La légitimation rampante,
mais d'ores et déjà acquise, du recours de l'empire américain
à la torture au bénéfice de ses intérêts politiques, militaires
et messianiques pose à la civilisation européenne et mondiale
la question de la carence actuelle d'une anthropologie demeurée
pseudo scientifique ; car cette discipline ne saurait se proclamer
rationnelle sans s'interroger sur la nature et l'évolution d'une
espèce dont le cerveau schizoïde a enfanté trois idoles scindées
entre leur paradis et leur jardin des supplices.
Pourquoi le sacrifice
sanglant d'un innocent sur l'autel romain illustre-t-il le paiement
d'un tribut à une divinité proclamée rédemptrice ? Pourquoi l'immolation
d'une victime suppliciée à mort sert-elle de paiement du salut
? L'anthropologie expérimentale illustre la vocation d'une science
à laquelle il appartiendrait de découvrir les lois qui font de
l'histoire de notre espèce et de ses reduplications en théologies
de la torture le champ de vérification du fonctionnement onirique
de l'encéphale semi animal; car l'animalité spécifique de l'homme
le fait vivre à la fois sur la terre et dans des mondes spéculaires
dont la fonction politique lui présente les univers mi-édéniques,
mi-concentrationnaires en mesure d'assurer son autodévoration
symbolique sous les traits d'une victime torturée et assassinée
sur l'autel . Pour comprendre cette configuration cérébrale de
l'humanité, il faut un scannage de la dichotomie mentale qui caractérise
toute la politique simiohumaine depuis les origines.
L'anthropologie historico-critique
psychanalyse la condition simiohumaine à la lumière de la radiographie
de ses ciels. Le décryptage des univers fantastiques qu'on appelle
des théologies conduit la méthode historique à conquérir la connaissance
des effigies mi iréniques, mi sanglantes d'une humanité à laquelle
ses idoles servent de réflecteurs.
Une intelligence transzoologique
de l'histoire sera fondée non seulement sur des spectrographies
des trois monothéismes, mais sur des analyses anthropologiques
de la biographie des papes que l'histoire a placés à des carrefours
décisifs de l'évolution de l'encéphale bifide de l'espèce. C'est
à ce titre que la spectrographie théologique de Benoît XVI éclaire
le transfert de la théorisation politique du catholicisme exposée
dans Mein Kampf à la théorisation du messianisme théocratique
américain et de la greffe de ce dernier sur les idéalités de 1789.
Qu'en est-il de la
conjonction entre la théologie de la torture rédemptrice de type
romain et la théologie démocratique et protestante des supplices
salvateurs ? Une religion de la " Liberté " mènera-t-elle
sur la terre entière l'Inquisition de type idéaliste dont l'arme
de la torture légalisée conjurera l'ubiquité d'un nouveau Lucifer
- un terrorisme né, comme le précédent, de partout et de nulle
part ?
La religion du salut
par la torture paradigmatique d'un spécimen supérieur de l'espèce
et l'articulation de la mort de la victime sur un autel des supplices
illustre le sacrifice de sang dont l'histoire offre le spectacle
angélisé et perpétué sous le sceptre de l'empire simiohumain le
plus puissant et le plus séraphique du moment .
1
- Qu'est-ce qu'une religion ?
2
- Le cerveau simiohumain
3
- Une révolution anthropologique de la théologie
4
- Comment féconder la vocation rédemptrice des démocraties
?
5
- Benoît XVI et l'empire américain
6
- L'inconscient théologique d'un guerrier germanique
7
- Le fondement " théologique " ambigu du suffrage universel
8
- Benoît XVI et la démocratie de la torture
9
- Hitler et l'autorité religieuse de Rome
10
- La théologie du génocide et de la torture
11
- Qui est le singe-homme ?
12
- Une spectrographie de l'encéphale du monde
1
- Qu'est-ce qu'une religion ?
Il
y a quelques années , le Cardinal Ratzinger avait publié dans
Le Monde un article retentissant
dans lequel il soutenait que le christianisme serait une religion
fondée sur l'effacement définitif de la frontière traditionnelle
entre le réel et le fabuleux et qu'elle culminait dans une fusion
définitive de la raison - au sens logicien du terme - avec les
vérités immuables de la Révélation. Cette tentative de raturer
la scission native entre le réel et le fantasmatique qui caractérise
le crâne simiohumain avait échoué. Le postulat selon lequel il
existerait une divinité sans cesse changeante dans l'étendue et
dans les encéphales, l'axiome qu'il serait interdit d'observer
les métamorphoses de cet acteur dans un miroir à deux faces et
le dogme de l'obligation de se soumettre sans examen et tout au
long des siècles à l'autorité morale, politique et cosmologique
d'un personnage aussi extraordinaire réduit nécessairement la
notion de " raison scientifique " à la portion congrue
.
J'avais alors contesté à l'intention des lecteurs du
Monde
la théologie de la fixité inébranlable d'une doctrine flottante
sur l'océan des siècles (Le
christianisme et l'avenir de la raison
européenne, Le Monde, 28
décembre 1999). Je n'y mettais aucun esprit de polémique
: j'exposais seulement le point de vue d'une anthropologie suffisamment
cohérente pour remarquer du moins que depuis la découverte de
l'écriture toutes les religions du monde se trouvent contraintes
de s'auto-définir à la lumière de leur doctrine , et cela du seul
fait que celle-ci s'est toujours voulue intangible par nature.
Comment seule la croyance chrétienne jouirait-elle du privilège
inouï d'échapper à sa propre logique interne, qui la condamne
à déclarer que la raison scientifique sera nécessairement domestiquée
par les dogmes de sa foi, pour le motif que celle-ci a fait connaître
à son humble servante l'unique vérité par la voix de ses docteurs
et de ses pères conciliaires? Aussi me contentais-je de rappeler
à un public dont la culture se trouve désormais fort déconnectée
des théologies que toute l'orthodoxie chrétienne , tant catholique
que protestante et orientale, ordonne expressément à la religion
de la Croix de proclamer nulles et non avenues les preuves de
ses erreurs les plus manifestes, seraient-elles démontrées par
des expériences scientifiques universellement vérifiées, puisque
aucune d'entre elles ne saurait se trouver habilitée à élever
la voix face à des décisions irréfutables des messagers d'une
divinité autrefois physiquement existante dans le cosmos, puis
passée à l'état volatil.
Dans ce contexte, Benoît XVI pourrait bien se révéler involontairement
et précisément à ce titre l'illustrateur paradigmatique d'une
anthropologie historico-critique dont la problématique et la méthode
soumettraient à l'observation et vérifieraient à l'école de l'expérience
historique l'atrophie spirituelle d'une humanité et de son Eglise
cérébralisées parallèlement, mais seulement à demi et dont l'animalité
spécifique les aurait dotées d'un encéphale bipolaire à se partager.
Une science de l'évolution de notre espèce qui témoignerait de
notre reduplication mentale en nos idoles serait appelée à étudier
les bénéfices et les désastres attachés à cette pathologie originelle
et à conquérir un regard de l'extérieur sur l'encéphale en panne
des évadés infirmes du règne animal ; car notre singularité
semi zoologique se manifeste non seulement par la faculté , mais
par le besoin incoercible que nous éprouvons de vivre à la fois
sur la terre et dans des mondes armés d'un imaginaire sanglant.
