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A propos du film Da Vinci Code

L'anthropologie logique et la christologie transzoologique, Le génie prophétique en ses relations avec l'histoire

 

J'ai hésité à mettre sur internet le texte qu'on va lire. D'un côté , l'échec du film Da Vinci Code auprès des élites démontre que la culture occidentale n'est pas décédée et que la rusticité américaine n'a pas encore plongé des racines profondes dans la civilisation des conquêtes de la pensée . Mais d'un autre côté , ces bonnes nouvelles d'Alice au pays des merveilles présentent le danger de masquer la cruelle évidence que l'humanisme européen ne dispose d'aucune connaissance rationnelle des Moïse , des Jésus, des Mahomet , parce que, dans l'état actuel de la civilisation mondiale, le prophète n'est pas un type humain accessible à nos sciences humaines . Devais-je profiter de l'échec d'un film calamiteux sur ce sujet pour mettre en ligne une réflexion simianthropologique encore plus ardue que les précédentes ou bien fallait-il publier ce texte dans une revue philosophique ?

On sait que le champ d'interprétation des mythologies religieuses qu'explore la Revue de métaphysique et de morale demeure étranger à toute recherche tant philosophique que scientifique sur l'évolutionnisme et sur l'inconscient. Ignorer Darwin et Freud au début du IIIe millénaire, n'est-ce pas prendre autant de retard sur notre temps que la cosmologie théologique du XVIe siècle sur Copernic et celle du XVIIe sur Galilée? Quant à m'adresser à une revue d'anthropologie dite scientifique, on sait qu'elles n'étudient que des crânes, des fémurs, des mâchoires et des dents et que si elles se veulent de plus en plus attentives à calibrer le volume de nos boîtes osseuses, elles n'ont pas encore songé à fabriquer la balance à peser le contenu de leur cubage. Reste l'industrie du livre ; mais nul n'ignore que l'édition de masse ne saurait se mettre au rythme de la recherche intellectuelle d'avant garde.

Certes, la réflexion mondiale sur les croyances religieuses a un peu progressé dans la voie que j'ai essayé de frayer dans mon Essai sur l'avenir poétique de Dieu (Pascal, Bossuet, Chateaubriand, Claudel, Plon 1965), L'idole monothéiste (P.U.F. 1981) , Et l'homme créa son Dieu (Fayard 1984), Jésus (Fayard, 1985), Une histoire de l'intelligence (Fayard 1986) , et surtout dans mon Le Combat de la raison (Albin Michel 1990). Mais depuis lors, le livre est devenu une marchandise.

C'est pourquoi j'avais prévu, dès 2002, une focalisation non négligeable de la recherche intellectuelle sur internet , et notamment dans les sciences humaines (Internet et la nouvelle élite intellectuelle mondiale, 31 mars 2002.) . Cette prévision s'est d'ores et déjà partiellement concrétisée, puisque ce sont constamment mes analyses les plus difficiles à suivre qui ont retenu l'attention du plus grand nombre de lecteurs. Ma radiographie anthropologique de l'agonie sacrificielle de Jean Paul II (A propos de la mort sacrificielle de Jean Paul II , 12 avril 2005.) , mon scannage des caricatures de Mahomet (A propos des caricatures de Mahomet, Mort et résurrection de l'Europe de la pensée, 24 février 2006 ), ma spectrographie de la crise internationale artificielle que provoque l'ambition atomique légitime de l'Iran (Le savoir et l'action. L'Europe vassalisée face à l'Iran révolté, 1er septembre 2005) ont atteint une moyenne plus de quatre cents consultants par jour pendant un mois.

J'ai donc étudié l'accoucheur de " Dieu " du nom de Jésus à la lumière de la problématique et de la méthodologie de la simianthropologie, discipline qui s'attache notamment à faire débarquer dans le champ des sciences humaines une connaissance rationnelle de la personnalité psychocérébrale des prophètes, puisqu'un animal en évolution se trouve nécessairement en route entre deux espèces. Peut-il faire le point ? Quel regard porte-t-il sur l'histoire de son encéphale, compte tenu de ce que son évasion de la zoologie n'est pas achevée ?

1 - Le drame de l'humanisme manchot
2 - Les cerveaux solitaires
3 - Qu'est-ce que le génie religieux ?
4 - Apparition du veau d'or
5 - Au commencement était l'idole
6 - Les métamorphoses du veau d'or
7 - Le globe oculaire des prophètes
8 - L'anthropologie logique et l'évolutionnisme
9 - Le génie religieux et la sexualité
10 - L'anthropologie logique et la documentation théologique
11 - L'odeur de la guerre angélique
12- Le dédoublement du symbolique
13 - Henri Bergson et sa postérité
14 - La théologie de l'ange
15 - Les fondements psychobiologiques du tartufisme simiohumain
16 - L'auto-sanctification démocratique
17 - Le meurtre réel et le meurtre symbolique
18 - Suite de l'histoire du veau d'or
19 - La biographie des créateurs
20 - Le cerveau simiohumain et la substantification des signes
21 - La politique moderne et la substantification des signes
22 - La physique angélique
23 - L'ange de la mort
24 - Un singe au paradis
25 - L'avenir de la rédemption angélisée
26 - " Le vrai roi des enfers, c'est toi ! "

1 - Le drame de l'humanisme manchot

Le film raté Da Vinci Code a néanmoins réussi à faire débarquer jusqu'au sein de l'Eglise catholique la querelle multiséculaire et en apparence sans issue qu'on passait sous silence depuis Voltaire entre la croyance religieuse et la connaissance historique. Est-il temps, pour une anthropologie logique, de proposer un décryptage tel de l'histoire de la civilisation occidentale depuis la Renaissance que la fossilisation parallèle des constructions théologiques et de celles de la raison historique classique deviendrait explicable? On sait que, pour l'instant, toute compréhension rationnelle du génie religieux considéré en lui-même demeure frappée d'interdiction par la pétrification doctrinale des mythes sacrés ; mais comment une science anthropologique demeurée superficielle ne conduirait-elle pas également à une glaciation dogmatique des fondements de l'humanisme mondial, et cela par des voies seulement mieux cachées que celles de la théologie ou du bucolisme renanien? La paralysie d'une semi culture de bergerie illustre à la fois le naufrage scientifique et le naufrage " spirituel " d'une Renaissance qui se vantait de ce que " rien d'humain ne lui était étranger ", alors que, dans le même temps, la connaissance anthropologique des chemins semi conscients qu'emprunte le génie dans tous les ordres du savoir et de l'art est devenue un vide que les astronomes appellent un trou noir.

Naturellement, ce désastre psycho-cérébral est également la clé de la méconnaissance de la vraie nature de l'inspiration visionnaire qui vivifie le génie littéraire mondial, parce qu'une civilisation dans laquelle la biographie tragique des Moïse, des Jésus, des Mahomet s'arrête à l'orée de leur vie de créateurs d'un dieu se trouve également condamnée à ignorer la biographie sommitale des poètes, des musiciens, des peintres, des mathématiciens, des physiciens, dont un humanisme en mesure d'escalader les crêtes d'une martyrologie devrait nourrir la connaissance.

La conjonction d'un positivisme théologal borné et d'un positivisme scientifique banalisé suit des chemins appelés à se croiser au même carrefour, celui du refus de chercher les secrets cérébraux des mutations qualitatives de l'intelligence simiohumaine. Dans l'Eglise, la tyrannie des surmois communautaires ritualisés condamne chacun à demeurer les yeux fixés sur la baguette d'un chef d'orchestre fascinatoire du cosmos, dans la science , on rencontre un autre péché originel, celui de chercher la vérité dans l'"universel" le plus rudimentaire, c'est-à-dire dans la banalité. De ces deux arts de " chanter dans le chœur " découle une même dictature, celle d'un enfermement dans une positivité tautologique et piétinante par définition, puisqu'elle se trouvera toujours et infailliblement démontrée d'avance par la cécité de son champ d'exercice. Comment en serait-il autrement si le territoire de l'expérimentation préalablement assigné aux deux royaumes se fondera nécessairement et d'autorité sur l'exclusion systématique de l'étude du singulier ?

Dans le sacré, l'examen de la psychophysiologie de l'idole demeurera non moins interdite que l'échographie du cerveau des mutants dotés d'une capacité relative d'observer leurs congénères de l'extérieur ; car, dans l'un et l'autre camp, un savoir délimité par un magistère dûment désigné prédéterminera le lopin qu'il sera permis de connaître à l'aune du corps sacerdotal concerné. Mais le génie porte le regard sur les cléricatures ouvertes ou cachées ; car c' est toujours dans leurs enceintes bien ratissées que s'élaborent les problématiques simiohumaines. Observer les clôtures des savoirs, c'est peser le contenu psychobiologique de la notion d'objectivité.

2 - Les cerveaux solitaires

Pourquoi, dans les deux camps, un grégarisme psychobiologique commun à tous les simianthropes semi cogitants exclut-il la recherche des voies et chemins de la méthode qui aboutirait à la connaissance des cerveaux créateurs, donc aberrants ? C'est que les mutants sont solitaires, tant par nature que par définition. C'est donc la peur qu'éprouve la raison moyenne d'une époque de se trouver chassée du jardin d'Eden de la connaissance et livrée à l'érémitisme de l'intelligence, c'est donc le besoin d'exorciser sa propre terreur de découvrir le tragique de la vérité au plus secret de soi-même qui commande le réflexe des collectivités semi pensantes de rejeter l'étude anthropologique de la singularité des sujets cérébralement déviants, puis de refouler l'analyse traumatisante de la psychobiologie de l'idole meurtrière dans laquelle le groupe se reflète et conjure sa peur.

Mais une civilisation dont l'humanisme veut ignorer l'identité éthique et cérébrale d'Isaïe, de Moïse , de Jésus, de Mahomet, de Socrate, du Bouddha, d'Homère, de Léonard de Vinci , de Rimbaud, de Descartes, de Kant, de Nietzsche n'est-elle pas, en réalité, encore privée d'un cerveau réveillé, donc capable de se reconnaître dans son miroir? Une culture qui entend ignorer ce qu'il faudra bien se résigner un jour à appeler l'intelligence proprement humaine, une culture qui aura refusé d'apprendre à observer l'encéphale simiohumain aura imposé un retard dramatique à la connaissance rationnelle de la boîte osseuse dont l'humanité se trouve dotée. Darwin n'avait-il pas promis à notre espèce que son crâne connaîtrait les bienfaits d'un grossissement progressif ? Freud ne nous avait-il pas donné l'assurance que notre raison embryonnaire s'ouvrirait à un regard sur les coulisses de notre apparence de conscience? Mais comment la vocation innée de l'encéphale simiohumain à quitter sans cesse davantage le règne animal dans lequel il se voit enfermé ne retrancherait-elle pas cet organe du capital psychobiologique figé de la masse de ses semblables?

