1 - Une Secrétaire d'Etat créationniste
2
- Le rationalisme
français et le messianisme politique
3
- Une psychanalyse politique du messianique démocratique
4
- La théologie expérimentale
5
- La dévassalisation de l'Europe et l'anthropologie du sacré
6
- La Boétie aujourd'hui
7
- Les ressorts contemporains de la vassalisation de l'Europe
8
- L'avenir de l'esprit
*
1 - Une
Secrétaire d'Etat créationniste
En 2008 Mme Albright, Secrétaire d'Etat américaine, publiait un
ouvrage titré Dieu, l'Amérique et le monde dont
la traduction française allait bénéficier d'une préface globalement
élogieuse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères
du gouvernement Jospin de 1997 à 2002.
Voir
: La diplomatie
américaine et la religion, A
propos de Dieu, l'Amérique et le monde de Mme Madeleine
Albright, ex-ministre des affaires étrangères des Etats-Unis,
17 novembre 2008
Si
un monarchiste français publiait un manifeste pieusement intitulé,
Dieu, la France et le monde, sans doute soupçonnerait-on
de faiblesse d'esprit une agressivité théologique aussi anachronique,
parce que nos théoriciens les plus orthodoxes de la royauté de
droit divin ne se sont jamais risqués à formuler noir sur blanc
une mythologie du trône des Capétiens aussi cosmologique. Mais
s'ils s'y étaient exercés en légitimistes du ciel de leur temps,
non seulement ils auraient exprimé un messianisme immanent aux
plus hautes sphères de l'Etat, mais également à l'esprit public
de la France de leur siècle. Il en est nécessairement ainsi de
la dévotion politique dont Mme Madeleine Albright se trouve compénétrée:
jamais cette créationniste invétérée n'aurait pu signer un ouvrage
aussi résolument eschatologique si le peuple américain actuel
et sa classe dirigeante, même sommitale, ne partageaient de tout
coeur la mentalité, sotériologique et rédemptrice qui a gravé
le sceau de Calvin sur le protestantisme d'un Nouveau Monde.
2 - Le rationalisme
français et le messianisme politique
Malheureusement,
le rationalisme français n'a pas accédé à une connaissance rationnelle
du sacré et des débits divers du torrent de la grâce. Il résulte
de la pauvreté, anthropologique et philosophique de la laïcité
nationale que le Quai d'Orsay projette encore sur les croyances
religieuses du monde entier les catégories mentales de l'anticléricalisme
rudimentaire du siècle des Lumières. Les chandelles des religions
auto-explicatives sont censées n'éclairer en rien un ramassis
de piétés, de dévotions, de rites et de liturgies condamnées à
se bousculer dans un vain pêle-mêle de superstitions et d'absurdités.
Mais
la raison n'est plus le cierge simpliste d'autrefois: ses diagnostics
ne s'arrêtent pas aux symptômes des maladies, ils remontent aux
causes ultimes des pathologies cérébrales, même collectives. Quand
elle use d'un vocabulaire superficiel et étranger à toute pesée
méditante tant de la foi des simples d'esprit que de celle des
contemplatifs, notre politique étrangère ignore la nature même
du genre humain et le fonctionnement des rouages qui commandent
le cerveau de cette espèce à titre héréditaire. Car l'observation
de ce phénomène mondial révèle que les mythologies religieuses
expriment un transport intérieur spontané et sincère aussi bien
des "fous de Dieu" que du petit peuple vers un monde pleinement
ressenti comme infiniment plus réel que celui dont la platitude
des jours broute les prés; et dès lors que le rationalisme au
petit pied de notre diplomatie scolaire ignore la nature d'un
délire psycho-cérébral aussi répandu et lié à ce point au mode
d'emploi des neurones originels d'un animal flottant de naissance
entre deux mondes, notre Quai d'Orsay de rebouteux se trouve entièrement
désarmé devant l'apostolat guerrier des Etats-Unis. Qu'en est-il
d'une connaissance scientifique minimale des viscères qui pilotent
parallèlement la boîte osseuse des conquérants du ciel et la défense
de leurs intérêts politiques pieusement confondus?