Mais comme les fantasmes meurtriers dont nous ne semblons pas
souffrir le moins du monde nous renvoient à des structures psychiques
liées aux climats et à la géographie, une anthropologie qui se
nourrirait d'une ambition scientifique ne pourrait que se réclamer
à la fois de la connaissance historique et d'une psychobiologie
transdarwinienne capable de rendre compte de l'atrophie de l'encéphale
des nations et de leur projection dans des doublures théologiques
instables .
2 - Le cerveau simiohumain
A
quiconque prétendra fonder une anthropologie scientifique sur
la connaissance objective de la bancalité originelle de l'encéphale
schizoïde de notre espèce sans avoir défini au préalable la nature,
schizoïde à son tour, des textes sacrés qui accompagnent notre
boîte osseuse tout au long de son parcours, je rappellerai que
l'assertion centrale du culte romain porte sur le prodige physique
de l'eucharistie, selon lequel le pain et le vin de la messe seraient
réellement transformés en chair et en sang par l'autorité du mythe
sanglant dont la doctrine catholique a fait son compagnon de route
et qui se proclame intangible en raison de l'infaillibilité et
de l'unanimité des annonciateurs qui en ont promulgué les dogmes.
Il est bien évident que les microscopes les plus puissants ne
cesseront de démentir, mais bien inutilement, le miracle de la
mystérieuse " transsubstantification " du pain et du vin
de la messe en la chair et le sang réels d'une victime humaine
immolée il y a vingt siècles sur l'autel meurtrier du sacrifice
dit du Golgotha ; et puisque, dans la foulée, cette chair et ce
sang n'en sont pas moins proclamés symboliques de surcroît, on
cherche le microscope électronique en mesure d'observer l'atrophie
des symboles que l'encéphale simiohumain métamorphose en substances.
Une anthropologie ne conquerra donc le statut et le rang d'une
science expérimentale de la dégénérescence du " spirituel
" que si elle parvient à expliquer pourquoi une espèce semi cérébralisée
demeure soumise au besoin impérieux et invincible de se nourrir
d'événements oniriques par définition et auxquels la matière inanimée
servira de théâtre, donc pour quelles raisons la zoologie a enfanté
une animalité construite sur un modèle d'encéphale bipolaire dont
le contenu religieux varie à l'école des âges et des territoires.
Aussi
toute critique de l'esprit de piété qui s'attarderait à prouver
l'inexistence de telle ou telle idole ou de fustiger le dolorisme
ou le masochisme chrétien conduirait les sciences humaines à une
régression de deux siècles, parce que l'inexistence de tous les
personnages primitifs qu'on appelle des dieux est d'une si grande
évidence que l'objet du savoir rationnel moderne n'est pas de
perdre sa peine à réfuter des dévotions récentes - les anciennes
sont déjà tombées dans l'oubli - mais de découvrir pourquoi des
idoles campent dans l'encéphale d'une espèce inachevée. Or, ce
problème trouve son fondement psychophysiologique dans l'infirmité
cérébrale de la politique du seul fait que l'idée de distinguer
clairement le vrai du faux ne traverse pas encore l'esprit de
la classe dirigeante mondiale. Seule siège dans son encéphale
une distinction flottante entre l'utile et le nuisible, assortie
de la confusion supplémentaire de proclamer vrai ce qui est jugé
utile et faux ce qui est réputé nuisible.
Du coup, les dieux existeront à condition de se montrer gentils.
Mais leur civilité apparente serait-elle le masque d'une férocité
invincible ? Dans ce cas, l'anthropologie historico-critique a
du pain sur la planche, parce que la notion d'atrophie spirituelle
invoquée par Benoît XVI le jour de Noël 2005 serait si incertaine
que l'Eglise se verrait contrainte de s'interroger sur la question
du statut anthropologique du spirituel au sein d'une humanité
agenouillée devant un Dieu tellement sauvage que ses plénipotentiaires
se sont refusés à damner les camps de concentration de Hitler
et de Staline et se refusent aujourd'hui à vouer aux gémonies
la conversion de la civilisation mondiale à la torture. Il faut
donc se décider à radiographier l'atrophie spirituelle
d'une papauté et d'une divinité qui appellent en commun la créature
à partager avec son ciel une vie spirituelle complice des formes
modernes de l'estrapade et du chevalet. Nous n'en tenterons pas
moins de découvrir ce qui est spirituel et ce qui ne l'est
pas .
3 - Une révolution anthropologique
de la théologie 
Le
19 décembre 2005 , le pape Benoît XVI a mis à l'essai une révolution
considérable de la théologie chrétienne classique, mais qui se
voulait non moins conforme que celle de 1999 à toute la problématique
qui régit la religion du salut par l'assassinat d'un innocent.
Que signifient, aux yeux d'une anthropologie réellement scientifique,
la santé spirituelle et l'atrophie spirituelle ? Que signifie
le fait qu'une mutation interne de la sainteté chrétienne ait
été proposée par Rome à une occasion solennelle, donc délibérément
destinée rencontrer un écho international, celle de la remise
des lettres de créance du nouvel ambassadeur de France, M. Bernard
Kessedjian auprès du Saint Siège ? C'est que Benoît XVI entend
maintenant intégrer à la théologie doctrinale romaine non plus
seulement une raison catéchisée, mais une catéchèse et une apologétique
entières de la Liberté, de l'Egalité et de la Fraternité, alors
que la Curie combattait si fermement cette trinité confessionnelle
depuis 1789 qu'elle en avait à nouveau et expressément condamné
la vocation pastorale en 1905 . Naturellement, la portée politique
d'un événement théologique aussi considérable est passée entièrement
inaperçue de la science historique moderne et de l'embryon d'anthropologie
scientifique d'aujourd'hui, puisqu'il y faudrait une connaissance
historico-critique de l'atrophie spirituelle de notre encéphale
sans laquelle, comme je l'ai déjà dit, notre histoire et notre
politique demeurent dépourvues de tout regard rationnel sur le
parallélisme psychique entre notre espèce et le Dieu qu'elle s'est
forgé à son image, c'est-à-dire sur l'encéphale bifide qui commande
ses représentations du monde .
Quelle
est la nature de la rupture intervenue entre la spiritualité de
Jean-Paul II et celle de Benoît XVI et pourquoi le Saint Siège
tient-il à en cacher la portée anthropologique sous des références
constantes et publiques à la théologie de son prédécesseur ? C'est
que Benoît XVI ouvre, sans le vouloir, une brèche dans laquelle
une problématique scientifique de la sauvagerie du sacré chrétien
pourrait s'engouffrer ; car on se souvient d'un Jean-Paul II qui
avait adjuré la France à " se souvenir des promesses de son
baptême ", alors qu'en 1995, une République devenue plus ignorante
en théologie qu'un pâtre sicilien avait tenté de ramener pieusement
la France des Lumières dans le giron d'une Eglise de la torture,
tandis que Benoît XVI a attendu les derniers jours de la célébration
du centenaire de la promulgation de la loi de séparation de l'Eglise
catholique et de l'Etat pour tirer un parti théologique de l'atrophie
spirituelle de la France dont témoignait à ses yeux la révolte
des banlieues du mois de novembre. Mais comment intégrer au culte
chrétien un enseignement des idéaux de la grande Révolution ?
