défaite les condamne n'enfermerait pas d'avance leur Continent dans des présupposés historiques et culturels délivreurs à leurs propres yeux et soustraits par définition à leur examen.

5 - La condition sine qua non de notre puissance

On vient de publier les documents diplomatiques français du premier semestre 1966, qui sont censés expliquer la décision du Général de Gaulle de quitter le gigantesque rassemblement des armées européennes que nous avions réussi à placer sous le sceptre des songes de notre démocratie dix-sept ans auparavant. Malgré le grave revers que cette défection historique nous a infligé, notre espoir n'a pas été déçu de maintenir le reste de l'Europe sous notre commandement, tellement un peuple occupé par une armée étrangère n'est pas libre de ses mouvements et n'a pas de politique étrangère qui lui soit propre.

Non seulement nous n'avons pas perdu une seule garnison, mais nous les avons renforcées. Depuis quarante neuf ans, la France tente en vain de convaincre le reste de l'Europe de suivre son exemple . Aussi, devez-vous défendre de toutes vos forces les plans et la stratégie de notre principal agent d'influence en France , qui n'est autre que le nouveau chef de votre Etat en personne, M. Nicolas Sarkozy, lequel entend replacer son pays sous notre sceptre aussi bien en temps de guerre qu'en temps de paix - car cette jonction est évidemment la condition sine qua non de notre règne.

M. Nicolas Sarkozy sait que le pouvoir ne se partage pas. Aussi a-t-il refusé que son parti se donnât un chef et que M. Fillon prétendît diriger la France à ses côtés . Comment se fait-il qu'il s'imagine maintenant que nous partagerions notre sceptre avec lui en Europe ? Comment se fait-il que le Général de Gaulle ne nous ait pas gentiment demandé la permission de nous faire partir ? A-t-on jamais vu un Etat autoriser ses vassaux à le quitter ? Pour expliquer ce phénomène, vous devez savoir que le simianthrope est un animal dichotomisé par un encéphale qui le scinde entre le réel et le songe et que ses rêves sont immunitaires en ce qu'ils le protègent de la solitude dont son dialogue sans témoins avec le cosmos lui inflige la souffrance. M. Nicolas Sarkozy reçoit l'Amérique dans son esprit comme une armure intouchable, le berceau originel de sa conscience, son sacré naturel. C'est cette cuirasse psychique et mentale de toute l'Europe que le Général de Gaulle a brisée à reforger la virilité d'une civilisation à l'école d'une massue, la bombe atomique de la souveraineté.

Vous commencerez donc par insinuer que, dès l'origine, la décision de l'homme du 18 juin de nous demander de retourner sur nos terres aurait été ambiguë et que ses successeurs l'auraient peu à peu vidée du contenu politique qu'elle rêvait de se donner pour n'en conserver qu'un l'habillage matamoresque, celui qui répond à l'esprit de bravade et de parade du peuple le plus ridiculement théâtral que l'histoire ait jamais enfanté . Pour cela, nos spécialistes de votre langue nous ont conseillé de choisir le terme de " posture " . Nous vous demandons de l'adopter et de l'asséner en toutes circonstances.

6 - Ne parlez pas de galons et de képis

L'emploi constant de ce vocabulaire suggestif vous permettra d' éviter soigneusement de distinguer , ne serait-ce que par mégarde, une alliance entre Etats souverains et la subordination militaire perpétuelle et statutaire des peuples de l'Europe que nous avons " intégrés ", comme nous disons à notre commandement il y a cinquante neuf ans déjà. Ne parlez jamais de galons ou de képis . Souvenez-vous toujours de ce que notre règne est onirique, donc vaporeux par définition et que nous le faisons entièrement reposer sur des idéalités sacralisées et suspendues dans les airs. Nous n'en ferons pour longtemps les dirigeants des affaires du monde que si notre langage les maintient en altitude dans l'atmosphère.