3
- Une psychanalyse politique du messianique démocratique
Pourquoi
les Etats-Unis et leur évangile demeurent-ils stationnés côte
à côte et l'arme au pied sur tout le Vieux Continent? Un quart
de siècle après la chute du mur de Berlin, leurs catéchètes n'auraient-ils
en rien appris qu'une démocratie virginale et censée se fonder
sur la liberté immaculée de tous les peuples de la terre, donc
sur une sotériologie résolument séraphique, souille les ailes
de sa "théologie" de la démocratie à perpétuer une occupation
militaire faussement angélique du territoire des nations qu'elle
a soumises au tranchant de son glaive? Mais il serait offensant,
sinon sacrilège aux yeux des nouveaux dévots d'abaisser leur mission
de glorieux délivreurs par un reproche aussi malveillant que celui
de se comporter en maîtres et en conquérants dont le modèle serait
bien connu des historiens. Les croyants ne vivent jamais qu'à
demi dans le monde contaminé du profane. La vie intérieure des
Tamerlan du ciel se situe toujours quelque part entre la terre
et le surréel purifiant où leur prêtrise prend son vol.
La
démocratie américaine est censée bénéfique dans l'œuf; elle professe
que ce peuple d'apôtres et de convertisseurs est appelé par le
destin à répondre à sa vocation naturelle de messie et de nettoyeur
du monde. Depuis 1945, ses victoires sur les salissures de l'histoire
le placent en suspension entre les vapeurs d'une liberté et d'une
justice ailées d'une part et, d'autre part, une pratique politique
aux trajectoires non moins délivrantes, mais aux sillons subordonnés
au temporel. Pour le bonheur des mythes du salut, le sanglant
est toujours secondaire à leurs yeux.
L'anthropologie
critique enseigne que les évadés griffus de la zoologie arborent
des masques sacrés et qu'ils cachent leurs crocs sous les escarcelles
de leurs séraphins. Leur vocation religieuse les a musicalisés
dans les nues et logés dans un sacré inaccessible aux autres animaux.
La démocratie guerrière et symphonique sert d'effigie célestifiée
au monde moderne, et cela au double sens que les effigies sacerdotales
qui cachent le vrai visage de notre espèce la glorifient dans
la stratosphère et que la sainteté de ses doublures la totémise
et la rend intouchable. C'est ainsi que le christianisme à la
fois conquérant et cérébralisé par ses idéaux portait le pavois
bénisseur où la croix et l'épée s'adoubaient réciproquement, c'est
ainsi que la France colonisatrice nourrissait la vocation schizoïde
d'une humanité tout à la fois sanglante et civilisatrice. L'expansion
industrielle et commerciale d'une Europe biphasée était calquée
sur le même modèle bipolaire que celui de l'Amérique biphasée
actuelle, qui enracine en tous lieux et conjointement les victoires
dichotomiques de son écusson de croisé et de crucifié de la "Liberté".
4 - La théologie expérimentale
La
fin de la première guerre du Golfe a vu la Maison Blanche absentifier
sans autre forme de procès ses "fidèles alliés". On se souvient
de la conférence auto-glorificatrice de Madrid, où le vainqueur
exclusif de Saddam Hussein n'a fait qu'obéir à sa vocation politico-théologique
solitaire. Quelle naïveté, pour une diplomatie européenne dont
le petit rationalisme ignore les rouages du sacré, que de méconnaître
l'évidence la plus criante, à savoir que toute victoire de type
américain se trouve nécessairement pré-construite sur la rudesse
du modèle qui apportera à la nation élue une consolidation doctrinale
efficace de son rôle de chef théologique de la planète de la liberté!
Quand
le Département d'Etat s'offre le luxe d'exposer en rang d'oignons
l'ensemble des dirigeants européens sur le perron de la Maison
Blanche, il s'agit, encore et toujours, de souligner avec éclat
et à la face du monde entier qu'une nation néo-salvatrice, super
messianique et hautement rédemptrice honore grandement ses collaborateurs
les plus dévoués, mais subordonnés par nature à son sceptre de
guide spirituel. Et de rappeler que la bienveillance de ce sauveur
archétypal de l'humanité peut aller jusqu'à flatter l'encolure
des autres serviteurs du salut de notre espèce: n'ont-ils pas
figuré dans l'arène des saintes floralies du chef de la mappemonde,
et quelquefois brillamment? Que demandent-ils de plus? Il est
suffisamment glorieux de bénéficier du rôle d'accompagnateurs
chamarrés du grand délivreur de l'univers du Mal et de figurer
à un rang honorable dans sa suite. La théologie expérimentale
enseigne à la géopolitique du Bien que les croyants ne sont jamais
des Tartuffe invétérés: la démocratie mondiale alimente le feu
de sa foi du bois de ses victoires sur les relaps et les renégats
et sa religion est dupe des anges aux ailes de cire qu'elle s'attache
dans le dos.