Il y fallait rien moins qu'un sermon adressé à la République afin
qu'elle se souvienne des promesses de son baptême dans la mystique
d'une laïcité devenue rédemptrice.
4 - Comment féconder
la vocation rédemptrice des démocraties ? 
Mais on méconnaîtrait radicalement la véritable portée anthropologique
de la greffe de la théologie politique de Benoît XVI sur l'esprit
de croisade des démocraties si l'on s'imaginait qu'après une tentative
avortée d'annexion de la notion de " raison scientifique" à la
foi d'un catholicisme carcéral, ce pape envisagerait réellement
d'intégrer le pain eucharistique des idéalités édéniques de la
modernité à l'apostolat bimillénaire de la religion de la délivrance
et du salut par la torture sacrificielle. Un Etat angéliquement
construit sur une trinité de concepts à vocation bucolique demeurera
viscéralement étranger à une religion de l'incarnation de la "
vérité " crucifiée sur une potence.
Si l'offrande à une idole du sang et de la mort d'un torturé
sacralisé ne saurait se trouver remplacée au pied levé par une
eschatologie de la rédemption par l'intercession gracieuse de
trois concepts universels et étrangers à tout gibet, il faudra
conquérir la méthode et la problématique d'une anthropologie historico-critique
capable d'accéder à la connaissance de l'inconscient théologique
de la diplomatie mondiale d'un pape demeuré ennemi de la gnose
salvatrice des modernes, ce qui nous permettra de situer à une
tout autre profondeur psycho politique le conflit entre deux mythes,
celui du salut par la consommation toute verbale du pain bénit
de la " Liberté " sur l'autel de la démocratie mondiale
et celui d'une religion fondée sur le tragique, le sang et la
mort d'une humanité immergée dans une histoire torturante et torturée.
Pourquoi la réflexion anthropologique sur une religion de la guérison
politique par la crucifixion d'un innocent nous conduit-elle beaucoup
plus loin dans la connaissance des secrets de la sauvagerie simiohumaine
qu'une méditation sur la foi en une éthique de la Liberté, de
l'Egalité et de la Fraternité ? Parce que ce pape germanique et
bavarois jusqu'à la moelle, donc étranger à la Prusse protestante,
n'entend ni attribuer sincèrement un caractère religieux aux idéalités
fondatrices d'une République kantienne ni sacraliser le moins
du monde la notion de " raison démocratique " sur les traces
de Hegel, parce que la sorte de " raison " qui pilote la
" politique de la Liberté " est une idéalité philosophique
étrangère même à Luther.
Jamais Rome n'élèvera au rang de son propre messianisme le rêve
d'un avènement universel de la justice séculière que véhiculerait
un catéchisme rendu malingre par l'abandon du sacrifice sanglant
de l'autel et qui, faute du mythe meurtrier que symbolise l'eucharistie,
s'échine pourtant depuis deux siècles à sceller une alliance de
tous les cultes du salut avec l'animalité simiohumaine . Benoît
XVI sait que le catholicisme assure une meilleure plongée dans
les secrets de la sauvagerie du Dieu du Déluge et des tortures
infernales qu'un protestantisme du salut par la médiation séraphique
d'une trinité de concepts pseudo délivreurs. Mais alors, pourquoi
engager les démocraties dans une croisade des idéalités s'il est
impossible de les rendre confessionnelles?
5
- Benoît XVI et l'empire américain
Autrement
dit, il faut une psychologie des théologies pour comprendre comment
Benoît XVI se trouve politiquement divisé entre sa vocation sacerdotale
classique, qui le contraint de raffermir la doctrine devenue branlante
de l'Eglise romaine, d'une part et son appartenance à l'univers
philosophique de l'idéalisme allemand , celui des Kant, des Fichte,
des Hegel, d'autre part, dont on sait que les concepts de Liberté,
d'Egalité et de Fraternité ont nourri la jeunesse. Quel sens anthropologique
faut-il donc attribuer à la volonté schizoïde du Saint Siège de
catéchiser les idéaux politiques de la Révolution et de les intégrer
à la prédication pastorale des évangiles , alors que la sacralisation
des idées demeure, comme je l'ai rappelé, viscéralement étrangère
non seulement au catholicisme , mais à toute l'église orientale,
qui cherche son inspiration , non point dans la postérité de l'idéalisme
de Platon, mais dans l'esprit pneumatophore du Saint Esprit ,
donc dans une théologie du souffle et de l'inspiration divins
?
Les
derniers fondements anthropologiques de cette stratégie du sacré
apparaîtront plus clairement encore à l'occasion de la parution,
en janvier 2006, d'une encyclique sur laquelle je reviendrai ;
car on découvrira que si le latin francisé de l'Eglise n'aura
pas gagné en latinité, les fondements de la foi chrétienne dans
le rationalisme et le réalisme politiques des démocraties seront,
en revanche, clairement revendiqués par un pape pourtant nullement
iconoclaste deux siècles après Voltaire , bien qu'il se veuille
et se déclare désormais un philosophe du messianisme de 1789.
Or, l'expansion de l'empire américain est précisément fondée tout
entière sur le statut religieux des idéaux censés inspirer la
vie politique et les institutions de la nation aujourd'hui dominante,
de sorte que la portée diplomatique de la théologie de Benoît
XVI commence d'apparaître à l'échelle mondiale.
Tout
au long de son histoire, l'Eglise s'est toujours rangée aux côtés
du maître du moment, à condition qu'il ne la persécute pas, mais
consente, au contraire, à partager sa puissance avec elle. Mais
Rome ne saurait renouveler son alliance éternelle avec le temporel
dominant de son temps si elle campait obstinément dans une orthodoxie
étrangère au messianisme des modernes et si elle tournait le dos
aux nouveaux masques sacrés. Benoît XVI a une vision mondiale
des intérêts politiques du Saint Siège : il parie que les croisades
du XXIe siècle seront celles des idéalités qui serviront d'emblèmes
mondiaux aux nouveaux souverains de la terre.
Alors
que Jean Paul II avait solennellement condamné l'invasion guerrière
et l'occupation armée de l'Irak , Benoît XVI se gardera bien d'invalider
la sacralisation du temporel qui régit l'esprit de conquête du
Nouveau Monde. Simplement, la légitimation théologique
de la torture ne passe plus par le silence de l'Eglise sur les
camps de concentration de Hitler , mais par son silence sur les
camps de la CIA. C'est ainsi que la torture retrouve sa fonction
doctrinale et ecclésiale bimillénaire d'instrument planétaire
de sauvegarde de la foi au cœur du nouvel évangile international,
celui du salut par la religion de la Liberté.
