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La postérité du siècle des Lumières et l'avenir de la pensée mondiale

A propos de la visite du pape Benoît XVI à Paris du 12 au 15 septembre 2008


" M. le Président de la République, croyez-vous vraiment que l'apologie de l'ignorance ait jamais fait progresser une civilisation ? " [*]

Introduction

Naturellement, tout au long de sa visite en France du 12 au 15 septembre, le pape Benoît XVI aura fait progresser sans le vouloir la démonstration de quelques vieilles évidences, tellement il était devenu criant depuis longtemps que si l'Eglise persévère à se cacher à elle-même le contenu anthropologique de son culte, le vrai danger vient désormais d'une laïcité dont la méconnaissance de sa vocation intellectuelle la contraint à s'associer ouvertement au combat que Rome mène contre le progrès des sciences humaines depuis les Confessions de saint Augustin. Mais un Etat prétendument rationnel et qui aura cessé de servir de moteur mondial à l'humanité de l'intelligence n'aura plus de destin civilisateur. On comprend, dans ces conditions, qu'une France résolument décérébrée s'entendra de plus en plus ouvertement avec le Vatican pour passer sous silence la question de la véritable nature du sacré ; car la peur de Dieu est la clé de la peur de penser.

Un bon exemple en aura été donné il y a près d'un an, quand M. Nicolas Sarkozy avait déclaré, en sa qualité de chanoine de l'église de Latran, que l'Eglise confiait " l'apprentissage de la différence entre le Bien et le Mal " à des mains plus sûres et plus expertes que celle des instituteurs , alors que tout bachelier d'aujourd'hui a appris sur les bancs de l'école qu'une science née au milieu du siècle dernier, la sociologie, a démontré qu' il n'y a ni Bien, ni Mal absolus et qu'on n'observe jamais que des différences de pesée de ces notions au gré des peuples, des époques et des lieux. De plus, tout lycéen de terminale sait que Durkheim n'a fait que tirer , avec trois siècles et demi de retard, les conséquences logiques de ce qu'on savait depuis la découverte des Indiens par un certain Christophe Colomb en 1492 - découverte dont toute la Renaissance n'a cessé de tirer les conséquences depuis Copernic et Galilée jusqu'à l'ethnologie moderne.

Mais le pire du fléau de l'obscurantisme philosophique qui frappe les plus hautes instances de l'Etat laïc est la gangrène désormais non seulement de ll'immense majorité de la classe dirigeante, mais toute la piétaille des petits intellectuels immergés dans le siècle et dont l'ignorance au chapitre du contenu réel du culte chrétien leur interdira d'accéder à la réflexion anthropologique de demain. C'est ainsi que M. Nicolas Sarkozy et tous ses ministres tomberaient des nues si on leur enseignait le " Bien " et le " Mal " à l'école d'un examen critique des décisions doctrinales qu'on appelle des dogmes et qui président au sacrifice sanglant de l'autel, c'est-à-dire au meurtre de la victime sur l'offertoire, suivi de l'avalement de sa chair réelle et de la déglutition effective de son sang. Mais toute l'intelligentsia ptolémaïque européenne tomberait également du haut mal si elle connaissait les découvertes des Copernic de l'évolutionnisme. Il est vrai, m'ont-ils confié, [voir mes Lettres persanes] qu'il faut une vingtaine d'années d'observations en laboratoire pour apprendre le contenu effectif des trois monothéismes et l'histoire de leur substance. C'est pourquoi, mon ignorance me contraint de résumer ce qu'ils ont consenti à m'enseigner concernant l'extension inexorable du cancer de l'obscurantisme qui ronge le concept de " raison " lui-même . Figurez-vous que les nouveaux théologiens de la démocratie entendent cacher sous le boisseau les clauses de la tragique alliance que l'Histoire conclut depuis des millénaires avec les immolations payantes. Voilà qui concerne une Europe asservie au culte d'un Dieu étranger.

Quels sont les ultimes secrets de la servitude dont ce "Dieu"-là réclame le tribut? Le 12 septembre 2008, le pape Benoît XVI confondait sans broncher raison et culture en plein Paris et personne n'y trouvait à redire au pays de Descartes: "Ce qui a fondé la culture de l'Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L'écouter, demeure aujourd'hui encore le fondement de toute culture véritable."

Mais si la vocation de la culture est de chercher Jupiter, l'anthropologie moderne appelle la raison du XXIe siècle à découvrir le "Dieu" du glaive, du sang et de la mort qui se cache sous ses autels . Et si un autre " Dieu " que celui de la théologie nous aidait à observer cette idole, le verbe penser changerait radicalement de paramètres, parce que la raison ne se contenterait plus de réfuter des allégations mythologiques par nature, mais intègrerait l'histoire des religions dans une interprétation rationnelle de l'évolutionnisme . Alors seulement, le cent cinquantième anniversaire de la publication de L'Evolution des espèces ferait entrer Darwin dans sa postérité logique, celle du débarquement de l'histoire du cerveau humain dans l'histoire des civilisations.

On comprend combien la fécondité d'une science anthropologique qui se situerait dans le droit fil du siècle des Lumières ne saurait s'en tenir à la lecture que Voltaire et les encyclopédistes proposaient du meurtre de l'autel. Aux yeux de l'Europe vassalisée d'aujourd'hui, la question est de savoir pour quelles raisons inconscientes, mais viscéralement liées à la sanctification du meurtre politique, la théologie chrétienne s'acharne depuis tant de siècles à retrouver la chair et le sang réels de la victime de son autel antéabrahamique. Le refus catégorique de l'Eglise catholique comme de toutes les confessions protestantes de substituer des offrandes végétales à la chair et au sang à l'Iphigénie conduira l'anthropologie critique de demain à une plongée sans précédent dans les entrailles de l'idole et de sa créature, donc à la connaissance des fondements psychobiologiques communs à l'Histoire et à la politique mondiales depuis les origines. .

1 - Une raison opiacée
2 - Le contrôle moderne des cerveaux
3 - La nouvelle " trahison des clercs " (Julien Benda)
4 - Les ridicules de l'ignorance
5 - Où " Dieu " est-il passé ?
6 - Qu'est-ce qu'une religion ?
7 - L'hostie du sacrilège
8 - Le " Dieu inconnu " de Benoît XVI
9 - Le meurtre sacré et l'Histoire
10 - Le meurtre simiohumain
11 - La République de M. Nicolas Sarkozy et l'enseignement du meurtre sacré
12 - Le Dieu des chrétiens et la torture
13 - La raison post-voltairienne
14 - La foi des chimpanzés
15 - L'anthropologie critique et la vassalisation de l'Europe
16 - La sanctification du meurtre politique et la démocratie messianique
17 - La radiographie simianthropologique du christianisme
18 - L'avenir de l'Europe de la pensée

*

1 - Une raison opiacée

Deux cent trente ans après la mort de Voltaire, l'Europe de la raison, donc de l'esprit critique n'est-elle pas tombée dans le piège le plus paradoxal qui se puisse imaginer ? Certes, il est difficile de soutenir qu'une pensée qui se voudrait irrationnelle demeurerait une pensée. Mais comment une civilisation fière d'avoir avancé de quelques pas sur le chemin de l'intelligence peut-elle se trouver prise en otage par sa demi victoire sur le sacré et en devenir la victime? Et pourtant, si les représentations mythologiques des origines du monde ont reculé dans toute l'Europe, ce n'est nullement en raison des progrès qu'une civilisation désormais fondée sur le savoir scientifique a accomplis dans la connaissance anthropologique des cosmologies sacrées : au contraire, les Etats devenus, à les entendre, "résolument laïcs", se sont bien gardés d'affiner leur connaissance de la psychobiologie qui commande les convictions religieuses et dont avait définitivement témoigné, pensait-on, le divorce, prononcé en 1905 par le Tribunal des Lumières, aux torts des autels et au bénéfice de la politique. Bien plus, les esprits gestionnaires qui composaient et qui composent encore de nos jours quatre-vingt dix-huit pour cent des classes dirigeantes du Vieux Monde se sont contentés de retirer des avantages immédiats et non négligeables de l'immense perte d'influence des clergés sur des masses qu'elles catéchisaient de génération en génération. L'essentiel, aux yeux des autorités , était seulement de tirer profit de la perte du monopole que les croyances avaient exercé sur l'enseignement officiel de la "vérité" depuis dix-sept siècles. Puisque l'éducation de la jeunesse, donc la puissance la plus décisive de toutes , celle de façonner les cerveaux, échappait désormais aux Eglises, les gouvernements démocratiques se sont dit que l'avenir de la "politique de la raison" leur appartenait de droit et qu'ils n'avaient plus de rivaux pensants à redouter.

