La presse mondiale
du 26 septembre 2010 annonçait sur toute la largeur de ses premières
pages que le Général de Gaulle était ressuscité et qu'il tiendrait
dès le lendemain une conférence de presse. Mes lecteurs trouveront
ci-dessous l'intégralité des propos du géant. Ce matin, toutes
les capitales de la planète soulignent le réalisme du théoricien
de la stratosphère, mais quelques-uns craignent les retombées
d'un discours dérangeant du grand logicien de l'Histoire universelle.
1
- Le regard du géant mort
2
- Le néophyte du Caire
3
- Controverse avec le Titan
4
- L'avenir du sceptre de l'opinion mondiale
5
- La terrasse d'Elseneur
6
- Les cinq scansions de l'histoire des peuples
7
- Tartuffe à Gaza
8
- Le rendez-vous des peuples avec l'éthique
9
- Le bateau ivre
10
- La vassalisation de la diplomatie européenne
11
- L'éthique politique de la souveraineté
12
- Le Hamas
*
1-
Le
regard
du géant mort 
Le
Guardian (Londres)
:
M. le Président, vous avez écrit dans vos Mémoires de
guerre qu'un chef d'Etat se juge au regard qu'il porte sur
le globe terrestre, puis, dans vos Mémoires d'espoir, que
vous n'êtes pas porté au culte des chimères. Allez-vous nous raconter
à l'école du mythe ou à l'école du réel la pièce qui se déroule
sur la scène du monde depuis votre départ?
Le
Général de Gaulle : C'est un tout nouvel échiquier
de la logique du monde que l'histoire universelle présente désormais
à nos regards. Mais le fil des jours n'offre jamais qu'une trame
déjà à demi effacée du déplacement continu et secret des pièces
sur les planches de ce vaste théâtre. Depuis que le globe terrestre
tourne sur son axe, il n'était jamais arrivé qu'une nation minuscule
étendît ses lopins avec la bénédiction de tous les autres gouvernements
de notre astéroïde, il n'était jamais arrivé que, pendant plus
de soixante-dix ans, on vît tous les Etats de la terre encourager
de la voix et du geste un nain mythique résolu à étendre les arpents
de son éternité au détriment de ses voisins, il n'était jamais
arrivé que les applaudisseurs du salut du monde s'engageassent
par serment à enfermer les autres nations dans l'enceinte de leurs
frontières et à les réduire au silence sur leurs labours, il n'était
jamais arrivé que la mappemonde de la rédemption se présentât
en protectrice et en garante bâillonnée d'une expansion militaire
trompetée par une divinité trépassée, il n'était jamais arrivé
que la conquête par la force des armes d'un territoire sotériologique
fût pilotée du haut des nues par les saintes écritures de l'envahisseur,
il n'était jamais arrivé que Clio fût à l'écoute de deux hauts
parleurs, dont l'un fît entendre le droit des peuples de creuser
les sillons que leurs ancêtres leur ont légués, l'autre à l'écoute
du ciel d'un conquérant, il n'était jamais arrivé qu'un peuple
arrimé à quelques cailloux sacrés fût devenu le plus puissant
prophète du globe et tînt la dragée haute à tous les empires,
il n'était jamais arrivé que la course de notre goutte de boue
entre Mars et Venus eut subi une mutation de son eschatologie
telle que les Machiavel et les Talleyrand de notre temps changeront
de bésicles, il n'était jamais arrivé que la France dût se colleter
avec une axiomatique et une problématique du destin du monde dictées
par les œuvres complètes du créateur de la Genèse, il n'était
jamais arrivé que le mégaphone biblique de la démocratie mondiale
reconduisît au temple des Nabuchodonosor et au sarcophage des
Ramsès.
2
- Le néophyte du Caire
Le Times (Londres) : Monsieur le Président,
nous savons tous que vous avez les pieds sur terre comme personne;
mais depuis votre trépas, on raconte ici ou là que vous étiez
né avec le télescope du réalisme vissé à l'œil et que votre cerveau
ascensionnel n'était qu'un prolongement naturel de votre haute
ossature. Comment racontez-vous l'histoire stellaire et l'histoire
physique d'Israël depuis 1948?
Le Général de Gaulle
: Le rideau des songes s'est levé et abaissé trois
fois au cours des soixante douze dernières années de l'histoire
corporelle et cérébrale d'Israël . Nous abordons le quatrième
et avant dernier acte de la tragédie des squelettes et des âmes.
On y verra Clio débarquer plus résolument que jamais parmi les
rêveurs bibliques du monde entier, de sorte que les nouveaux paramètres
du récit historique et du récit sacré confondus enregistreront
des collisions théologiques d'une violence inouïe entre l' histoire
scripturaire du peuple élu et le nouveau récitatif d'une civilisation
mondiale partiellement convertie aux lois du profane. En premier
lieu, les péripéties en quelque sorte préliminaires de l'histoire
nouvelle des Hébreux illustreront, certes, la dramatique inculture
historique et diplomatique des chefs d'Etat les plus puissants
d'un nouveau Moyen Age. Mais surtout, leur cécité anthropologique
et philosophique occupera le devant de la scène.
Vous remarquerez que le Président des Etats-Unis avait compris
rationnellement, semblait-il, que Jahvé interdisait fermement
à l'empire américain de tendre un jour la main aux fidèles d'Allah
et que le Nouveau Monde se trouverait empêché de jamais battre
les cartes nouvelles de la planète du XXIe siècle. Mais si Washington
se voit frappé de l'interdiction définitive de sceller alliance
avec les peuples du Coran, le jeu des armes et des songes qu'on
appelle l'Histoire ne saurait rayer d'un trait de plume un milliard
et demi de musulmans tressautants sur la carte et encore moins
au profit de l'expansion territoriale illimitée d'Israël. C'est
dire que, faute d'une connaissance suffisante du fonctionnement
cérébral actuel du genre humain, ce Président s'est imaginé qu'il
lui suffirait de prononcer un beau discours sur les bords sacrés
du Nil pour régler le tic tac de l'horloge des vivants et des
morts sur les cinq continents. Néanmoins l'Amérique demeure un
nouveau-né. Il faut laisser à ce peuple au berceau le temps d'apprendre
à lire l'heure sur le cadran des siècles. Une aiguille naine y
trotte à petits pas. Elle égrène les jours et les nuits d'une
espèce plus obsédée que jamais par le sceptre et les ciboires
de ses dieux. L'autre aiguille est en folie. Les minutes et les
secondes y enregistrent à grandes enjambées le tumulte précipité
des évènements.