Ce repli de l'eschatologie chrétienne sur des réflexes impériaux
et romains symbolisés par l'ex-saint Office mérite un décryptage
anthropologique fouillé, parce qu'il s'agit de savoir jusqu'à
quelle profondeur cet apologétiste des croisades - il a tenu à
réhabiliter le croisé et l'ennemi du pacifisme qu'était un saint
François d'Assise rendu sottement bucolique par l'ordre des Franciscains
- ce pape militaire, dis-je , a compris que la nouvelle croisade
mondiale de la foi s'est d'ores et déjà greffée sur la propagation
guerrière des idéaux sanglants des démocraties.
Je
rappelle à nouveau que ce n'est pas seulement en passant et au
détour d'une homélie discrète que Benoît XVI a lancé le ballon
d'essai d'une théologie ambiguë de la Révolution française afin
de masquer la nouvelle allégeance du Saint Siège à la plus grande
puissance du moment, mais à l'occasion hautement symbolique de
la présentation des lettres de créance du nouvel ambassadeur de
France, M. Bernard Kessedjian. La signification profonde de cette
politique est claire aux yeux d'une psychanalyse des alliances
du sacré avec la politique : il s'agit de rappeler à la nation
de Descartes que faute d'une " théologie " , donc d'une
mystique de l'esprit de justice et d'une morale universelle, les
idéaux de la Révolution de 1789 ne sauraient véhiculer une finalité
spirituelle à l'échelle mondiale , donc un " catholicisme
" du culte de la " Liberté " et de ses deux acolytes ,
l'Egalité et la Fraternité, qui en sont les messagers, les annonciateurs
et les apôtres . Pour réussir la connexion entre l'inspiration
" spirituelle " et le monde des idées, il faudrait se livrer
à une interprétation anthropologique du Platon dont le mythe de
la caverne illustre le passage du monde des idées au royaume d'une
lumière transcendante au monde ( Voir
La Caverne,
Bibliothèque des Idées, 1078 Gallimard 1974).
6 - L'inconscient théologique
d'un guerrier germanique 
Il
convient de souligner à nouveau que toute conception idéaliste
et allemande de la rédemption était demeurée entièrement étrangère
à la doctrine et à la pastorale athlétiques d'un pape polonais
dont le génie médiéval n'a réussi qu'à donner un écho catéchétique
mondial à la prédication apostolique d'un curé de campagne. Benoît
XVI, en revanche, est un Germain qui n'a pas tardé à scandaliser
la piété populaire italienne en reprochant aux Franciscains, comme
je l'ai rappelé, d'avoir fait d'un vaillant guerrier et d'un ardent
croisé un " idiot de village qui parle aux animaux " .
Pour approfondir la radiographie anthropologique de la dichotomique
théologique qui déchire un pape responsable de la stratégie du
catholicisme à l'échelle mondiale - donc face à l'empire américain
- il faut souligner que le choix des saints qu'un pape entend
vénérer est un révélateur hautement parlant de son tempérament
politique. Pour Benoît XVI, bergerie et mièvrerie sont devenues
les mamelles de la mollesse franciscaine - et il y a mis un terme
avec toute la brutalité d'un guerrier du Christ et d'un lecteur
de l'Enchiridion militis christiani d'Erasme (Le
poignard du soldat chrétien). Je rappellerai simplement
que le vrai saint François était encore un rude combattant aux
yeux de Bossuet : " Il court au martyre comme un insensé :
ni les fleuves, ni les montagnes, ni les vastes espaces des mers
ne peuvent arrêter son ardeur . Il passe en Asie, en Afrique,
partout où il pense que la haine soit la plus échauffée contre
le nom de Jésus . Il prêche hautement à ces peuples la gloire
de l'Evangile ; il découvre les impostures de Mahomet, leur faux
prophète. " (, Bossuet, Panégyrique de saint François
d'Assise, La Pléiade, p. 278.)
Benoît XVI n'est un intellectuel allemand qu'en apparence. D'un
côté, ce soldat de Dieu va parfois jusqu'à jouer de l'imagerie
populaire italienne la plus benête quand des circonstances impérieuses
lui imposent de ne pas lésiner sur les recettes de la sottise
religieuse. C'est ainsi qu'il n'a pas craint, dans une homélie
de curé de village, de raconter l'accueil empressé de son prédécesseur
par le Christ et à titre exceptionnel, par Marie en personne à
la porte du paradis , ce qui faisait un contraste éloquent avec
sa sainte colère, quelques mois plus tard, contre les fieffés
apologètes d'un saint François d'Assise profané
par un bucolisme de la piété.
Mais quelles sont les relations théologiques des démocraties de
bergerie avec le christianisme des gladiateurs? Comment la "démocratie
chrétienne " se voudrait-elle " rédemptrice " parmi
les loups en ce qu'elle se réclamerait d'une alliance fort bien
toilettée entre les idéalités d'un évangélisme politique en dentelles
et une religion dont la rédemption est conçue sur le modèle de
l'offrande d'un tribut à une idole offensée ? Comment réconciliera-t-on
jamais le séraphisme religieux des démocraties avec les promesses
cauteleuses d'une divinité qui n'effacera un outrage gravissime
de sa créature à sa puissance qu'à mieux forger son armure?
Une autorité politique fondée sur le lavage perpétuel d'une souillure
infligée il y deux mille ans à l'idole guerrière de l'endroit
- le consommation d'une pomme interdite - est devenue tellement
héréditaire au cours des siècles qu'elle a inspiré
la théologie de la rançon sanglante jusqu'à la monarchie de la
Charte sous Charles X. Puis la mythologie de l'effacement réitéré
de la dette contractée par un débiteur coupable de s'être fait
trop longtemps tirer l'oreille a été confirmée sous la monarchie
de Juillet, à l'heure où le "rachat " de sa légitimité
politique par la démocratie s'est fondée sur le dogme affligeant
de l'infaillibilité du suffrage universel. Comment la politologie
de la Liberté plongerait-elle ses racines dans les documents anthropologiques
terrifiants que constituent les théologies du sacrifice de sang
si l'intelligence critique des modernes ne se décidait pas à observer
le singe-homme dans le miroir des crimes de ses dieux ? Benoît
XVI se tairait-il pieusement sur la torture exercée par le créateur
lui-même dans les empires infernaux pour le motif que le christianisme
est demeuré entièrement fondé sur la métamorphose de la torture
d'un crucifié en l'instrument exclusif du salut de l'humanité
sous la loi de fer de l'histoire ?
Mais
les relations théologiques de Benoît XVI avec l'Allemagne guerrière
plongent leurs racines à une tout autre profondeur encore de l'inconscient
national : dans le sauvetage de la religion du Christ sur cette
terre sous le sceptre du Saint Empire romain germanique . La théologie
allemande de la Croix porte l'empreinte des vertus militaires
des guerriers dont Tacite a peint la simplicité de mœurs et la
vaillance à l'heure où le naufrage de la discipline des légions
faisait honte aux descendants de Cincinnatus.
Dans ce contexte, il faut comprendre que Rome n'a pas encore apuré
les comptes avec la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat
proclamée il y a un siècle. En 1923, Londres avait dénoncé l'occupation
de la Ruhr par la France et la Belgique pour le motif réel , donc
inavoué, que la diplomatie de Raymond Poincaré conduisait à l'hégémonie
politique de la France en Europe. Aussi avait-il condamné solennellement
la France : un soutien diplomatique appuyé du Saint Siège au protestantisme
anglo-saxon servait opportunément les intérêts de l'Eglise face
à une nation dont le Traité de Versailles consacrait la vocation
mondiale au profit des idéaux irréligieux de la laïcité de l'époque.