2 - Le contrôle moderne des cerveaux

Sitôt que les chefs d'Etat furent devenus plus ignorants des racines théologiques de toute politique depuis le fond des âges que les curés de village dont ils avaient moqué l'obscurantisme un siècle auparavant , ils se sont dit qu'ils avaient le plus grand intérêt à s'entendre dorénavant avec Rome, parce que la seule question qui allait immanquablement se poser serait d'ordre policier. Puisque les derniers vestiges de l'enseignement d'un ciel disciplinaire demeuraient relativement roboratifs, donc sainement patriotiques, puisque les séquelles de l'apprentissage obligatoire des croyances sacrées engendrait encore des citoyens riches de leurs espérances présentes et posthumes, puisque, de leur côté, les instituteurs avaient perdu beaucoup de leur ardeur de catéchètes du débarquement de la pensée logique dans la raison publique, puisque l'Etat démocratique ne se préoccupait plus en rien de faire progresser d'un iota la connaissance des secrets de l'humanité, pourquoi la République des bésicles et des comptoirs se mêlerait-elle des affaires du "Connais-toi" sur cette terre, pourquoi la nouvelle classe dirigeante se demanderait-elle pourquoi le simianthrope vit dans des mondes oniriques , pourquoi l'élite d'une nation de notaires et d'huissiers du savoir douterait de l'existence de Dieu, alors que l'époque se révélait favorable à la signature d'une alliance nouvelle et durable des démocraties semi rationnelles avec un Saint Siège certes tombé en catalepsie, mais pour le profit bien compris tant des brebis des Eglises que de celles de la démocratie triomphante?

Du coup, on a pu assister à un spectacle ahurissant, celui qu'a offert au monde entier, qui en est resté pantois, le Président d'une République laïque monté en chaire à Rome pour adresser au Pontife un discours de catéchète et de moraliste. Quelle éloquence pour convier le successeur de Saint Pierre à partager le combat de l'ex-France de Descartes et de Voltaire contre la prolifération des sacrilèges de la science ! Les deux orthodoxies tarderont-elles longtemps encore à comprendre que leurs intérêts convergent depuis longtemps? Ne pouvaient-elle concilier leurs vocations pastorales respectives ? On était médusé d'entendre M. Nicolas Sarkozy juger malencontreux qu'une France désormais tout entière agenouillée devant les nouveaux bénitiers - les verdicts du suffrage universel se voulaient aussi infaillibles que ceux de l'Eglise - "cherchât des difficultés" galiléennes aux croyances religieuses. Pourquoi ne pas aplanir les sentiers du mythe, pourquoi ne pas l'aider dans son ambition redevenue légitime de s'emparer des têtes, dès lors que l'ignorance avait de nouveau le vent en poupe ? Pourquoi l'autel et l'éducation nationale n'exerceraient-ils pas de conserve un contrôle modernisé des cerveaux?

Hélas, à Lourdes, le pape rappelait solennellement le principe de l'indissolubilité du mariage à toute la chrétienté, "afin de ne pas déchirer davantage la tunique sans couture du Christ" ; et Rome signifiait le congé de l'Eglise à la France, parce qu'une orthodoxie menacée de vaporisation dans le laxisme doctrinal et de fossilisation dans le culte de sa lettre ne peut que naviguer entre deux récifs et finir par se fracasser sur l'un ou sur l'autre.

3 - La nouvelle " trahison des clercs " (Julien Benda)

La consolidation du despotisme des modernes à l'école du naufrage de la pensée dans les alternances de la tiédeur et de la rigueur trouvait la condition même de son succès dans l'inculture des intellectuels eux-mêmes, dont le laxisme, comme il est dit plus haut, coulait précisément depuis un siècle dans le creuset d'une loi de séparation toute formelle entre l'Eglise et l'Etat ; car ni l'une, ni l'autre de ces deux autorités ne songeait à conquérir la raison d'avant-garde qu'attendait la postérité de Darwin et, dans le même temps, à devenir "savantes en théologie" , ni l'une, ni l'autre ne songeait à explorer le gigantesque capital psycho-cérébral amassé au cours de vingt siècles de l'histoire du mythe et dont le monde entier avait accumulé les dividendes cérébraux, ni l'une, ni l'autre n'y reconnaissait une banque de données si précieuse que seule la fécondation sacrilège de son contenu réel sur les cinq continents pouvait redonner un avenir blasphématoire à l'intelligence.

Si l'on néglige de décrypter ce que l'humanité se racontait à elle-même par le truchement des hauts-parleurs qu'elle avait branchés sur le cosmos, on ne peut rien connaître du fonctionnement dédoublé et du contenu hétéroclite de la boîte osseuse des descendants d'un quadrumane à fourrure ; et si l'on se connecte sur ces capteurs, on découvre la scission psychogénétique native entre le réel et le spéculaire dont souffre l'entendement encore en gestation de cet animal à la fois meurtrier et inachevé . Mais, au début du XXIe siècle , les intellectuels décérébrés par le faux triomphe de la loi de 1905 n'ont fait que rivaliser d'entrain apostolique avec M. Nicolas Sarkozy dans la défense subrepticement cléricale des vertus civiques et de l'éthique superficielle de la République ; et ils se sont contentés de faire valoir que la vigueur du zèle pastoral du clergé laïc ne devait le céder en rien à celui d'une Eglise infantilisée par la désertion des grands accoucheurs d'un ciel ennemi de la cécité. Le 12 septembre 2008, le pape Benoît XVI réunissait pêle-mêle au couvent des Bernardins de Paris, tout juste restauré, quelque mille intellectuels, chanteurs ou personnalités politiques dont pas un seul ne disposait d'une formation théologique approfondie et ne songeait le moins du monde à soutenir la vocation du XXIe siècle de constituer les théologies en documents cérébraux à décoder. Mais toute recherche anthropologique sérieuse s'éteindra à l'échelle du globe terrestre quand la léthargie philosophique de l'Europe l'aura déconnectée de son ciel et de ses autels sans lui avoir ni appris à autopsier les cadavres de ses idoles ni à se reconnaître dans leur dépouille mortelle.

4 - Les ridicules de l'ignorance

L'inculture dans laquelle la laïcité est tombée la rend caricaturale et la livre au ridicule politique. C'est ainsi que M. Nicolas Sarkozy en visite à Rome a pu comparer sa propre ambition à celle du chef de l'Eglise: dans son esprit, c'était louanger Benoît XVI, son valeureux compagnon d'armes dans l'arène de l'Histoire que de le féliciter de son combat acharné, sa vie durant, pour finir par s'asseoir, encore vaillant, mais exténué sur le trône de Saint Pierre. Combien la vocation du Saint Père ressemblait à la sienne, qui s'était battu comme un beau diable pour s'installer, encore jeune sous les lambris de la République!

Mais dès lors qu'une laïcité superficielle et privée de contenu philosophique s'était changée en un simulacre de victoire de son message sur celui des cultes, dès lors que le tribut actuel que réclamait la peur ancestrale de spectrographier les millénaires de l'ignorance sacralisée se révélait d'un montant plus exorbitant que celui d'autrefois, dès lors que l'obscurantisme arborait maintenant les vêtements d'une science contrefaite et que l'ignorance sûre de son savoir de M. Homais se révélait d'une pesanteur supérieure ou égale à celle d'une théologie de village, dès lors que le triomphe d'une cécité intellectuelle désormais liée au mutisme qui frappait le savoir expérimental à son tour - il ne savait plus ce qu'il lui fallait "expérimenter", faute d'hypothèse créatrice - le triomphe, dis-je, d'un savoir privé d'antennes allait fatalement entraîner des conséquences politiques aussi dramatiques dans leur ordre que l'aveuglement autrefois véhiculé par les rites cultuels ; car les Etats encore qualifiés de démocratiques pour la forme allaient se trouver non seulement assaillis, mais menacés de mort par le squelette du "Dieu" défunt dont ils avaient bien vainement enfoui les ossements sous leurs tabernacles désertés.