Aussi M. Barack Obama a-t-il été surpris comme un néophyte des
Olympes par la découverte tardive qu'il a faite de la solidité
cérébrale du dieu d'Israël. Il faut lui apprendre que la science
politique a changé de longue vue et qu'il appartient désormais
aux chefs d'Etat de se saisir de l'instrument d'optique nouveau
dont le peuple juif s'est armé sous la faux des Parques. L'Amérique
a pris pour le moins un siècle de retard sur la connaissance anthropologique
de la carapace cérébrale de Jahvé. Elle ignore encore, me semble-t-il,
que la carcasse mentale des humains se trouve scindée de naissance
entre leurs ciels et leurs terres et qu'il était bien inutile
d'envoyer un certain George Mitchell, irlando-libanais et chrétien
maronite, vérifier sur place que M. Netanyahou ne cèdera jamais
un pouce du territoire de la Cisjordanie, parce que, depuis près
de soixante-cinq ans, le peuple de Moïse est appelé par sa théologie
à en conquérir un par un les hectares. Sachez en outre que notre
espèce est née religieuse et qu'elle obéit tantôt aux chimères
du ciel qu'elle croit avoir enregistrées sur ses microphones,
tantôt aux mythes que sécrètent ses langages . Si vous n'apprenez
à décrypter les discours que nous tiennent nos idoles bicéphales,
jamais vous ne tiendrez les vraies clés des évadés de la zoologie
entre vos mains.
3
- Controverse avec le Titan
Die Weltwoche (Suisse): Mon Général,
vous dites à la fois que la guerre des dieux a débarqué à nouveaux
frais dans l'histoire théologique de la démocratie mondiale et
qu'il est vain de s'imaginer que la classe dirigeante d'une planète
devenue indocile retournera sur les bancs d'école des ancêtres
afin d'y réapprendre le sacré et ses songes. Mais alors, qui prendra
en mains la direction à la fois mythologique et neutralisée du
monde, qui en tiendra les rênes à la place des deux catégories
d'ignorants que vous avez identifiés?
Le
Général de Gaulle : Croyez-vous vraiment, Monsieur,
que la morale universelle est soudainement tombée en quenouille,
croyez-vous vraiment que les festins de Lucullus et les tas d'or
de Crésus l'ont réduite au silence? C'est tout le contraire qui
se passe sous nos yeux: la majorité des peuples de la terre sait
maintenant que l'heure sonnera bientôt non point de ressusciter
les dieux morts des ancêtres, mais de prendre entre les mains
le sceptre de l'éthique éternelle de l'humanité. Dites-vous bien
que nous assistons aux premières péripéties de la guerre que les
masses tout fraîchement jaillies de l'ombre vont mener contre
leurs élites en voie de délitement. Etonnez-vous plutôt, Monsieur,
de ce que ce spectacle se déroule déjà sous nos yeux. Songez que
vingt siècles seulement se sont écoulés depuis le clouage retentissant
d'un juste sur la potence qu'on appelle l'histoire. Nous sommes
entrés dans la logique du monde de demain. Mais ce n'est plus
à la France seule de rappeler à la terre entière que les nations
d'hier ne forgeaient l'éthique du genre humain qu'avec une grande
lenteur. Il appartient maintenant aux nouvelles générations de
l'intelligence et de l'éthique d'attirer la planète de la lucidité
politique à venir sur le champ de bataille de la raison et du
cœur.
Der Spiegel (Allemagne): Mon Général,
pourquoi pensez-vous que l'interprétation de l'histoire cryptée
de l'encéphale de notre espèce va débarquer dans la politique
mondiale?
Le Général de Gaulle
: La vocation de la géopolitique moderne à conquérir une lucidité
anthropologique sera rendue nécessaire du fait que les évènements
les plus chaotiques en apparence ne manqueront pas de se placer
comme d'eux-mêmes au centre d'un décodage des songes religieux
du simianthrope, de sorte qu'on découvrira la vanité de s'essayer
à les replacer sous les feux de la connaissance traditionnellement
qualifiée d'historique. Voyez ce qui s'est passé à Gaza : contraint
de battre piteusement en retraite et de quitter sans gloire le
champ de bataille du récit historique banalisé depuis Thucydide
- son discours du Caire était censé l'avoir illuminé à nouveaux
frais - M. Barack Obama est allé jusqu'à collaborer avec une coupable
frénésie à la construction d'un mur d'acier de quatre mètres de
profondeur autour d'une ville d'un million et demi d'hommes, de
femmes et d'enfants assiégés et affamés par Jahvé.
Croyez-vous que l'intelligibilité historique étriquée d'autrefois
puisse rendre compte des paramètres réels de cette histoire semi
mythologique? Car, quelques semaines seulement plus tard le cerveau
de ce chef d'Etat a été conduit à raconter ou à réciter un scénario
qui plaçait le même événement cinématographique dans un éclairage
radicalement opposé au premier et à déclarer à la presse internationale
que le spectacle filmé sur la pellicule de l'incarcération de
l'immense population de Gaza n'était " pas tenable ". Comment
se fait-il que M. Ban Ki-moon, Secrétaire général de l'ONU, se
soit trouvé contraint de souligner, lui aussi, que l'immoralité
de cette politique était insoutenable aux spectateurs? Comment
se fait-il, que M. Cameron, Premier Ministre de sa Majesté la
reine d'Angleterre, ait déclaré à son tour que la morale du gentleman
anglais se rangeait du côté d'une éthique minimale du genre humain?
Quel est le personnage hollywoodien, à votre avis, qui a fait
déposer une couronne aussi inattendue que celle d'une éthique
universelle sur la tête de ces trois dirigeants de la planète
de la Metro Goldwyn Mayer? Quel
est l'acteur des âmes qui a fait rendre le même verdict à la Commission
mondiale des droits de l'homme à l'ONU le 24 septembre 2010?