Quand,
en juillet 1990, le Président Bush senior demandait à ses vassaux
européens de se déguiser ridiculement et de s'affubler du chapeau
de feutre des gardiens de troupeaux du far-west - Helmut Kohl
et François Mitterrand avaient refusé de se livrer à une mascarade
aussi humiliante - le propriétaire du ranch croyait sincèrement
inviter des égaux à un jeu flatteur, tellement la foi exerce toujours
la fonction suréminente de vous placer sur un piédestal et de
vous préserver de choir dans le monde profane.
5
- La dévassalisation de l'Europe et l'anthropologie du sacré
On
ne saurait comprendre la profondeur du génie diplomatique de Talleyrand
au Congrès de Vienne en 1815 que si l'on observe avec des yeux
d'anthropologue du sacré la connaissance pré-anthropologique du
genre humain dont la stratégie de cet évêque incroyant a témoigné
avec deux siècles d'avance. Il s'agissait de rien de moins que
de démontrer aux pieux monarques de la Sainte Alliance qu'ils
ne pouvaient renier la théologie dont ils se voulaient les hérauts
dans toute l'Europe et que leurs ancêtres avaient illustrée des
siècles durant. Depuis Clovis, la France était fondée sur la sainte
lignée des rois que Dieu couronnait du haut des nues. Les Capétiens
devaient-ils maintenant leur défaite à des apostats formés à l'école
de la guillotine? Etait-il une hérésie plus robespierriste que
de délégitimer la sacralité du trône de Louis XVIII et de toute
la royauté de droit divin dont la fille aînée de l'Eglise avait
glorifié les couleurs? Les nouveaux chevaliers allaient-ils traîner
leur victoire à Waterloo dans la poussière des hérésies, alors
qu'ils avaient assuré le salut du monde en croisés de la sainte
ampoule? Avaient-ils déjà oublié qu'ils n'avaient vaincu l'usurpateur
corse que par la volonté expresse de Dieu? Et si leur triomphe
n'était décidément pas celui du ciel dans le cirque du monde,
que valait leur victoire sur Lucifer?
De même, quand l'heure sonnera de négocier avec les Etats-Unis
le rapatriement tardif de leurs cent trente sept bases militaires
stationnées en Italie depuis 1944 et de leurs deux cents places
fortes incrustées en Allemagne depuis 1945, nous n'aurions aucune
chance de délivrer l'Europe du credo perverti de la Sainte-Alliance
des conquérants de la Liberté si nous manquions d'un Talleyrand
de la démocratie pour leur rappeler que les Républiques modernes
ne reçoivent de récompenses que dans leur ciel et que leurs délivreurs
n'ont pas à capitaliser leurs bénéfices sur la terre. Le futur
prince de Bénévent de l'Europe rappellera à Washington que les
nouveaux croyants sont appelés à respirer l'air du mythe de la
Liberté qui les transporte dans le monde semi-séraphique dont
ils sont les élus. Et si seule une diplomatie française d'avant-garde
se trouvait instruite des fondements anthropologiques et des applications
pratiques de la théologie expérimentale de notre temps et si seuls
les descendants de Talleyrand étaient en mesure de placer sur
leur véritable terrain les futures négociations sur les retrouvailles
de l'Europe avec sa souveraineté, nous défendrions à nouveau parallèlement,
comme tout le siècle des Lumières, une civilisation politique
liée aux droits de la raison.
6 - La Boétie aujourd'hui
Dans le rapport bien documenté, mais en attente de son cogito
cartésien - il s'agissait de réfléchir à l'avenir de la diplomatie
française dans le monde - que M. Hubert Védrine a remis au Président
de la République le 14 novembre 2012 figurait le passage suivant,
que j'ai déjà cité tout au long dans ma première analyse de ce
document, datée du 15 décembre 2012: "Fin 1991, le Président
américain G.H. Bush et son Secrétaire d'État, James Baker, réussissent
d'autant plus facilement à faire survivre l'OTAN à la disparition
des menaces soviétiques qui avaient provoqué sa création que les
Alliés et les pays d'Europe Centrale et Orientale fraîchement
libérés du joug soviétique [sont] tous candidats à l'entrée dans
l'OTAN [et] le lui demandent." (…)
Puis,
M. Hubert Védrine s'approche de quelques pas des mécanismes psychobiologiques
qui commandent la "servitude volontaire". "Malgré tout, brandir
sans préparation l'étendard du "pilier européen", la belle formule
de J.F. Kennedy, restée sans lendemain, ou de "l'identité européenne",
réclamer un caucus européen au sein de l'Alliance, risquerait
d'être à la fois insuffisamment ambitieux et potentiellement provocateur.