Certes, la servitude intellectuelle est le pain quotidien des théologies délabrées; certes, elles en font la condition naturelle de la prospérité de leur charpente. Mais quand la vassalité cérébralisée et semi volontaire de l'humanité élit domicile au cœur de la science expérimentale elle-même, un obscurantisme viscéralement leurré par son propre code probatoire se révèle plus suicidaire encore ; car le démonstrateur n'introduit plus que des ex-votos verbaux dans ses preuves. Alors celles-ci entassent les instruments de leur scolastique de la liberté sur les autels que les démocraties falsifiées par leurs propres vocables consacrent à saluer leurs statues sonorisées. Comment une science politique qui se croit devenue post-religieuse à titre organique, mais qui s'agenouille désormais devant ses idéalités d'apparat, ne boirait-elle pas à son tour le nectar du refus de raisonner clairement ? Comment n'irait-elle pas jusqu'à ignorer la nature du poison qui la tuera à petit feu devant les prie-Dieu de l'abstrait?

5 - Où " Dieu " est-il passé ?

Comment allons-nous baptiser le venin mortel d'une ignorance sécrétée par les preuves mêmes de leur "vérité", comment donnerons-nous un nom à la négligence de l'anatomiste républicain qui aura jeté la dépouille mortelle de l'idole à la voirie, alors que le cadavre qu'on appelait une théologie de son vivant n'a aucune raison ni de se taire, ni d'échapper à l'autopsie à la suite de l'affichage de son trépas . Vous aurez beau tenter de mettre le mort sous bandelettes et de le momifier dans sa bière, votre refus de l'autopsier ne vous vaudra rien de moins que l'accusation justifiée de complicité d'assassinat. Il y a vingt-cinq siècles que la science médicale dont le bistouri s'appelle la philosophie est informée de ce que votre meurtre conservera, certes, le mérite non négligeable d'avoir porté à sa dernière demeure une parole somptueuse et retorse ; mais, par définition, le diagnostic du médecin légiste exigera la présentation du trépassé sur la table d'opération de la dissection socratique .

Certes, le verbe de l'idole est désormais reconnu pour tout humain, certes, l'on a du moins identifié les souffleurs de mauvaise foi qui faisaient parader un locuteur solennel, mais imaginaire sur le devant de la scène de l'Histoire ; mais il serait d'une mauvaise foi non moins maladroitement camouflée de refuser ensuite aux anthropologues du XXIe siècle d'entendre la voix du "Dieu" sortir de dessous terre. Au contraire, l'heure a sonné de dresser l'oreille, même si la surdité d'une science encore en herbe lui fait mettre la main en cornet pour entendre l'idole. Mais il faut savoir que le simianthrope n'a pas encore d'esgourdes pour entendre ses propres arpèges, il faut savoir qu'il ignore pourquoi il s'est attaché au mât pour écouter le chant des Sirènes, il faut savoir que l'acteur tonitruant du cosmos n'est devenu audible qu'à quelques-uns de ses musicologues enchaînés.

En premier lieu, on commence, ici ou là, de se demander pourquoi le simianthrope d'autrefois éprouvait un si grand besoin de confier les exploits de son organe vocal à un chanteur dont la caisse de résonance n'était autre que l'immensité, pourquoi le néant gigantifiait son effigie dans les nues, pourquoi il rechignait tout autant qu'autrefois à s'écouter sous le superbe déguisement de son sépulcre, pourquoi il se cachait hier sous l'autel, aujourd'hui sous son linceul, comme si, mort ou vif, la lâcheté et la peur n'avaient jamais cessé de lui fournir le gigantesque exutoire cérébral de violer impunément les droits de la pensée logique . Quoi de plus dévotement illogique, pourtant, quoi de plus saintement irrationnel, n'est-il pas vrai, quoi de plus hypocritement pieux, assurément, quoi de plus impunément religieux, en un mot, que de refuser au vide le droit à la parole!

Quand "Dieu" eut succombé sous anesthésie en raison même du succès des anthropologues socratiques qui ont réussi l'opération de lui retirer du crâne la boîte d'enregistrement de ses propres mystères, le bourdon des millénaire a retenti au beffroi de l'Histoire ; et il a fait entendre un étrange carillon. Alors la cloche des tourments cérébraux des dieux a sonné à toute volée. Puis les discours que le simianthrope s'adressait en secret à lui-même sur la terre se sont démultipliés entre plusieurs modulations dans le cosmos ; puis les souffrances et les félicités alternées des hommes et de leurs idoles au cours des siècles ont commencé de former une constellation de spectres diffus - et d'abord celle d' une mathématique de l'univers qui n'avait tué Jupiter que pour le retrouver réfléchi dans un législateur caché sous les nombres. Ah ! qu'il était plus facile de se tapir sous l'effigie bien dessinée des idoles que d'hériter des dieux dilués et vaporisé dans des savoirs compliqués, ah ! qu'il était plus profitable de nourrir un promeneur solitaire qui vous présentait sa carcasse en chair et en os que de décrypter à grand peine les énigmes que son sépulcre vous aura mis sur les bras!

6 - Qu'est-ce qu'une religion ?

Quel est donc le premier pas qu'il appartiendra à la pensée philosophique simiohumaine de franchir et qui seule permettra aux sciences devenues réellement transhumaines du XXIe siècle de comprendre l'enjeu politique de la guerre de la raison du simianthrope que le siècle des Lumières avait déclenchée à l'échelle de la planète? Nul autre que de préciser sans ruse ni détour ce qu'est une religion en tant que document situé à tel endroit sur l'échelle de l'évolution du cerveau de notre espèce. Mais pour cela, il convient de revenir à l'examen au microscope des documents sans lesquels il serait illusoire de tenter de cerner leur complexion de telle sorte qu'aucune contestation sérieuse ne pourra subsister quant à la spécificité de leur nature. Car le naufrage de la réflexion anthropologique prometteuse dans lequel la postérité du XVIIIè siècle a ensuite entraîné cette discipline résulte entièrement de l'oubli du contenu pourtant obvie , tant cosmologique que cultuel, du corps doctrinal, donc de l'orthodoxie clairement énoncée dont les trois monothéismes se réclament explicitement - et , en tout premier lieu , du contenu simiohumain des dogmes que les théologies monothéistes exposent expressément et sans ambages au public . Benoît XVI a soutenu que "Dieu travaille" et qu'il "se salit les mains" - eh ! bien, observez-le à la charrue , à l'établi, à la forge, observez-le dans ses "travaux et ses jours".

Supposons qu'il s'agisse de comprendre la signification psychobiologique des travaux non moins assidus de Mithra, d'Osiris, de Wotan, puis de ceux des campeurs de l'Olympe et enfin des dieux d'Isaïe, de Mahomet ou de Jésus-Christ. La première exigence de la science anthropologique ne sera-t-elle pas de relever minutieusement ce qui est tombé de la bouche de ces personnages? Nul ne se met en tête de falsifier méthodiquement les discours que Zeus tenait dans Homère. En revanche, quand Platon réfute occasionnellement le récit selon lequel le roi des dieux aurait été saisi d'un désir violent pour son épouse Héra et qu'il l'aurait plaquée au sol sur l'heure, ce caprice de théologien devrait mettre la puce à l'oreille des anthropologues, parce que les dieux sont des acteurs du cosmos que leurs adorateurs modèlent et malaxent sans relâche . Cette vocation réformatrice est même si impérieuse et si universelle qu'elle est tenue pour la plus sainte, puisqu'elle appartient en tout premier lieu aux prophètes, qui n'y vont pas de main morte, si je puis ainsi m'exprimer , puisque Isaïe fait dire sans répit à l'idole qu'elle a horreur des sacrifices de sang qu'on lui demande de humer à pleines narines - la consommation des victimes demeurant réservée aux seuls fidèles.

Mais si, dans l'enceinte de l'Assemblée nationale, un député de l'opposition se levait pour demander aux élus de la majorité une réforme urgente et saine de la Constitution, cette revendication, si inspirée qu'elle pourra paraître, ne deviendra effective qu'à la condition de se trouver entérinée par les deux chambres solennellement réunies en congrès à Versailles. De même, une divinité ne change ni de nature, ni d'attributs aussi longtemps qu'elle n'aura pas été officiellement refaçonnée par l'autorité expressément habilitée à en modifier les apanages et la complexion. Aussi l'anthropologie critique définit-elle les dieux à l'école des dévotions codifiées dont ils réclament l'hommage. De quel droit passerait-elle outre à leur statut légal?