Certes,
quelques missionnaires de l'image avaient affrété des cargos sous
les yeux d'une espèce ahurie, mais surtout sous le regard des
caméras du monde entier ; certes, ces apôtres spectaculaires avaient
tenté d'apporter des centaines de tonnes de vivres, de médicaments
et de biens de première nécessité aux affamés, certes encore,
ils avaient payé leur expédition du tribut bien réel de neuf cadavres
bien frais dans leurs rangs. Mais croyez-vous que si l'opinion
publique mondiale du singe estomaqué par le spectacle de son sang
n'était pas déjà devenue le siège véritable de l'éthique des saints
secouristes, leur expédition relayée par satellite aurait fait
changer de bésicles au globe oculaire de la planète ? Croyez-vous
que si notre espèce prosternée le nez dans la poussière depuis
l'âge de pierre n'avait pas été sidérée par une immolation aussi
sanglante sur les autels des démocraties néroniennes, les sacrifices
au dieu de la Liberté auraient triomphé des foudres de Jahvé sur
l'offertoire de Gaza? L'histoire gravée sur la rétine d'Isaïe
n'est pas l'histoire racontée dans les livres scolaires, l'histoire
écrite par les prophètes est celle où l'humanité se donne en spectacle
à l'école de la vie et de la mort de ses dieux.
4
- L'avenir du sceptre de l'opinion mondiale
El
Pais (Madrid) : Monsieur le Président, quel
déroulement de l'histoire théologique des égorgements annoncez-vous
à l'espèce ailée?
Le
Général : Voyez-vous, Monsieur, il est des heures
où les anges de l'histoire séraphique et carnassière du singe
nu déplacent soudainement de quelques centimètres leurs ailes
de fer et de velours. Alors les oligarchies gangrenées cessent
subitement de tenir la plume de la véritable histoire du sang.
Alors, quelques héros de l'éthique d'un monde à venir jaillissent
de l'humus de notre espèce. Est-il une démonstration plus éclatante
de ce que l'histoire cérébrale de l'humanité n'est plus pilotée
par le glaive et les ciboires des trois dieux autrefois qualifiés
d'uniques, mais par leur exécuteur testamentaire et leur légataire
universel, le jugement d'une opinion publique mondiale devenue
le nouveau pédagogue de l'humanité? Croyez-vous que la pellicule
de la mémoire éthique de l'histoire ne se déroule pas d'ores et
déjà devant un nouveau tribunal de la moralité et de l'immoralité
futures de notre espèce?
Certes,
Israël a aussitôt démontré qu'il tenait les sénateurs du Nouveau
Monde par leurs basques et que non seulement le parti démocrate
perdrait les élections de mi-mandat, mais que M. Barack Obama
ne serait pas réélu s'il refusait de se plier aux volontés du
peuple à la main de fer - et l'on a vu le prophète du Caire se
renier pour la troisième fois avant que le coq eût chanté. Mais,
à compter de ce jour, la Résistance française se situe au cœur
de la philosophie et de la politique des âmes et des têtes. J'ai
été le premier contempteur de l'immoralité mondiale des dirigeants
gangrenés de mon temps, et maintenant, ce n'est pas de ma faute
si je vois naître en tous lieux une réflexion anthropologique
d'une logique rigoureuse sur les scansions théologiques qui écrivent
l'histoire des relations schizoïdes que les peuples entretiennent
avec leurs élites politiques.
5
- La terrasse d'Elseneur
Il
vous suffira donc, je le répète, d'enregistrer la
suite des évènements qui ponctuent une histoire universelle bicéphale
pour constater que les circonstances se placent comme d'elles-mêmes
dans la problématique qui leur donnera leur sens trans anecdotique.
Vous remarquerez, primo, que le Premier Ministre israélien
s'est précipité à Washington, secundo, que c'est sous le
nez du Président des Etats-Unis qu'il a exhorté ses fidèles à
suivre les directives de Jahvé, tertio, qu'il a aussitôt
fait capituler le Dieu de M. Barack Obama, quarto, que
non seulement la Maison Blanche a dû renoncer sur l'heure à demander
l'arrêt de l'expansion armée des colonies du Grand Israël en Cisjordanie,
mais que la pestifération intensive de l'Iran y a trouvé un nouveau
souffle, au point que votre Europe asservie a assumé la relève
des sanctions qu'elle avait déjà prises dans un premier élan un
mois plus tôt contre Téhéran. Mais, dans le même temps, la démonstration
de ce que les prêtres d'Israël ne tiendront pas longtemps les
rênes de l'histoire mi-politique, mi-mythologique de la planète
entre leurs mains illustrera la logique interne qui commande aujourd'hui
le véritable destin des droits d'une raison laïque approfondie
jusqu'au vertige.
La preuve en a été aussitôt apportée par l'indignation rationaliste
que tous les peuples du monde ont manifestée au spectacle de l'immoralité
abyssale du subterfuge à la fois onirique et ubuesque selon lequel
l'Iran menacerait Israël de pulvérisation atomique s'il disposait
du feu nucléaire. Il est donc d'ores et déjà devenu impossible
de soumettre le récit des événements et leur interprétation sur
le long terme à une grille de lecture superficielle de leur immoralité,
premièrement parce que l'opinion mondiale est un zoologue qui
a compris depuis plus de quarante ans que deux nations armées
de la foudre de leur extermination réciproque neutralisent leurs
sacerdoces du meurtre payant et que tel est précisément le gage
d'une paix durable entre leurs enfers respectifs, secondement,
parce que le bon sens populaire sait depuis belle lurette qu'il
s'agit seulement de perpétuer le faux prestige militaire des prêtres
de la mort, donc l'hégémonie politique illusoire qui s'attache
encore dans quelques esprits abêtis à brandir l'arme mythologique
par nature et par définition d'un auto-anéantissement prétendument
héroïque des deux auto-sacrificateurs, alors que leurs géhennes
se tiennent réciproquement en respect, troisièmement parce que
les hautes instances de la civilisation semi animale d'aujourd'hui
constatent qu'Israël ne disposera que fort peu de temps du pouvoir
de ses zoologues d'égarer le jugement de quelques simianthropes
dont la masse fond à vue d'œil et de troubler l'entendement des
sots dont la proportion devient de plus en plus minoritaire au
sein de l'humanité.