3 - Qu'est-ce que le génie religieux ?

Imaginons un humanisme dont la connaissance spectrale du genre simiohumain serait en mesure de scanner l'encéphale des prophètes. Quelle sera la spécificité psychique et éthique de ce type de créateurs ? Les Moïse , les Isaïe, les Jésus, les Mahomet présenteraient-ils des traits psychocérébraux dont l'analyse conduirait la raison scientifique à la connaissance du génie poétique ou pictural ou musical ? L'éveilleur originel de l'intelligence, le Bouddha, nous dira-t-il quel est l'enjeu simianthropologique focal qu'illustre l'abolition des sacrifices humains chez Abraham , l'abolition, de surcroît, du culte du veau d'or chez Moïse , l'abolition supplémentaire de la ritualisation sacerdotale du sacré chez Jésus, l'abolition, enfin, d'un clergé institutionnel chez Mahomet ?

Il se trouve que le singe-homme déclare apercevoir en tout premier lieu l'erreur " en tant que telle ". Mais sur quel fondement l'esprit simiohumain rejette-t-il le faux ? S'il le détecte au sein de la problématique qui l'enchâsse dans l'écrin trompeur de la dialectique tautologique dans laquelle la raison de son temps se trouve enclose, alors la solitude cérébrale des mutants ne sera pas le fruit du mûrissement d'une lumière transanimale. Pour tenter d'éclaircir ce point décisif , il faut commencer par se demander quel est le statut anthropologique des idoles extériorisées et censées en représentation sur les planches d'un théâtre, celui de l'histoire. Pourquoi sont-elles censées trôner hors de l'encéphale simiohumain, alors que, dans le même temps, elles se déplacent lentement ou à toute allure sur la scène des métamorphoses éthiques et cérébrales du cerveau de leurs adorateurs ? C'est cette énigme que les prophètes démasquent et traquent dans l'enceinte de la conque osseuse de leurs congénères.

4 - Apparition du veau d'or

Voilà un tournant prometteur du patient déchiffrage de l'évolution cérébrale des singes mutants. Comment le prophète sait-il de science certaine qu'il n'enfantera pas à son tour une idole collective un peu plus difficile à reconnaître comme telle que la précédente si la pensée transanimale court sur le chemin d'une solitude où elle prend le risque de rencontrer une idole exclusivement réservée à son propre usage ? Mais si le génie religieux a rendez-vous avec une idole de génie, qu'en sera-t-il de la solitude d'une idole mise à l'écoute d'un seul homme, qu'on appellera son prophète, et comment cet unique auditeur rédigera-t-il les écrits du créateur du cosmos? Dans quel miroir ces deux-là vont-ils se dévisager s'il n'y a plus de tiers surplombant pour les observer de l'extérieur ? Mais peut-être le prophète n'a-t-il rendez-vous qu'avec un interlocuteur surréel de son propre génie. Dans ce cas, comment enfante-t-il son partenaire?

Le prophète ne voit jamais que les traits d'un dieu imaginaire, puisqu'il le rend prisonnier du temps sitôt qu'il le conçoit. Toute divinité se réfute à seulement ouvrir la bouche. On reconnaît infailliblement une idole à la dégaine de sa parole. Comment apercevrait-on jamais un vrai dieu si l'on ignore de quel dieu toute idole serait une contrefaçon ? Peut-être les dieux tombés dans le temps s'enchâssent-ils désespérément l'un dans l'autre. Dans ce cas, il n'est pas de vrai regard de l'extérieur sur ces poupées russes et jamais aucun prophète ne pourra proclamer : " Voilà le véritable souverain de l'univers ". On comprend que saint Thomas ait achevé sa vie sur l'aveu que la sainteté athée est le sommet de la vie mystique et que toute théologie n'est que de la paille - " ut palea ", dit-il - puisque le singe-homme ne conjugue nécessairement qu'un verbe exister chu dans le temps. Capturer l'absolu est contradictoire. On dira que l'absolu voit le temps de l'extérieur. Mais si le temps et son dieu sont installés dans le temps, ce ne sera pas l'œil de l'absolu qui les regardera. Saint Augustin seul a vu cette difficulté : avant de créer le monde, dit-il, " Dieu " a créé l'espace et le temps. Mais ce théologien s'est pris à son propre piège : si l'idole a fait précéder une création par une autre, il est déjà prisonnier du temps et son éternité n'est qu'une rallonge ridicule à la mortalité de sa créature.

C'est dire qu'une simianthropologie rigoureuse est bien obligée de se demander pourquoi le génie religieux part en guerre contre les idoles sans savoir d'où il prétend les regarder; car, s'ils le savaient, les prophètes seraient des fossoyeurs myopes; s'ils le savaient, il faudrait chercher chez Abraham, Moïse, Jésus, Mahomet les secrets d'un génie religieux condamné à demeurer en panne et toujours situé à une distance infinie de la connaissance dernière des idoles; s'ils le savaient, une véritable simianthropologie se demanderait ce qui permet à certains encéphales de photographier des idoles, de les fixer sur la pellicule au premier déclic de l'appareil, de cerner l'enjeu politique d'une connaissance certes scientifique des idoles, mais qui conduit seulement le singe-homme à la solitude de le priver de toute leur compagnie sans le laisser percer pour autant le secret de la lumière qui lui assure une prise de vues toute partielle.

Et pourtant le prophète est l'animal visionnaire qui voit clair comme le jour ses congénères enchaînés à leurs idoles . La pleine lumière de cette évidence lui crève les yeux. Il ne s'abaisse pas à construire des raisonnements logiques pour convaincre ses congénères de leur sottise. Il pourrait leur dire : "Il est curieux que le singe-homme croie en l'existence de l'idole de l'endroit où le hasard l'a fait naître et déclare inexistantes toutes ses pareille pour le motif qu'elles se sont domiciliées ailleurs. Mais si une seule d'entre elles pouvait se prévaloir du verbe exister, comment se fait-il que toutes les autres se dénoncent entre elles comme inexistantes au seul spectacle du ridicule de leur cosmologie localisée?" Et pourtant, l'accoucheur d'un dieu enfante un soleil qui le jette dans la nuit de la mort. Les prophètes seraient-ils à la fois des simianthropologues de première force et des errants en perdition dans les ténèbres, puisqu'ils nous guideraient vers la connaissance du tragique semi trans animal des semi évadés de la zoologie - ce qui les contraindrait à observer la généalogie des idoles devant lesquelles leurs congénères se prosternent ?

5 - Au commencement était l'idole

Au commencement était le chef, donc le maître ; au commencement était la gloire d'un maître grassement nourri d'offrandes et de prébendes ; au commencement étaient les sacrifices; au commencement étaient les flatteries des gens de cour ; au commencement étaient les marques de bienveillance péniblement extorquées à un ciel rétif. Le simianthrope est donc un animal qui veut être commandé . Le priver de son souverain, c'est le priver de guide, le priver de guide, c'est le précipiter dans une solitude qui se changera bientôt en épouvante. Il résulte de ces prémisses que si vous soustrayez le singe-homme à l'idole dont la sauvagerie se trouvera nécessairement proportionnée à la terreur qu'elle inspirera à sa créature, il cherchera en tous lieux les cadeaux les plus dispendieux à déposer sur ses autels, pour le motif que les plus coûteux seront les plus efficaces à ses yeux. Puis il s'exercera à mille ruses afin de limiter la cruauté du tyran céleste dont il se reconnaîtra pourtant l'esclave. Adoucir la fureur du monstre qu'il aura placé au-dessus de sa tête, ce sera en tirer un avantage sans prix.

Du coup, la théologie se divisera en deux parties, celle qui traitera sans lésiner des prérogatives du tyran et celle qui aménagera tenacement les droits parcimonieux qu'on le contraindra à concéder à ses serviteurs. Il résulte de ces prolégomènes que si le prophète s'attaque aux idoles despotiques tout en ménageant leur susceptibilité, c'est qu'il figure le prototype de l'espèce imperceptiblement post animale que sa supériorité cérébrale naissante porte déjà à tenter de cerner l'animalité spécifique des idoles et de leurs esclaves. Il faut donc que la simianthropologie se demande de quel œil le prophète regarde ses congénères domestiqués. Qu'en est-il des animaux agenouillés devant un éternel veau d'or ? Pourquoi le prophètes veut-il ils tuer le veau d'or que le singe-homme fait paître sur les autels de son propriétaire imaginaire ?

6 - Les métamorphoses du veau d'or

Abraham est le premier civilisateur des idoles. C'est un Egyptien, un disciple d'Akenaton. Son nom se décompose en Ab, Râ, H'Amon - Amon signifie " humanité " en mésopotamien, Ab, " le père " et Ra est le dieu de l'Egypte. Le génie politique de ce premier prophète de l'insoumission aux idoles fut de substituer un agneau sur l'autel où le roi du cosmos lui demandait de tuer pieusement son fils aîné. Mais sitôt qu'un autre Egyptien révolté, du nom de Moïse, eut établi un culte fondé sur une réglementation limitative des droits et des lois du chef du cosmos, l'idole originelle a changé de nature du seul fait qu'elle se trouvait soudain placée à la tête d'une armée redoutable de serviteurs entièrement dévoués à sa cause et dont les prérogatives augmentaient sa propre puissance en retour. Du coup, les phalanges de la prêtrise sont devenues à elles-mêmes leur idole ; et le nouveau veau d'or a étalé les privilèges d'une caste sacerdotale de courtisans du ciel dotés de l'appareil d'Etat d'une ritualisation majestueuse des profits qu'ils tiraient de la foi publique ; et ils se sont mis à vanter à leurs congénères les prébendes que leur accordait leur ciel afin de les en faire bénéficier au prorata de leur assujettissement au clergé de l'endroit.

Un prophète plus rebelle encore que Moïse allait-il terrasser le veau d'or que l'inexpérience de son prédécesseur avait mis en place à son corps défendant ? Pour l'apprendre, la simianthropologie expérimentale observera à la loupe la complexion psycho-cérébrale d'un troisième dompteur des idoles, du nom de Mahomet, lequel, ayant observé que le christianisme avait mis moins de deux siècles pour reconstituer le " veau d'or " d'une puissance ecclésiale immense, imagina de fonder une religion sans clergé, de sorte, pensait-il, que chaque croyant deviendrait à lui-même son propre prêtre.