Même en 2012, cela pourrait rebraquer [braquer à nouveau] contre
la France la technostructure otanienne, [ainsi que] les responsables
du département d'État et du Pentagone pourtant plus ouverts que
dans le passé à une évolution et tous les Alliés européens qu'inquiète
déjà le "pivot" vers l'Asie. Cela peut nous paraître paradoxal
et à courte vue, mais c'est ainsi: ces derniers ne veulent pas
donner aux Américains de prétexte à se désengager davantage!"
[C'est moi qui souligne]
On
ne guérit pas de la vassalité, mais du moins s'ouvre-t-elle à
une "évolution ". Quelle gentillesse! Décidément, M. Védrine a
mis le doigt sur la même question de fond que l'ami de Montaigne
en 1549, à l'âge de dix-huit ans : que se passerait-il si un chef
d'Etat européen d'envergure s'attelait avec courage à la pédagogie
d'expliquer posément à la classe politique allemande et italienne
que jamais l'Europe quadrillée par des bases militaires américaines
armées jusqu'aux dents n'acquerra une musculature politique digne
de ce nom et que, sans l'électrochoc préalable d'un retour brutal
de nos squelettes aux angoisses de la souveraineté, cette éducatrice
solitaire par définition, il n'y aura plus jamais de Vieux Continent
en marche sur notre astéroïde?
Mais
un connaisseur européen de l'ossature de l'histoire asservie se
heurterait à des mentalités municipales résolument sourdes à sa
voix, parce que le nœud de la vassalisation semi volontaire de
notre espèce se cache à une autre profondeur de l'ignorance de
la nature de leurs gènes dont souffrent les évadés partiels de
la zoologie, celle de l'immersion native de ces animaux dans un
évangélico-messianisme cérébralisé et dont la démocratie de 1945
n'a fait que renforcer l'éthique sur notre planète. Seule une
révolution cérébrale prodigieuse - et irréalisable en quelques
années seulement - placerait l'Europe des nations dans l'arène
des périls de l'Histoire démasquée. Mais La Boétie n'avait pas
prévu que le sceptre apostolique et le camouflage sotériologique
du catholicisme monarchique de la France de son temps ne tomberaient
en poussière en 1793 que pour renaître entre les mains d'un nouveau
rédempteur universel et que le mythe de la liberté, porté par
la grâce calviniste, ferait monter au four une nouvelle hostie
de la vassalité déguisée en sainteté. Le pain sacré de l'humanité
est toujours celui de son pieux asservissement à un maître dans
le ciel.
7
- Les ressorts contemporains de la vassalisation de l'Europe
En quoi la nouvelle eschatologie dominante ressemble-t-elle à
celle du siècle des Lumières et en quoi diffère-t-elle fondamentalement
du modèle voltairien? Le timide rationalisme des encyclopédistes
s'en prenait presque exclusivement à l'omnipotence du clergé de
l'époque et à la puissance de ses dogmes. L'opulence de la classe
sacerdotale avait peu changé depuis le siècle de Montaigne et
la fossilisation de la "révélation" laissait intact
le principe de l'existence d'un pilote du cosmos dont l'ubiquité
et l'invisibilité dictaient leur loi à tous les esprits. Mais
la révolution demeurée partielle et locale des esprits voltairiens
trouvait maintenant sa source politique dans l'ascension d'une
bourgeoisie dont les ambitions commerciales et intellectuelles
rencontraient encore deux obstacles principaux: l'esprit de caste
de l'aristocratie et du clergé confondus dans un même séparatisme
politico-religieux. L'enfermement de la société tout entière dans
cette scissiparité cérébrale bloquait la montée en force d'une
oligarchie d'industriels et de commerçants non encore propulsés
par un machinisme planétarisé.