7 - La livrée du vocabulaire

L'appellation de " commandement militaire intégré " vous aidera grandement à cacher notre domination sous un sceptre consensuel en apparence et censé avoir été librement accepté par les subordonnés à notre verbe. La vraie livrée des vassaux est celle du vocabulaire que leur maître leur a vendu . Encore une fois, n'oubliez jamais que nous sommes les maîtres du discours que tient la démocratie mondiale d'aujourd'hui . Nous avons porté le sceptre des mots-clés de l'histoire du XXè siècle . A vous d'en faire hériter le XXIè .

8 - On ne coupe pas en deux la poire de l'apocalypse

Vous serez aidés dans le camouflage de notre puissance par le Général de Gaulle lui-même , parce qu'en son temps, tous les empires du monde étaient à ce point disqualifiés par l'emprise que l'aurore de notre religion de la Liberté exerçait en retour sur notre propre expansion impériale qu'il était impossible à l'Europe des vaincus de s'opposer à nos ambitions de délivreurs de la tyrannie. Aussi le vieux guerrier de 1958 se trouvait-il contraint de limiter son argumentation à trois allégations crépusculaires et qui lui interdisaient d'avance d'aller au fond des choses : primo, disait-il, le régime communiste, dont la menace militaire avait paru suffisamment crédible pour assurer l'ascension de notre soleil dans le ciel du Vieux Continent, cet épouvantail, à l'entendre , avait perdu de sa force, secundo, l'Europe pourrait se trouver aspirée à son corps défendant dans notre sillage et entraînée à s'engager dans une troisième guerre mondiale à nos côtés, tertio, le dragon saint Michel de l'arme nucléaire française ne pouvait se trouver placé ni entre les mains d'une puissance étrangère qui en userait à son gré, ni même équitablement partagée avec notre propre foudre : on ne coupe pas en deux la poire de l'apocalypse.

Mais le Général de Gaulle savait fort bien que l'arme nucléaire est mythologique. Il n'ignorait en rien que le singe nu n'attaquera pas un congénère aussi exterminateur que le justicier du Déluge et que deux singes nus rendus génocidaires à l'école de leur créateur n'auraient pas la sottise de se donner rendez-vous pour se faire sauter ensemble la cervelle. Mais son époque a mis le Général de Gaulle dans la nécessité de garder secrète cette gigantesque évidence, ce qui l'a conduit à nous faire le cadeau de valider derechef un mythe des fins dernières que nous avions imprudemment fatigué à Hiroshima et à Nagasaki. C'est grâce à lui que, depuis un demi siècle nous tenons au bout de notre laisse un monde domestiqué par une version mécanique de l'excommunication majeure .

C'est encore grâce à lui que nous avons pu remplacer in extremis l'épouvante devant le diable, qui commençait de faire long feu, par l'épouvante devant notre dernier rejeton du mythe du Déluge, la Perse. Mais nous nous trouvons à un tournant dangereux, celui où le mythe nucléaire est sur le point de nous fausser définitivement compagnie et de nous condamner à la mendicité au bord du chemin, parce que nous ne pourrons soutenir longtemps encore que le neuvième propriétaire des empires infernaux serait à lui seul plus redoutable que ses huit prédécesseurss réunis . Vous devrez donc revenir au Diable, qui en a vu d'autres , le pauvre, et ne plus le lâcher d'une semelle , parce qu'il nous a donné des preuves de la longévité de ses chaussures autrement plus fiables que le ridicule pétard du nucléaire , dont tout le monde sait qu'il a fait son temps .