6
- Les cinq scansions de l'histoire des peuples
El
Mundo (Madrid): Monsieur le Président, vous
soutenez que deux adversaires dont chacun aura posé le canon de
son arme sur la tempe de son adversaire ne vont pas appuyer sur
la gâchette; vous dites que le pacte conclu entre la santé d'esprit
la plus ordinaire de tous les peuples de la terre et les exigences
morales élémentaires que tout le monde se partage est devenu une
évidence saisissante. Mais je constate que le bon sens de la terre
entière n'a pas jugé à la fois immorale et politiquement suicidaire
la volte-face diplomatique de la Russie, qui, l'été dernier et
hier encore a fait annoncer à M. Medvedev que "les vrais intérêts"
de son pays seraient désormais exclusivement industriels et commerciaux.
Comment appliquez-vous à la logique de votre démonstration
de l'absurdité militaire d'un suicide à deux une diplomatie qui,
dans son ordre, défie tout autant le bon sens le plus élémentaire?
Le
Général de Gaulle : L'opinion populaire de la planète
a tout de suite compris qu'une Russie qui perdrait de vue ses
véritables intérêts se ferait sauter la cervelle sur la scène
internationale, parce que la sauvegarde de la dignité du peuple
russe et la préservation de son rang de grande puissance sont
une question de survie politique de l'ex-empire des Tsars. Si
le déshonneur se vend pour un plat de lentilles, l'honneur, lui,
ne s'achète jamais à si bas prix.
Aussi a-t-il suffi, l'été dernier, de deux jours à M. Poutine
pour rappeler son poulain inexpérimenté au bon sens politique
le plus élémentaire et vingt-quatre heures seulement à la Chine
pour prendre le chemin du même redressement diplomatique face
à une Maison Blanche qui criait déjà victoire à tue-tête. C'est
que l'arbitre du destin politique des grandes nations se révèle
désormais à ce point de l'ordre d'une éthique transanimale que
leur chute dans le précipice de la décadence est la rançon zoologique
immédiate d'un instant seulement d'oubli des devoirs attachés
à la santé d'esprit des grands Etats.
En
vérité, l'escalade de la pente opposée a commencé avec la flottille
de la Liberté, puisque le blocus de Gaza est devenu le test mondial
de l'avenir des démocraties dans le royaume de l'éthique des civilisations.
Ou bien elles triompheront de l'abaissement de l'humanité dont
Jahvé leur réclame le tribut ou bien elles traîneront le boulet
de l'immoralité sanglante d'Israël jusqu'à leur disqualification
politique définitive sur la scène de l'histoire de la justice.
Le Corriere della serra (Rome) : Monsieur
le Président, pouvez-vous nous détailler l'itinéraire et les étapes
d'une renaissance de l'éthique de la civilisation?
Le
Général de Gaulle : Vous me demandez rien de moins
que de préciser le rythme des scansions, la nature des basculements
et la signification des mutations brusques de la politique événementielle
et sacerdotale de l'histoire du meurtre humain; vous me demandez
rien de moins que de clarifier les causes de la disqualification
morale et intellectuelle des ecclésiocraties meurtrières et leur
remplacement par des élites régénérées.
Le premier pourrissement mondial des élites de la morale politique
s'est produit à Rome à l'heure où le délabrement des institutions
de la République a fait applaudir à tout rompre au peuple des
Quirites le franchissement du Rubicon par le conquérant de la
Gaule; la seconde putréfaction générale de la morale politique
est celle qui a conduit un christianisme de ploutocrates de l'autel
à vendre le sang de leur divinité contre espèces sonnantes et
trébuchantes et à perdre le guidage des intelligences aux guichets
d'une immortalité des corps tarifée et proclamée achetable en
bons de caisse aux bureaucrates de l'éternité; la troisième liquéfaction
générale de la morale politique s'est produite à l'heure où la
putréfaction de l'administration du ciel par l' aristocratie monarchique
a dû céder la place à l'aristocratie prometteuse des guerriers
nouveaux de la Liberté et de la Justice - l'heure où la classe
nobiliaire de la raison a dressé son clergé juvénile sur les ruines
d'une orthodoxie religieuse pétrifiée; la quatrième résurrection
de la morale politique est celle qui a suivi le naufrage des prodiges
les plus sots du christianisme romain, ce qui m'a permis de renoncer
aux ressources politiques de la foi et de ses miracles alors en
usage et de légitimer à la seule école de la morale rationnelle
la lutte armée des peuples vaincus contre l'occupant.
Depuis
lors, le patriotisme a perdu son assise dans le surnaturel et
seule la résistance citoyenne permet aux nations de mettre en
accusation devant leurs tribunaux les dirigeants qui auront capitulé
sur le champ de bataille de l'éthique civique. Ce point sera décisif
pour légitimer au pénal le châtiment des dirigeants européens
actuels qui auront autorisé des troupes étrangères à stationner
en pleine paix sur leur territoire, et cela pendant trois quarts
de siècle. Je rappelle qu'il s'agit d'une violation ouverte et
continue du droit de la guerre en vigueur aujourd'hui. Le cinquième
effondrement de la morale politique résulte du débarquement d'une
théocratie en armes sur les terres du peuple palestinien et la
sacralisation d'un Etat mi-religieux, mi-laïc, mais fondé sur
la délégitimation radicale des principes moraux de la civilisation
mondiale de la liberté politique.
Je
rappelle également que, par définition, tout pouvoir fondé sur
le sacré est condamné à réfuter le principe même de la résistance
armée des peuples à l'occupant, et cela du seul fait que si les
désastres militaires d'une nation n'étaient pas censés répondre
aux desseins impénétrables d'une idole sur tous les champs de
bataille du monde, ce type de divinité s'en trouverait réduit
au rang d'une potiche impuissante. C'est pourquoi le dogme fondamental
des théologies enseigne que "tout pouvoir vient de Dieu",
c'est-à-dire que le créateur du cosmos est un chef d'Etat au timon
des affaires et responsable de l'histoire du monde.