Pie XI soutiendra le nationalisme allemand jusqu'à sa mort en
1939. Mais on comprend le poids de l'inconscient théologique national
quand un pape allemand dénonce l'atrophie spirituelle d'une France
dont l'hérésie renierait les idéalités apostoliques de 1789 ;
car, pour Benoît XVI, la Liberté, l'Egalité et la Fraternité modernisent
les idéaux des Germains sur le modèle du citoyen romain des origines.
7
- Le fondement " théologique " ambigu du suffrage universel 
Mais
il se trouve que la validation idéologique du pouvoir au sein
des démocraties est construite sur le même modèle anthropologique
que dans la théologie : il faudra bien, dit-on, se fonder sur
une autorité politique proclamée infaillible pour rendre crédible
une légitimité publique. C'est pourquoi le socialisme européen
demeure tellement effrayé par les fondements religieux du suffrage
universel qu'il se garde bien de s'interroger sur l'origine et
la nature du paiement sanglant et inlassablement réitéré d'une
dette due à un créancier divin. Si l'autel de l'histoire reçoit
un sacrifice de bouchers, c'est parce qu'il exprime le dialogue
embarrassé, furieux, irénique, pathétique, sanglant et toujours
tragique qu'entretiennent toutes les religions du monde avec le
double qu'elles situent à cheval entre leur séraphisme et leur
simiohumanité et qui s'appelle une théologie.
Qu'est-ce
donc que " l'atrophie spirituelle " qui menace l'Occident
si la connaissance anthropologique du meurtre sacré et fondateur
de la sainteté simiohumaine de l'Eglise et du Saint Siège ne conduit
pas au rejet de l'idole , mais au contraire à une approbation
théologique silencieuse de l'assassinat répété dont sa puissance
et sa gloire la nourrissent sur ses autels ?
Mais j'ai déjà rappelé que Benoît XVI n'est pas l' héritier d'une
démocratie chrétienne édulcorée et privée des vertèbres théologiques
du meurtre sacré - donc gentiment localisable dans la postérité
émaciée de Chateaubriand, ce diffuseur d'une liberté de la presse
conductrice d'une " électricité sociale " acéphale. Mais,
à l'image de Benoît XVI, l'auteur du Génie du christianisme
est à la fois un théoricien flottant du sacrifice de sang et un
historien fort averti de ce que le meurtre d'une victime précieuse
précède toute l'armature doctrinale qui s'ensuivra. Comment Benoît
XVI serait-il moins informé que l'auteur de René
de ce que le mythe de l'infaillibilité politique dont les majorités
populaires se trouveraient miraculeusement investies ne jouit
d'aucune solidité ni doctrinale, ni philosophique ? Il sait que
Hitler a été porté au pouvoir non point par la voix d'un peuple
mystérieusement inspiré par un Saint Esprit du suffrage universel,
mais en raison de la médiocrité immanente à " l'électricité
sociale " du parlementarisme de la République de Weimar. Mais
si ce pape ne saurait donc doter la raison pure de Kant et de
Hegel de la vertu salvatrice d'une sapience innée et ridiculement
proclamée congénitale aux principes abusivement sanctifiés de
la démocratie , que pense-t-il d'une " l'atrophie spirituelle
" qui priverait l'idole de l'arme de la torture?
8
- Benoît XVI et la démocratie de la torture 
La
psychanalyse anthropologique introduit la radiographie des apories
internes dont souffrent les univers cérébraux de l'humanité dans
la connaissance scientifique des semi évadés du monde animal.
C'est dans ce contexte qu'elle s'interroge sur le sens anthropologique
de la biographie d'un théologien . Pourquoi le Cardinal Ratzinger
a-t-il présidé pendant de longues années la " Congrégation
pour la doctrine de la foi " ? Cette nouvelle appellation
de feu le Saint Office remonte à Jean-Paul II qui, en 1988,
avait ordonné la suppression de cette héritière, depuis 1909,
de la Sacrée Congrégation pour l'Inquisition romaine et universelle
créée le 21 juillet 1542 en plein Concile de Trente par le
pape Paul III et dont la sainte mission était de lutter contre
le "terrorisme " de l'époque, à savoir, les hérésies alors
censées menacer le genre humain d'anéantissement sur le modèle
des armes de destruction massive de Saddam Hussein.
La question de savoir si, par la voix de Benoît XVI, l'Eglise
romaine condamnera solennellement le recours à la torture , ce
remède appelé à éradiquer saintement le mal de la surface de la
terre sous le commandement d'une démocratie américaine devenue
le nouveau Grand Inquisiteur de la planète, cette question se
situe désormais au cœur de la politique mondiale ; car la torture
se banalise sous nos yeux exactement sur le même modèle qu'au
XVIe siècle. Dans le Monde du 24 décembre 2005 Sylvie
Kaufmann écrivait : " Même s'ils désapprouvent les abus auxquels
se sont livrés les Américains dans l'interrogatoire des détenus,
les dirigeants européens savent que les termes dans lesquels Mme
Rice a défini le débat sont imparables " - à savoir, la nécessité
de combattre un Démon réputé universel et insaisissable .

Mariali
L'ennemi
mythique à terrasser s'appelle désormais un terrorisme surgi sans
motif aucun, de partout et de nulle part, comme toutes les hérésies
mais qui est censé légitimer une guerre à mort pour la survie
de l'humanité, à la manière dont la guerre d'extermination contre
les protestants validait les tortures des saints inquisiteurs.
La seule différence entre la croisade internationale d'aujourd'hui
contre le Mal et celui de l'Eglise du XVIe siècle, c'est que la
nouvelle religion du salut du monde s'est incarnée en un empire
transocéanique des droits de la " liberté " et que les
nouveaux croisés rendent routiniers et normalisent gentiment un
simple débat théologique sur la torture entre " amis et alliés
". Mme Rice " a sans doute apprécié à sa juste valeur le soutien
du ministre français des affaires étrangères , Philippe Douste-Blazy,
qui s'est abstenu de critiquer directement Washington : 'Permettez-moi
de rappeler, a-t-il dit, que les Etats-Unis sont nos amis et nos
alliés'. " (Ibid)
Mais
il se trouve que le silence de l'Eglise sur l'atrophie spirituelle
qu'incarne le nouveau débarquement de la torture sur la terre
sera le témoin le plus éloquent de la civilisation du XXIe siècle,
parce qu'il illustrera la nécessité absolue de soumettre tout
le christianisme aux analyses de l'anthropologie historico-critique.
9 - Hitler et l'autorité
religieuse de Rome 
Observons
à la lumière de l'Inquisition et de la légitimation subreptice
et mondiale de la torture le conflit interne qui déchire la personnalité
d'un pape divisé depuis son enfance entre deux fragilités irrémédiables
du monde ancien et moderne, celle du mythe de la rationalité politique
des majorités populaires inspirées par le suffrage universel et
celle d'une Révélation répressive, fractionnée entre des territoires
fort divers. D'où un raidissement angoissé de la théologie du
christianisme tardif sur des formulations dogmatiques d'une fermeté
inquisitoriale, parce que réputées plus immuables que jamais.
