" M. le Président de la République,
croyez-vous vraiment que l'apologie de l'ignorance ait jamais
fait progresser une civilisation ? " [*]
Introduction
Naturellement, tout
au long de sa visite en France du 12 au 15 septembre, le pape
Benoît XVI aura fait progresser sans le vouloir la démonstration
de quelques vieilles évidences, tellement il était devenu criant
depuis longtemps que si l'Eglise persévère à se cacher à elle-même
le contenu anthropologique de son culte, le vrai danger vient
désormais d'une laïcité dont la méconnaissance de sa vocation
intellectuelle la contraint à s'associer ouvertement au combat
que Rome mène contre le progrès des sciences humaines depuis les
Confessions de saint Augustin. Mais un Etat prétendument rationnel
et qui aura cessé de servir de moteur mondial à l'humanité de
l'intelligence n'aura plus de destin civilisateur. On comprend,
dans ces conditions, qu'une France résolument décérébrée s'entendra
de plus en plus ouvertement avec le Vatican pour passer sous silence
la question de la véritable nature du sacré ; car la peur de Dieu
est la clé de la peur de penser.
Un bon exemple en
aura été donné il y a près d'un an, quand M. Nicolas Sarkozy avait
déclaré, en sa qualité de chanoine de l'église de Latran, que
l'Eglise confiait " l'apprentissage de la différence entre
le Bien et le Mal " à des mains plus sûres et plus expertes
que celle des instituteurs , alors que tout bachelier d'aujourd'hui
a appris sur les bancs de l'école qu'une science née au milieu
du siècle dernier, la sociologie, a démontré qu' il n'y a ni Bien,
ni Mal absolus et qu'on n'observe jamais que des différences de
pesée de ces notions au gré des peuples, des époques et des lieux.
De plus, tout lycéen de terminale sait que Durkheim n'a fait que
tirer , avec trois siècles et demi de retard, les conséquences
logiques de ce qu'on savait depuis la découverte des Indiens par
un certain Christophe Colomb en 1492 - découverte dont toute la
Renaissance n'a cessé de tirer les conséquences depuis Copernic
et Galilée jusqu'à l'ethnologie moderne.
Mais le pire du fléau
de l'obscurantisme philosophique qui frappe les plus hautes instances
de l'Etat laïc est la gangrène désormais non seulement de ll'immense
majorité de la classe dirigeante, mais toute la piétaille des
petits intellectuels immergés dans le siècle et dont l'ignorance
au chapitre du contenu réel du culte chrétien leur interdira d'accéder
à la réflexion anthropologique de demain. C'est ainsi que M. Nicolas
Sarkozy et tous ses ministres tomberaient des nues si on leur
enseignait le " Bien " et le " Mal " à l'école d'un examen critique
des décisions doctrinales qu'on appelle des dogmes et qui président
au sacrifice sanglant de l'autel, c'est-à-dire au meurtre de la
victime sur l'offertoire, suivi de l'avalement de sa chair réelle
et de la déglutition effective de son sang. Mais toute l'intelligentsia
ptolémaïque européenne tomberait également du haut mal si elle
connaissait les découvertes des Copernic de l'évolutionnisme.
Il est vrai, m'ont-ils confié, [voir mes Lettres
persanes] qu'il faut une vingtaine d'années d'observations
en laboratoire pour apprendre le contenu effectif des trois monothéismes
et l'histoire de leur substance. C'est pourquoi, mon ignorance
me contraint de résumer ce qu'ils ont consenti à m'enseigner concernant
l'extension inexorable du cancer de l'obscurantisme qui ronge
le concept de " raison " lui-même . Figurez-vous que les nouveaux
théologiens de la démocratie entendent cacher sous le boisseau
les clauses de la tragique alliance que l'Histoire conclut depuis
des millénaires avec les immolations payantes. Voilà qui concerne
une Europe asservie au culte d'un Dieu étranger.
Quels sont les ultimes
secrets de la servitude dont ce "Dieu"-là réclame le tribut? Le
12 septembre 2008, le pape Benoît XVI confondait sans broncher
raison et culture en plein Paris et personne n'y trouvait à redire
au pays de Descartes: "Ce qui a fondé la culture de l'Europe,
la recherche de Dieu et la disponibilité à L'écouter, demeure
aujourd'hui encore le fondement de toute culture véritable."
Mais si la vocation
de la culture est de chercher Jupiter, l'anthropologie moderne
appelle la raison du XXIe siècle à découvrir le "Dieu" du glaive,
du sang et de la mort qui se cache sous ses autels . Et si un
autre " Dieu " que celui de la théologie nous aidait à observer
cette idole, le verbe penser changerait radicalement de paramètres,
parce que la raison ne se contenterait plus de réfuter des allégations
mythologiques par nature, mais intègrerait l'histoire des religions
dans une interprétation rationnelle de l'évolutionnisme . Alors
seulement, le cent cinquantième anniversaire de la publication
de L'Evolution des espèces ferait entrer Darwin
dans sa postérité logique, celle du débarquement de l'histoire
du cerveau humain dans l'histoire des civilisations.
On comprend combien
la fécondité d'une science anthropologique qui se situerait dans
le droit fil du siècle des Lumières ne saurait s'en tenir à la
lecture que Voltaire et les encyclopédistes proposaient du meurtre
de l'autel. Aux yeux de l'Europe vassalisée d'aujourd'hui, la
question est de savoir pour quelles raisons inconscientes, mais
viscéralement liées à la sanctification du meurtre politique,
la théologie chrétienne s'acharne depuis tant de siècles à retrouver
la chair et le sang réels de la victime de son autel antéabrahamique.
