1 -
Les fermiers reçus au château
2 - Le siècle des mirages
3
- L'inconscient religieux de la servitude
4
- Le retard cérébral de l'Europe
5
- Une nouvelle race d'intellectuels européens
*
1 - Les fermiers
reçus au château
Savez-vous
que vous jouissez du privilège de déguster un monde de prodiges
politiques sans pareils, savez-vous que vous baignez dans un siècle
de la préhistoire dont aucune époque n'avait goûtés les sortilèges,
savez-vous que les magiciens et les sorciers d'autrefois font
figure d'ébauches à reléguer au musée des songes jurassiques de
vos ancêtres, tellement les temps modernes vous plongent dans
des odeurs et des saveurs inconnues de vos pères ? Jamais aucun
mémorialiste des siècles écoulés n'avait enregistré la chronique
qui se déroule désormais sous nos yeux. Voyez comme les nations
les plus riches et les plus peuplées de la civilisation de Sophocle
et de Shakespeare se trouvent docilement rassemblées sous la houlette
et le sceptre d'un souverain débarqué d'au-delà des mers il y
a soixante ans seulement .
Vous vous
dites que les Atlas, les Hercule, les Goliath font triste mine
face à ce géant si récemment descendu des nues ; mais vous deviendriez
vous-mêmes des Pygmées de l'Histoire si vous ne conquériez un
regard sur les hallucinations dont vos congénères sont devenus
la proie. Vous vivez pieusement à l'ombre d'un Titan lointain,
mais désarmé, et les chaînes de vos dévotions sont en papier peint.
Et pourtant, vous n'aurez pas fait un pas dans le surnaturel démocratique
si vous deviez vous en tenir au décryptage des génuflexions élémentaires
de la vassalité. Des scènes plus enchanteresses que les aventures
de Gulliver ou les exploits de don Quichotte attendent les chantres
de la servitude de l'Europe .
Montez
un instant à bord d'un de ces autobus de l'espace qu'on appelle
des satellites et qui circulent à un train d'enfer autour de votre
astéroïde, regardez un instant défiler les champs et les vergers
d'un continent riche en ressources de toutes sortes, peuplé de
plus de trente nations, grouillant de plus d'un demi milliard
d'habitants et unifié par une puissante monnaie. Mais tout cela
est contrôlé et surveillé de près par un empire de carton . Frottez-vous
les yeux, dites-vous que vous ne rêvez pas - depuis plus de six
décennies , le fantôme de votre maître et souverain d'outre Atlantique
campe sur vos terres, mais c'est à un spectre que vous êtes ficelés.
Mais voici
que des peuples lassés par leur domesticité de pacotille se sont
réunis en un concile effarouché des laquais à Bucarest; mais voici
que ces nations de chambellans agglutinés au trône de leur maître
se sont enhardies jusqu'à supplier leur monarque de daigner leur
accorder la permission de s'armer modestement à ses côtés ; mais
voici que, dans un dernier sursaut, l'héroïsme fatigué du peuple
des Druides a convaincu ces populations humbles et tremblantes
de rendre grâces à l'étranger qui condescendra peut-être à leur
accorder du bout des lèvres un droit qu'elles n'ont pourtant jamais
perdu. Quel triomphe de cour, pour les fils de Vercingétorix,
de partager le pain noir des valets du roi; car tous les métayers
de l'Europe ont affiché la mine réjouie et reconnaissante des
fermiers enfin reçus au château .
2
- Le siècle des mirages
Je laisse
votre carcasse cosmique girer quelques heures encore à toute allure
autour de la goutte de boue qui vous sert d'étable et d'écurie,
parce que les expériences que nos savants poursuivaient depuis
longtemps dans le secret de leurs laboratoires - il s'agissait
de découvrir les clés du fonctionnement de l'encéphale vassalisé
de l'Europe - viennent d'aboutir à la conclusion qu'à force de
vrombir autour de notre habitacle, nous apprenons peu à peu à
tourbillonner autour de notre propre boîte osseuse . Mais la tâche
qui vous attend n'est pas de tout repos. Chahid Slimani a écrit
(1) que
les intellectuels des vaincus écrivent pour des vaincus et Ibn
Kaldoun a remarqué que les serfs intériorisent les comportements,
les traditions et les valeurs de leurs propriétaires.