9 - Le langage cru de la politique

Il vous faudra donc conduire le double attelage de la politique moderne. D'un côté , le singe savant garde les pieds sur terre, de l'autre, il élève dans les nues des masques verbaux qu'il charge de le rendre redoutable . C'est sur ce modèle que vous démontrerez combien votre éthique universelle est en droit d'exiger de tous les peuples et de toutes les nations de se placer physiquement sous notre commandement et de se convertir à notre apostolat de guerriers de la délivrance de l'univers . Vous devez apprendre à regarder l'humanité de l'extérieur. Une véritable anthropologie n'observe pas le cerveau de l'animal qu'elle étudie du point de vue de Sirius, mais d'un laboratoire dont nos think tanks ont découvert le recul. On ne se distancie pas de la boîte osseuse du chimpanzé vocalisé comme le bistouri de la médecine expérimentale de Claude Bernard dissèque un foie ou un estomac : la masse encéphalique du simianthrope est un organe onirique auquel notre politique sert de laboratoire à l'échelle de la planète.

10 - La légitimation de la force par le mythe et du mythe par la force

Encore une fois, dites-vous sans cesse et inlassablement que ce sera seulement dans le laboratoire de la piété démocratique mondiale dont nous sommes tout ensemble les apôtres et les légions que vous ferez utilement remarquer à nos adversaires combien l'équilibre actuel des forces dans le cosmos sacralise à nouveau notre sotériologie biphasée et redonne tout leur poids aux armes bipolaires dont dispose notre religion de la liberté. Vous devez vous répéter sans relâche que la légitimation réciproque de la force par le mythe et du mythe par la force est le fondement psychogénétique de la présentation évangélique de notre expansion . L'ambition de Dieu à son aurore n'était-elle pas fondée, elle aussi, sur son omnipotence et son omnipotence sur son omniprésence ? A l'instar du créateur dichotomisé que nous nous sommes donné, c'est parce que nous sommes là que nous le sommes par la force du droit et de la loi. Si nous n'étions pas les forgerons de l'espérance politique et militaire d'un monde bifide, nous n'empoignerions l'histoire qu'à la nuit tombée, et il serait trop tard.

11 - L'administration générale du mythe

Réintroduisez subrepticement, mais avec ténacité, le temporel dans l'administration générale du mythe ; écrivez, par exemple, que l'édification de l'Union européenne entraîne nécessairement des abandons de souveraineté entre des Etats autrefois solitaires et altiers et que nous sommes donc pleinement légitimés à les entraîner à notre suite, tant en raison de leur affaiblissement dans le monde qu'en raison de l'amaigrissement continu de leurs relations entre eux, qui se trouvent amoindries au point qu'elles ne sont renforcées que par la fiction de leur rassemblement rachitique Faites entrer le ciel et la terre par la grande et par la petite porte tour à tour , veillez à guider cet attelage frileux avec art et prudence, faites alterner les promesses des nations et celles du grand large de manière à faire claudiquer l'Europe entre ses territoires et ses nostalgies. N'oubliez pas qu'à l'instar de toutes les civilisations, celle de Christophe Colomb et de Copernic a un pied dans les nues et que nous sommes les fournisseurs de son jambage céleste à toute la terre.

12 - Notre pureté de sauveurs du monde

Un point particulièrement névralgique de votre mission sera de légitimer les malheureux Etats du Vieux Monde qui ont osé refuser de participer à notre seconde croisade par la libération terrestre de l'Irak et qui invoquent maintenant le prétexte fallacieux, que, malgré toute notre fierté et tout notre courage, nous y avons embourbé nos étoiles depuis près de six ans. La faiblesse de leur foi leur fait parfois contester tout ensemble la légitimité de notre croisade et ses résultats militaires, qu'ils jugent piteux. La scissions cérébrale qui les frappe est une grande hérésie : la sainteté d'une croyance n'est pas réfutée par les obstacles passagers qu'elle rencontre sur cette terre et qui ne sauraient ni maculer sa vêture , ni compromettre son destin sidéral. Nous sommes allés délivrer un peuple du tyran qui l'opprimait , et maintenant , les mécréants mettent en doute notre pureté de sauveurs du monde .