Rien de tel de nos jours: le blason rapiécé de l'Eglise et celui
de la noblesse figurent au bureau des objets trouvés et le brusque
basculement dans le mythe d'un nouveau pain bénit - celui de la
Liberté - du vieil esprit messianique et sotériologique recousus
exprime seulement les intérêts financiers de la nouvelle classe
dominante, celle de l'argent, qui n'a ni emblème, ni oriflamme
à faire flotter dans le vent de l'histoire. Du coup, la mécanisation
du monde et l'automatisation de la production des marchandises
trouvent le coussin de velours sur lequel se reposer, celui d'une
spiritualité collective vaporisée et privée de toute structure
doctrinale contraignante. Les idéaux mollement rassurants de la
démocratie mondiale ont succédé au dogmatisme ecclésial en acier
trempé du siècle de Voltaire et au sceptre tombé en quenouille
du tiers état.
Dans l'écroulement des empires mondiaux de la piété, un finalisme
démocratique dissous dans l'informe ne s'oppose en rien à la vassalisation
sommeilleuse et rampante des esprits "cultivés" et décorsetés.
Si le Vieux Monde devait reprendre en mains le flambeau de la
politique en mouvement, il lui faudrait forger une classe dirigeante
d'un type inconnu et dont la vocation cérébrale se trouverait
étroitement associée à un refaçonnement de la lucidité politique
sur l'enclume du naufrage d'une civilisation privée à la fois
d'un clergé, d'une aristocratie et d'un tiers état aux régiments
serrés d'autrefois. Les nouveaux maîtres forment la puissante
oligarchie d'Etat versaillaise dont les phalanges de cour sont
composées de hauts fonctionnaires richement rémunérés et à auxquelles
la noblesse de robe d'une armée immense de centaines de milliers
de fonctionnaires sert de cortège aux rentes plus modestes, mais
assurées sur le modèle de la petite bourgeoisie du XIXe siècle.
8 - L'avenir de l'esprit
Deux
siècles après la révolution de 1789, la configuration post-révolutionnaire
du pouvoir politique et des privilèges qui s'y attachent est appelée
à engendrer un type nouveau de distanciation de l'intelligentsia
mondiale. D'un côté la pensée rationnelle de haut vol ne trouve
plus de lecteurs, ni dans les séquelles de l'ancienne aristocratie,
ni dans les restes du clergé, ni dans les rangs clairsemés des
princes passés au service de l'Etat administratif. Aujourd'hui,
un Victor Hugo, un Hippolyte Taine ou un Renan n'auraient plus
de public, pour ne rien dire de Stéphane Mallarmé ou de Paul Valéry.
De l'autre, la culture antique que la Renaissance avait ressuscitée
à grand peine est retournée, mais pour toujours, dans un second
Moyen Age, tandis que l'édition de masse et l'industrialisation
du livre rendraient impossible la parution de l'œuvre d'un Kafka.
Du coup, la littérature n'a plus de Balzac pour traiter du drame
central du siècle, celui du naufrage de la civilisation européenne,
dont le paradoxe est de n'avoir pas de spectateurs. Mais une nouvelle
classe d'intellectuels monte dans l'ombre, celle dont l'acier
conquerra une distanciation et une hauteur monacales. Le recul
cérébral des anachorètes de la pensée approfondira encore davantage
la connaissance anthropologique de la scission entre le monde
visible et les anciens empires de l'imagination religieuse, puis
de l'ère idéologique de la civilisation mondiale.
Le
nouvel humanisme sera le spéléologue de la connaissance de l'humain,
et cela au point que la dimension semi-animale d'un "Dieu" tortionnaire
et des croyances inscrites dans le rôle pénal attribué à l'installation
d'un géant punitif dans le cosmos éclairera les limites du siècle
de Voltaire. Mais il est significatif que le nouvel avenir de
la réflexion anthropologique sur les châtiments collectifs, nous
le devrons aux premiers spiritualistes athées que le monde ait
vu paraître au VIIIe siècle avant notre ère - les moines bouddhistes
- dont quelques-uns se placent d'ores et déjà à l'avant-garde
de l'alliance du combat politique de demain avec la guerre sans
fin de l'intelligence transanimale.
L'approfondissement de la connaissance du cerveau sommital de
notre espèce trace le chemin des retrouvailles du monde moderne
avec la politique de l'esprit. Sortir du mythe religieux, c'était
"tomber
dans le réel", disait-on, mais dans un réel revivifié par son
élan vers un nouveau "Connais-toi".
Le
5 janvier 2013