Mahomet disposait de l'expérience politique d'un prophète tardif : il avait pu observer les ravages du culte des images dont les moines chrétiens avaient fait leur arme de combat et qui plaçaient, écrira Montesquieu, " toute la vertu et toute la confiance des hommes dans une ignorante stupidité " ; il avait également tiré la leçon des disputes théologiques sans fin qu'avait suscité en Occident la question oiseuse de savoir si la lumière censée être apparue autour de tout le corps ou seulement de la tête de Jésus-Christ sur le mont Thabor était physique ou " incréée ". Il avait appris que les derniers empereurs romains s'étaient épuisés à calmer des disputes théologiques d'autant plus vives qu'elles étaient plus frivoles. Mais suffisait-il d'interdire le culte des images et les controverses stériles sur la nature d'Allah ? Certes, le Coran a permis l'essor des sciences exactes, mais il n'a pu empêcher l'ossification de la société dans un tribalisme originel que Mahomet s'est contenté de sacraliser et d'élever au rang d'une législation censée recueillie de la bouche de la divinité. Toutes les religions commencent par faire progresser le singe-homme. Puis elle le font nécessairement régresser du seul fait que leurs vérités se disent révélées afin de se consolider, ce qui les rend fatalement anachroniques par le seul écoulement des siècles.

Quant à la suppression du clergé, sitôt qu'Allah eut recruté les légions d'un peuple en prières et l'eut jeté face contre terre cinq fois par jour, une classe sacerdotale informelle s'est glissée dans la masse ignorante des fidèles et s'est dotée du pouvoir d'exprimer les volontés les plus sages de l'idole, tant il est vrai qu'il n'y a pas de simiohumanité qui puisse se priver de chefs tellement terrifiants dans le ciel qu'on ne saurait les laisser courir sans contrôle la bride sur le cou sur la terre.

Tant de siècles d'expérience anthropologique des religions va-t-il enfin permettre à un humanisme iconoclaste, donc prophétique à son tour, mais à sa manière et dont le fer de lance s'appellerait l'intelligence, de faire ses premiers pas dans l'arène politique mondiale? Un humanisme greffé sur la géopolitique contemporaine démontrera-t-il ce que le génie religieux d'Abraham, de Moïse, de Jésus , de Mahomet présente de commun et quels renseignements ils nous apportent sur l'espèce simiohumaine? Pour cela, interrogeons le premier mutant dont l'audace inouïe abolit purement et simplement la sotte croyance des évadés de la zoologie en l'existence d'un chef du cosmos siégeant dans l'espace et qui tenta d'allumer les feux, la foudre et la lumière d'une humanité saintement ambitieuse d'assumer sa solitude dans un cosmos désert . Par une étrange coïncidence, on l'a appelé l'éveillé, le Bouddha.

7 - Le globe oculaire des prophètes

Si une connaissance anthropologique des fondateurs d'une religion était en vue, qu'en serait-il de l'oeil transanimal qui inspirerait leurs prophètes? Quelle serait la nature de leur lucidité de visionnaires, celle qui nourrirait leur appel à une éthique transcendante au statut zoologique de l'espèce ? Le génie religieux serait-il intellectuel au premier chef ? Le cerveau des prophètes serait-il le premier phare cérébral capable de se poser en interlocuteur du vide ? Ce vide lui ferait-il apercevoir l'idole du moment et ses adorateurs comme des animaux qui non seulement se serviraient de miroirs l'un à l'autre, mais dont chacun se regarderait et se reconnaîtrait dans le miroir où ils se reflèteraient tous les deux ?

Quel observateur amusé du fonctionnement de l'encéphale simiohumain dans le vide que Platon! Gorgias ou Thrasimaque gesticulent devant l'animal dont ils sont les descendants. Ce sont des acteurs " psycho-somatiques " , si je puis dire, tellement leur caractère, leur corps et leur cerveau scellent un pacte étroit avec l'interlocuteur que leur propre effigie est à elle-même. Tout cela est minutieusement décrit dans Isaïe, où l'on voit un bûcheron se chauffer au feu de la moitié du bois qu'il a coupé et se tailler son idole dans l'autre moitié.

Quand Paul Valéry observe l'espèce simiohumaine en visionnaire d'un animal qu'il appelle un " ni ange, ni bête " , quand Shakespeare fait débarquer sur la scène un Hamlet dont le langage semble incarner le personnage, quand Balzac ou Proust nous montrent des cerveaux habillés de leur corps, c'est du génie religieux qu'ils participent. Mais le prophète s'installe dans l'encéphale supérieur du gigantesque acteur imaginaire du cosmos qu'il a tué de le faire choir dans le temps. Le théâtre sur lequel ce personnage mythique est censé évoluer s'appelle l'infini . Moïse lance sur les planches de l'histoire un cerveau divin dûment initié à la politique et à l'histoire du globe terrestre. Le " dieu unique " qu'il forge sur l'enclume de sa nation n'est jamais que celui de Moïse . Le prophète sculpte une idole moins grossière que la précédente. Celle qui avait été hissée dans les nues quelques siècles auparavant donnait depuis longtemps des signes manifestes de fatigue et même de sénilité. Pourquoi Moïse est-il seul à diagnostiquer l'épuisement du ciel de son temps ? C'est qu'il aperçoit les symptômes du vieillissement précoce de l'idole des ancêtres se réfléchir dans l'œil obtus de la créature ; mais pour cela, il lui faut regarder la créature gesticuler dans le vide boudhique.

Le prophète regarde donc toutes choses se détacher sur le néant. Les nations lui apparaissent comme des personnages idolâtres d'eux-mêmes. La pièce que les peuples se jouent les uns aux autres les lui montre en représentation dans un rôle à la fois physique et cérébral. A l'instar des grands chefs d'Etat, il tente de les élever au rang de demi dieux de la politique. Quand le Général de Gaulle mettait la France en marche sur le théâtre du monde, les acteurs professionnels s'extasiaient : ils ne seraient jamais davantage, disaient-ils, que des apprentis maladroits auprès du géant dont le génie incarnait un personnage de Shakespeare sur la scène internationale. Mais si la France est une actrice et si son destin est celui de la " princesse des contes " ou de la " madone des fresques au mur ", si elle est " vouée à une destinée éminente et exceptionnelle", si " elle a été créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires ", le grand homme d'Etat et le prophète se veulent les guides spirituels de l'idée qu'ils se font, l'un de sa nation, l'autre du genre humain.

Qu'en est-il de la sincérité commune aux chefs d'Etat et aux prophètes? A l'instar du créateur, ni l'un ni l'autre ne désespèrent de la créature. " S'il advient que la médiocrité marque pourtant les faits et gestes de la France, j'en éprouve la sensation d'une absurde anomalie , imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. " La nation incarne le verbe d'une France prophétesse. Quels acteurs stratosphériques, décidément, que l'homme d'Etat de grand calibre et le démiurge tombé dans la geôle du temps !

Depuis la Renaissance, la question de la sincérité politique et spirituelle des prophètes et des grands hommes d'Etat est demeurée inaccessible à un humanisme au petit pied, parce qu'une civilisation qui a passé trop brusquement d'une foi fondée sur le culte de la médiocrité religieuse du Moyen-Age au culte d'une raison hâtivement spécialisée dans la banalisation du genre humain ne saurait se mettre à l'école des démiurges de l'histoire qu'on appelle des civilisateurs. Or, les premiers civilisateurs du simianthrope furent les accoucheurs d'eux-mêmes qui arrachèrent leurs congénères au potentat sanglant qui les avait placés sous le joug d'un " veau d'or ".

8 - L'anthropologie logique et l'évolutionnisme

A combattre le sceptre céleste que l'humanité semi animale adore sous les formes sans cesse changeantes qu'empruntent ses clergés , le génie religieux pose à l'intelligence critique la même question que celle qui nourrit l'anthropologie logique : quelle est la nature de l'autorité à la fois impérieuse et tâcheronne que la divinité censée jaillie du vide exerce sur le cosmos microscopique dont elle a si péniblement accouché - songez qu'elle s'y est exténuée sept jours durant et qu'il lui a fallu prendre un jour de repos. Mais derrière l'infantilisme des mythes religieux se cachent les questions les plus sérieuses de l'histoire et de la politique, tellement l'humanité primitive ne s'est évidemment pas précipitée dans la scolastique : elle est allée droit à l'essentiel du seul fait qu'il y avait urgence . Il s'agissait de savoir ce qu'il en était de l'auto légitimation forcée que la puissance politique simiohumaine arrache au néant avant que l'idole ne devienne à elle-même son propre veau d'or sous les traits de son clergé, comme il est démontré par les couturiers et les tailleurs dont le démiurge et sa créature se partagent les ateliers.

Du face à face originel entre l'habillage de la créature et celui de son idole l'enjeu politique et éthique était de creuser sans cesse davantage le fossé entre les vêtements respectifs de l'homme et de l'animal que notre espèce est demeurée à elle-même et dont son idole lui présente l'effigie en miroir. Le regard critique que le génie religieux porte sur l'animalité proprement cérébrale du singe-homme se révèle donc le décrypteur de l'animalité d'une idole qui s'est progressivement désexualisée. C'est pourquoi la vie mystique voudrait éteindre non seulement l'appétit sexuel de l'humanité, mais son besoin de s'alimenter et de dormir, comme tous les ordres religieux le démontrent depuis les Esséniens. Cette singularité psychogénétique est tellement particulière au genre simiohumain et à lui seul qu'elle fonde toute la recherche d'une anthropologie interrogatrice de la propulsion extraordinaire d'un animal hors de sa condition zoologique. Pourquoi la juge-t-il tellement inconfortable qu'il tend à toute force de s'en évader ? Peut-on renier sa propre nature et en conquérir une autre par la répression des instincts et des besoins du corps ? A partir de Moïse , l'homme et son idole ont commencé de porter des vêtements différents. Un décryptage psychobiologique de la pulsion ascétique devrait s'être imposé depuis un siècle et demi à nos sciences humaines en raison du bouleversement radical de leur problématique que la découverte de l'évolutionnisme leur impose, puisque Darwin nous enseigne que les descendants d'un quadrumane à fourrure et leurs dieux ont un destin proprement cérébral et que leur histoire commune est donc nécessairement d'ordre psychogénétique.