Je rappelle, dans le même esprit, que c'était en toute logique
théologique que Vichy légitimait le Dieu des chrétiens à châtier
une France vaincue, parce que pécheresse. C'est pourquoi, plus
d'un demi siècle après la promulgation de la loi de séparation
de l'Eglise et de l'Etat de 1905, j'ai donné à la Révolution française
son véritable contenu en fondant la culpabilité politique des
citoyens sur leur seul devoir à l'égard de leur pays, ce qui a
exigé la rédaction de manuels scolaires déniaisés et une législation
qui a imposé leur usage exclusif jusque dans l'enceinte des écoles
religieuses; et pour cela, il fallait également se résoudre à
ne qualifier que des professeurs titularisés par des diplômes
de l'Etat laïc, et enfin, pour plus de sûreté encore, se résoudre
à interdire aux enseignants de ces écoles de corriger les
épreuves du baccalauréat. Pourquoi cela, sinon parce que seule
une politique résolue du contenu et du fonctionnement rationnels
des cerveaux permettra aux nations européennes de résister à leur
vassalisation par les messies de l'étranger. Voyez l'Italie, l'Allemagne,
l'Espagne asservies à une théologie des démocraties apostoliques
dictée par un empire étranger, voyez la France actuelle, qui a
reconduit la République laïque sous le joug parallèle de
l'étranger et d'une religion fondée sur la souveraineté du plus
fort sous le masque évangélique du protestantisme et vous comprendrez
que le combat pour le véritable contenu cérébral
de la laïcité française est un combat pour la souveraineté de
la nation. Et c'est pourquoi le véritable enjeu des négociations
au Moyen Orient est de substituer à l'expansion politico-religieuse
de Jahvé le droit des Palestiniens de se fonder sur un Allah que
le Hamas a rendu compatible, lui, avec la politique mondiale de
la France de la raison, parce qu'une religion née au VIe siècle
jouit nécessairement d'une grande avance intellectuelle sur des
mythes centraux tels que la transsubstantiation eucharistique,
selon laquelle les paroles du prêtres changeraient du pain en
viande divine ou la naissance d'un homme d'une vierge fécondée
par un Dieu. Ce n'est pas avec de telles absurdités qu'on forge
une nation de la Liberté.
7 - Tartuffe à Gaza
Mais
il y a plus : la révolution anthropologique de la géopolitique
répondra au débarquement de l'astronomie de Copernic dans celle
de Ptolémée en ce qu'elle interprètera l'histoire mondiale de
l'alliance de l'éthique et de la raison politique depuis la chute
de l'empire romain dans une optique semi-zoologique; et cette
révolution méthodologique deviendra encore plus rétroactive quand
elle conduira les futurs chefs d'Etat des démocraties européennes
à une interprétation rationnelle, donc à un scannage accusatoire
de la psychophysiologie qui a piloté les classes dirigeantes depuis
deux millénaires et qui les a conduites à leur déliquescence
intellectuelle d'aujourd'hui. Car les élites subissent un délitement
cérébral lié à la bipartition native de leur encéphale entre le
réel et des cosmologies délirantes. Vingt siècles
d'évangélisation tartuffique de l'Occident ont conduit l'oligarchie
planétaire contemporaine à arborer conjointement ou tour à tour
deux masques sacerdotaux associés et complémentaire, celui d'un
panégyrique officiel des idéaux que la démocratie planétaire confesse
pieusement, mais toujours du bout des lèvres et celui d'un apostolat
de type évangélique dont le thème de l'amour de tout le genre
humain retentissait autrefois du haut de la chaire et aujourd'hui
au sein du polyculturalisme décérébré des décadences.
Mais pour mettre en scène ce type de dyarchie cérébrale au profit
de l'empire dominant du moment, il a fallu faire monter un Lucifer
de la dernière cuvée sur les planches usées de l'histoire du Bien
et du Mal: le Démon qui attisera le feu sous les marmites de la
damnation universelle s'appellera l'Iran. Les inquisiteurs de
la démocratie messianisée par l'Amérique feront monter cet hérétique
idéal sur la scène de la pestifération universelle des modernes
; et les magistrats qui siègeront au tribunal des assermentés
du Nouveau Monde rendront leurs verdicts au nom des idéalités
pseudo séraphiques dont ils auront fait leurs idoles. La dichotomie
parareligieuse de tout le théâtre de la religion des droits de
l'homme reproduira fidèlement la schizoïdie des ancêtres dont
les serviteurs scindaient leur foi entre les fausses dévotions
de leur clergé et les profits du culte qu'ils appelaient les bénéfices
ecclésiastiques. C'est pourquoi le monde moderne exerce deux faux
sacerdoces à Gaza, celui des idéaux déconfits de la démocratie
et celui du guerrier dont le nom est Jahvé.
Le Quotidien du peuple (Chine ) : Monsieur
le Président, depuis deux décennies, votre pensée politique ne
cesse de s'étendre et de se ramifier sur la scène internationale.
Le spectacle de la gesticulation désespérée d'une classe dirigeante
mondiale prise en étau entre la honte de son péché à Gaza et l'alibi
de ses fulminations " vertueuses " contre les damnés de Téhéran
illustre la postérité féconde de votre analyse de la schizophrénie
d'une humanité que nous voyons osciller entre ses rédemptions
et ses pénitences. Puis-je vous demander de bien vouloir vous
étendre encore quelques instants sur cet aspect de votre anthropologie
politique et religieuse?
Le
Général de Gaulle : Je n'ai rien inventé; tout
cela est dans le Tartuffe de Molière. Mais les faux dévots de
la démocratie ne joueront pas longtemps le rôle biface qui les
dédouble dans la maison d'Orgon qu'est devenue la République.
M. Cameron aura beau se proclamer tout ensemble sioniste et palestinien,
M. Sarkozy et Mme Merkel auront beau lui emboîter le pas, leur
claudication partagée sur la scène internationale fait peine à
voir, tellement ces acteurs d'une éthique politique contrefaite
scindent la démocratie mondiale entre un porte-à-faux jésuitique
et les derniers soupirs d'une Liberté agonisante.