Certes, elle se demandera également de quel droit on tue ceux dont on ne sait quelle mouche les a piqués pour qu'ils prétendent tout soudainement et jusque sur le billot modifier la dégaine de l'idole : le moment venu, l'anthropologie critique s'attachera à tenter de décoder cette seconde et dangereuse écoute des dieux, de la République, de la philosophie, de la poésie, de la musique et de quelques autres personnages désespérément virtuels. Mais, pour l'instant, nous n'avons pas à nous plaindre : que demander de plus à une religion en sabots que de confier la haute mission et la sainte charge d'en faire connaître les propositions et la logique interne à ses dignitaires les mieux bottés - ceux qu'on salue du titre de dépositaires chamarrés et assermentés de la saine doctrine? Encore une fois, si notre siècle ne s'informe plus de la substance calligraphiée des trois monothéismes, si la légèreté d'esprit d'une raison réputée victorieuse d'un mythe sacré s'accorde le luxe d'ignorer ce que ses autels énoncent en toutes lettres et avec toutes les ressources d'un vocabulaire codifié depuis des siècles, on se demandera également en vain pourquoi toutes les époques éprouvent de surcroît le besoin incoercible de substituer au discours bien récité des orants de Jupiter une parole potentielle jugée plus digne de son encéphale en gésine et comment la science anthropologique de demain pourrait prétendre interpréter un récit sacré sans avoir construit la balance à peser le passé, le présent et l'avenir des dieux .

7 - L'hostie du sacrilège

Quelle est donc la "vraie nature" d'une idole en promenade sur la terre et que ses défenseurs suicidaires - ses prophètes - ne cessent d'insulter et de couvrir de honte ? Pourquoi refusent-ils obstinément de plier le genou devant elle? D'où tirent-ils l'autorité de lui cracher à la figure, de la clouer tous les jours au pilori de l'opprobre , de la vouer sans relâche aux gémonies, de la forger inlassablement à l'école des blasphèmes de ses saints? Des témoins aussi entêtés de ce que l'idole n'est pas ne sont-ils pas le signe de l'ambiguïté psychobiologique du simianthrope sanctificateur et désacralisateur? Voltaire ou Diderot connaissaient encore par cœur le contenu vomitoire du catholicisme, de sorte que le dogme de l'eucharistie, par exemple, les jetait dans une fureur d'adorateurs insatiables de ce que le dieu aurait dû être à leurs yeux . Les croyants ressemblent aux lecteurs de Racine et de Corneille : les premiers peignent "Dieu" tel qu'il est, les seconds tel qu'ils voudraient qu'il fût ou qu'il devînt. Quel est le "Dieu" caché qui lapide le "Dieu" de tout le monde, le "Dieu" caché qui donne à ses martyrs l'hostie de leurs sacrilèges à déglutir, le "Dieu" caché qui insulte le faux "Dieu" du matin au soir et s'épuise à réveiller "le vrai" en sursaut ? Quel est le sommeil de "Dieu" qui fait de lui une idole à vomir? Peut-être le saint se demande-t-il toute sa vie quel est le "Dieu" qui l'habite et n'en saisit-il jamais que des caricatures. Du coup, il ne cesse de se venger sur ses contrefaçons .

8 - Le " Dieu inconnu " de Benoît XVI

Pourquoi "Dieu" ne vient-il jamais aux rendez-vous qu'on lui donne? Mais la France vient-elle au rendez-vous de ses saints? Et Béatrice est-elle au rendez-vous de Dante ou Iseult de Tristan? Que dit du "vrai Dieu", de celui qui se nourrit des blasphèmes d'Isaïe, une vulgate ensommeillée par les chants de gloire que les trois monothéismes décérébrés font monter à ses oreilles? Leurs scribes prétendent que les trois dieux uniques se font un baudrier des valeurs universelles qui blasonnent leurs créatures. Mais Erasme l'iconoclaste rappelait déjà, dans sa Ratio verae theologiae, que tous les peuples de la terre et tous les gouvernements chargés de la cargaison entière de leurs croyances sacrées ou profanes défendent des "valeurs universelles", telles que la probité, la frugalité, la droiture, la décence et que le Décalogue n'est rien de plus qu'un catéchisme philosophique et moral dont l'universalité contrefaite ressortit au plus simple bon sens politique. Quant à la "transcendance" qu'invoque désormais à Rome ou en Arabie Saoudite un chef d'Etat qui n'a pas lu un mot du plat catéchisme qui sert de code civil à l'idole, tous les psaumes de l'existentialisme, de celui que Heidegger plaque de force sur l'œuvre entière de Platon jusqu'à celui de Bergson , de Husserl ou de Sartre s'en réclament à leur tour. Si l'on n'observe ni ce que le christianisme banalisé à la romaine ou celui que Calvin a corseté à l'école des aléas de sa grace entendent respectivement par un vocable qu'ils partagent aussi bien avec le stoïcisme de Marc-Aurèle qu'avec le criticisme de Kant, on ne voit pas comment une connaissance authentiquement simianthropologique de la "transcendance" cabotine dont les religions monothéistes se réclament officiellement deviendrait accessible aux sciences humaines du XXIè siècle.

Mais si l'on veut bien se coller aux oreilles les écouteurs romains dans lesquels le mythe s'adresse à sa propre roture et invoque son code du travail à haute et intelligible voix, que nous dit ce christianisme-là? Qu'il appartient à son autorité d'employeur de définir la "raison" de ses employés et de la doter de son contenu artisanal, de lui expliquer les tâches urgentes qui lui reviennent heure par heure et de lui assigner jour et nuit les limites qu'il lui sera à jamais interdit de franchir . Et que disaient à l'idole laborieuse les super logiciens de l'esprit qu'on appelait des prophètes, sinon qu'elle n'avait pas encore toute sa tête, qu'il lui fallait commencer par grandir et que la première tâche de sa raison, sitôt qu'elle aura atteint l'âge adulte, sera d'autopsier le meurtre qui l'inspire depuis le berceau. Comment le "Dieu" qui voit l'idole en tant que meurtrière va-t-il se "révéler" au "prophète" ? Il est étrange que ce "Dieu"-là soit un inconnu. Il est plus étrange encore, que, pour la première fois dans la théologie romaine, un pape invoque cet inconnu en tant qu'inconnu. "Nos villes ne sont plus remplies d'autels et d'images représentant de multiples divinités. Pour beaucoup, Dieu est vraiment devenu le grand Inconnu. Malgré tout, comme jadis, à l'époque où, derrière les nombreuses représentations des dieux était cachée et présente la question du Dieu inconnu, de même, aujourd'hui, l'actuelle absence de Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui Le concerne." (Discours de Paris au Collège des Bernardins, 12 septembre 2008)

Bien plus, ce pape paraît crucifié sur son espèce de "raison". Quel statut attribuer à la croix de la raison, se demande-t-il, afin qu'elle accède "à ses possibilités les plus élevées" ? Et si le "vrai Dieu" était celui de ses sacrilèges? Et si les possibilités les plus hautes de la raison se cachaient dans les blasphèmes d'Isaïe ? Que voyait ce prophète avec quelques siècles d'avance ? Il voyait l'idole des chrétiens monter sur la potence du sacrifice de sang, il voyait l'idole à venir tuer son "Fils" et le clouer sur le gibet de l'Histoire . La raison politique du XXIe siècle aurait-elle vocation de vomir le Golgotha à l'école du génie religieux d'Isaïe?

9 - Le meurtre sacré et l'Histoire

En tout premier lieu, une religion est un document cérébral, affectif et politique dont les deux coordonnées fondamentales et complémentaires s'appellent respectivement une cosmologie mythique et un appareil cultuel. Le pilier cosmologique de ce double récit raconte comment il se fait qu'il existe une terre, des étoiles, des hommes, des animaux et une végétation tantôt rare et tantôt abondante au gré des saisons et des caprices de la géographie. Le second dit que tout culte requiert une liturgie et que toute liturgie se donne un autel pour théâtre de la gestuelle sacrée qu'elle est chargée de mettre en scène. A quelle école ? A celle d'une narration de la mise à mort symbolique, mais réputée effective d'une victime innocente. Pourquoi innocente ? Parce que les idoles ne sont pas friandes de viande avariée, mais de brebis blanches. Quelle est donc la signification profonde du drame de sa propre pourriture que l'Histoire se raconte sur l'édicule où sa propre chair sue le sang? Pourquoi appelle-t-on propitiatoire ou offertoire l'étal où l'immaculé est réputé inchangé, alors qu'il se teinte de rouge? Pourquoi le simianthrope est-il censé y assassiner un congénère mâle et quelquefois une jeune femelle, puis les manger tout crus? Quand la consommation passe pour réelle , on avale un certain Jésus de Nazareth selon l'état civil, quand la manducation de la victime est tenue pour fictive, il s'agit d'un Isaac caché sous un mouton.