Et pourtant, la connaissance scientifique de la spécificité cérébrale d'un vivant transanimal par nature et par vocation n'a pas vraiment progressé depuis la parution de L'Evolution des espèces, précisément en raison de la double fossilisation des sciences humaines dont la civilisation moderne offre le spectacle, celle du sacré, qui s'est ossifié dans la crispation vestimentaire des théologies et celle de la raison dite scientifique, qui est tombée dans un expérimentalisme non moins doctrinal, puisqu'il est demeuré aveugle aux présupposés dogmatiques inconscients qui pilotent sa méthodologie, donc aux a priori qui la vouent à une banalisation préjudicielle de toute sa problématique. J'ai déjà souligné que, de la coalescence de ces deux déviations il ne peut que résulter une asphyxie de l'humanisme mondial, puisque toute expérimentation qui porterait sur les assises psychogénétiques d'une intelligence transanimale en germe se trouve exclue a priori du territoire de la recherche scientifique. Mais le blocage épistémologique de toute recherche portant sur la nature même de l'intelligence semi animale se révèle d'autant plus saisissant que, depuis un siècle et demi, comme il a été dit, la découverte de l'évolution métazoologique des espèces exerce une contrainte impérieuse sur des sciences humaines devenues mouvantes par définition et dont les critères qui présiddent à leurs jugements ne sont, pour l'instant, qualifiés d'humains que par anticipation.

Ce flottement de l'objet même de la recherche scientifique sur la nature du singe-homme actuel rend impossible à l'anthropologie officielle de tracer une frontière crédible entre l'homme et la bête prématurément qualifiée d'humaine, puisque cette ligne de démarcation ne cesse de se déplacer. Comment séparer nature et culture ? L'étude anthropologique de l'évolution de la théologie dite " des deux natures " du Christ se révèlera d'un piètre secours pour l'étude des échanges " culturels " ou biologiques entre les deux espèces, puisque la prédéfinition du " dieu-homme " se fondera sur des critères simianthropologiques par définition, tels que la production de miracles physiques sans lesquels un Pascal lui-même reconnaît qu'il ne croirait pas. Si la capacité d'apaiser une mer en furie, de ressusciter un mort ou de ressusciter soi-même distingue l'homme du dieu, on ne voit pas comment une philosophie de l'évolutionnisme découvrirait le principe des vases communicants qui assurerait le passage du singe à l'animal livré à des cosmologies mythologiques. C'est donc l'objet même de sa réflexion qui semble échapper à l'évolutionnisme et rendre sa recherche aporétique par nature - à moins que la sexualité simiohumaine se révèle déjà transanimale et soumise à des métamorphoses religieuses.

9 - Le génie religieux et la sexualité

Aucun mystique juif ne témoigne d'une vocation au célibat qui lui serait dictée par la divinité et qui ferait de la chasteté le critère de la sainteté - sinon Abraham, Moïse , Isaïe, Ezéchiel ou Jérémie ne seraient pas des esprits religieux. A ce titre, le film Da Vinci Code est un bel exemple de l'asphyxie d'un humanisme occidental couché sous le lit de Procuste de la sexualité animale. Mais à ce compte, les Béatrice, les Marie, les Dulcinée, les Isé demeurent des énigmes aussi indéchiffrables que les Eurydice et les Iseult. Pourquoi leurs Orphée les ont-ils renvoyées aux ténèbres de l'Hadès, sinon afin de les retrouver transfigurées en la musique de leur "résurrection " ?

Il est étonnant qu'un clergé catholique marié depuis mille ans ait accepté une décision soudaine et exclusivement politico-militaire de Grégoire VII de lui interdire le mariage. Comment se fait-il que ce règlement ecclésiastique soit devenu un dogme central de l'Eglise, et cela pour le seul motif, mais bien évident, qu'un prêtre entouré d'une marmaille d'enfants criards n'est plus un soldat prêt à mourir en martyr sur le " champ de bataille de la rédemption ", comme dira Ignace de Loyola. L'Eglise orthodoxe n'est pas devenue une guerrière de la foi. Si elle s'est toujours agenouillée devant les tyrans du moment, c'est parce que seuls les évêques n'y sont pas réduits à la condition de pères de famille apeurés. Hitler admirait le génie politique de l'Eglise romaine pour le motif que, de génération en génération, elle a réussi à sélectionner les esprits aiguisés et à les aguerrir par l'ascèse - ce mot signifie " exercice militaire " en grec - tandis que, dans le protestantisme, les phalanges de l'intelligence sont condamnées à se trouver absorbées par une civilisation fondée sur la sanctification de la maternité. Il oubliait seulement que presque tous les philosophes protestants ont été des guerriers de la raison et des fils de pasteurs, Hegel et Nietzsche compris et que leur phalange intrépide a doté l'Occident d'une sorte d'Eglise de l'esprit critique, tandis que l'acte de décès de la philosophie catholique remonte à la mort de Malebranche en 1715. Le Petit Larousse a rédigé l'épitaphe de ce pieux philosophe cartésien en ces termes : " Il résolut le problème de la communication de l'âme et du corps par la vision en Dieu et les causes occasionnelles ".Chacun sait que tous les souverains sont des thérapeutes généralistes et qu'ils règnent à gérer des " causes universelles ".

Mais si le singe-homme et un animal qui " fait l'ange " précisément sous l'armure et la cuirasse des causes idéales et idéalisées qu'il fait dévaler du ciel, qu'en est-il de ce type d'animalité à l'heure où la planète de la sainteté cérébrale des démocraties fait l'ange à l'échelle d'un empire de la vertu armé de séraphisme jusqu'aux dents? Les " causes générales " auraient-elles des ailes en acier trempé?

Il est étrange que l'Eglise ait inventé la féminité angélique sous les traits d'une vierge-mère et que toutes les héroïnes de l'amour simiohumain soient des madones déguisées ; il est étrange que l'amour sublimé par la chasteté soit la forme religieuse de la sexualité ; il est étrange que Béatrice ou Iseult soient en germe dans Homère et que les adieux de Nausicaa à Ulysse s'adressent à un homme qu'elle a trouvé nu sur le rivage des Phéaciens ; il est étrange que l'homme du retour en Ithaque se soit fait enchaîner au mât de son navire pour entendre sans danger le chant des Sirènes. J'y reviendrai.

10 - L'anthropologie logique et la documentation théologique

Prenons l'exemple de la doctrine catholique de l'eucharistie. On sait que cette théologie fait consommer physiquement aux fidèles la chair d'un homme divinisé et boire son hémoglobine. De son côté, la doctrine calviniste ne connaît pas l'autel d'un sacrifice destiné à faire descendre de la viande et du sang dans les estomacs. La vivification intérieure du croyant, donc du guerrier de la foi, ne saurait, dit-elle, résulter de la dévoration dévotieuse d'une victime humaine - sinon le vieux tribut offert à l'idole ferait réapparaître un Isaac ensanglanté sur les autels des chrétiens et la rédemption par l'assassinat cultuel serait de retour dans la religion de la Croix. Mais si, selon Pascal, l'animalité proprement humaine est d'ordre cérébral et si c'est à ce titre qu'elle " fait l'ange " à l'école de l'héroïsme militaire des démocraties messianiques, l'anthropologie logique devra s'attacher à décrypter les formes matamoresques que prend le meurtre apostolique dans les trois monothéismes. Il y faut des spectrographies métazoologiques des théologies de la glorification du meurtre sacrificiel, donc de leur armature doctrinale et de leur dogmatique entière. Une simianthropologie ne saurait se dire historique que si elle produit des radiographies des mythes guerriers simiohumains et si elle parvient à préciser la nature des documents simianthropologiques camouflés dont les phalanges d'une délivrance ensanglantée arborent les bannières d'une " justice " et d'une " liberté " sanctifiées.

Aussi longtemps que la radiographie du singe porteur du glaive de ses idéalités meurtrières se maintiendra sur le territoire édénisé d'avance par une politique angélique, tout paraîtra clair et irréfutable : le clergé catholique sera celui dont la sainteté s'appropriera pieusement l'idole dont se nourrira son ecclésiocratie ; et l'on verra une caste sacerdotale exercer dévotement un pouvoir vertigineux sur l'entendement simiohumain fasciné par des prodiges. Montesquieu, encore lui, écrit que " les maladies de l'esprit sont inguérissables ". L'astrologie judiciaire et l'art de prédire l'avenir par l'observation des objets flottant sur l'eau d'un bassin ont succédé, chez les chrétiens, à la divination par l'examen des entrailles des victimes ou le vol des oiseaux.

11 - L'odeur de la guerre angélique

Mais si l'on passe des autels de la sottise à ceux des guerriers du ciel, qu'en sera-t-il du calvinisme ? Voyez comment cette théologie se contentera de retirer au clergé d'en face le puissant instrument doctrinal d'un étourdissement cérébral des masses . Une thaumaturgie cultuelle atténuée et rendue seulement moins spectaculaire que la catholique ne sera jamais qu'une sorcellerie substitutive en ce qu'elle conservera par devers elle tout le saint bénéfice du crime de l'autel des guerriers. Si l'on radiographie la foi de Calvin à la profondeur simianthropologique où elle révèlera son angélisme animal, on s'apercevra que la théologie de la " gratia sola " produit à son tour un document cérébral fondé sur le profit religieux que le sujet entend retirer du sang humain répandu sur l'autel de son idole, à cette différence près que l'autel n'est autre que le Golgotha qu'il était déjà dans la théologie catholique . Rejeter la répétition inlassable et tenue pour effective de la trucidation sacrée sur l'offertoire n'est qu'une demi mesure ; mais cette demi mesure même révèle que l'animalité des anges est tartuffique par nature. Question : comment l'hypocrisie trouve-t-elle son fondement psychobiologique dans le fonctionnement dichotomique du cerveau simiohumain ?

La simianthropologie est la seule discipline qui permette de peser l'angélisme inné de l'encéphale biphasé ou bipolaire du singe dédoublé par une symbolique de la sanctification des lois de la guerre qui président à son histoire. A ce titre, elle se demande quelle est la source métazoologique de la honte intellectuelle refoulée d'un animal au cerveau schizoïde quand il ne soustrait que partiellement à ses narines l'odeur d'un meurtre de l'autel demeuré salvifique. Qu'en est-il des cellules olfactives de la piété ? On observera que le calviniste entend bien tirer d'un escamotage seulement partiel du parfum du sang rédempteur les mêmes bénéfices cultuels que le catholique. Pourquoi tel est-il le prix d'achat des senteurs de l'idole ? C'est à la lumière d'une connaissance simianthropologique de la truffe d'un mythe du salut transporté sur le champ de bataille des démocraties modernes qu'il faut tenter d'approfondir l'étude de l'évolution du cerveau simiohumain .