Mais voyez comme Tartuffe se fait tirer l'oreille, voyez comme
il rechigne à condamner le camp de concentration de Gaza, voyez
comme il légitime la présence d'Israël sur les terres qu'il a
volées, voyez comme il porte à bout de bras les cierges de la
religion épuisée des droits de l'homme, voyez comme il se garde
d'ouvrir le dossier du retour des réfugiés, le dossier du retrait
du peuple juif à ses frontières de 1967, le dossier de la conquête
de Jérusalem en violation du droit international. Mais elle est
imminente, croyez-moi , la citation de la civilisation mondiale
à comparaître devant le tribunal de la cohérence mentale de la
France de la raison.
Certes,
le monde politique moderne a élevé une casuistique de la démocratie
au tragique reniement international des idéaux de la justice et
du droit. Mais comment la planète se blanchirait-elle à l'école
d'une pestifération truquée de la Perse ? Comment donnerait-elle
le change sur des béatifications et des damnations artificielles?
8 - Le rendez-vous
des peuples avec l'éthique
Déjà l'histoire vivante pousse des pseudopodes prometteurs hors
de la geôle de son enfermement théologico-politique entre Gaza
et Téhéran, déjà ce tentacule se change sous nos yeux en tête
de pont de l'intelligence politique de demain, déjà ce débarquement
se propage et s'installe au milieu du nouveau paysage du monde,
déjà il rassemble le troupeau effaré des Etats schizoïdes , déjà
ce noyau se cristallise et fascine la troupe effarée des fuyards,
déjà il divise les inquisiteurs et les bénisseurs en deux camps,
déjà un gouvernail, un pilote, une direction apparaissent, déjà
la Turquie, le Brésil et l'Iran se sont réunis à Ankara, déjà
la Russie multiplie des signes de repentance, déjà la Chine a
mesuré la perte de prestige d'avoir lâché un instant la proie
pour l'ombre, déjà la question la plus décisive se place sous
une crue lumière, celle de savoir si Israël réussira à jeter par-dessus
bord la civilisation mondiale du droit et de la justice.
Depuis les origines, l'Histoire de la politique raconte l'alliance
secrète que les classes dirigeantes simiohumaines concluent avec
le meurtre que bénissent leurs autels et que glorifient les sacrifices
dont le Dieu de la zoologie est censé les rémunérer. Ne vous étonnez
pas, Messieurs, de la fatalité darwinienne qui a conduit la démocratie
sacrificielle mondialisée à accoucher, elle aussi, de prévaricateurs,
d'offertoires prébendés et d'un clergé acheté. Mais voyez comme
la plus vieille prêtrise du monde boite sous le soleil de Gaza,
voyez comme l'éthique politique des peuples relève la tête parmi
les ruines des idéaux de la liberté et de la justice. Peut-être
verra-t-on s'installer un instant en Judée un Etat fondé sur le
reniement des valeurs fondatrices de la civilisation des évadés
partiels du règne animal; mais cet Etat de guerriers et de conquérants
sera plus éphémère que tout autre, parce qu'il aidera l'Occident
de la pensée à plonger dans les ultimes secrets religieux du meurtre
sacré auquel le Moyen Orient sert d'autel. L'heure d'Antigone
sonnera à Gaza.
9
- Le bateau ivre
Monsieur
le Président, la Frankfurter allgemeine die Zeit,
die Welt, Bild, Süddeutsche Zeitung sont convenus
de vous poser ensemble une question que nous formulons en ces
termes : le 15 septembre, la haute représentante des vingt-sept
nations membres de l'Union européenne, Mme Caherine Ashton, a
annoncé à la presse qu'elle achevait de mettre en place le réseau
diplomatique mondial qui, à l'entendre, conduira d'un pas résolu
la politique étrangère de l' Europe vers un radieux avenir. Ses
services compteront plus de huit mille fonctionnaires. L'Allemagne
a tout de suite obtenu l'ambassade de Chine, fort convoitée, dit-on,
et l'Autriche celle de Tokyo, tandis que la France s'est contentée
des Philippines, du Tchad et de la Zambie. Mme Ashton vient de
se voir confier les négociations de l'Europe avec l'Iran qui les
a demandées au quartet. Que pensez-vous des chances de succès
de la future diplomatie mondiale de l'Europe, et, si vous croyez
en son destin glorieux, quelles seront sa nature, son ambition
et les limites de son indépendance à l'égard de Washington ?
Le
Général de Gaulle : Le bateau ivre de Rimbaud n'avait
ni pilote, ni gouvernail, celui de l'Europe compte cinq navigateurs
fantômes dont aucun ne tient un timon entre les mains. Le premier
de ces faux capitaines s'appelle l'Assemblée de Strasbourg, qui
se préoccupe comme d'une guigne du quadrillage de l'Allemagne
par deux cents places fortes de l'étranger armées jusqu'aux dents
sur son territoire et de celui de l'Italie, occupée par cent trente
sept forteresses encore en cours d'expansion soixante cinq ans
après la fin de la dernière guerre. Cela me rappelle un passage
de Tacite. Sous Néron, un senatus consulte ridicule avait tranché
d'une broutille - la ville de Syracuse serait autorisée à produire
davantage de gladiateurs dans le cirque que le nombre prescrit
par la loi. Un sénateur courageux avait ri de tant de futilité
législative. Pourquoi, se demandait-il, cette haute autorité se
réservait-elle des bagatelles, des niaiseries et des enfantillages,
sinon parce qu'il s'agissait de cacher sous un épais silence la
peur de l'assemblée de traiter des grandes affaires de l'empire?
Le
second amiral d'un vaisseau sans mât ni voilure s'appelle la Commission
européenne de Bruxelles, que dirige un fervent partisan de l'invasion
de l'Irak par les Etats-Unis en 2003 et de l'occupation des Açores
par l'armée de terre, de mer et de l'air de l'empire américain.
