L'anthropologie
historico-critique observe comment le simianthrope spéculaire
tente de greffer son identité schizoïde sur le symbolique auquel
il voudrait s'identifier . Cette analyse permet de distinguer
les personnages divins - les idoles - des héros littéraires
, qui n'illustrent pas le même type de dichotomie cérébrale.
Les trois dieux uniques
figurent l'animalité spécifique des évadés de la zoologie dont
la vie onirique se branche sur leur corps collectif . Celui-ci
se scinde entre le rêve et la géhenne ; il tourne sur la roue
du sacrifice sans fin de l'autel sur lequel il s'immole à sa
propre survie dans le symbolique.
1
- Un télescope géant
2
- Pourquoi les dieux ont-ils un corps ?
3
- Comment substantifier le symbolique ?
4
- Le sens anthropologique du prodige de l'autel
5
- Quel " Dieu " ?
1
- Un télescope géant 
L'athéisme se serait-il endormi ? Au XVIIIe siècle, il inspirait
les attentes, les espoirs, les promesses de l'intelligence , au
XIXe il ouvrait à deux battants les portes de la pensée et de
la connaissance, au XXe , la découverte de l'inconscient l'avait
introduit dans le royaume de son approfondissement - et maintenant,
il piétine dans la superficialité et le ressassement. Mais, de
même que l'Europe politique ne recevra son élan que de électrochoc
du réembarquement des troupes américaines d'occupation qui y campent
depuis six décennies, le continent de la raison ne renaîtra que
de ses retrouvailles avec son combat bi-millénaire contre les
forteresses de la pensée mythologique.
On
se souvient que, dans mon dernier texte :
A
propos des caricatures de Mahomet. Mort et résurrection de
l'Europe de la pensée, 24 février
2006
je
rappelais l'adage de Symmaque : Suus cuique mos, suus cuique
ritus, " A chaque peuple ses usages, à chaque peuple son
culte ". Depuis lors, le christianisme a légitimé ce précepte
sous la formule : cujus regio, ejus religio , " à telle
région, telle religion ". Autrement dit , le cerveau simiohumain
sécrète des rêves religieux locaux, comme la nature enfante des
troupeaux. Le simianthrope est un animal tellement épouvanté de
se trouver jeté dans le vide qu'il se fabrique des systèmes immunitaires
qu'il appelle des théologies et qui installent des protecteurs
dans l'immensité.
La question est donc de savoir comment l'athéisme a pris du retard
sur les troupes du choc du "Connais-toi". Un siècle et demi après
Darwin et un siècle après Freud, n'est-il pas devenu aussi vain
de débattre de l'existence de Jahvé , du Dieu des chrétiens ou
d'Allah que de celle de don Quichotte, d'Hamlet , du Roi Lear
ou d'Alice aux pays des merveilles ? La vraie question n'est-elle
pas devenue de savoir comment les idoles dociles aux climats et
aux lois de la géographie se distinguent des héros littéraires,
ce qui exige une anthropologie historico-critique dont le miroir
géant observera la morpho-psychologie des dieux anciens et nouveaux
? Or, un tel télescope a besoin d'une mémoire, celle du contenu
doctrinal des trois théologies du monothéisme et d'une connaissance
fouillée de leur histoire. Cette connaissance-là, les Diderot
et les Voltaire en disposaient encore, alors que la raison d'aujourd'hui
a rejeté ce type de savoir dans les ténèbres sans se demander
un instant ce que les billevesées auxquelles se livre le cerveau
du simianthrope nous apprennent de sa configuration et de son
fonctionnement.
2 - Pourquoi les dieux
ont-ils un corps ? 
Pour
mener à bien une coalescence entre une anthropologie fondamentale
et la connaissance rationnelle de l'inconscient semi animal qui
régit les fuyards des ténèbres, il faut commencer par se demander
pour quelles raisons tous les dieux sont doté d'un corps. Zeus,
Mars, Vénus, Neptune avaient des bras et des jambes. Mais on oublie
un peu vite que Jahvé a des mains " grosses comme des battoirs"'
, dit l'Ecriture. Quant au Dieu des chrétiens, il ne s'est décorporé
que prudemment, puisqu'il a pris soin de confier la gestion de
ses attributs physiques à son substitut - le Christ des théologiens,
aux yeux desquels la seconde personne de la Trinité possède une
rate, un foie et un estomac divins , ce que Benoît XVI a tenu
à rappeler solennellement à tout le peuple chrétien à l'occasion
de la mort de Jean-Paul II : non seulement c'est en personne que
le crucifié a tenu à accueillir ce pape sur le seuil du paradis
, mais il a pris la précaution de lui réserver des égards exceptionnels
en se faisant accompagner par la Vierge Marie. Il faut savoir
que la description physique des ressuscités occupe des chapitres
entiers de saint Thomas d'Aquin et que l'Eglise n'est pas près
de réfuter la théologie de son docteur officiel - et cela pour
des raisons accessibles seulement à une anthropologie fondamentale,
donc à une simianthropologie générale .
Pourquoi
tous les mythes sacrés reposent-ils sur des dieux en chair et
en os? Pour le comprendre, il suffit d'observer ce qui est arrivé
au plus tardif des trois dieux uniques : pour avoir commis l'imprudence
insigne de se laisser vaporiser, Allah n'a pu résiste à l'exigence
compensatoire de diviniser son porte-parole, au point que le crime
de dessiner Mahomet l'a emporté en gravité sur le sacrilège de
l'athéisme!