12- Le dédoublement du symbolique

Une simianthropologie dont la logique interne se veut ambitieuse d'élever l'étude du génie religieux simiohumain au rang d'une science du cerveau obsédé par un mythe angélique de la délivrance et, par conséquent, de l'initier à une connaissance rationnelle des encéphales olfactifs d'Abraham, de Jésus ou de Mahomet, une telle simianthropologie, dis-je, doit commencer par rendre compte du dédoublement du champ de bataille du signifiant sur lequel s'exercent les forgerons de " Dieu ". Du coup, les sciences dites humaines voient leur territoire et leur problématique se dédoubler entre une connaissance seulement événementielle de l'héroïsme militaire dans l'histoire, d'une part, et le champ d'une science profonde de la politique de la guerre sacrée, d'autre part, celle dont le génie religieux nourrit l'ambition de conquérir la puissance au profit du règne de l'Eglise sur toute la terre.

Du coup, la question de l'alternance dont souffre le simianthrope entre sa fossilisation cérébrale dans les rituels sacrés et son élan apostolique se situe au cœur d'une radiographie de ce double visage de la guerre ; car si une espèce dont la vocation se veut transzoologique tambour battant se trouve nécessairement en état de métamorphose cérébrale permanente sur le champ de bataille de son histoire, comment jettera-t-elle le harpon de la pensée critique sur cette mouvance, alors que la raison immobilise son objet à la manière d'un appareil photographique ? La pulsion de l'espèce à se replier sur ses ensommeillements doctrinaux et la peur qui la saisit quand les éveilleurs qu'on appelle les créateurs lui interdisent de se protéger par sa fermeture angélique sur elle-même posent la question de la nature psychogénétique des anges guerriers.

13 - Henri Bergson et sa postérité

Un seul philosophe, Henri Bergson, a tenté toute sa vie d'interpréter l'évolution post-animale de l'espèce simiohumaine. Son mérite est d'avoir compris l'enjeu anthropologique dont le génie religieux est à la fois le combattant et la victime - car le prophète est un ouvreur. Mais l'auteur de L'évolution créatrice n'a pas tenté un premier scannage psychogénétique des théologies angéliques, donc biseautées. Il était trop tôt pour les observer au titre de masques mentaux du singe guerrier, donc de témoins de la scission cérébrale interne dont souffre cet animal ; trop tôt pour songer à observer la honte qu'il éprouve à se regarder tuer . Né l'année de la parution de L'Evolution des espèces de Darwin , en 1859, Bergson n'était pas encore de la génération de la postérité anthropologique d'Einstein et de Freud.

Mais le génie est à double fond . La création religieuse n'échappe pas à cette règle: d'un côté , le prophète bouleverse l'ordre politique établi, et ce forfait superficiel est le seul qui le conduit au supplice; mais, dans le même temps, il " laisse à César ce qui est à César ", ce qui signifie qu'à ses yeux la création proprement religieuse est transcendante aux rituels du monde temporel et aux liturgies guerrières du sacré étatisé. Sa vocation est de retirer à l'idole le " veau d'or " qui symbolisent les " grandeurs d'établissement ". Il sait que tel est le tribut à payer pour que l'espèce change d'encéphale ; mais il sait également que le singe-homme est un animal meurtrier de naissance et dont les crimes sont masqués par l'ange qu'il est à lui-même. C'est pourquoi il donne à une idole qui lui ressemble comme un frère le même plumage angélique qu'à lui-même - donc le pouvoir religieux de se nourrir sans relâche d'une guerre désormais sanctifiée par la démocratie rédemptrice, autrefois par l'apostolat non moins guerrier d'une Eglise de croisés d'une sépulture. Dieu et la démocratie flattent désormais la créature à lustrer la fourrure d'une sainteté convertie au culte de la " Liberté ". Car l'idole n'est jamais que la doublure glorifiée dans le ciel du tartuffisme simiohumain de son adorateur sur la terre. A ce titre, elle est l'animal intériorisé, celui qui pilote une espèce biseautée sur le modèle du dieu guerrier qui voudrait donner des ailes à son encéphale en transit entre deux espèces.

14 - La théologie de l'ange

Puisque le génie religieux est secrètement piégé par l'ange armé jusqu'aux dents qu'il est au plus profond de lui-même du seul fait qu'il rêve de conduire l'histoire et la politique à un statut cuirassé par son séraphisme - il croit prendre de l'avance sur l'évolution cérébrale de l'espèce - il se révèle également révolutionnaire ; car s'il s'agit rien moins que d'élever au " ciel " les comportements naturels des peuples, des nations, des Etats, s'il s'agit rien moins que d'enfanter un genre humain d'une autre nature, s'il s'agit rien moins que d'accoucher d'une espèce non encore apparue sous le soleil , la question des relations semi oniriques que l'espérance religieuse simiohumaine entretient avec la guerre en appelle à un scannage anthropologique de l'utopie politique et de son alliance avec l'épopée militaire. Il est donc focal de démontrer que tous les prophètes se sont voulus des esprits politiques et des guerriers , mais sur le mode angélique, et que la relégation du chef militaire du ciel dans un monde de l'au-delà illustre seulement l'échec du génie religieux.

A l'origine, les Moïse , les Jésus , les Mahomet donnent rendez-vous au type de l'utopie politique qui répond aux besoins guerriers les plus pressants de leur temps. Le tragique de leur destin est celui du naufrage de l'espérance terrestre de leur siècle . Les prophètes sont donc les baromètres des revers et des attentes du messianisme armé du genre simiohumain. L'étude des désastres et des résurrections alternées du message guerrier des prophètes conduit la simianthropologie à rendre compte du sort malheureux d'un chef casqué du cosmos.

Puisque les prophètes expérimentent nécessairement dans leur chair la vocation suicidaire de leur messianisme militaire , ils expriment depuis trois millénaires le génie des spécimens rarissimes dont la grandeur auto-sacrificielle est de répandre leur sang à l'école de la cruauté simiohumaine de leur idole. Mais, dans le même temps, le prophète proteste contre son sort sur les champs de bataille. Il reproche durement à son idole de se soumettre, elle aussi, à la loi du glaive qui régit son histoire - donc de " racheter " le monde au prix du sang de sa créature et de son propre sang. Le prophète se trouve donc dans une position biseautée à l'égard du " diable " qui le dédouble et qui dédouble son idole entre la guerre et la paix. D'un côté, il consent à payer le prix du salut du monde à Lucifer, le créancier de Dieu , mais il en veut à ce dernier de s'être laissé terrasser par " l'ange déchu ", qui a capturé sa créature à sa barbe sur le champ de bataille de la rédemption. L'ambiguïté " diabolique " d'une théologie schizoïde de la guerre explique le statut bifide de l'idole et de sa créature ; car toutes deux sont les otages bipolaires de l'animal dichotomique que le singe-homme est à lui-même . " Dieu " est un assassin tartuffique : il lustre les plumes de ses ailes sur les autels du meurtre sacrificiel, donc sanctifié à titre de rançon d'un " rachat " dont le montant sera censé entre les mains du " diable ". C'est donc l'idole qui " fait la bête ", comme dit Pascal.

15 - Les fondements psychobiologiques du tartufisme simiohumain

Il est donc décisif de tenter de cerner dans la spécificité angélique de son tartuffisme psychogénétique le crime sacrificiel que l'idole perpètre à son avantage; car le crime de l'autel " sauveur " est évidemment d'origine simianthropologique, ce qui permet de radiographier le Caïn du ciel en retour. L'animal est animal en ce qu'il n'a pas encore découvert le poignard de la sainteté, donc du meurtre angélique perpétré par un Tartufe du cosmos. Ce poignard change de manche et de lame avec les siècles, mais jamais de nature. Nous approchons-nous de l'examen du couteau de la sainteté d'aujourd'hui, celui de la démocratie mondiale, dont les ailes d'ange s'appellent la justice et la liberté ? Dans ce cas, l'étude simianthropologique de la modernité nous reconduirait à la théologie antérieure à saint Anselme, qui avait tenté de réfuter la doctrine du droit de la guerre selon laquelle l'idole payait à Lucifer la rançon du rachat de sa créature en lui livrant son fils unique. Le vainqueur dictait sa loi au vaincu et fixait le montant du tribut à payer pour le rachat des prisonniers. Dieu avait été terrassé par le démon sur le champ de bataille du salut. Or, il est révélateur que cette mythologie, qui remontait aux guerres puniques, redevient moderne, puisque la démocratie angélique mondiale paie au dieu de l'Amérique le prix de sa propre rechute dans la torture à l'échelle de la planète. Seulement, entre temps, Dieu lui-même est devenu le vrai Lucifer , celui qui s'exerce au meurtre angélique à la fois sur tous ses autels et sur le champ de bataille international de la démocratie pseudo rédemptrice.

On mesure la richesse de la documentation simianthropologique qu'apportent les trois théologies angéliques. Elles permettent à l'anthropologie historico-critique d'observer les relations que les phalanges ecclésiales armées de leurs boucliers doctrinaux entretiennent avec des masses tour à tour inertes et fanatisées, parce que l'histoire simiohumaine est l'arène où la foi auto innocentée par l'ange qu'elle est à elle-même affronte une humanité tour à tour pétrifiée et casquée.

16 - L'auto-sanctification démocratique

Montesquieu a fort bien esquissé cette bataille sans fin et sans issue entre l'ange et la bête: " Il y a cette différence entre les religions et les sciences humaines que les religions viennent du peuple de la première main et passent de là aux gens éclairés, qui les rédigent en systèmes ; au lieu que les sciences naissent chez les gens éclairés , d'où elles se peuvent répandre dans le peuple." Mais qu'en est-il du système d'éclairage d'une religion " éclairée " par son angélisme meurtrier?

Si le flambeau de cette lumière est tenu d'une main ferme par son Eglise, sa clarté pseudo séraphique se verra, dans la mesure du possible, banalisée par le bon sens politique que sécrète un " temporel " rassurant parce que niveleur. Qu'adviendra-t-il alors du génie religieux proprement dit, aux yeux duquel le temporel est précisément l'oiseau de mauvais augure que le prophète aura combattu au prix de sa vie ? La question centrale sera de savoir qui se trouvera habilité à répandre la parole de l'idole internationale et à entretenir des relations angéliques à l'échelle planétaire avec le meurtre auquel l'autel de la liberté servira d'offertoire. Quels seront les critères de l'autosanctification démocratique du meurtre sacrificiel et qui en décidera ? Si le peuple est très sot et si la classe ecclésiale qu'il mérite n'est pas moins éblouie par de grands prodiges que la foule ignorante, seule la foi la plus serve et la plus aveugle rédigera les règles de l'obéissance publique catéchisée par le meurtre de l'autel; mais si une Eglise se veut relativement pensante et si elle rêve de rassembler des brebis sélectionnées au prorata de leur degré d'intelligence critique, elle perdra le pouvoir politique , parce que les peuples n'ont que faire d'un clergé d'aristocrates du ciel : ils demandent que des vérités simples et angéliques leur soient assénées par des phalanges ecclésiales sûres du sceptre de leurs idéalités.