Certes, d'Abraham au Nazaréen, les sacrifices humains avaient été lentement remplacés par des sacrifices d'animaux, principalement des boeufs. Mais, chez les Romains, l'assassinat d'un congénère sur l'autel n'a été aboli que sous l'empereur Claude. Tite-Live nous cache que ces offrandes aux dieux étaient encore courantes du temps des guerres puniques et Quinte-Curce raconte qu'ils ont failli se trouver rétablis à Tyr au cours du siège de la ville par le grand Macédonien. Les Gaulois ont pratiqué ces saints sacrifices bien longtemps après la conquête romaine, l'Ancien Testament en regorge et Jean Paul II a pris soin de mettre en scène sa propre "mort sacrificielle"

- A propos de la mort sacrificielle de Jean Paul II, 12 avril 2005

On conjecture que ce pape polonais n'était pas informé de ce que l'offrande de leur chair et de leur sang à leurs idoles est non seulement la clé religieuse du simianthrope depuis les temps les plus reculés, mais également la clé secrète de la politique de cet animal cérébralisé, comme il est démontré par les démocraties messianiques d'aujourd'hui et confirmé par toute la zoologie du thermonucléaire depuis soixante ans .

- L'éducation nationale et la politique sacrificielle, 8 septembre 2008

10 - Le meurtre simiohumain

Le culte du Dieu à la fois unique et incarné des chrétiens est retourné au sacrifice antéabrahamique - Jésus est un spécimen sélectionné avec le plus grand soin et jugé le plus précieux qui puisse se trouver dans tout le genre simiohumain. Pourquoi est-il tenu pour la victime la plus payante de toutes, la plus définitive et la plus absolutoire sous un déguisement irénique et pacificateur chargé de donner le change aux âmes sensibles? Pourquoi, aujourd'hui encore, les théologiens romains se demandent-ils gravement si Jésus se trouve immolé sur l'heure sous le couteau des paroles saintes et meurtrières de la consécration ou s'il se présente déjà mort sur l'autel pour avoir été tué d'avance, il y a longtemps et une fois pour toutes par les Juifs, comme le Père de la Taille en a présenté le premier l'hypothèse en 1924 ? De toutes façons, il faut distinguer avec soin l'anthropophagie pour cause de famine, d'une part, de l'anthropophagie sacrée, d'autre part. Cette distinction remonte à Jonathan Swift l'abyssal, qui proposa de lutter contre la famine en Irlande par la cuisson à l'étuvée des nourrissons.

Mais tout le génie politique du christianisme est dans l'invention de la victime suicidaire, donc censée volontaire, ce qu'ignoraient les Athéniens. Iphigénie est immolée de force, Jésus est réputé demandeur de son supplice. Cette trouvaille est la clé de la civilisation occidentale, parce qu'elle a fait du soldat une victime demanderesse de son propre sacrifice à la patrie. Mais le culte chrétien se trouve fort gêné par la perplexité de ses docteurs de la guerre , qui suent sang et eau, du moins depuis Erasme, pour expliquer la récalcitrance évidente de la victime du Golgotha à se faire crucifier nonobstant la contrepartie offerte par l'idole. Aussi les uns lui reprochent-ils avec aigreur d'avoir fort rechigné à se laisser occire, alors qu'elle aurait dû "courir au sacrifice avec des bondissements de joie" à l'idée quelle allait, à elle tout seule, suffire à "sauver le genre humain" tout entier de l'appétit de l'Harpagon du ciel, tandis que les autres s'échinent à démontrer qu'elle avait raison de trembler, parce qu'elle était fort intelligente et, de surcroît, suffisamment omnisciente pour connaître d'avance et par le détail les souffrances rédemptrices qu'elle allait endurer et qui lui seraient saintement infligées afin de rembourser d'une seul coup une certaine dette à son père.

11 - La République de M. Nicolas Sarkozy et l'enseignement du meurtre sacré

Ne sommes-nous pas enfin assis sur les bancs de l'Histoire, celle du crime simiohumain ? Les instituteurs de la République parfumée de M. Nicolas Sarkozy enseigneront-ils aux enfants des écoles à comprendre pourquoi le monde moderne s'efforce d'oublier le contenu meurtrier du christianisme réel et pourquoi l'éducation nationale lui substitue tantôt l'encens pseudo légitimant d'une vague "transcendance" , tantôt un culte des "valeurs" universelles que la Démocratie vaporise avaricieusement dans l'atmosphère?

Décidément, il ne suffit plus à l'Etat laïc de proclamer invisible une chair et un sang déclarés bien réels - au sens physique - par l'Eglise, il ne suffit plus à la France de cacher ce corps et ces globules rouges sous les "apparences" déclarées trompeuses du pain et du vin de la messe: il faut que la République de la raison se demande pourquoi le simianthrope tient si fort à camoufler l'immolation maladroite de l'autel sous des subterfuges et des faux-fuyants dont une théologie angélisée et édulcorée par vingt-cinq siècles d'un irénisme contrefait connaît l'arsenal. L'éducation nationale n'est pas disposée à se satisfaire de l'explication du Cardinal de Richelieu selon lequel l'horreur, la terreur et le dégoût suffoqueraient les fidèles s'ils se voyaient manger le Dieu sacrifié sur l'autel des Achéens chrétiens. La nation de Descartes est devenue celle des simiantropologues surgis de terre un siècle et demi après Darwin.

Quel est donc le sens politique mystérieux du document simiohumain de grand prix que constitue un christianisme fondé sur l'épongement d'une dette intarissable aux yeux de tous ses docteurs de première force, donc également aux yeux de l'anthropologie sacrilège, de demain? Examinons avec un courage républicain ce qu'une méthode rigoureuse, donc une véritable anthropologie scientifique et critique nous apprendra du simianthrope mangeur de brebis blanches si les descendants des soldats de Valmy tentent du moins de traiter du véritable objet de la querelle au lieu de lui en substituer un autre en catimini, essayons d'éclairer la question décisive que le siècle des Lumières a commencé de poser et qui n'est autre que celle de la nature secrète d'une espèce habile à se cacher sous les autels de ses meurtres sacrés. Retrouverons-nous le fil interrompu de la question posée par Voltaire dans Candide ou l'optimiste et en tirerons-nous un enseignement indispensable à la compréhension de l'Histoire et de la politique du monde d'aujourd'hui ? Peinons donc encore un instant à tenter de décrypter la face cosmologique, puis la face immolatoire de l'idole simiohumaine , scannons une dernière fois le vieux récit de la Genèse selon lequel le cosmos aurait été créé par un personnage fabuleux, lequel aurait pris grand soin de planifier le destin odoriférant de sa créature sur la terre et après sa mort et qui lui aurait enseigné tout ensemble une morale universelle cautionnée par un assassinat glorieux et le culte de sa grandeur punitive à la sainte école d'un meurtre rituel.

12 - Le Dieu des chrétiens et la torture

Soixante ans après la mise sous tutelle politique et militaire de l'Europe par les Etats-Unis, la politique du tortionnaire du cosmos a débarqué dans l'arène de la justice de type démocratique, puisque, pour plus de sûreté, le démiurge de la délivrance par la liberté avait pris d'emblée la précaution, qu'il aura sans doute jugée élémentaire, de se donner les moyens les plus féroces de la rédemption. De même qu'il fallait assurer le salut d'une l'humanité mise en laisse par l'avertissement dissuasif des châtiments les plus épouvantables qui la menaçaient et qu'il lui infligerait pour l'éternité sous la terre - terreur balancée par la promesse de récompenses fabuleuses qu'il lui octroierait à titre posthume dans les nues - de même, le Nouveau Monde se porte caution pour le salut définitif de la planète, mais à la condition qu'elle passe sous le joug de l'évangile de la Liberté que garantira la cuirasse d'acier de l'OTAN. L'apprentissage du Bien passe par le Christ bardé de boucliers anti-missiles. Pourquoi les piétés de la torture sont-elles l'arme fondatrice de la sainteté politique de la France de M. Nicolas Sarkozy? Pourquoi, au contraire d'Iphigénie, la victime de l'autel des chrétiens de l'autel est-elle un torturé aux mains jointes?