13 - Les relaps et renégats de la démocratie

Voici nos directives sur ce point important : primo, vous écrirez que la guerre d'Afghanistan a été pleinement et saintement acceptée par tous nos serviteurs, ce qui suffit à démontrer non seulement qu'il s'agit d'une expédition de nos fidèles glorieusement rassemblés sous notre bannière, mais que les difficultés qui s'opposent à son achèvement ne peuvent que l'ennoblir, à moins que nos adversaires prennent place sur le banc d'infamie des apostats; secundo, vous écrirez que cette guerre n'était ni programmée, ni catéchisée par un traité en bonne et due forme avec nos vassaux et n'engageait donc pas formellement la vocation messianique de l'OTAN ; tertio, vous déplorerez, en revanche, que le refus inexpiable de la France et de l'Allemagne de participer avec vaillance et fidélité à notre croisade pour le triomphe du Droit et de la Justice dans le monde aura revivifié un instant le vain théâtre du gaullisme, que vous veillerez toujours, je vous le rappelle, à qualifier d'artifice maléfique .

14 - Notre religion des droits de l'homme

Voici nos directives de gestion de notre politique mondiale des droits de l'homme .

Autrefois, nous ne pouvions combattre la torture ou la tyrannie sur le globe terrestre tout entier, parce que ces deux calamités se trouvaient validées par une théologie selon laquelle " tout pouvoir vient de Dieu ". En élevant une éthique au rang d'un devoir absolu et universel et en plaçant la politique sous ce joug, ne craignez pas de vous présenter en défenseurs résolus et impavides de cet évangile et de le proclamer impératif , parce qu'il n'y a aucun danger qu'un chef d'Etat vienne jamais nous demander de respecter les droits de l'homme sur notre territoire ou sur le territoire de nos amis. Les lois de l'histoire enseignent que seules sont qualifiées d'hérétiques les violations des droits de l'homme dont les ennemis des puissants se rendent coupables , de sorte que vous ne rencontrerez aucun obstacle sérieux à vous montrer orthodoxes , donc planétaires , à l'égard des faibles .

15 - Les dialecticiens de la servitude

Un bon agent d'influence doit se vêtir en arbitre. Pour cela, il lui faut donner à ses interlocuteurs l'illusion qu'il leur fournit des gages sérieux de l'impartialité de son arbitrage, et d'abord celui de sembler sans autre parti-pris que celui de défendre les valeurs supérieures de la démocratie contre des adversaires retors et sans scrupules. Influencer n'est pas cambrioler à la manière d'un espion qui dérobe les documents qu'il rapportera à l'Etat qui l'emploie ou d'un homme de main armé pour voler et tuer. Il vous appartient seulement d'user d'un certain art de donner le change, il s'agit seulement que vous mettiez au service de l'Amérique une pratique toute nouvelles et insinuante de la sophistique, celle de raisonner à la manière des logiciens impérieux et impavides des Grecs, dont tout le génie de la dialectique visait à escamoter une prémisse de leurs démonstrations sans que l'adversaire s'en aperçût . Je vous renvoie sur ce point au chapitre III du guide secret de l'agent d'influence qui a servi de bréviaire à votre formation.

16 - L'impopularité immérité d'un échec

Dans le cas présent, vous vous appliquerez à occulter les véritables raisons de la guerre d'Irak. Pour cela, vous regretterez à grands cris que l' impopularité imméritée et passagère de cette croisade soit due à des revers de nos armes qui auront pu affaiblir un instant la foi du monde en la grandeur de notre mission. Ici encore, vous vous souviendrez des enseignements de l'histoire des théologies, qui ont toujours su garder immaculé leur missel d'apôtres du salut du monde chaque fois qu'elles se sont trouvées contraintes de combattre une hérésie évidente par le fer et le feu de leur foi.