Mais il se trouve que Benoît XVI est membre étranger de l'Académie
des Sciences morales et politiques de Paris et que cette enceinte
est celle où s'explicite la relativité universelle, si je puis
dire , des croyances morales et des convictions politiques.
Un pape né en 1927 et dont la vocation philosophique refoulée
se décode à la croisée des chemins entre la théologie chrétienne
et l'anthropologie historico-critique s'est nécessairement trouvé
enrôlé dans la Hitlerjugend (la jeunesse allemande)
et s'est vu contraint, au plus tard à l'âge de quinze ans, de
lire Mein Kampf, dont le premier volume avait été
édité en 1925 et le second en 1927 . En 1942, le tirage de cet
ouvrage se situait autour de neuf millions d'exemplaires dans
une édition reliée des deux volumes en un seul de 780 pages parce
que l'édition allemande ignore pratiquement le brochage.
On y trouve de nombreux " Gott sei Lob und Dank ", formule
liturgique et invocation rituelle qu'on pourrait traduire par
" Dieu soit loué et remercié " , mais aussi un refus de
la pusillanimité des prières . D'où cette
proposition d'invocation: "Dieu Tout Puissant, bénis
nos armes; sois aussi juste que tu le fus toujours; décide
maintenant si nous méritons la liberté. Seigneur,
benis notre combat." (Livre II, chap. XIII)
On
sait qu'aux yeux de Hitler l'Eglise romaine n'a cessé de servir
de modèle idéal d'organisation de l'autorité politique et de l'art
de dominer l'encéphale borné des masses. La réflexion sur le catholicisme
se situe à la source de la théorisation nazie de la nécessité
psycho-politique de fonder la propagande du parti sur le fanatisme
d'une foi invincible et d'une vision monolithique du monde, sans
lesquelles le socialisme patriotique allemand demeurerait local
et ne saurait triompher à l'échelle du monde. D'où des analyses
de la structure interne de l'autorité hiérarchique et doctrinale
que le catholicisme a su fanatiser à l'échelle du globe. " Une
doctrine n'est pas tolérante ; elle ne peut être " un parti
parmi les autres " ; elle exige impérieusement la reconnaissance
exclusive et totale de ses conceptions , qui doivent transformer
toute la vie publique. Elle ne saurait tolérer auprès d'elle aucun
vestige de l'ancien régime." (Mein Kampf , chap.
V, Livre II) Et d'ajouter : " Le christianisme non plus ne
pouvait se contenter d'élever ses propres autels ; il lui fallait
nécessairement ( zwangslaüfig) conduire les autels païens à la
destruction. C'est seulement à partir de cette intolérance fanatique
que la foi apodictique pouvait se former: elle en était le présupposé
absolu. " (Ibid.)
On
relèvera l'édulcoration subtile et inconsciente de l'original
dans la traduction française des Nouvelles éditions latines en
1934, avec, en exergue, une phrase du Maréchal Lyautey : " Tout
Français doit lire ce livre " : " Le christianisme
non plus n'a pas pu se contenter d'élever ses propres autels ,
il lui fallait procéder à la destruction des autels païens . Seule
cette intolérance fanatique devait créer la foi apodictique :
elle en était une condition première absolue. " (Ibid.
)
Les
analyses de Hitler deviennent psychophysiologiques quand la réflexion
sur l'art oratoire du tribun conduit le " Führer " à la
découverte qu'il est impossible de seulement tenter de chauffer
une salle à 10 heures du matin ou l'après-midi et que cet échec
répété devant un public glacial ne tient ni à la qualité de l'orateur,
ni au contenu de son discours, parce que l'expérience démontre
que les œuvres cinématographiques subissent les mêmes contraintes
horaires. C'est que le meneur populaire lutte le soir avec un
auditoire plus réceptif parce que fatigué, ce que l'Eglise catholique
a compris à l'école des plus vieilles religions du monde, qui
usaient déjà de parfums sédatifs et d'une pénombre propice à la
célébration du culte.
Comme
tous les hommes politiques , même dans les démocraties, Hitler
défend la religion pour le motif que les masses ne sont pas en
mesure de fonder une haute éthique sur des autorités autres que
celles de la vénération et de la peur et qu'à ce titre, il est
criminel de ruiner une foi tenue pour sacrée avant d'avoir trouvé
un acteur psychique de substitution capable d'exercer à sa place
la fonction politique d'enfanter une mystique fondamentale - ce
que le communisme avait provisoirement réussi, mais que seul le
socialisme nationalisé allait bientôt remplacer par le triomphe
d'un patriotisme fanatique - ce dont la Révolution française offrait
le meilleur exemple.
Mein Kampf enseignait en outre aux futures élites
politiques allemandes que l'implantation d'une vérité unique dans
les encéphales exigeait une formulation immuable : on l'améliorerait
sans doute à en perfectionner sans relâche la rédaction - " Cent
fois sur le métier … " - mais on ruinerait alors tout le dogmatisme
politique, parce que foules se précipiteraient aussitôt dans la
brèche ainsi ouverte et croiraient déceler une faiblesse de la
doctrine sous la maladresse de plume des rédacteurs précédents.,
incertitude à laquelle Benoît XVI entend bien remédier. Un demi
siècle après Hitler , on a pu observer que le remplacement précipité
du dogme de la " dictature du prolétariat " par la foi
en une " démocratie populaire " qui croyait exprimer la
même domination exclusive des travailleurs sur tout l'univers
a tué le communisme politique. Naturellement, l'encéphale simiohumain
joue sans s'en douter sur les deux tableaux: Hitler a glorifié
la supériorité innée de la race allemande et théorisé dans le
même temps l'ignorance et la sottise des masses avec une méticulosité
machiavélienne . Cette dialectique allait se trouver confirmée
par Vatican II, dont les formulations théologiques diverses
et dans toutes les langues de la terre ont engendré une incertitude
des fidèles sur les fondements ultimes de la foi
10
- La théologie du génocide et de la torture 
Nul ne doute que ce soit avec une relative sincérité que Benoît
XVI rattache l'eschatologie larvée dont les idéaux conceptualisés
de la Révolution sont porteurs à la révélation du salut et de
la délivrance par l' " esprit " dont la religion de la
Croix se déclare porteuse en offrant à la divinité son propre
fils torturé à mort. Mais cette piété demeure nécessairement superficielle,
parce que si elle allait au terme de la logique sacrificielle
qui la commande , elle se verrait contrainte de se livrer à des
analyses anthropologiques du mythe du rachat de l'humanité par
la lente exécution d'un innocent cloué sur une potence afin qu'il
serve de paiement sanglant à un souverain sauvage du monde.