L'interprétation républicaine du mythe d'un Créateur de mèche avec un gibet dévotieux renvoie à un trait fondamental du pouvoir politique ancien, celui qui s'attachait au mode d'emploi plus ou moins judicieux des potences. Certes, l'humanité éprouve un besoin viscéral de se donner non seulement un chef redoutable sur les champs de bataille, non seulement de le vénérer à genoux dans les Eglises, non seulement de lui obéir en tous points sur la terre et d'exécuter ses directives à la lettre, mais de se donner à tuer pour sa gloire ici bas. Car les idoles ont la tête politique : elles savent que cet instinct du simianthrope, si puissant qu'il soit, ne suffit pas. Avant Valmy, c'était donc dans le sacrifice politique que le sacrifice religieux s'enracinait en tout premier lieu. On pensait que le soldat rebelle à donner sa vie pour assurer la victoire de son roi ne consentirait pas non plus à mourir pour son chef céleste. La torture et la peine de mort étaient les mamelles de la puissance de l'idole et de ses copies en chair et en os à la tête des Etats ; et la collusion de ces deux autorités mettait la torture au fondement de la raison politique.

Assurément, la ligne de démarcation entre les écartèlements auxquels la divinité se livre sous la terre et dont elle laisse la pratique au Diable, son fondé de pouvoirs, d'une part, et ceux qu'elle autorise la créature à exercer sous le soleil, d'autre part, cette ligne, dis-je, varie à l'intérieur de la théologie chrétienne selon que cette religion se divise entre la confession catholique - ce qui signifie universelle - et la protestante, mais également au gré des multiples modulations doctrinales entre lesquelles ces deux Eglises paraissent se diversifier: saint Thomas d'Aquin s'oppose à Jean de la Croix sur divers points, comme Zwingli à Luther. Mais, comme il est dit plus haut, le tortionnaire sacré auquel M. Nicolas Sarkozy entend convertir la République et dont tous les chrétiens saluent la sainteté depuis deux millénaires est celui dont les dogmes, les docteurs, la doctrine et l'Eglise attestent la cruauté de ses prérogatives - celles qui s'attachent à un camp de concentration souterrain où le sceptre de la justice divine trouve dans la torture la légitimation suprême de sa souveraineté.

Comme il est démontré que ce Dieu-là ne plaisante pas le moins du monde au chapitre de la sauvagerie des sacrifices indispensables au maintien du bon ordre des affaires du ciel et de la terre, la France laïque se donnera-t-elle une philosophie de l'abolition de la peine de mort compatible avec le retour à une religion fondée sur une exécution publique ? M. le Président de la République, nous demandons à votre catéchèse de nous exposer vos directives aux instituteurs qui enseigneront les droits de l'homme aux enfants si l'Etat est appelé à faire cause commune avec le culte d'une potence et si, de surcroît, la sainteté chrétienne fait d'un gibet l'axe central du salut du monde.

Certes, le calvinisme feint de rejeter le meurtre de l'autel, mais sachez que ce n'est qu'un leurre pieux : cette théologie se contente de refuser la réitération réputée effective en tous lieux et de siècle en siècle du meurtre sanctifié sous la terre, ici bas et au ciel. Votre République, M. le Président, ne trouvera donc aucun secours théologique auprès de ce protestataire parqué sur les marges du mythe : il ne fait que sauvegarder, à vos côtés, la piété du tribut payant que figure une crucifixion récompensée une fois pour toutes par l'idole . Comment allez-vous conduire la France au culte d'un gibet si, même aux yeux de Genève, il ne s'agit que de retirer au clergé rival les bénéfices d'une rente vénérable - celle qui fournit ses dividendes perpétuels au sacrifice sanglant des origines?

Quel malheur, pour votre politique que d'avoir fait débarquer à nouveau une religion sacrificielle dans une laïcité endormie! La France de Descartes dormait d'un sommeil tranquille dans le troupeau des démocraties acéphales; et voici, M. le Président, qu'il est rappelé à tout le cheptel que l'offrande d'une victime humaine sur l'autel n'est jamais qu'un mode de conjuration incertain - un Guantanamo souterrain placé entre les mains du " Dieu de bonté " - et que ce mode ancestral de gouvernement est commun à tous les simianthropes d'hier, d'aujourd'hui et de demain . Sachez, en outre, que, depuis 1945, l'apocalypse nucléaire a pris le relais du mâchonnement des morts et que si l'on demande à l'Iran de présenter sur l'autel des démocraties les saintes offrandes de son renoncement à sa souveraineté, ce sera seulement afin d'acheter la bienveillance du ciel américain. Mais, sachez également, que dans l'ombre, la France épointe les poignards de l'intelligence critique de demain, sachez que, dans les souterrains de la nation, les Isaïe de la République aiguisent les couteaux de la logique cartésienne: "Etes-vous sûrs, demandent-ils, que votre géhenne mécanique soit plus praticable que celle de l'excommunication majeure des chrétiens?" Je crains, M. le Président, que vous ayez redonné un destin philosophique à la France ; je crains que vous ayez rappelé aux instituteurs que la laïcité est une arme de l'intelligence; je crains que vous ayez réarmé la démocratie de la pensée parmi les ruminants de la Liberté.

13 - La raison post-voltairienne

Tant que les trois idoles se présentent sous les traits punitifs de trois terroristes immaculés du cosmos, tant qu'elles se trouvent cautionnées et légitimées par la lettre et l'esprit de leur catéchisme officiel sur les cinq continents, tant que l'appareil de leurs châtiments demeure inchangé depuis le génocide du Déluge jusqu'aux encycliques d'aujourd'hui, l'anthropologie critique est appelée à fournir à la France de la pensée que vous aurez réveillée les armes qui lui permettront d'observer et de disséquer les témoins célestes de la politique et de l'éthique du simianthrope . La simianthropologie, M. le Président, est donc la discipline que sa vocation appelle à spectrographier la logique interne qui gouverne l'encéphale des géants simiohumains que figurent les théologies monothéistes. Sachez que ces Cyclopes guident une créature déchirée entre ses empyrées et ses géhennes, sachez que ces monstres homériques associent leurs victimes à leur propre destin. C'est ainsi que le tueur et sa proie sont réputés piloter de conserve et les yeux dans les yeux une civilisation schizoïde.

Vous vous demandez sans doute pourquoi la raison post voltairienne de la République est si impérieusement appelée à étudier et à approfondir la connaissance et l'interprétation psychobiologique des courants doctrinaux apparemment divergents entre lesquels le mythe d'un démiurge fondateur semble se ramifier et paraît diversifier sa dogmatique générale du sacrifice, alors que son unité se révèle immuable depuis Homère sous des vêtements diversement coloriés ; vous vous demandez sans doute comment vous rappellerez aux instituteurs de la France laïque leur devoir d'enseigner à nos enfants qu'au XVIIIè siècle, le cœur du problème était d'enseigner au genre simiohumain à " penser par lui-même ", comme disait Voltaire et qu'il s'agissait d'armer la démocratie d'un entendement en mesure de combattre le pouvoir d'une royauté et d'une divinité étroitement associées à l'école des autels. Car, voyez-vous, M. le Président, la mission de l'éducation nationale est d'enseigner aux générations futures que la vraie postérité du siècle des Lumières sera d'aider la civilisation occidentale à retrouver son autonomie cérébrale, parce que, sans cela, l'Amérique messianique vassalisera le Vieux Continent à l'école de l'esprit de croisade qui l'inspire. Les descendants de la bataille de Valmy vous demandent de laisser les philosophes français forger les armes cérébrales à l'Europe de demain.