17 - La promotion de leurs livrées

Vous direz aux Français qu'ils seront appelés à participer de nouveau et avec ardeur aux expéditions punitives de l'Otan; et vous leur rappellerez que, depuis 1966, ils ne se sont jamais dérobés à leurs vrais devoirs, mais qu'il est bien regrettable, pour leur gloire, de se trouver écartés du commandement militaire que nous qualifions " d'intégré " , ainsi que du comité des plans et de celui du nucléaire. Naturellement, vous cacherez à vos compatriotes que leur participation isolée et occasionnelle à une opération militaire ne les a jamais subordonnés à l'OTAN et vous vous attacherez à les convaincre qu'ils deviendront plus influents et plus puissants s'ils se trouvent placés sous les ordres de nos généraux les plus prestigieux . Vous devez les persuader de ce que leur rang politique actuel est vain et frelaté et de ce que leur indépendance apparente n'éblouit qu'eux-mêmes , mais que l'éclat nobiliaire de leur fausse souveraineté présente l'inconvénient d' indisposer nos " alliés " à leur égard.

18 - Les rubans de la servitude

Vous écrirez dans Le Monde et ailleurs que la disproportion des forces militaires est grande entre l'Europe et nous ; puis vous leur direz que nous autorisons l'Europe à devenir à son tour une puissance politique et militaire angélique et même à s'asseoir à notre droite, mais à titre d'auxiliaire de notre trône du monde, donc couverts des rubans de nos évangiles. Il vous appartient de soutenir que notre tâche de porteurs harassés du fardeau de la puissance mondiale est séraphique et que nous serions heureux d'en déposer le poids sur des épaules plus robustes que les nôtres . Mais comment , ajouterez-vous, nous déroberions-nous au devoir accablant que Dieu et l'histoire nous appellent à accomplir avec toute l'humilité et le désintéressement des missionnaires et des apôtres de la Liberté ? Puis vous réintroduirez le temporel par une porte dérobée, comme il est explicité plus haut : vous écrirez que l'Europe deviendra plus puissante si elle cesse de se diviser entre nos sujets les plus obéissants et les insoumis qui voudraient profiter de nos déboires pour relever la tête .

19 - Le réapprentissage des lois de l'histoire

Cette dialectique sera la plus difficile à faire avaler à leur servitude ; car vous devrez convaincre des citoyens français rendus sceptique depuis plus de deux siècles à l'école de Voltaire que l'abandon de leur forfanterie répondra aux véritables intérêts d'une nation née moqueuse et surtout, qu'à peine placés à nouveau sous nos ordres, il leur appartiendra de convaincre nos serviteurs européens vieillis sous le harnais de leur détermination nouvelle et désormais inébranlable à partager leur joug et leur livrée.

Il vous faudra donc promettre aux uns et aux autres que notre loyauté définitive à leur égard leur garantira la reconquête de leur indépendance perpétuelle et leurs retrouvailles éternelles avec leur puissance politique d'autrefois. Ils doivent s'imaginer qu'une Europe qu'ils croiront redevenue puissante de nous servir fidèlement le serait effectivement sur la scène du monde séraphique dont nous partagerons la tiare avec eux . Ils doivent donc s'imaginer que M. Nicolas Sarkozy serait plus gaulliste que de Gaulle s'il substituait notre management de leur destin à celui du Général ; ils doivent s'imaginer que leur Président serait courageux de quitter loyalement les faux-semblants que vous appellerez toujours une " posture ", comme nous vous l'avons rappelé par trois fois, parce que toute notre puissance repose sur leur refus de faire le réapprentissage des lois qui régissent l'histoire des empires. C'est cela, la mort des civilisations.

20 - La souveraineté est un danger

Nos directives concernant votre combat à nos côtés jusqu'à la victoire complète de notre politique sont plus claires et plus fermes que jamais à l'heure où le Kremlin vient frapper à la porte de l'Europe et décide de se présenter, sinon en pénitent, du moins en quémandeur.