Quels sont
les enchantements inconnus de vos ancêtres qui fleurissent dans
le monde des esclaves ? Les Gaulois ont-ils jamais demandé gentiment
aux Romains l'autorisation d'armer, eux aussi, quelques troupiers
de leurs sang et de les faire parader modestement aux côtés des
légions aguerries de César ? Les Germains de Wotan se sont-ils
jamais humiliés jusqu'à quémander en laquais le droit de porter
des armes aux côtés du peuple des Quirites? Les hordes sauvages
qu'Agicola a traquées dans leur île ont-elles jamais demandé de
parader sur leur propre sol aux côtés de leur triomphateur rutilant?
C'est donc,
vous dites-vous , qu'un ennemi armé jusqu'aux dents est prêt à
bondir sur le continent de Copernic ; c'est donc, pensez-vous,
que ses habitants sont terrorisés au point de juger que tout secours,
si modeste qu'il soit, ne saurait se trouver écarté d'un revers
de la main quand un péril effroyable menace la nation . Mais aucun
tigre ne montre les dents à l'horizon . De plus, les croisés du
paradis des pauvres se sont vaporisés . C'est donc que seul le
rugissement d'un lion théologique inconnu de vos pères convainc
maintenant l'Europe de supplier à genoux un empire étranger de
s'installer pour toujours sur son sol. Quels sont les régiments
des évangélistes nouveaux prêts à se ruer sur la vieille Europe
si ceux de Karl Marx ont dû rentrer les griffes du salut et de
la délivrance promises par la sainte abolition de la propriété
privée ?
3
- L'inconscient religieux de la servitude
Il sera
long, votre apprentissage astral des prosternations de l'encéphale
simiohumain sur cette terre; et il vous sera en outre bien inutile
de disposer des poids et des mesures dont se servaient les générations
qui vous ont précédés ; car seuls des appareils de pesée inconnus
du simianthrope accepteront de les accueillir sur leurs plateaux
. Quel spectacle, vous direz-vous, que celui des plus grands Etats
de l'Europe d'autrefois réduits à la honte de se traîner aux pieds
d'un empire lointain ! Et pourtant, aucune des nations réduites
à cette extrémité n'avait apposé sa signature au bas de quelque
traité de renonciation à sa souveraineté : tous étaient censés
en jouir de naissance et à l'écoute du credo universel rédigé
par leur maître lui-même. Quel théâtre que celui des bénéficiaires
d'un évangile de la grâce démocratique sur lequel il leur suffisait
de remettre la main, mais qu'ils tenaient maintenant à payer d'un
tribut renouvelable de père en fils, d'un tribut dont la somme
s'accroissait d'année en année des intérêts de la dette contractée
par la génération précédente, d'un tribut branché sur le ciel
de la démocratie et dont les traites exorbitantes rappelaient
de mauvais souvenirs aux connaisseurs !
Mais quel
est ce haut-le-cœur ? Vous vous dites que le cycle des désenchaînements
timides et des surenchaînements empressés des esclaves régit l'histoire
des théologies de la grâce depuis les origines et qu'il serait
utile de consulter le livre d'heures du ciel pour y retrouver
le livre de comptes des songes religieux de l'humanité . Car Luther
se désembourbe des rites de Rome , mais pour ligoter plus étroitement
encore ses co-religionnaires et lui-même à un caissier cosmique
du salut, Calvin se désempêtre avec tant de vaillance de tout
l'appareil sacerdotal de la messe romaine qu'il jette aux orties
le prodige de la transsubstantiation, mais aux fins de livrer
ses condisciples pieds et poings plus liés que jamais à un souverain
dont les grâces leur seront gratuitement, donc fort arbitrairement
accordées, Augustin rejette les chaînes d'or d'un financier du
ciel, mais ses fidèles se voudront assujettis d'avance et de toute
éternité aux verdicts infaillibles d'un potentat de la grâce.
La France
d'aujourd'hui ne se comporte-t-elle pas de la même manière face
aux pouvoirs qu'exerce le ciel de son maître? Ne réclame-t-elle
pas de son souverain un allongement illusoire de sa laisse en
échange d'un docile retour à la niche ? C'est que, des Ariens
aux Cathares , des Antiochiens aux juristes romains, des jansénistes
aux banquiers de saint Thomas, le plus riche trésor cérébral du
simianthrope est un souverain du ciel ou de la terre avec lequel
conduire à leur terme des négociations diplomatiques serrées .