Ne croyez pas, M. le Président, que le Vieux Monde se serait délivré des directives du Dieu évangélisateur et immolateur commun à Bossuet, à Fénelon, à saint Thomas et à toute l'Eglise : l'Europe d'aujourd'hui demeure d'autant plus pieuse et sans doute davantage qu'autrefois, parce que, de son côté, le sacrificateur nouveau et insidieux qui arme le glaive de la sainteté démocratique en Afghanistan ou en Irak n'est pas dupe de son ciel. Je ne sais quels catéchètes de village vous ont initié à la vulgate d'un christianisme pour enfants de chœur . Mais il y a plus d'un siècle que cette religion se trouve autopsiée par les anthropologues, les psychanalystes et les penseurs politiques du monde entier et tous se trouvent armés des instruments de la pensée rationnelle que le monde moderne a conquis depuis quinze décennies ; et tous vous diront que la fécondité philosophique de la guerre de la raison inaugurée par l'audace, inouïe pour l'époque, des encyclopédistes français reposera sur les analyses entièrement nouvelles que le XXIè siècle entreprendra afin de remonter aux sources psychogénétiques du besoin du simianthrope de se pelotonner autour de vocables fascinatoires et porteurs du sceptre de Thanatos.

14 - La foi des chimpanzés

Savez-vous, M. le Président, quelle est l'origine de la pulsion psychobiologique qui déclenche l'esprit religieux chez les chimpanzés? Savez-vous que le candidat au pouvoir suprême sur la horde conquiert sa couronne à donner de la voix au maximum de sa capacité thoracique ? Peut-être vous demandez-vous pourquoi tout le monde s'écarte sur son passage : c'est que le cri est devenu le signe de la puissance politique bien avant la découverte du langage. Jane van Lawick-Goodall raconte comment Mike, un mâle de petite taille, avait volé deux bidons d'essence vides dans son campement et avait eu l'idée de génie de les entrechoquer avec tant de force qu'il avait produit un tintamarre terrifiant. Si, à la veille de la commémoration du cent cinquantième anniversaire de la parution de L'origine des espèces de Darwin, votre vocation d'anthropologue de la politique vous portait à encourager l'interprétation scientifique d'un évolutionnisme redevenu heuristique, vous cesseriez de chercher les prémices du futur simianthrope chez les derniers chimpanzés - l'espèce est en voie de disparition - mais, au contraire, des vestiges criants de cet animal chez le simianthrope semi accompli d'aujourd'hui.

- Réflexions sur le génie de la France, 15 septembre 2008

Alors seulement vous aideriez le XXIe siècle à féconder la vraie postérité du siècle des Lumières, celle qui relèvera combien l'"art de la communication" de masse des modernes ressortit à la capacité de quelques spécimens de faire le plus grand tapage possible : l'élu sera l'Assourdissant qui aura occupé le plus efficacement le champ médiatique.

Comment le simianthrope scolarisé, vaporisé, cérébralisé et sacralisé franchit-il les échelons qui le conduisent du rang de chef tonitruant de ses congénères à son effigie non moins fracassante dans le ciel ? Pour le comprendre, vous remarquerez que la connexion entre la théologie de la Création de l'univers et celle du souverain politique omnipotent et omniscient installé dans le vide du cosmos repose sur le caractère magique du pouvoir simiohumain en général et que ce type de fascination est inscrit dans les gènes du religieux qui pilotent toute autorité politique en ce monde. Ici encore, les comportements de nos ancêtres sont demeurés visibles au sein de toutes les sociétés simiohumaines actuelles. Savez-vous que, chez nos ascendants quadrumanes, une horde remarquable par l'intensité de ses vociférations conquérait la prééminence - on dit maintenant l'hégémonie - sur toutes les autres? Savez-vous que tous les individus des tribus subordonnées s'inclinaient poliment devant les représentants dont ils reconnaissaient la suprématie politique à leurs clameurs? Savez-vous que dès cette époque, la soumission collective la plus ostentatoire ne résultait nullement d'une contrainte physique, mais seulement , comme de nos jours, d'un comportement révérentiel lié au prestige des décibels du souverain - donc à l'expression d'un règne en quelque sorte surnaturel du vocal et dont le mythe du Créateur ne fera que manifester la cérébralisation? L'hypertrophie de la courtoisie qu'on appelle la piété ou la dévotion s'ensuivra chez le chimpanzé devenu capable de se forger un locuteur cosmique éloquent. Pendant vingt siècles le christianisme vivant a ressorti à la littérature et à l'art oratoire - et il est trépassé pour avoir cessé d'enfanter des voix.

Puisse votre piété redonner la parole à une philosophie rivale des cordes vocales du ciel, puisse votre dévotion réveiller la France de son " sommeil dogmatique ", comme disait un certain Emmanuel Kant.

15 - L'anthropologie critique et la vassalisation de l'Europe

Dites-vous bien qu la géopolitique contemporaine présente un terreau hautement favorable à une réflexion scientifique inspirée par la pitié

- Réflexions sur le génie de la France, 15 septembre 2008

- donc propice à la mise en évidence de la place centrale qu'occupe l'histoire du sacré dans l'interprétation de la vassalité innée dont souffre le cerveau simiohumain ; car la domestication actuelle de la civilisation européenne par les dieux des barbares favorise aussi bien la réflexion philosophique sur la connexion native entre la simiohumanité d'aujourd'hui et la simiennité originelle de notre espèce que l'observation en vase clos des comportements obédientiels innés des descendants actuels du chimpanzé. A la suite de la première guerre du Golfe, l'Amérique a pu aligner et sur un simple claquement de doigts de la Maison Blanche tous les chefs d'Etat de l'Europe en livrée que le conflit avait viscéralement et d'un seul élan placés sous la bannière et le commandement du Nouveau Monde . Puis, à la suite de l'attentat du 11 septembre 2001 , les mêmes Etats se sont rués comme un seul homme sur l'Afghanistan . Seules la France chiraquienne, donc gaulliste et l'Allemagne du Chancelier Schröder, dont le père avait été tué sur le front russe au cours de la dernière guerre, ont ensuite osé refuser de placer leurs armées sous le sceptre d'un Etat étranger en Irak.

Il n'est donc pas d'époque plus favorable que la nôtre pour assurer l'émergence d'une interprétation simianthropologique de l'Histoire , alors qu'au milieu du XIXe siècle - la parution de L'évolution des espèces remonte à 1859 - l'hégémonie mondiale de l'Europe se prêtait encore fort mal à la mise en évidence de l'héritage simien de l'humanité . Mais jamais encore l'abaissement précipité d'un continent prestigieux dans un type de servitude observable à la fois à titre paradigmatique et en direct n'avait facilité à ce point l'observation des fondements religieux, donc magiques, de toute autorité politique simiohumaine. Sachez que pour placer sous la lentille de nos microscopes la parallélisme frappant entre les comportements de la horde dominante et ceux des hordes soumises chez les anthropoïdes d'une part et la reproduction fidèle de cette matrice un million d'années plus tard en Europe d'autre part, il vous suffira de vous mêler aux délibérations des Commissions actuelles de l'OTAN, où vous pourrez observer en direct les comportements serviles jusqu'à la caricature des représentants des pays du Vieux Monde désormais placés pour toujours et par leur Constitution sous le commandement militaire souverain et fascinatoire d'un vainqueur de 1945 aux comportements d'autant plus vassalisateurs qu'ils demeurent souriants.

16 - La sanctification du meurtre politique et la démocratie messianique

Qu'est-ce que l'immolation cultuelle en sa symbiose avec le culte de l'hostie, donc avec la manducation du pain bénit qui sanctifie le meurtre sacré? Sachez qu'il s'agit d'un tribut expressément réclamé par l'idole et que les théologies appellent cette prébende une offrande, c'est-à-dire un cadeau qui méritera récompense. Apprenez ensuite que, dans le monothéisme chrétien, la chair et les hématies du spécimen qualifié de satisfactoire - c'est-à-dire de réparateur de l'offense la plus grave qui se puisse concevoir à l'égard du chef du cosmos et qui n'est autre que la "désobéissance originelle" à son autorité - ce spécimen, dis-je, est censé placé entre les mains du prêtre immolateur par l'effet d'un prodige : le pain et le vin de la communion de table des fidèles chez les Juifs se métamorphose subitement en le corps et l'hémoglobine de la victime immaculée et tuée au bénéfice de la divinité courroucée. Le miracle de la transformation instantanée de deux aliments d'un usage convivial et de source végétale en une nourriture carnée, donc en un être vivant et sanctifié par son immolation, s'appelle la transsubstantiation ; et la cérémonie liturgique qui met en scène la réalisation du désir que symbolise cette donation physico-séraphique se glorifie de se qualifier d'eucharistique, c'est-à-dire "d'action de grâces". La gestuelle liturgique est chargée d'angéliser le meurtre de l'autel.