Que se passe-t-il donc au plus profond de l'espèce humano-simienne
quand le pape Benoît XVI prononce pour la première fois de son
pontificat sur la Place Saint Pierre le soir de Noël la phrase
rituelle de la messe : " Recevez sur votre autel le sacrifice
que nous vous offrons avec toute l'Eglise " ? Comment
se fait-il que la foule n'ait littéralement pas d'oreilles pour
entendre ce qu'elle a pourtant entendu ? Comment se fait-il que
le sens des paroles prononcées par l'Eglise échappe aussi entièrement
aux masses qu'aux élites politiques et intellectuelles du monde
entier ?
Car
enfin, il faut souffrir d'une surdité d'origine sans doute psychogénétique
pour ne pas comprendre ce qui est dit en toutes lettres à un tortionnaire
en chef du cosmos. Encore une fois, par quel mystère un message
aussi clair n'est-il pas reçu dans l'entendement rationnel, mais
perçu dans les profondeurs de la nuit semi animale où règnent
la pénombre et l'ivresse de l'encens ? Ecoutons : "Recevez
sur votre étal le cadavre que nous vous offrons tout saignant
au nom de toute votre Eglise. " Autrement dit : " Regardez cette
victime que nous avons tuée sur le gibet où vous nous clouez afin
qu'en échange vous consentiez à effacer l'offense dont nous nous
sommes rendus coupables envers vous. Si vous recevez ce tribut
sur votre offertoire et si vous rassasiez votre cœur et votre
esprit du goût et de l'odeur de cette chair et de ce sang, tenez-nous
quittes de notre dette. Nous reconnaissons que vous avez voulu
nous noyer saintement, nous reconnaissons pieusement que vous
nous torturez à bon droit et pour l'éternité dans votre enfer,
mais si votre haine et votre vengeance ne sont pas encore assouvies
, recevez le corps sanglant de votre fils assassiné et accueillez
en lui notre propre corps à tous, afin que nous connaissions le
prix de vente de votre sainteté à votre créature et que nous sachions
que votre loi de fer nous apporte le salut par la torture éternelle
que nous méritons de génération en génération pour vous avoir
offensé. "
Pour que nous puissions observer le singe-homme qui reçoit ces
paroles avec des bondissements d'allégresse et des cris de reconnaissance
, il faut que nous ouvrions les yeux sur l'évadé du règne semi
animal qui s'est vengé de l'humanité par ces paroles adressées
au dieu de l'homme-singe: " Nous venions à vous avec le pain
et le vin que nous nous partageons sur cette terre; mais puisque
vous me clouez à mon tour au gibet sur lequel votre créature s'assassine
chaque jour afin de glorifier le sacrifice dont votre puissance
se nourrit; et puisque vous faites de moi la bête tuée qui boira
son propre sang et mangera sa propre chair afin de vous complaire,
je ferai de votre sainte nourriture celle de votre créature afin
qu'elle apprenne à se reconnaître à l'échelle des siècles de son
histoire; et quand ses yeux se seront ouverts à se regarder en
vous, elle verra le monstre qu'elle a créé à sa propre image et
ressemblance : et elle l'adorera longtemps dans ce miroir jusqu'à
l'heure du salut et de la grâce où elle vous prendra en horreur
sur votre autel. Recevez en mon sacrifice le meurtre que vous
glorifiez au nom de toute votre Eglise et buvez mon sang et mangez
ma chair jusqu'à la consommation des siècles, afin que le vrai
fils de l'homme prenne votre place dans leurs coeurs. "
On
voit combien il serait vain d'espérer que naisse jamais dans l'Eglise
une radiographie anthropologique du sacrifice de sang, donc de
l'atrophie spirituelle du singe-homme et de son idole . L'œil
qui s'ouvrira sur l'animalité du génocidaire du déluge et sur
ses exploits dans l'administration des tortures qu'il inflige
pour l'éternité aux damnés dans son camp de concentration souterrain
révèlera l'atrophie spirituelle véritable des adorateurs du dieu
des singes sanglants. Qu'est-ce donc qu'un christianisme qui n'ouvrira
pas la bouche sur la torture et dont l'affichage même de sa sainteté
sanctifiera ses crimes?
11
- Qui est le singe-homme?
On
sait que toute la théologie romaine s'est attachée à théoriser
un sacrifice réputé " rédempteur ", mais fondé sur un Christ
immolé de manière rentable, parce que contraint à l'obéissance
payante par la volonté fort pressante de l'idole d'obtenir de
son " fils " qu'il se présente en victime exemplairement
soumise et consentante au meurtre de l'autel. Il existe une théologie
multiséculaire de la poltronnerie religieuse de Jésus dans laquelle
il lui est durement reproché d'avoir hésité honteusement et tremblé
comme une femme devant une mort dont le bénéfice était pourtant
incalculable et dans laquelle il devait se précipiter avec joie,
puisqu'elle allait sauver l'humanité à un prix tout compte fait
ridiculement modeste. Pour l'anthropologie historico-critique
, il s'agit de découvrir pourquoi une religion du meurtre sauveur
se fonde sur la glorification multiséculaire de l'assassinat d'une
victime, laquelle permet à chacun de savourer sa propre avarice
sacrificielle, puisque l'idole se contente de tuer un tiers-payant
sur son autel à la place de toutes ses créatures.
Alors
seulement la portée anthropologique de la tentative manquée de
Benoît XVI de catéchiser les idéalités de la République, puis
de les convertir à un dieu de tortionnaires apparaîtra dans toute
son ampleur . Car, ce faisant, le Saint Siège a indirectement
précipité les démocraties modernes dans la difficulté "théologique"
de se forger, elles aussi, une idéologie de la torture au profit
de l'empire américain. Ne se trouvent-elles pas clairement placées
devant le choix, d'une signification politique immense, qu'elles
refusaient obstinément d'assumer depuis la chute du second empire?
Car ou bien elles se convertissent à un finalisme nécessairement
" spirituel " de l'humanité et de son histoire, mais sans
parvenir ni par la foi, ni à l'école des idéalités de la démocratie,
à définir et à légitimer le " spirituel " en général, puis,
dans la foulée, la vieille connaissance que l'Eglise avait baptisée
le " temporel " et qui dévalorisait les prouesses de l'éphémère.
D'un
côté, il appartient à la civilisation occidentale d'éviter la
rechute de sa politique dans une théologie dont elle se trouve
maintenant informée de ce que l' " arbre de la connaissance
" du Bien et du Mal produit des fruits mythologiques
dans le nouveau jardin d'innocence de l'humanité, celui du salut
par la démocratie mondiale ; de l'autre, il s'agit de féconder
les sciences humaines, ce qui fera appel à des armes nouvelles
de la raison. Mais pour désacraliser l'Eden à l'école d'une anthropologie
critique , l'Europe de la pensée se verra contrainte de se poser
à nouveaux frais la question de la nature de la pomme maléfique
que le cerveau bipolaire de notre espèce consomme dans une Eglise
pécheresse ; et ce sera fonder une connaissance terrifiante de
l'humanité que de connaître le sens anthropologique de l'atrophie
spirituelle. Il y faudra l'audace d'une théorie tellement
nouvelle de l'évolution de notre espèce que les démocraties seront
conduites à s'interroger sur la nature de la semi animalité propre
à un vivant dichotomisé de naissance par le fonctionnement même
de son encéphale. Rude tâche que de s'initier à la pesée de la
spécificité cérébrale d'un animal " ni ange ni bête ",
comme l'enseignait un précurseur de l'anthropologie de demain,
un père conciliaire du XVIIe siècle qu'on appelait Pascal, si
j'ai bonne mémoire, et qui tendait d'avance à Adam la pomme schizoïde
de la connaissance !
