Ce 13 novembre,
je n'ai que quelques lignes à ajouter au résumé que
je rediffuse ci-dessous mon analyse du 29 octobre de
l'avenir civilisateur commun de l'Europe de l'Atlantique
à l'Oural que prophétisait le Général de Gaulle.
Rappel
Le 23
octobre, M. Vladimir Poutine s'est enfin décidé à introduire,
avec le courage et la loyauté requises, les termes de
vassal et de vassalité dans le vocabulaire
des relations diplomatiques courantes entre les Etats
auto proclamés démocratiques. Cette initiative visait
évidemment l'ordre signifié avec rudesse par Washington
aux plus vieilles et aux plus respectables nations de
la civilisation européenne - d'édicter précipitamment
des sanctions industrielles et commerciales à l'égard
de la Russie, et cela sans qu'il fût permis aux descendants
de Copernic de contester des dispositions aussi unilatérales
que contraires à leurs intérêts économiques et diplomatiques
les plus évidents.
(...)
Le 13 novembre, j'esquisserai l'avenir
cérébral, donc réflexif, d'une Europe qui s'étendrait,
comme disait le Général de Gaulle, de l'Atlantique à
l'Oural.
La rencontre
du Président de la République populaire de Chine, M.
Xi Jinping, avec le Président taïwanais, M. Ma Ying-jeou,
a définitivement délégitimé l'expansion de l'empire
américain sous le sceptre et le drapeau conjugués d'un
mythe mondial de la Liberté politique fondé sur l'apologie
de la domination classique des mers. Les deux dirigeants
ont fondé l'avenir civilisateur du genre humain sur
un nationalisme, donc sur un patriotisme qui tracera
un chemin nouveau de la civilisation mondiale vers l'universalité
de ses valeurs fondatrices.
1 - Entre une satellisation fatale et
un salut problématique
2 - L'alliance du rire avec la mort
3 - La déliquescence de la souveraineté
de la France
4 - Les étapes de la descente à l'abîme
de l'Europe
1
- Entre une satellisation fatale et un salut problématique

Il nous faut apprendre à peser la pieuvre qui s'appelle
la vassalité d'une nation; et, pour cela, situer
ses tentacules dans le contexte géopolitique de l'asservissement
continu de l'Europe depuis 1945. Engageons-nous donc sur
le chemin qui nous donnera une idée claire de la stratégie
de la Russie face à l'Europe asservie. Car Moscou se trouve
placée par les circonstances, mais pour longtemps, au cœur
de l'histoire réelle de la planète d'aujourd'hui et de demain.
D'où
elle se trouve placée, la Russie voit clair comme le jour
l'impossibilité, tant mentale que physique dans laquelle
se débat l'Europe des vassaux de l'OTAN de jamais se donner
l'unité politique et la volonté collective qui seules conduiraient
le Vieux Continent à se bâtir un destin politique digne
de ce nom. Quand bien même le génie d'un rassembleur de
haut lignage tenterait de tracer le chemin de la grandeur
retrouvée des descendants de Copernic, jamais Berlin, Paris,
Rome et Madrid ne se rallieraient à son panache blanc, et
cela tout simplement parce qu'on ne peut "unifier" des nations
dissemblables par leur étendue, leur langue, leur culture
et leur religion.
Il est donc aveuglant d'évidence aux yeux de la nation héritière
des tsars que les troupes américaines s'implanteront pour
longtemps encore sur tout le territoire de l'Europe et qu'on
n'assistera jamais à un puissant élan patriotique qui soulèverait
un conglomérat de démocraties amollies, hétéroclites et
tombées en léthargie. Comment chasserait-on les armes à
la main un occupant miraculé par le mythe de la Liberté,
comment dissoudrait-on l'OTAN et son corollaire, le traité
de Lisbonne, comment mettrait-on un terme à la volonté de
Washington de parachever sa suprématie par un accord de
"libre échange" avec l'Europe, afin de sceller la victoire
du lion sur un troupeau de moutons?