Sitôt que M. Poutine eut pris le pouvoir à Moscou , MM. Chirac et de Villepin ont consacré plusieurs mois d'efforts intenses à tenter d'arrimer la Russie à l'Europe pour longtemps. Il s'agissait de constituer deux civilisations à vocation planétaire en un pôle mondial capable de nous faire perdre à jamais le sceptre de notre hégémonie militaire et diplomatique ; mais, voyant que le Quai d'Orsay prenait la juste mesure de l'immensité de la menace de nous mettre hors la loi à la suie de notre invasion illégale de l'Irak, le Kremlin a fait la sourde oreille et s'est cru suffisamment en position de force pour nous proposer une mise sous protectorat commun de l'Europe. Nous n'avons pas su saisir cette occasion ; et aujourd'hui, M. Poutine demande à l'Europe qu'elle lui accorde ce qu'il lui a refusé il y a six ans .

Dans ce contexte, encouragez Paris à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et continuez de soutenir notre marche vers l'Ukraine et la Géorgie ; mais, dans le même temps, veillez à ne pas combattre trop ouvertement un arrimage de la Russie à l'Europe. Car si nous gardons fermement le Vieux Continent sous notre commandement militaire, jamais il ne s'unira, jamais il ne se rouvrira sur le grand large, de sorte que l'accroissement de la puissance russe nous donnera l'occasion de lui proposer à notre tour un condominium.

L'essentiel, pour vous, demeure de vous armer d'une vision claire du déclin fatal du Vieux Monde . Seule l'alliance de la lucidité avec la peur allume le courage et la volonté des Etats d'exercer pleinement leur souveraineté . Nous tuerons l'Europe à la protéger de la peur qui la réveillerait et elle tombera comme un fruit mûr.

21 - Votre apothéose

Vous n'êtes pas des agents politiques ordinaires, mais des prophètes dont l'initiation aux secrets de l'histoire a fait de vous la clé de voûte de l'avenir de l'âme et de la raison du monde. Nous vous avons beaucoup appris , mais il vous reste beaucoup à apprendre. Car, jusqu'à présent, les peuples vaincus étaient réduits au rang de figurants . Ils avaient le choix de faire tapisserie ou de quitter la scène. Seule Sparte a refusé de se fondre dans l'empire romain, ce qui l'a réduite au rang d'un village sur les bords de l'Eurotas. Mais votre tâche est de répondre à une situation culturelle bien différente : les Romains s'appuyaient sur les glaives de leurs légions ; alors que nous n'avons d'autre armure que celle des évangélisateurs du destin du monde dont nous avons bâti le séminaire dans les imaginations. Nos bases militaires ne sont que les emblèmes de la soumission des peuples à notre pédagogie. Si les Européens nous demandaient de partir, nous n'aurions d'autre ressource que de plier bagage.

L'histoire nous a appris que le fabuleux et le fantastique sont des éducateurs périssables. L'utopie marxiste est tombée en poussière en quelques instants. Nous sommes à la même enseigne que la cité idéale de Karl Marx ou L'île d'Utopie de Thomas More : comme eux, nous n'existons qu'à rendre redoutables dans les imaginations la forteresse de la Liberté que nous avons bardée de canons dans leur tête. De ce mythe, vous êtes à la fois les moines et les sentinelles. C'est dire que vous êtes le moteur secret de notre future domination du monde; c'est dire que, sans le nouvel ordre des Jésuites que vous incarnez , notre règne s'effondrerait d'un seul coup . Vous êtes là pour achever de conduire l'Europe au sépulcre, mais pour son salut, parce que l'heure a sonné, pour l'Amérique, de prendre la relève de tous les empires que l'histoire a vu défiler sous leurs yeux.

Votre cause est grande et noble : vous êtes les agents d'influence de la mutation du monde, les opérateurs de la migration de l'humanité du passé au futur. Vos gages sont modestes. Vous êtes trop nombreux pour que nos prébendes remplissent vos escarcelles ; mais souvenez-vous de la sainteté de Judas, dont la trahison était nécessaire au triomphe de son maître .

2 juin 2008