17 - Le meurtre réel et le meurtre symbolique

La question de la massification ou de l'aristocratisme intellectuel des religions sacrificielles s'exprime par des théologies de la main mise autoritaire du prêtre sur son idole. D'un côté, la divinité doit se montrer incapturable afin de conserver le mystère de sa bonté pateline et de sa férocité masquée, de l'autre , il faut qu'elle soit proclamée aisément saisissable et même complaisante à sa capture par ses prêtres, sinon le croyant et toutes les Eglises se verraient livrées à un marché de dupes. Le prophète oscillera donc entre son appel furieux aux foudres les plus terrifiantes qu'il fera brandir à sa divinité et la menace de sa vaporisation. Entre ces deux dissuasions, Moïse tente de calmer le jeu. Quand il rassure un peuple d'Israël épouvanté par les châtiments qu'entraînera sa désobéissance avérée, il recueille les bénéfices politiques de la bénévolence qu'il semble avoir arrachée de haute lutte à Jahvé ; quand il prend le relais de la colère d'un ciel dont la férocité fait trembler la nation, son autorité se trouve renforcée par le versant furibond de l'idole. C'est pourquoi le prophète entretient les relations les plus étroites avec les alternances de rage et de bonté apparente de Jahvé , mais il est toujours seul à disposer des prérogatives d'une négociation aussi extraordinaire.

Ici encore, Montesquieu met le doigt sur la vraie question, celle de la nature de la présence de l'idole enragée ou ensommeillée sur un autel viscéralement scindé entre l'ange et la bête : " Le Protestant et le Catholique pensent de même manière sur l'Eucharistie ; il n'y a qu'à ne pas se demander l'un à l'autre comment - c'est moi qui souligne - Jésus-Christ y est. " Si la victime immolée est proclamée consommable en chair et en os sur l'autel, elle sera physiquement assassinée par les saintes paroles de la consécration que prononcera le prêtre victimaire, comme tous les théologiens romains l'ont soutenu jusqu'au début du XXe siècle, où un certain Père de la Taille a soutenu, en 1924, que l'Eglise recevait sur ses offertoires la victime tuée par les juifs et apprêtée à son appropriation cultuelle par les fidèles ; mais dans l'un et l'autre cas, il s'agit d'une rançon sanglante dont l'idole aura dûment réclamé le versement à une Eglise fondée sur la connaissance de la cruauté de l'histoire simiohumaine. C'est pourquoi le tribut sacerdotal est tenu pour d'autant mieux rémunéré qu'il se sera voulu plus saignant .

Mais alors, célèbrera-t-on les retrouvailles du christianisme avec le culte anté-abrahamique des nomades de l'époque? Nullement : le glaive de la théologie angélique glorifiera le don de la mort du " fils " de l'idole à cette dernière. Le meurtre de l'autel est autophage, il symbolise le catoblépas que le singe-homme est à lui-même dans son auto dévoration cultuelle. Il se consomme angéliquement afin de changer d'espèce. C'est dire que si l'Isaac chrétien est déclaré présent à titre " seulement " symbolique dans le pain et le vin de la messe, l'anthropologie logique ne s'en trouvera pas moins reconduite à la question de la nature militaire de l'angélisme auto comestible simiohumain , parce que tout prophète se veut aux prises avec l'encéphale et l'éthique d'un animal cérébralement en panne, mais dont la boîte osseuse se veut néanmoins en route vers un avenir métazoologique qu'elle conçoit sur le mode séraphique. Or, pour l'instant, ce type d'encéphale se veut à la fois " angélique " et approvisionné par la chair et le sang d'un " vrai et réel sacrifice ". On sait que le paganisme reprochait précisément au christianisme d'avoir perdu la victime vivante et respirante nécessaire à toute théologie de la guerre et du sang, donc à toute histoire et à toute politique réelles. Rome a fini par se redonner l' "hostie" perdue, c'est-à-dire l'otage ; mais il y a fallu le subterfuge de l'eucharistie.

18 - Suite de l'histoire du veau d'or

Revenons à la chair et au sang exposés sur l'autel des démocraties. Qu'en sera-t-il donc du poids du cerveau simiohumain sur les plateaux d'une balance à peser l'animalité guerrière de la bête angélique ? Si l'espèce simiohumaine parvient à observer un animal aussi singulier qu'un ange casqué, l'aiguille de la balance inscrira sur le cadran la pesanteur du cerveau commun à l'idole aux plumes d'anges et à la démocratie mondiale et ces plumages partagés seront ceux de la " liberté " et de la " justice ".

Moïse est un chef de guerre bafoué . Il brise les tables de la loi divine que Jahvé lui avait donné pour sceptre sur le mont Sinaï et qu'il avait pourtant gravée au burin dans la pierre, Jésus frappe de son fouet les marchands du temple de Jérusalem et renverse les tables des changeurs. Mais, dans le même temps, la guerre de conquête du prophète est celle de la sainteté de son idole; et cette purification est sans cesse souillée par le retour du " veau d'or " . On se rappelle que Mahomet seul semble avoir compris que cette salissure avait à nouveau débarqué sur l'autel des juifs et des chrétiens du seul fait qu'un sacerdoce de propriétaires et de fonctionnaires patentés de la divinité entretiendra nécessairement une relation monopoliste, physicalisée et prébendée avec une idole de bureaucrates.

Mais n'oublions pas que les trois prophètes ne disposent en rien d'une métapsychologie de l'idole aux ailes d'ange et qu'ils n'ont pas songé un instant à reléguer leur divinité dans l'utopie d'un monde posthume. Tous trois entendaient seulement fonder une Eglise définitive, donc transcendante au règne de toutes les idoles de leur temps. Aussi Moïse s'est-il aussitôt auto-proclamé le médiateur officiel et l'interprète exclusif de l'excellence de Jahvé en Israël , aussi Mahomet s'est-il installé dans le rôle du prophète unique d'Allah le pur, aussi Jésus s'est-il voulu l'annonciateur de l'avènement imminent du royaume d'un ciel parfait en Israël, à la manière, dirait-on, du futur saint Karl Marx, qui prophétisera le débarquement d'un prolétariat immaculé dans le paradis terrestre retrouvé blanc comme neige et dont les écrits convertiront des centaines de millions d'hommes à son verbe.

Puisque ni la théologie angélique, ni l'histoire idéalisée, ni les sciences humaines d'aujourd'hui, ni les prophètes du ciel de justice des démocraties ne sont en mesure de peser un " veau d'or " caparaçonné de séraphisme, donc de nous faire connaître la nature historique et politique du génie religieux, il appartient, redisons-le, à l'anthropologie logique de tenter d'aplanir les sentiers d'une science de la sainteté simiohumaine. Il y faut une mutation de la notion de biographie. Car l'originalité du fondateur du christianisme est d'avoir gravé dans sa chair la première histoire réelle de l'éternel veau d'or, celle que son destin religieux lui a dictée de son vivant. Qu'en est-il de l'idole véritable, celle dont le sceptre, l'autel et la gloire s'appellent l'Histoire ? Jésus est le seul prophète auquel son ciel est censé avoir enseigné la mort sous la torture afin de briser l'armure cérébrale de son idole.

On dira qu'Isaïe, Jérémie, Ezéchiel ont été mis, eux aussi, à l'école testimoniale de l'immortel " veau d'or " dont se nourrissent les idoles. Nenni. Certes, ils ont été tués, eux aussi, par leur victimaire angélique. Mais seul Jésus a goûté le privilège d'illustrer sur le mode tragique l'échec politique d'une religion condamnée depuis deux millénaires à introduire la loi des épées dans son culte , et cela non point par le lent écoulement des siècles , mais au cours de sa brève biographie terrestre, celle du guerrier livré pieds poings liés à l'autel sanglant auquel Abraham avait soustrait son fils Isaac . Il était sans exemple qu'un prophète incarnât sous le joug de l'histoire de sa propre nation le destin de l'agneau livré au glaive que l'humanité est à elle-même depuis les origines . C'est pourquoi la question posée par le prototype paradigmatique de l'anthropologie logique qui s'appelle Jésus n'est autre que celle du décryptage des relations que l'espèce simiohumaine entretient avec la moitié meurtrière de son encéphale - donc avec les bouleversements sporadiques des relations que cet animal cahotique tisse avec son idole armée jusqu'aux dents.

19 - La biographie des créateurs

Qu'en est-il de la biographie mystique du prophète Jésus et comment s'inscrit-elle dans une science de la biographie mystique du musicien, une science de la biographie mystique du poète, une science de la biographie mystique de l'amour humain idéalisé, celle dont une anthropologie des " résurrections séraphiques " observerait la métamorphe de Nausicaa, de Béatrice, d'Eurydice ou d'Iseult en madones? De même que la biographie testimoniale de Socrate est celle du destin que son baptême dans la ciguë a donné à sa pensée , de même que la vraie biographie des hommes d'Etat est celle que l'eau de baptême d'une histoire eschatologique a fécondée, la vraie biographie des prophètes assassinés est celle que l'histoire de l'ange simiohumain a gravée dans leur chair.

La place de la biographie religieuse de Jésus est unique dans le champ sacrificiel mondial, parce que ce prophète s'inscrit, certes, dans la postérité théologique d'Abraham et de Moïse , qui ont anéanti, l'un l'offrande des Iphigénie et des Isaac à l'idole animale des origines, l' autre le premier veau d'or autour duquel le singe-homme s'exerçait à danser. Mais le Galiléen va beaucoup plus loin dans la dénonciation du veau d'or : il le voit non seulement dans le puissant appareil ecclésial du peuple hébreu que Moïse avait mis en place, mais de surcroît dans l'animal réel qui avait pris la place d'Isaac sur l'autel. Tenter un coup d'Etat théologique de cette force, c'était prendre un risque mortel, parce que la commémoration annuelle de la sortie d'Egypte, c'est-à-dire la Pâque juive, était l'occasion d'un repas familial au cours duquel le père de famille exerçait à la fois la fonction du prêtre chargé de solenniser par le rituel religieux la commémoration de l'événement fondateur d'Israël - la délivrance des ancêtres de leur captivité en Egypte sous la conduite de Moïse - et la fonction de représentant parasacerdotal d'une communion sanctifiée par une symbolique du pain et du vin partagés en famille. Ces deux aliments étaient donc déjà des instruments cultuels étroitement associés à la chair et au sang de l'animal immolé sur l'autel familial. De son côté, l'Etat célébrait officiellement le sacrifice de l'agneau avec tout l'apparat et la pompe d'une théocratie servie par un clergé tout puissant et réservé à la famille du grand prêtre .