Ah! que cet administrateur de la servitude de l'Europe demeure
un pion polyglotte sur lequel la diplomatie de Washington peut
compter pour tenir les rênes d'un continent attelé au char de
ses chimères! Le troisième timonier de la flotte est le président
belge d'une planète artificielle, errante et désarmée. On dit
qu' il attend désespérément un coup de fil bénisseur du Président
des Etats-Unis et que son vœu n'est pas près de se trouver exaucé,
bien qu'il n'envisage le pieux avenir du Vieux Continent qu'en
comparse dévot de l'empire d'outre-Atlantique. Par bonheur, son
salaire de nabab est à la mesure de la fonction décorative que
le traité de Lisbonne lui a assignée. Comment cette marionnette
enrubannée réveillerait-elle des Etats européens qu'un abus de
langage qualifie encore de souverains? Comment ce fantôme ne demeurerait-il
pas pieds et poings liés, puisque sa mise en service n'a même
pas jeté aux oubliettes l'autre chœur des poupées mécaniques,
celui qui défile en dentelles sur la scène et qu'on a baptisé
la "Présidence tournante", parce qu'il s'agit d'un manège?
La nomination à grand tapage d'un majordome grassement rémunéré
à la tête de l'Europe est purement nominale ; mais pour s'en assurer,
il était utile de ne pas mettre hors d'usage le second cocher
d'un attelage illusoire.
C'est à cette flotte privée de voiles et de gouvernail que Mme
Ashton est censée ajouter un navire de plaisance. Aussi a-t-elle
demandé tout de suite qu'on veuille bien l'inviter à prendre le
thé à Tel Aviv. Mais cinq ministres des affaires étrangères européens
ont aussitôt voulu prendre place dans le même carrosse, tellement
ils craignaient qu'une si audacieuse entreprise leur ravît les
cuillères, la théière et la nappe. On a évité la guerre des préséances:
les ministres ne courront pas sur les brisées de la poupée. La
garden party du Moyen Orient a été remise à la fin de ce mois.
10
- La vassalisation de la diplomatie européenne
Vous
me demandez, Monsieur, quelle politique une Europe couronnée de
têtes creuses va proposer à la Russie, à la Chine et au reste
de la planète. Sur ce point votre information est incomplète.
L'Elysée a obtenu que l'ambassadeur actuel de la France à Washington,
un très dévoué serviteur des intérêts des Etats-Unis d'Amérique
en Europe, occupe le poste-clé de Secrétaire général auprès de
Mme Asthon, ce qui, en clair, signifie rien de moins que l'installation
officielle des instances du Comité représentatif des institutions
juives de France dans les institutions de la République. Israël
s' est déjà infiltré au cœur de tous les organes de l'Union européenne.
Il est donc d'ores et déjà exclu que le Vieux Monde conduise jamais
une politique résolue de rapprochement avec les peuples du Coran,
la Russie, la Chine, l'Inde et l'Amérique du Sud. Israël a trouvé
l'assise de son autorité politique définitive au cœur de la République
quand, il y quelques mois, le gouvernement de M. Nicolas Sarkozy
a solennellement proclamé à Biarritz par la voix de son Ministre
de la justice que le Comité israélien susdit jouirait dorénavant
du rang et des apanages officiellement attribués à un Etat étranger,
donc que les prérogatives d'un interlocuteur officiel et à part
entière de la France et de son Etat se trouveraient désormais
expressément reconnues à l'AIPAC français, de sorte que notre
pays compte maintenant deux gouvernements sur son territoire.
Comment se partageront-ils la souveraineté nationale?
C'est
dans cette configuration des passerelles diplomatiques entre l'Etat
d'Israël et les vingt-sept Etats de l'Union européenne que vous
demanderez instamment à l'ambassadeur de nationalité allemande
que le Vieux Monde accréditera à Pékin quel gâteau Confucius partagera
avec l'autre ambassadeur, celui de la nation des Germains dans
cette capitale. Je me demande en outre quelles prérogatives annexes
les jumeaux allemands vont se partager entre eux en coulisses
ou sur le devant de la scène, je me demande de surcroît comment
deux excellences en provenance de Berlin vont évoluer côte à côte
sur le théâtre du burlesque que l'on baptisera la "diplomatie
européenne" si l'une des faces de ce mythe politique tendra
son assiette vide à l'autre et s'il n'y a ni cuisinier, ni plats
à mettre sur la table.
Voyez-vous, les empires bicéphales portent un regard vague sur
leur maigre pitance. Je vous lis le menu : une France étroitement
solidaire d'un interlocuteur en acier trempé sur ses propres arpents
- un Comité représentatif des institutions juives de France dont
un conseiller binational assiste d'ores et déjà un ministre des
affaires étrangères binational, lui aussi - une telle France occupe
depuis belle lurette les mêmes arènes de la politique étrangère
qu'Israël et Washington. La République sera le mercenaire du corps
diplomatique des vingt-sept poupées mécaniques censées représenter
l'Union européenne sur la scène du monde. Quelle sera la politique
de Washington à l'égard de Pékin, de Tokyo, de New Delhi, du Caire
et du monde arabe, sinon celle d'Israël ? Une Europe doublement
vassalisée par son maître d'outre-Atlantique et par Tel-Aviv demandera
à Pékin de réévaluer le cours du Yuan et de marginaliser la Russie.
Mais si l'Europe de Mme Ashton tentait de ne pas plier l'échine
et de défier les directives de Washington et de Jérusalem, la
Maison Blanche lui ferait clairement comprendre qu'elle veut bien
lui concéder les broderies dont les grands couturiers attiffent
leurs mannequins, mais non davantage. Le Pentagone et le Département
d'Etat, lui diront-ils sans détours, sont en mesure de faire fi
du siège de velours que l'Europe lui réclame et de négocier seuls
non seulement avec Moscou et Pékin, mais avec la planète tout
entière.
Voilà
la vraie donne du monde. Voyez-vous, Messieurs, une Europe pilotée
par les vassaux d'une puissance étrangère ne sortira pas de la
rade et ne gagnera jamais le grand large. Mais le monde moderne
est celui d'une accélération foudroyante du temps de l'histoire.
Si nous ne nous attelons pas à la tâche d'éveiller l'opinion publique
des peuples arabes, nous ne disposerons jamais du seul levier
qui permettrait à l'Europe de se changer en Christophe Colomb
de la politique internationale du XXIe siècle.