La question se réduit toujours à savoir clairement quels seront
les droits respectifs du maître et du serviteur et nullement de
se demander pourquoi un souverain mythique est censé se trouver
déjà là. Une seule hypothèse théologique se trouve exclue d'avance,
celle du retour pur et simple du maître au néant dont le simianthrope
l'a tiré. L'apparition de l'empire américain du salut et de la
rédemption ayant précédé votre génération, il fait si bien partie
du paysage politique de la planète actuelle que nul ne doute de
son immortalité. Et pourtant, jamais aucun empire de ce monde
n'a bénéficié de l'éternité que ses adorateurs lui ont accordé
de son vivant. Déjà, celui-là se craquèle et fait eau de toutes
parts .
4 - Le retard cérébral de l'Europe
La première
conquête de votre regard de demain sur les arènes de la mort vous
apprendra que l'histoire du salut de l'Europe sera marquée du
sceau d'une infamie indélébile si sa souveraineté devait lui être
octroyée . Une indépendance retrouvée à ce prix chargerait la
mémoire du Vieux Continent d'une chaîne si lourde à porter qu'il
serait impossible de jamais effacer la trace de la blessure dont
le cou des esclaves porte la cicatrice . De plus, on n'a jamais
vu une culture survivre à la souillure de son naufrage politique.
La Grande Grèce a produit des exploits de rhéteurs , mais pas
une seule œuvre ouverte sur la grâce des sacrilèges, parce qu'une
civilisation perd de vue les derniers secrets de l'humanité avec
la perte d'une liberté qui seule donnait à l'intelligence le fécond
courage de ses profanations .
Si le Général
de Gaulle avait demandé avec déférence et obtenu d'un tiers la
permission de faire lever le camp aux troupes américaines incrustées
sur le territoire français depuis dix-sept ans, la France demeurerait
marquée à jamais du fer rouge des bagnards pour s'être fait concéder
ses droits par la bienveillance d'un maître . Aussi s'est-il contenté
de faire connaître sa décision au Président des Etats-Unis par
l'intermédiaire de notre ambassadeur à Washington. Si l'Europe
achète une souveraineté qui lui appartient de droit , jamais elle
ne se remettra de cette salissure, ni politiquement, ni culturellement,
parce que la civilisation d'Homère et de Cervantès, de Sophocle
et de Shakespeare, d'Eschyle et de Molière ne guérira jamais de
porter au poignet la flétrissure des peuples que leurs anciens
propriétaires regarderont toujours de haut.
5
- Une nouvelle race d'intellectuels européens
Quand vous
aurez conquis un regard de souverains sur l'Europe des futurs
désenchaînés de l'empire américain, vous vous direz : " Et si,
par extraordinaire, M. Nicolas Sarkozy n'était pas davantage informé
des secrets anthropologiques de la souveraineté et de la servitude
des Etats que saint Thomas ne l'était des futures découvertes
de Darwin et de Freud? Et si, par extraordinaire, sa foi d'enfant
de chœur de l'Histoire le jetait dans les bras d'un substitut
sur cette terre de Jahvé, d'Allah et du Dieu de la Croix ? Et
si, par extraordinaire, il n'avait pas passé une jeunesse et une
maturité studieuses à scruter les ressorts simiohumains des théologies
? Et si , dans les démocraties, les hommes armés pour la conquête
du pouvoir se trouvaient nécessairement incapables de l'exercer,
parce qu'on ne monte pas sur le même ring pour se faire applaudir
de la salle que pour recueillir la discrète approbation du tribunal
des morts."
Dans ce
cas, vous auriez bien de la chance ; car il vous faudra engendrer
, puis former une nouvelle race d'intellectuels européens, dont
la vocation sera non seulement de connaître sur le bout des doigts
l'histoire et la doctrine de toutes les théologies du monde, mais
de vous armer du spectrographe des simianthropologues qui vous
apprendront que les savoirs exacts sont vains si la raison qui
les pilote est à mettre au musée. Les futurs savants du ciel et
de la terre de l'Europe sauront que les semi évadés de la zoologie
sont des animaux théologiques, que leur encéphale a été rendu
bipolaire par l'évolution à la fois inespérée et démente de leur
espèce et que cet organe, si sommital qu'il veuille paraître,
demeure livré à une dichotomie crucifiante. Mais pour faire débarquer
les sciences humaines de demain dans l'autopsie des civilisations,
il vous faudra apprendre à observer l' échafaud cérébral sur lequel
l'Europe est montée, afin que votre descente au tombeau vous conduise
à la lumière où un nouvel avenir du "Connais-toi" s'ouvrira devant
vous . Je vous en entretiendrai lundi prochain. "
*
(1) Voir http://chahids.over-blog.com/
. Ibn Khaldûn « Le vaincu s’identifie à son vainqueur
dans son comportement, ses traditions, ses valeurs et sa culture
».
Le
14 avril 2008