L'étroite conjonction entre le rituel du sacrifice de l'agneau réel - on aspergeait l'autel de son sang afin de rappeler avec force qu'il s'agissait du sang d'Isaac - et celui de la communion au sein des familles était en outre soulignée par le pain brisé cultuellement , donc en quelque sorte par le sacrifice symbolique de l'aliment vivant dont le père était l'officiant - donc le victimaire. Le partage de ce pain cultuel entre les membres de la famille s'accompagnait des paroles sacramentelles destinées à souligner que Jahvé était à la fois le libérateur physique de son peuple et son délivreur spirituel - celui que figurait la communion de ses fidèles rassemblés sous sa bénédiction. La double grâce du partage du pain et de l'agneau rendait Jahvé présent sur le mode d'une sorte de manducation de la rédemption et du salut.

Jésus pensait que le sacrifice de l'agneau n'était qu'une séquelle du sacrifice d'un animal - un héritage obsolète d'Abraham et de Moïse - et que la véritable offrande à Jahvé résidait exclusivement dans le don de la foi. Toute la théologie augustinienne, puis protestante s'est fondée sur l'interprétation paulinienne du christianisme, donc du sacrifice intérieur tenu pour seul réel et seul rédempteur ; et toute l'Eglise romaine a combattu cette interprétation peu propice à l'épanouissement d'une ecclésiocratie fondée sur l'appropriation d'un " vrai et réel sacrifice ", donc du moteur réel de l'histoire et de toute politique simiohumaine. Aussi cette scission symbolise-t-elle toute politique, puisque celle-ci se scinde nécessairement entre l'autorité publique d'une part, qui a besoin de se trouver objectivée, donc institutionnalisée, et l'individualisation de la foi, d'autre part, qui cherche également un cérémonial collectif afin de s'officialiser - et tous les Etats se voient contraints d'opérer une fusion bancale entre ces deux théologies. Le don christique du pain et du vin de l' " esprit " à la divinité va-t-il devenir le symbole exclusif de la " vraie foi " ? Mais alors, qu'adviendra-t-il de " l'esprit de sacrifice " que revendiquent l'histoire et la loi des Etats, qui est la loi du sang ?

20 - Le cerveau simiohumain et la substantification des signes

Comme il est impossible d'abolir un rite vieux de plusieurs siècles, il convient d'observer de près comment le génie religieux de Jésus a tenté de métamorphoser la liturgie de l'agneau sacrifié en une liturgie de l'exode, donc de la délivrance de la servitude, donc de faire débarquer dans l'histoire une religion de la libération intérieure, tout en conservant l'héritage d'Abraham sous un habillage théologique certes hérité de Moïse, mais qui modifiait radicalement le sens traditionnel d'une religion de l'asservissement aux Etats et à leur sainteté. Pour comprendre cette métapsychologie de la " sortie d'Egypte ", il faut garder présent à l'esprit qu'Abraham n'a évidemment pas raisonné en rationaliste moderne et qu'il ne s'est naturellement pas dit : " Gaïa a donné une pierre à avaler à Chronos le glouton en lieu et place de son fils, le futur Zeus. Faisons donc semblant de croire que l'idole elle-même m'aura demandé de substituer le leurre d'un animal à Isaac sur l'autel du sacrifice, afin de cautionner mon génie religieux à mes propres yeux et au regard de tous les siècles et de toutes les nations. " Au contraire, le prophète croit sincèrement que la chair et le sang d'un agneau seront réellement devenus ceux d'Isaac, parce que l'esprit simiohumain substantifie les symboles, chosifie les métaphores, concrétise les signes afin de gagner sur les deux tableaux de son histoire et de sa politique, celui du meurtre réel et celui de l'ange chargé de le masquer de sainteté. D'où la conjonction de la matière et du signe. La mer sera une substance liquide et, dans le même temps, un dieu en chair et en os, le père de Polyphème, le soleil sera un astre enflammé courant dans l'étendue et, dans même temps , le dieu Apollon, lequel possède des bœufs blancs dans l'île d'Hélios et tient les rênes du " char du soleil " ; la terre sera une matière et en même temps, la déesse Gaïa , mère de Proserpine.

Mariali

21 - La politique moderne et la substantification des signes

Naturellement, l'anthropologie pseudo scientifique de l'Occident ignore que ce type d'encéphale est demeuré le sien et celui des démocraties modernes, de sorte que toute la géopolitique d'aujourd'hui se fonde sur elle: si je brûle publiquement trois morceaux d'étoffe, un bleu , un blanc et un rouge cousus ensemble et attachés à un bâton , personne ne pensera que j'ai détruit des tissus. J'ai brûlé la République de la raison, j'ai profané l'autel des droits de l'homme, j'ai souillé la patrie de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. De même , quand le champion du monde des échecs, Bobby Fisher déchire publiquement son passeport, les Etats-Unis le poursuivent en justice et le traquent partout dans le monde pendant des années, parce qu'il n'a pas détruit une pièce d'identité, il a offensé le peuple américain et profané la patrie de Jefferson et d'Abraham Lincoln . La substance du monde n'est autre que le symbolique dont il est habité.

Il serait donc erroné de s'imaginer que la condamnation des sacrilèges viserait à protéger des propositions douteuses et qui auraient grand besoin du glaive des Etats pour soutenir leur fragilité : nier l'existence de Dieu était un blasphème non point parce qu'il s'agissait d'un postulat branlant et qui aurait eu besoin de béquilles, mais tout au contraire pour le motif que personne ne doutait d'une vérité tellement évidente que le profanateur était envoyé au bûcher au titre d'un menteur dont l'entêtement ne pouvait s'expliquer que par sa chute entre les mains du diable. Le cerveau simiohumain juge digne de la damnation éternelle non seulement de nier que le monde soit plein de personnages parlants, mais de soutenir que la matière s'obstinerait à demeurer bouche cousue.

Supposons que l'autel des métamorphoses du symbolique soit celui de la physique classique et que le théoricien de la matière prononce les paroles d'une consécration liturgique à la fois " expérimentale " et rationalisante. Quelles paroles sacramentelles prononcera-t-il pour accoucher d'une matière qu'il s'agit de rendre locutrice, donc rassurante ? " Que les comportements réguliers de cette matière se changent en lois de la nature, que ces lois fassent tenir aux routines aveugles du cosmos un discours de la raison juridique des cités, que ce discours innerve tout l'univers de son verbe ordonnateur et que le cosmos, hier aveugle, sourd et muet, enfante le discours de sens rassis que la constance de ses rites paraîtra tenir sur l'autel de la théorie. " Supposons ensuite qu'un profanateur jette à terre le ciboire de la théorie, et l'on verra le physicien terrifié se précipiter au sol pour ramasser les miettes du discours attribué à une matière seulement et désespérément répétitive.

On voit que l'étude simianthropologique des idoles cérébrales et de leur éloquence n'est pas un amusement anodin . L'espèce simiohumaine exorcise le silence de l'univers à l'aide d'une science des signes substantifiés qu'elle installe au cœur de la théorie physique comme de la religion. Il s'agit de se forger des signifiants-pilotes, donc de finaliser le monde par une fétichisation totémique, qu'on appelle une sacralisation .

22 - La physique angélique

Puisque tout le monde était convaincu que l'Isaac vivant était devenu un agneau vivant, Jésus aurait échoué à nier une thaumaturgie cultuelle de cette force. Tout était prêt , en revanche, pour métamorphoser la chair et le sang d'Isaac en pain et en vin de la foi. Le prophète déclarera que son corps sera changé en une chair et un sang nouveaux, et cela par le seul effet de sa parole sacerdotale : " Ceci est mon corps, ceci est mon sang ". Mais cette chair et ce sang seront devenus le pain et le vin de la parole de Jahvé. La métamorphose cultuelle des signes et des symboles exposés sur l'autel des chrétiens semble un prodige beaucoup moins difficile à réaliser que la révolution qui avait opéré la métamorphose de la chair et du sang du fils aîné d'Abraham en la chair et le sang d'une bête sacrifiée. Jésus sera le nouvel Isaac, lequel sera non moins présent en chair et en os que le précédent sur l'offertoire du meurtre sacré; et ce sera à ce titre qu'il montera à son tour sur l'autel d'une immolation substitutive, mais consubstantielle aux deux précédentes. Mais dans le même temps, le corps et le sang physiques de Jésus seront devenus confusibles avec le pain et le vin de la seule vraie foi, non point par métaphore, mais matériellement, donc dans la tradition simianthropique. C'est pourquoi l'Eglise dit à la fois que Jésus se trouve corporellement présent sur l'autel et qu'il s'agit d'un sacrifice spirituel.

De même, la nature sera censée se tenir à elle-même le discours à la fois métaphorique et non métaphorique dont le physicien dotera la notion de loi, puisque cette notion sera censée se substantifier à l'école de la " vérification expérimentale ", alors que seules les redites aveugles de la matière se trouvent effectivement vérifiées. Mais si toute la théorie physique classique était " expérimentalement " construite sur le modèle sacerdotal de la substantification de la notion de loi, qui est un signifiant, et si la métamorphose métaphorique de la matière en signe " objectif " de la rationalité juridique du cosmos - donc censée " vérifiée " par une théorie réputée se trouver assermentée par des faits sur l'autel de la théorie - il devient décisif d'observer comment le cerveau simiohumain s'imagine rencontrer des signaux dans la nature et en dresser constat à l'école du calcul, ce qui conduit la simianthropologie à observer le statut semi animal des équations en tant que Sésames d'une parole substantifiée par son signifiant. Si l'expérience scientifique est réputée rencontrer le verbe qui l'habite, et cela à l'école de ses propres redites et faire corps avec elles, la christologie devient l'instrument de recherche privilégié d'une véritable connaissance de l'inconscient cérébral du singe surréel.

La " vérification eucharistique " de l'intelligibilité mathématique du cosmos rendra l'univers matériel consubstantiel au verbe qui habitera la raison expérimentale, mais que seul ses prêtres lui feront tenir ; et chaque fois que les trains de la matière se répéteront aussi fidèlement qu'aveuglément, ils seront censés prendre rendez-vous avec leur " signification rationnelle " sans que la notion de raison ainsi construite soit jamais radiographiée au titre d'un document cérébral simiohumain . Ainsi l'imperturbable fournira à son clergé le pain et le vin de l'intelligence théorique semi animale . Mais la nature elle-même n'est-elle pas devenue angélique à son tour à se rendre bavarde sur l'autel de la sottise cuirassée de ses devins?