11
- L'éthique politique de la souverainté
Les
Izvestia (Russie): Monsieur le Président, dans les décadences,
le choix des vaincus n'est-il pas de participer le mieux possible
et même modestement, s'il le faut, à l'histoire réelle du monde
sous le sceptre d'un triomphateur devenu inamovible ou de quitter
l'arène avec armes et bagages? Sparte s'est fièrement tenue à
l'écart des aigles romaines victorieuses du monde hellénique et
son destin s'est réduit à celui d'un village oublié au bord de
l'Eurotas. Athènes a collaboré avec tous les Césars et sa culture
a fécondé non seulement la civilisation des légions, mais à partir
de la Renaissance, celle d'une Europe retombée dans l'ignorance.
Comment théorisez-vous la présence durable ou l'absence définitive
de l'Europe d'une scène internationale qui l'a placée sous la
houlette de l'empire américain depuis 1945?
Le
Général de Gaulle : Rome a triomphé de l'esprit
public au sein des nations asservies à sa loi et elles ne s'en
sont remises qu'à l'heure de la ruine de l'empire. Mais, à partir
de Tibère, c'est son immoralité politique qui a conduit la civilisation
de la louve à sa perte. Cette immense leçon de l'histoire universelle
est encore celle qui se rappelle à l' Europe de notre temps :
en 1940, il fallait bien que la France gardât les contours d'une
apparence d' Etat sur les cartes topographiques, il fallait bien
que sa géographie eût une ombre de gouvernement qui représenterait
des kilomètres carrés à défaut des citoyens d'une nation. Mais
quand Hitler a franchi la ligne de démarcation entre la France
occupée et la France de Vichy, le chemin du devoir civique était
clairement tracé aux yeux de tous les patriotes.
De
nos jours, un gouvernement de la France qui ferme les yeux sur
un empire où la torture a été non seulement rétablie en fait,
mais dûment légalisée trois siècles après son abolition dans tout
le monde civilisé, un gouvernement de la République qui approuve
le blocus de Gaza où quinze cent mille hommes, femmes et enfants
subissent la loi d'Israël et de son complice d'outre-Atlantique,
un gouvernement de la France qui a envoyé un navire de guerre
renforcer le blocus de l'occupant de Gaza dont l'assaut aérien
et terrestre avait fait mille quatre cents morts, un gouvernement
qui a collaboré à la construction d'un mur d'acier autour de Gaza
aux côtés de Washington, un tel gouvernement ne se trouve pas
seulement disqualifié aux yeux de l'éthique politique du monde,
un tel gouvernement se trompe en outre de balance à peser l'intelligence
des Etats. La honte de la France d'aujourd'hui est dans un mot
terrible de Mirabeau: "Il existe pire que le bourreau, son
valet".
La vraie politique prononce les verdicts de l'esprit de justice,
la vraie politique est la science de l'âme des nations, la vraie
politique rend les arrêts infaillibles de la raison. Trahir, c'est
seulement se mettre un bandeau sur les yeux. La civilisation occidentale
entrera en résistance ou mourra. Mais
le temps de l'héroïsme des lucidités solitaires est déjà révolu,
l'heure de l'intelligence morale du politique est de retour; et
cette intelligence-là nous enseigne que l'Amérique ne portera
pas longtemps à bout de bras le double fardeau de plus de mille
camps fortifiés sur les cinq continents et d'une monnaie fictive
qui s'essouffle à porter les armes et les songes d'un vaste empire.
Je ne suis pas prophète; j'ai seulement tenté de tenir le langage
de la logique supérieure qui commande l'histoire secrète du monde
et qui raconte le destin de la morale au cœur de la conscience
politique de l'humanité.
12
- Le Hamas
O
Globo (Brésil) : Monsieur le Président, M. Khaled
Mesh'aal, chef du bureau politique du mouvement de résistance
islamique (Hamas) semble s'être référé expressément à votre politique
de l'alliance de la souveraineté avec la morale quand, en 1944,
vous avez refusé tout net d'exprimer la gratitude de la France
à l'égard de ses alliés, qui avaient solennellement légitimé la
Résistance et lui avaient officiellement fait le cadeau diplomatique
immense de la cautionner aux yeux du droit international public.
Vous avez écrit dans vos Mémoires de guerre: "Ne remercier
personne : la France n'a pas à se faire reconnaître". Aujourd'hui
le chef du Hamas rappelle que ce serait légitimer "l'occupation
et le vol de la Palestine" que de reconnaître l'Etat d'Israël.
"Pour nous, ajoute-t-il, ce principe est clair et définitif."
Quelle est votre position à l'égard de la résistance armée de
l'Islam à l'occupant israélien?
Le
Général de Gaulle :
Ma "position" , comme on l'a écrit, à l'égard de nos alliés en
1944 n'était pas la mienne, mais celle de la France de tous les
siècles et de tous les régimes. Le droit est devenu une science
à partir de la rédaction de la loi des douze tables. Il est donc
encore plus burlesque que grotesque de demander à la vraie Résistance
palestinienne, celle du Hamas, de valider l'occupation de son
territoire aux yeux du droit international public, puisque celui-ci
ne dispose en rien du pouvoir qu'on lui attribue ridiculement
de renier ses propres fondements. Les démocraties actuelles demandent
rien de moins à la géométrie d'Euclide que de réfuter le théorème
de Pythagore. C'est une décision plus stupide encore que barbare,
parce que, dans ses profondeurs, la résistance du Hamas est celle
du combat des civilisations contre le droit du plus fort.
Comment voulez-vous que les autels de la religion des droits de
l'homme accueillent le cadavre des principes universels des droits
de l'homme sur leurs offertoires? Croire possible un sacrifice
de sang de cet acabit, c'est oublier que le droit international
n'est jamais que l'expression transzoologique de l'aspostasie
inversée, celle qui immole la loi des glaives au nom de l'esprit
de vérité. La prééminence de la conscience sur la force remonte
non point à la souillure dont une certaine potence a entaché à
jamais la justice des Etats, mais à une certaine ciguë que les
archontes de l'immoralité politique font boire à la raison depuis
vingt-cinq siècles. C'est du dieu des supplices de l'esprit que
le Hamas entend la voix à la lecture du Coran. Tel est l'enjeu
véritable de la politique du sang et de la mort d'hier, d'aujourd'hui
et de demain, tel est l'enjeu de la morale et du droit qui fait,
du Moyen Orient, le champ de bataille où le dieu des armées affronte
le dieu dont l'emblème est un gibet.
Je
vous remercie.
Le
26 septembre 2010