Mais
il est également évident que la vassalisation par étapes
de l'Europe trouvera un terme par l'effet d'un miracle politique
prévisible, et cela par la volonté d'une seule puissance
résolument libératrice, laquelle ne saurait être autre qu'une
Russie alliée à la Chine, à l'Inde, à l'Afrique et à l'Amérique
du Sud. Il existe des prodiges dont la pâte monte au four
de la mort.
Telle est la vision irréfutable de l'avenir qui inspire
Vladimir Poutine et qui lui a fait donner aux jeux de Sotchi
l'axe central d'une ambition nouvelle de la géopolitique,
celle de tracer les chemins d'une fécondation parallèle
de la culture occidentale et de la culture russe.
2 - L'alliance du rire avec la mort 
Ce n'est pas le lieu d'esquisser, même dans ses grandes
lignes, l'avenir politique, intellectuel et culturel confondus
dont rêvait le Général de Gaulle quand il prophétisait l'extension
de l'Europe de l'Atlantique à l'Oural. Je dirai seulement
que le génie littéraire de l'Europe s'est réveillé à l'école
d'une alliance originelle du rire avec le tragique et du
sarcasme avec le sang. Aristophane, chez les Grecs, Plaute
et Térence chez les Romains ont illustré le pacte inaugural
du génie comique avec le génie du tragique. Puis l'Occident
chrétien, plus guerrier et pragmatique que l'Orient, a interprété
du mythe de la Trinité dans un sens batailleur et conquérant:
Jésus conduirait la bataille de la foi par l'association
du glaive avec la loi - Dieu en était réduit à fulminer
et à tonitruer dans les coulisses - sinon il se trouvait
réduit à offrir aux fidèles les friandises du paradis d'une
main et les tortures infernales de l'autre.
C'est ainsi que l'alliance du rire avec les charniers a
été scellée en France par un Rabelais et un Molière, en
Espagne par un Cervantès, en Angleterre par un Jonathan
Swift, tandis que l'Orient n'a pas connu un seul auteur
comique dont l'audience serait universelle. Aussi Antioche
a-t-elle construit tout le christianisme sur le troisième
acteur de la Trinité, le Saint Esprit. Il a fallu, pour
cela, faire descendre la vérité du haut du ciel et sur le
modèle bénédictionnel et pacificateur de la plongée de cette
"personne" sur les disciples réunis à la Pentecôte. Tous
les saints orientaux sont des individus ascensionnels et
des solitaires de leur élévation intérieure, tous les grands
écrivains russes, de Tolstoï à Dostoïevski, de Pouchkine
à Gogol, de Soljenitsyne à Pasternak sont marqués du sceau
de la grâce descendant sur des bénéficiaires passifs.
L'alliance
du génie contemplatif de l'Orient avec celui d'un Occident
peu enclin à la méditation permettra aux pentecôtistes de
l'histoire du monde de se donner un regard plus acéré sur
le temps de la politique et de la guerre et conduira le
génie disputeur et batailleur de l'Occident à s'initier
aux richesses des grands mystiques de la littérature russe,
tandis que, de son côté, l'Orient nous aidera à lire don
Quichotte et les aventures de Gulliver d'un œil rieur -
car le rire est un théâtre de la lucidité, du sanglant et
de la mort.
Le XVIIIe siècle français a fait gagner trois siècles à
l'esprit rationaliste assoupi de la Russie des icônes, mais
seule une maigre élite s'était initiée au rire et au tragique
confondus du Candide de Voltaire. Puis, le
marxisme a fait replonger le monde entier dans une eschatologie
calquée sur l'évangélisme du premier siècle chrétien et
sur l'utopie para-religieuse d'un avènement du royaume de
Dieu sur une terre guérie de l'instinct de propriété. Mais
cette rechute dans les béatitudes de l'utopie n'a freiné
en rien l'élan scientifique et rationaliste de la Russie
- la période soviétique est à l'origine des satellites et
l'actuelle avance des armes modernes de la Russie sur celles
du reste du monde entier est une conséquence imprévue du
"rationalisme mystique" des marxistes.