Est-il
un destin plus tragique que celui d'un pape allemand qui a découvert
l'âme et la politique de l'Eglise dans un traité machiavélien,
Mein Kampf , et qui y a rencontré à la fois le réalisme
politique d'un théoricien et d'un logicien implacable du fanatisme
religieux et le prophétisme d'un meneur des masses dont l'éloquence
subjuguait les foules? Comment oublierait-il son initiation première
aux secrets de l'esprit d'orthodoxie reçue dans l'adolescence
à l'école d'un apôtre du salut politique du peuple allemand ?
Et voici qu'au soir de sa vie, ce pape a rendez-vous avec une
anthropologie historico-critique dont la logique implacable le
contraint à regarder en face l'évidence que les camps de concentration
ne sont pas une invention de Hitler, mais de son " Dieu "
et de sa propre Eglise - celle du rachat par le sang d'un innocent
. Ne pouvant se dérober à sa vocation de philosophe, ce pape ne
sait ni comment élaborer une théologie de la torture et de la
géhenne éternelle, ni comment échapper à la lave qui remonte du
fond de l'enfer vers un monde des idéalités pseudo salvatrices
dont les démocraties ont fait leur pain eucharistique .
Le
XXIe siècle fera de la torture l'arme de combat d'un Lucifer plus
déguisé que jamais en divinité. Ce n'est pas un saint qui l'a
crié à la face de la terre, mais un écrivain anglais à l'agonie
sur un lit d'hôpital, qui fit de son discours de réception du
prix Nobel de littérature à Stockholm un symbole de la crucifixion
de l'esprit au profit de l'empire américain. Et si tout le christianisme
était le fruit de la vengeance du Socrate, qui a fait de sa potence
le poison et l'élixir du genre humain ?
12
- Une spectrographie de l'encéphale du monde 
Benoît XVI était un philosophe allemand que son époque avait cloué
sur la croix de la raison occidentale de son temps. Celle-ci se
trouvait alors scindée entre un Dieu de la torture et un idéalisme
aveugle. Ni la théologie de l'autel des chrétiens, ni la pensée
abusivement qualifiée de rationnelle n'avaient découvert leurs
racines anthropologiques communes dans le sacrifice de sang qui
nourrissait de ses prébendes la politique et l'histoire de l'espèce
au cerveau biphasé.
Et
pourtant, ce pape avait rendez-vous avec le destin intellectuel
du monde ; car sans aucunement le savoir et le vouloir, il se
situait dans la postérité anthropologique promise à un idéalisme
allemande dont la logique interne était demeurée aussi impérative
que celle des catégories a priori du philosophe de la raison
pure, d'une part, mais fécondée, d'autre part, et en secret par
une postérité non moins coercitive - celle d'une théologie enfin
citée à comparaître en accusée devant le tribunal où le Dieu des
tortures infernales et le génocidaire dément que l'Occident vénérait
aveuglément depuis deux millénaires était appelé à rendre des
comptes aux éducateurs nouveaux de l'encéphale simiohumain.
Aussi Benoît XVI se demandait-il avec angoisse comment l'existence
de l'idole serait démontrée aux générations futures si son séraphisme
sanguinaire copiait celui des idéalités casquées de la démocratie
de croisade que le Nouveau Monde avait lancées à l'assaut de la
terre. Or, l'évangélisme protestant avait, lui aussi, conclu que
le monstre céleste existait pour le motif kantien qu'il était
politiquement indispensable qu'il existât , de sorte que la raison
pratique allemande était devenue à son tour la maîtresse de la
théologie de la grâce sous le vaniteux apparat de ses dévotions
aux idéalités de la raison ; et puisque la fin justifiait les
moyens, allait-on pieusement soutenir que la torture était la
loi de fer de l'histoire simiohumaine et que, par conséquent,
l'existence d'un dieu saintement concentrationnaire se révélait
inévitablement démontrée par la nécessité catéchétique de le proclamer
existant, ou bien l'Occident de la pensée se réveillera-t-il à
croquer la pomme acide d'une anthropologie des idoles?
Je
prophétise sans risque de me tromper que la première encyclique
de Benoît XVI à paraître en janvier 2006 copiera le pragmatisme
classique de la raison religieuse simiohumaine, dont les propositions
sacrées seront clouées sur la porte de l'Eglise de Wittemberg
des modernes . On y apprendra que les vérités de la foi se démontrent
par l'efficacité des résultats politiques qu'il sera nécessaire
de leur attribuer dans l'histoire et dans la politique des immolations
afin qu'elles paraissent revêtues des dorures de la " justice
" et de la " liberté ". Mais le terrible ironiste qu'on
appelait La Torpille demandera à la porte du roi où l'attendra
le tribunal des Archontes : " Dis-moi, Euthyphron, les dieux existent-ils
pour le motif que Zeus et ses confrères de l'Olympe étaient des
personnages indispensables au fonctionnement satisfaisant du cerveau
dichotomique des Grecs de ce temps-là ? "
A son tour, la civilisation mondiale demande à Socrate comment
l'Eglise catholique se dérobera longtemps encore à la question
sacrilège, donc fondatrice, que lui pose une anthropologie de
la simiohumanité toute proche d'observer l'aporie centrale dont
souffre une espèce si mal évadée de la zoologie qu'elle échoue
encore à décrypter son encéphale à la lumière d'une lecture de
son évolution. Comment se fait-il que le cerveau d'un animal
biphasé de naissance se laisse convaincre par les nombreuses mythologies
toutes bipolaires en diable et qui ne cessent de s'emparer de
force de son encéphale ? Quel est l'entendement d'un animal qui
se fera tuer pour conserver sa croyance ? Comment se fait-il qu'une
zoologie à la fois vénératrice et terrifiée enfante des personnages
fantastiques et qui ne stupéfient personne à siéger dans les imaginations
? Qui suis-je à radiographier ces acteurs, ces représentants et
ces témoins criants d'une espèce dont l'Eglise n'ouvrira jamais
les yeux sur l'héritage du réalisme politique du nazisme et du
communisme réunis au plus profond de la politique de l'Occident
?
Décidément,
l'Occident est mis au pied du mur par la dialectique née à Athènes
il y a vingt-quatre siècles, parce que notre civilisation ne peut
ni retourner à l'âge totalisant des théologies, ni retrouver l'audace
de la philosophie introspective de l'homme à la ciguë sans se
voir contrainte de briser le verrou de la peur et d'observer le
nouvel empire de la torture qui se met en place sur toute la terre.
Comme ce rendez-vous-là est celui de l'Europe effrayée avec son
destin politique, il ne reste qu'à souhaiter au singe-homme un
heureux bondissement hors de sa cage. L'histoire retiendra
qu'un pape allemand rescapé de l'Allemagne nazie n'aura pas condamné
solennellement la torture, parce que le réalisme politique demeure
la clé de " l'éthique " du monde.
3 janvier 2006