23 - L'ange de la mort

Mais c'est ici que l'idole dont la sauvagerie est celle de l'histoire et qui pilote ses autels à l'école du sang qu'elle fait couler à torrents va débarquer dans la biographie mystique du prophète Jésus, la seule réelle, et graver dans sa chair la loi d'airain du meurtre angélique qui la commande en sous-main. Car le singe-homme n'a jamais mangé le pain et jamais bu le vin de " Jahvé ". Le prophète a défié son victimaire. La vengeance de l'idole lui enseignera qu'on ne construit pas une Eglise pour donner des leçons à Chronos, mais pour lui servir de décalque , de doublure, d'effigie, d'alibi. C'est cela qui fera de Jésus de Nazareth le seul poète du genre simiohumain dont le destin sanglant démontrera jusqu'à la fin du monde que la loi des idoles est celle de leurs potences.

Que hurle maintenant l'idole d'Abraham ? Qu'elle va produire sur l'autel un prodige à l'envers: ce sera le pain et le vin du " ciel " qu'elle changera en la chair et le sang de l'ange meurtrier qu'elle est demeurée à elle-même . Puisque la métaphore substantifiée se révèle le rouage central du cerveau simiohumain, puisque seul l'ange meurtrier que l'idole est à elle-même a permis à Abraham de proclamer réel l'Isaac symbolisé par un agneau sur l'étal du sacrifice, la métaphore va retourner ses armes contre le prophète et le tuer. Jésus a proclamé que le pain de la foi s'est changé en sa chair et le vin de sa foi en sang. Conclusion : l'idole a retrouvé son Isaac et, cette fois, son couteau ne l'épargnera pas.

Du coup, ce sera bien en vain que la victime de l'idole tentera de se rebeller contre le père angélique ; ce sera bien en vain qu'elle demandera au monstre que la mort animale, celle que toute créature partage avec les bêtes lui soit épargnée sur l'autel. Chronos ne l'entendra pas de cette oreille, Chronos ne se laissera pas chapitrer, Chronos mange ses enfants depuis la nuit des temps, Chronos retrouvera l'enfant qu'Abraham avait retiré de sa table. Si le veau d'or que tentent de terrasser les prophètes n'est autre que le roi de la mort qui s'appelle l'histoire , il faudra rédiger la vraie biographie du premier prophète qui aura gravé le portrait du genre simiohumain dans sa chair et que définira sa guerre à la mort . C'est pourquoi l'idole est l'ange simiohumain qui redonnera sa chair à la bête et qui, comme dit Pascal, fera la bête à " faire l'ange " .

24 - Un singe au paradis

Mais c'est précisément parce que personne n'arrachera à l'anthropologie critique les clés des idoles qu'elle tient d'une main ferme que les futurs évadés de la zoologie sont en mesure d'observer le prototype du singe devenu homme. Pour cela, il leur suffit d'observer que, jusqu'au XVIe siècle, les théologiens de l'idole ont mis Jésus en accusation pour poltronnerie . " Quelle femmelette ! " dira John Colet à Erasme. Qu'avait-il à se rebeller contre le roi de la mort, son souverain, qu'avait-il à se plaindre comme un enfant que son dieu l'eût abandonné ? Qu'avait-il à rechigner, l'homme du gibet , alors que sa joie de sauver tout le genre humain pour pas cher aurait dû le faire courir au supplice avec des bondissement d'allégresse ? Qu'avait-il à tenir jusque sur sa potence des propos désordonnés et incompréhensibles sur le pain et le vin de Jahvé ? N'était-ce pas sa chair et ses os que toute l'espèce angélique allait retrouver indemne dans l'au-delà ? Tout cela valait bien un clouage momentané sur le bois. Qu'en est-il donc du statut trans-zoologique en germe dans le capital psychogénétique du singe-homme, lui qui glorifie un dieu cloué sur l'instrument d'une mise à la torture prometteuse, lui qui, depuis tant siècles brandit l'emblème sacré d'un animal tortionnaire, mais qui voudrait sauver sa peau à titre posthume , lui qui, depuis tant de siècles lapide les prophètes?

Et voici que l'annonciateur de l'âme et de la pensée paraîtra vouloir se soumettre à l'idole qui le tuera; voici qu'il lui crie: " Que ta volonté soit faite ". Car il est de son temps . Sait-il seulement que le pain de l'ange que lui tend son idole n'est pas le pain de " Jahvé " ? S'imagine-t-il qu'une divinité aurait élu domicile dans le cosmos et que son éternité s'y serait donné pour siège un trône d'or ? Une idole a grand besoin de consommer une offrande aussi chosifiée que sa propre viande sur ses autels . Mais la soudaineté même de la rechute de l'espèce dans le culte de son " veau d'or " écrira la biographie suicidaire des prophètes, celle qui illustre l'évolution psychobiologique du cerveau simiohumain . Alors le premier homme se demande : " Serais-je à moi-même mon veau d'or ? Ma vie de singe serait-elle le veau d'or que je rêve de transporter au paradis ? "

25 - L'avenir de la rédemption angélisée

Du coup, la question des secrets psychobiologiques du génie religieux simiohumain se place plus que jamais au cœur de l'anthropologie logique. Car enfin, une théologie pousse-au-crime a prévalu jusqu'à Vatican II. Il faut donc se demander ce que signifie le destin auto-immolatoire des prophètes d'une espèce censée se rendre quelque part, il faut donc se demander ce qu'il en est de la biographie théologique des démocraties, il faut donc se demander pourquoi elles se proclament rédemptrices, il faut donc se demander pourquoi elles sont égorgées sur l'autel de l'histoire, il faut donc se demander quel veau d'or elles sont devenues à elles-mêmes . Si les prophètes se révélaient des éveilleurs du singe-homme, des éclaireurs de son évolution cérébrale, des explorateurs d'avant-garde du destin de l'intelligence post-animale , il faudrait se demander ce qu'il en est du pont qu'ils tentent de jeter entre l'histoire et l'utopie, la politique et le rêve, la biographie et une dramaturgie du " ciel ".

Car l'Isaac censé physiquement offert sur l'autel de l'idole n'est plus le fils d'Abraham : il se déclare le " fils de Jahvé ". Cette mutation du mythe est décisive, puisque le christianisme va, certes, reproduire le modèle abrahamique du sacrifice, mais en le faisant exploser . Certes, dans le judaïsme , le vrai croyant se voyait déjà qualifié du titre de " fils de Jahvé " ; mais si tout le genre simiohumain se trouve maintenant assassiné sur l'autel du monde par l'Abraham divin et si le père du cosmos est devenu le père réel de toutes les créatures, son angélisme ne va-t-il pas se rendre titanesque à l'échelle de l'histoire universelle ? Ne verra-t-on pas toutes les nations et tous les empires de la terre s'emparer avec avidité du sceptre d'une planète angélisée? Les démocraties ne seront-elles pas vouées à prendre le relais du meurtre abrahamique à l'échelle d'une rédemption angélisée de tout l'univers ? Et puisque l'Isaac international est devenu le fils d'une idole réputée innocente , comment les démocraties ne passeront-elles pas pour séraphiques et de la tête aux pieds ? Comment leurs meurtres ne répandraient-ils pas la bonne odeur de la sainteté d'un monde tout entier sauvé par ses idéalités? Mais qui tiendra le sceptre de l'idole des démocraties ? Ne sera-ce pas la nation la plus puissante qui se proclamera la plus sainte, celle dont l'innocence s'étalera à l'échelle de ses meurtres sur tous les continents ?

Si toute sainteté simiohumaine est angélique par nature et si les anges du salut sont casqués, alors l'angélisme politique n'est pas apparu avec la démocratie du glaive messianisé américain ; et si les trois monothéismes sont guerriers ab ovo, le judaïsme porte cuirasse depuis Moïse , le catholicisme a porté cuirasse aussi longtemps qu'aura vécu la puissance des Etats catholiques, l'islam a porté cuirasse jusqu'à Poitiers en 732. Bien plus : un monothéisme se révèle cuirassé à l'heure où sa puissance politique lui permet de déployer ses guerriers sur les champs de bataille; et si le tour de l'Amérique est venu de porter cuirasse à l'échelle de la terre, c'est seulement parce que la forme calviniste du monothéisme n'a conquis son rang politique sur les terres édéniques du Nouveau Monde qu'à partir de 1945.

26 - " Le vrai roi des enfers, c'est toi ! "

Mais si l'angélisme guerrier était en croisade avec Moïse , puis avec Rome, puis avec Allah et enfin avec le Dieu américain, l'heure est venue pour Jésus d'apostropher l'empire romain en ces termes : " Père, qu'as-tu fait de ton fils Isaac ? Que valent ma chair et mon sang sur tes autels ? Je vois un glaive briller dans ta main. Accordes-tu ta bénédiction à un ange assassin ? Je croyais que mon meurtrier s'appelait Lucifer, je croyais qu'il était tombé du haut de ton ciel. Serais-tu l'idole des démocraties ? Laisse-moi enseigner à ta créature que tu n'es qu'une idole ; laisse-moi enseigner que Lucifer est ton père ; laisse-moi enseigner que le souverain de l'enfer, c'est toi ? "

Puisque les autels des démocraties sont devenus sanglants , puisque leurs étendards brandissent depuis la nuit des temps le linceul d'une justice angélique, le linceul d'une liberté angélique, le linceul d'un droit international angélique ; puisque ce sont maintenant les Etats-Unis et l'Angleterre qu'Amnesty International cloue au pilori de l'accusation de torture ; puisque ce sont la plus puissante et la plus ancienne des démocraties qui font de l'Irak et qui voudraient faire de l'Iran l'autel d'un éternel Isaac, il faut reconnaître que la victime éternelle de l'idole simiohumaine porte bel et bien le nom du prophète qui tenta de substituer le pain et le vin de l'intelligence à l'agneau immolé d'Abraham.

Mais peut-être le " vrai Dieu " est-il à l'école du suicide de son " fils " ; peut-être consentira-t-il, lui aussi, à écouter le pédagogue de son suicide afin d'arracher sa créature à l'animal angélique et à ses cuirasses ; peut-être une vraie " théologie " de la résurrection avait-elle besoin de l'autel des suicidaires de l'esprit qui ont fait de l'intelligence la ciguë de leur immortalité.

Voilà ce qu'aurait dit du Jésus de demain un Da Vinci Code qui aurait éclairé le génie des dompteurs de la bête dont les feux éclairent les vivants.

1er juin 2006