En
Europe, la science historique devra inaugurer une approche
anthropologique de la géopolitique, alors qu'il manque encore
à la Russie d'user de la dimension acerbe et ironique de
la pensée rationnelle depuis Aristophane ou Pétrone - alliance
qui ne remonte chez nous qu'aux racines renacentistes de
la pensée scientifique retrouvée. Si l'Europe n'approfondissait
pas la connaissance du genre humain à la lumière même de
sa décadence, la civilisation mondiale cessera de progresser
dans la connaissance des ultimes secrets de la bête humaine,
alors que seule la reconquête de l'avance intellectuelle
de ce continent sur les autres parties du monde lui redonnera
le souffle et l'élan d'une civilisation de l'intelligence.
3
- La déliquescence de la souveraineté de la France 
Tel
est le vrai contexte dans lequel il convient de situer la
piteuse déliquescence de la souveraineté de la France dont
témoigne une diplomatie du renoncement de livrer les Mistral
à Moscou. Sans le recours à l'instinct de conservation des
nations qu'exprime désormais un patriotisme nouveau, jamais
notre civilisation ne reconquerra l'assise d'une autonomie
identitaire sur laquelle construire le destin de la pensée
critique et de la raison décapante. Et si l'on ne situait
pas d'ores et déjà le naufrage de la souveraineté de la
France dans une optique anthropologique, l'Europe tarira
la source vive d'un destin.
Aussi
un gouvernement français qui n'aura pas de vision de l'avenir
culturel et scientifique de la Russie ne disposera-t-il
en rien du champ d'interprétation qu'appelle l'affaire des
Mistral, qui ne s'éclaire que dans la perspective planétaire
de la vassalisation rampante du Vieux Monde.
Par
bonheur, déjà la Russie des humanistes pointe du doigt la
barbarie des Danois qui ont fait décapiter une girafe et
dépecer un lion devant des enfants en bas âge afin de les
initier tout petits à la cruauté; déjà une France politiquement
et moralement abaissée a oublié que caricaturer des victimes
au nom d'une pseudo "liberté d'expression" est une
ignominie impardonnable. Où sont les Daumier, les Granville
ou les Gustave Doré d'aujourd'hui? Ces immenses artistes
savaient que la satire est un art difficile qui ne peut
s'exercer qu'à l'égard des puissants. Le talent véritable
exclut la vulgarité ou la bassesse. C'est pourquoi l'humanisme
des héritiers de Tolstoï et de Dostoïevski prend la tête
de la civilisation nouvelle de l'alliance des têtes avec
les cœurs.
4 - Les étapes de la descente à l'abîme
de l'Europe 
Comment l'Europe en est-elle venue pas à pas au degré extrême
de satellisation de sa politique étrangère, puis de vassalisation
affichée dont elle présente désormais le spectacle au monde
entier - et que le Président Poutine a pu dénoncer officiellement
en termes les plus crus sans que cela fasse ciller un seul
dirigeant européen et sans que la presse de ces pays en
pipe mot? Pour le comprendre, il faut rappeler brièvement
les sentiers et les chemins de la descente à l'abîme du
continent de la révolution copernicienne qui a enfanté la
l'astronomie moderne.
En
1945, le retrait des troupes américaines du champ de bataille
européen semblait inscrit dans les lois communes de l'histoire
classique. Seul le plan Marshall était porteur d'un assujettissement
économique d'un type nouveau et d'un asservissement militaire
durable - et ni l'une, ni l'autre de ces menaces ne paraissaient
inévitables. Mais en 1949, l'expansion militaire du messianisme
économique des marxistes, encore bardé des bastions dogmatiques
d'une orthodoxie parareligieuse, avait rendu vraisemblable
la folie d'une invasion pure et simple de l'armée soviétique,
dont les tanks auraient occupé un continent européen subjugué
par la mystique montante et l'évangélisme envahisseur d'une
classe ouvrière aveuglément convertie, croyait-on, à la
nouvelle religion du salut par la révolution. C'est la guerre
froide qui a permis à l'empire américain d'installer dans
toute l'Europe des bases militaires dotées de l'arme nucléaire
et dont la puissance dissuasive devait mettre un terme aux
ambitions conquérantes d'un nouveau Tamerlan ou d'un nouveau
Gingis Khan.