3
- Comment substantifier le symbolique ? 
Mais en quoi les corps des trois dieux mi-anges, mi-bêtes dits
uniques diffèrent-ils de ceux d'Achille, de Gulliver, d'Ulysse,
de Gargantua, d'Hamlet, du Quichotte ou du Dr Faust ? En ce qu'ils
sont chargés d'établir une interconnexion focale et en quelque
sorte palpable entre le symbolique et le biographique. C'est que,
depuis Platon, les semi évadés de la zoologie se sont aperçus
qu'ils demeurent bien incapables de jamais souder leurs signifiants
à la terre ferme, d'incarner leurs signaux , de brancher leurs
représentations intellectuelles sur la matière cosmique à laquelle
ils ne se sentent pourtant greffés qu'à demi. Le simianthrope
a beau froisser entre ses doigts l'étoffe d'un drapeau , passer
la main sur l'uniforme d'un gendarme, caresser l'hermine d'un
président de la Cour de cassation, jamais il ne touchera la France,
la République, la Justice, la Liberté , la démocratie et autres
personnages aussi symboliques, donc mythologiques que leurs majuscules.
Telle
est la dramaturgie de la condition simiohumaine dont les trois
dieux dits uniques ont fait leur proie : s'il n'est pas moins
impossible de toucher ces personnages que de pousser du coude
Hamlet ou don Quichotte , ce n'est pas pour le motif que leurs
structures cérébrales et leurs psychophysiologies se combattent
entre elles, comme en témoigne la rivalité entre leurs théologies
respectives, mais parce que le singe-homme est mis au piquet par
les symboles auxquels il tente de s'identifier. Aussi s'exténue-t-il
à leur mettre la main au collet . Une espèce insaisissable de
naissance est condamnée à flotter entre ciel et terre. Ses songes
lui donnent son habitat. C'est que, par définition, le cerveau
transanimal ne sécrète pas des substances, mais des valeurs et
les valeurs ne se laissent pas capturer . Aussi le croyant demeure-t-il
non moins séparé de son idole par le marbre de l'autel, le métal
du ciboire, les parfums de l'encens, les rites inlassablement
répétés et par tout l'appareil des litanies et des liturgies que
le citoyen demeure sans prise sur une France et une République
évadés de ses pompes, de ses cérémonies et de la solennité de
ses commémorations officielles. Socrate s'étonnait de ce que Criton
s'apprêtait à le reconnaître dans sa dépouille mortelle. Le "
culte de la patrie " s'adresse à un royaume aussi invisible
que le " Socrate " absent de son cadavre.
4 - Le sens anthropologique
du prodige de l'autel 
Face à cette aporie originelle, le christianisme a imaginé le
plus étonnant des subterfuges cultuels, celui de donner le symbolique
à manger et à boire. Le chrétien qui croit ingurgiter l'hémoglobine
et manger la chair de l'idole - au sens où l'entend le catéchisme,
c'est-à-dire matériellement - concrétise le signifiant à la manière
d'un citoyen français dont la piété serait parvenue à consommer
la France idéale qui ne se trouve que dans sa tête.
Et
voilà pourquoi tous les dieux sont censés posséder une ossature
et des viscères qui servent à leurs adorateurs de médiateurs magiques
entre le signe et le réel ! Mais, avec Calvin, l'impossibilité
de faire main basse sur des signifiants, donc de palper du sens,
a anéanti le prodige fondateur de la condition simiohumaine, celui
que symbolise la folie eucharistique de s'incorporer la divinité.
Les idoles éclairent le manque qui fait, du simianthrope, le Tantale
du symbolique qu'il voudrait devenir à lui-même , donc " incarner
".
L'acteur de génie parvient à faire croire au public qu'il est
parvenu à habiter le Hamlet de Shakespeare, comme le Général de
Gaulle s'identifiait à la France symbolique. Pourquoi applaudit-on
la prouesse des demi dieux qui dotent d'une gestuelle théâtrale
des personnages figurés sur les planches, alors que nul n'applaudit
l'exploit imaginaire de s'incorporer la chair et le sang de "
Dieu " sur la scène du monde ? Parce que cet échec-là illustre
le tragique de l'animal qui voudrait substantifier sa propre symbolique.
5
- Quel " Dieu " ? 
Les
Grecs demandaient à leurs dieux de leur donner un coup de main
en échange de leurs offrandes . Le Dieu des chrétiens s'immole
sans relâche sur l'autel du sacrifice. C'est que cette mise à
mort arme les sociétés simiohumaines d'un tribut pseudo volontaire
au personnage payant que leur propre corps collectif est à lui-même
. Mais leur idole est une bête féroce dont la feinte sainteté
enfourne sa créature dans le four crématoire de ses châtiments
éternels. Les trois dieux uniques sont des animaux schizoïdes
.
On
commence de comprendre pourquoi l'athéisme est devenu la plus
acéphale des philosophies . On songe aux joutes de deux sophistes
au siècle de Périclès , l'un plaidant pour l'existence de Zeus,
l'autre pour son inexistence. Mais les bûchers se sont déplacés
: ils attendent de brûler vif le premier des psychanalystes et
des anthropologues , un certain Socrate, qui disait que l'homme
est l'animal malade de s'imaginer savoir ce qu'il ignore. L'athéisme
deviendra-t-il le scrutateur d'avant-garde de l'encéphale simiohumain
?