L'anthropologie critique de demain vous conduira donc à une lecture rétroactive du mythe de la Création et à la mise en évidence de la connexion psychophysiologique de ce récit avec les sacrifices de sang .

17 - La radiographie simianthropologique du christianisme

Afin d'achever de vous informer du contenu réel de la religion à laquelle vous avez été fort mal initié, je vous conseillerais de vous nourrir d'une stupéfaction sans cesse renouvelée et inlassablement fécondée par l'ahurissement intellectuel des anthropologues d'aujourd'hui. Quand vous serez scandalisé de ce que le simianthrope appartienne à une espèce que son évasion du règne animal a affligée d'un cerveau accompagné dans les nues par des personnages imaginaires, vous serez prêt à remarquer l'inanité des preuves selon lesquelles ces acteurs du cosmos existeraient et l'empressement de vos congénères à se convertir sans examen et avec une légèreté d'esprit confondante à leur dédoublement qu'ils jugent prestigieux dans telle croyance religieuse de leur choix ou dans telle autre ; et vous comprendrez que le besoin de ce chapeautage cosmique répond à une scissiparité viscérale et incoercible de l'encéphale simiohumain. Alors, vous vous direz que la scission du simianthrope entre les mondes spéculaires et la réalité présente le plus prodigieux document de toute simianthropologie présente et future, puisque vous découvrirez que l'alliance du meurtre sacré avec le meurtre politique fonde la logique interne de l'histoire universelle; et vous saurez que la fascination qu'exerce un surréel punitif et bifide nourrit tout commandement et toute obéissance.

Que signifie, vous direz-vous, la rentabilité prodigieuse attribuée au meurtre sacrificiel ? Pourquoi, vous demanderez-vous, le bénéfice de cet assassinat répété est-il, à proprement parler sans prix, dès lors qu'il est chargé de conférer rien de moins que l'immortalité à vos électeurs ? Peut-être savez-vous déjà, M. le Président, que l'homme politique ne s'en laisse pas compter, et que , depuis le fond des âges , ilne s'est jamais montré aveugle au carnage tapi sous la piété angélique qu'il affecte d'afficher, peut-être savez-vous déjà que cet acteur de la mort rémunérée n'est pas un enfant de chœur de l'Histoire . Dans ce cas, apprenez que le psychisme de l'homme politique est calqué sur celui de l'idole meurtrière et que l'idole sait, elle, que la puissance politique n'obtient l'obéissance absolue de ses subordonnés qu'au prix du sang. N'en doutez pas, M. le Président, l'idole sait depuis des millénaires que le fer et le feu sont les vraies armes du sacrifice. Si votre réflexion se laisse stimuler par la science actuelle de l'homme et si vous devenez un savant radiologue du christianisme, votre expérience à la tête de l'Etat fournira à l'historien et au politique de demain un paradigme décisif aux yeux de la simianthropologie. Nous disposons d'ores et déjà du diagnostic et de la pesée de la vassalisation actuelle de l'Europe par un Dieu américain parfaitement informé de ce que le glaive est la clé que l'Histoire et les cultes se partagent ; mais le creuset de notre science a besoin des perfectionnements que vous lui apporterez.

18 - L'avenir de l'Europe de la pensée

Songez, M. le Président, que la peine de mort et la torture sont consubstantielles au papillon carnivorne et aux ailes diaprées qu'on appelle le monothéisme. Ne le prenez pas pour un ange sous prétexte qu'il traverse les airs : c'est en vain que les théologies post abrahamiques ont cru ou feint de croire qu'il leur serait possible de substituer un bœuf ou un mouton symbolique aux Isaac et aux Iphigénie autrefois immolés : le meurtre censé effectif d'un spécimen simio humain sur un offertoire construit à cette fin a beau se trouver formellement rejeté par l'Islam et par le judaïsme - seule la religion de la Croix est revenue de la manière la mieux camouflée, donc d'autant plus éloquente,² à l'assassinat cultuel ostensible des origines- la guerre n'en demeure pas moins, hélas, l'autel de l'Histoire réelle du simianthrope. Rien ne le démontre davantage que le messianisme laïcisé , idéalisé , conceptualisé et démocratisé, mais armé jusqu'aux dents de l'Amérique guerrière actuelle , dont les autels offensifs se montrent non moins articulés avec le mythe du salut par les armes et que chez tous les théologiens romains, protestants et juifs de la trucidation sacrificielle.

Sachez encore, M. le Président, que l'Europe se trouve placée à un carrefour décisif de l'histoire de l'intelligence: ou bien notre civilisation reprendra et approfondira à l'aide des instruments de la raison des modernes le combat contre les meurtres sacrés que le siècle des Lumières avait inauguré avec les armes de la pensée l'époque, ou bien nous perdrons la seule assise anthropologique à partir de laquelle cette civilisation conservera des chances de conduire le monde à une refécondation de la philosophie occidentale.

Dites-vous bien, M. le Président, que la question du statut de la pensée critique s'est replacée au cœur des sciences humaines comme de la politique et que la raison d'Isaïe retrouvée sera celle qui verra l'idole en tant qu'idole. Cette raison-là n'est pas celle de Benoît XVI, qui dit que "l'humilité de la raison sera toujours nécessaire pour accueillir Dieu". Mais où se cache-t-elle, "l'humilité nécessaire" de la raison d'Isaïe, celle qui accueille un "Dieu" inconnu - nul autre, en vérité, que le soleil de gloire de la logique de son prophète? Cet inconnu illumine son porte-voix, cet inconnu dit que le "logos de Dieu" est celui de la lumière qui inonde la logique d'Isaïe. Quelle logique ? Celle qui se retourne sur l'idole, celle qui la toise, celle qui lui dit que son prétendu "amour dévorant" n'est que le masque angélique de la rédemption par le sang. Mais qui est ce "Dieu"-là, sinon le personnage qui s'appelle l'Histoire ? Qui est ce "Dieu"-là, sinon le personnage qui s'appelle la créature ? Qui est ce "Dieu"-là, sinon l'Amérique dont le glaive se cache sous les ciboires de la démocratie mondialisée? Et quelle est la logique d'Isaïe, sinon celle qui a vu les autels de cette idole-là avec les yeux de l'esprit il y a plus de vingt-huit siècles de cela? On cherche "l'humilité nécessaire" du "Dieu" inconnu d'Isaïe, du "Dieu" inconnu de l'intelligence.

Croyez-vous vraiment, M. le Président que l'apologie de l'ignorance ait jamais fait progresser une civilisation? * Dans ce cas, apprenez que la France de la pensée a pris rendez-vous avec une philosophie qui donnera son sens politique et religieux le plus profond à l'abolition de la peine de mort ; apprenez que cette interrogation-là ouvrira à la France de demain le champ immense de la connaissance de l'homme dont les dieux morts détiennent les secrets ; apprenez que la fécondation de la raison mondiale par la connaissance anthropologique des théologies réconciliera la France des Lumières avec l'avenir du "Connais-toi" qu'attend le XXIe siècle ; apprenez qu'en contraignant une laïcité devenue acéphale à redécouvrir sa vocation intellectuelle oubliée, vous avez peut-être créé les conditions politiques de la Renaissance qui conduira la raison à la découverte de sa mission libératrice.

M. le Président, l'ère de l'interprétation simianthropologique de l'Histoire meurtrière du monde a sans doute commencé avec l'exposé catéchétique de Benoît XVI à Paris le 12 septembre 2008, dont l'orthodoxie était déjà secrètement clouée sur la double potence du doute cartésien et de la logique d'Isaïe - un exposé sur la vie contemplative qui cherchait "l'humilité de Dieu". Et si l'humilité de la "raison" introspective de "Dieu" était celle qui se voit sous les traits de l'idole dédoublée entre l'ange et la bête? Clio aurait-elle d'ores et déjà embarqué sur le navire de la raison de demain? Quaestio disputata, disaient les moines bernardins. Comment piloterons-nous demain le ciel et l' enfer de notre idole et de son Sosie, notre Histoire , se demandent les simianthropologues du "Dieu inconnu" .

Le 22 septembre 2008