Puis
l'exploit passager d'un nouveau Vercingétorix - ce héros
qui parvint à libérer la Gaule de l'assaut universel que
préparait l'empire "démocratique" américain - n'a réussi
qu'à renforcer l'expansion des bases militaires nucléarisées
sur le territoire de tout le reste du Vieux Monde. Des accords
bilatéraux ont été conclus entre Washington et les futurs
vassaux de l'OTAN dont le premier paragraphe soulignait
pour la forme, la souveraineté toute verbale des pays quadrillés
par l'occupant. Si vous observez la loupe à l'œil le dispositif
d'implantation et de sécurisation de ces forteresses étrangères
sur tout le territoire du Continent de la raison, vous remarquerez
qu'en réalité, les territoires militarisés au profit de
l'empire américain se trouvent subrepticement, mais effectivement
élevés au rang de l'ex-territorialité dont bénéficient les
ambassades, donc livrés à la dépossession pure et simple
du territoire national concerné : il y a transfert de biens
à un propriétaire étranger définitivement substitué au propriétaire
originel.
C'est
ici que le mythe d'une Liberté démocratique de type
apostolique et eschatologique a permis à l'Amérique d'opérer
une percée parareligieuse mémorable et sans exemple dans
les annales des nations: la Russie le sait et le comprend
mieux que personne, puisqu'elle fut non seulement le complice,
mais le véritable maître d'œuvre de cette catastrophe diplomatique.
Car ni la culture politique, ni l'inconscient religieux
de l'orthodoxie ne pouvaient transformer le Pacte de Varsovie
en un conglomérat de vassaux à la fois proclamés libres
et souverains, et qui placeraient les armées nationales
des "pays frères" sous le commandement d'un général
russe acclamé comme un apôtre libérateur. Dans le même temps,
la culture para-chrétienne de l'Occident a permis à l'état-major
américain de prendre le commandement solitaire des armées
des pays vassalisés. La croix et la bannière d'une souveraineté
non seulement censée conservée mais pleinement accomplies
se trouvaient placées sous l'aile de la grâce démocratique
par un prodige théologique au sein de la géopolitique.
Vladimir
Poutine a récemment déploré l'erreur capitale que fut le
traité de Varsovie: la Russie continue à en payer les conséquences,
dit-il, et au prix le plus lourd. Mais il a oublié de démontrer
que la messianisation démocratique du monde par le biais
de l'OTAN joue de nos jours encore le rôle de levier mythologique
principal de l'empire américain: quand M. Barack Obama décide
de rester en Afghanistan, M. Steinmeier, ministre des affaires
étrangères d'Allemagne souligne aussitôt qu'une décision
aussi judicieuse engage, en réalité tous les pays de l'OTAN,
de la Turquie au Canada, de la France à la Grèce, de l'Allemagne
à l'Angleterre. Comment sortir de l'épopée universelle,
donc titanesque et grandiose, du chef des apôtres de la
Liberté du genre humain sur cette planète.
Mais
jamais le Pacte de Varsovie n'aurait pu aller jusqu'à légitimer
la répression en Tchécoslovaquie ou l'éventuelle invasion
de la Pologne de Jaruzelski - pour cela, il faut paraître
assurer le salut éternel de ces nations avec la participation
des armées nationales de la Tchécoslovaquie, de la Pologne
ou de la Roumanie. Le mythe démocratique a pris le relais
du mythe marxiste.
On
voit également combien la vassalisation de l'Europe se trouve
enracinée dans les fondements mêmes du mythe de la Liberté
démocratique, donc universelle, et combien l'impuissance
politique et militaire du Vieux Monde s'étend aux soubassements
culturels et religieux de la vassalisation de toute la civilisation
moderne.
Le 12 novembre 2015