Le refus catégorique de l'Eglise catholique comme de toutes les
confessions protestantes de substituer des offrandes végétales
à la chair et au sang à l'Iphigénie conduira l'anthropologie
critique de demain à une plongée sans précédent dans les entrailles
de l'idole et de sa créature, donc à la connaissance des fondements
psychobiologiques communs à l'Histoire et à la politique mondiales
depuis les origines. .
1
- Une raison opiacée
2
- Le contrôle moderne des cerveaux
3
- La nouvelle " trahison des clercs " (Julien Benda)
4
- Les ridicules de l'ignorance
5
- Où " Dieu " est-il passé ?
6
- Qu'est-ce qu'une religion ?
7
- L'hostie du sacrilège
8
- Le " Dieu inconnu " de Benoît XVI
9
- Le meurtre sacré et l'Histoire
10
- Le meurtre simiohumain
11
- La République de M. Nicolas Sarkozy et l'enseignement
du meurtre sacré
12
- Le Dieu des chrétiens et la torture
13
- La raison post-voltairienne
14
- La foi des chimpanzés
15
- L'anthropologie critique et la vassalisation de l'Europe
16
- La sanctification du meurtre politique et la démocratie
messianique
17
- La radiographie simianthropologique du christianisme
18
- L'avenir de l'Europe de la pensée
*
1 - Une raison
opiacée
Deux cent
trente ans après la mort de Voltaire, l'Europe de la raison, donc
de l'esprit critique n'est-elle pas tombée dans le piège le plus
paradoxal qui se puisse imaginer ? Certes, il est difficile de
soutenir qu'une pensée qui se voudrait irrationnelle demeurerait
une pensée. Mais comment une civilisation fière d'avoir avancé
de quelques pas sur le chemin de l'intelligence peut-elle se trouver
prise en otage par sa demi victoire sur le sacré et en devenir
la victime? Et pourtant, si les représentations mythologiques
des origines du monde ont reculé dans toute l'Europe, ce n'est
nullement en raison des progrès qu'une civilisation désormais
fondée sur le savoir scientifique a accomplis dans la connaissance
anthropologique des cosmologies sacrées : au contraire, les Etats
devenus, à les entendre, "résolument laïcs", se sont bien
gardés d'affiner leur connaissance de la psychobiologie qui commande
les convictions religieuses et dont avait définitivement témoigné,
pensait-on, le divorce, prononcé en 1905 par le Tribunal des Lumières,
aux torts des autels et au bénéfice de la politique. Bien plus,
les esprits gestionnaires qui composaient et qui composent encore
de nos jours quatre-vingt dix-huit pour cent des classes dirigeantes
du Vieux Monde se sont contentés de retirer des avantages immédiats
et non négligeables de l'immense perte d'influence des clergés
sur des masses qu'elles catéchisaient de génération en génération.
L'essentiel, aux yeux des autorités , était seulement de tirer
profit de la perte du monopole que les croyances avaient exercé
sur l'enseignement officiel de la "vérité" depuis dix-sept siècles.
Puisque l'éducation de la jeunesse, donc la puissance la plus
décisive de toutes , celle de façonner les cerveaux, échappait
désormais aux Eglises, les gouvernements démocratiques se sont
dit que l'avenir de la "politique de la raison" leur appartenait
de droit et qu'ils n'avaient plus de rivaux pensants à redouter.
2
- Le contrôle moderne des cerveaux
Sitôt que
les chefs d'Etat furent devenus plus ignorants des racines théologiques
de toute politique depuis le fond des âges que les curés de village
dont ils avaient moqué l'obscurantisme un siècle auparavant ,
ils se sont dit qu'ils avaient le plus grand intérêt à s'entendre
dorénavant avec Rome, parce que la seule question qui allait immanquablement
se poser serait d'ordre policier. Puisque les derniers vestiges
de l'enseignement d'un ciel disciplinaire demeuraient relativement
roboratifs, donc sainement patriotiques, puisque les séquelles
de l'apprentissage obligatoire des croyances sacrées engendrait
encore des citoyens riches de leurs espérances présentes et posthumes,
puisque, de leur côté, les instituteurs avaient perdu beaucoup
de leur ardeur de catéchètes du débarquement de la pensée logique
dans la raison publique, puisque l'Etat démocratique ne se préoccupait
plus en rien de faire progresser d'un iota la connaissance des
secrets de l'humanité, pourquoi la République des bésicles et
des comptoirs se mêlerait-elle des affaires du "Connais-toi" sur
cette terre, pourquoi la nouvelle classe dirigeante se demanderait-elle
pourquoi le simianthrope vit dans des mondes oniriques , pourquoi
l'élite d'une nation de notaires et d'huissiers du savoir douterait
de l'existence de Dieu, alors que l'époque se révélait favorable
à la signature d'une alliance nouvelle et durable des démocraties
semi rationnelles avec un Saint Siège certes tombé en catalepsie,
mais pour le profit bien compris tant des brebis des Eglises que
de celles de la démocratie triomphante?
Du coup,
on a pu assister à un spectacle ahurissant, celui qu'a offert
au monde entier, qui en est resté pantois, le Président d'une
République laïque monté en chaire à Rome pour adresser au Pontife
un discours de catéchète et de moraliste. Quelle éloquence pour
convier le successeur de Saint Pierre à partager le combat de
l'ex-France de Descartes et de Voltaire contre la prolifération
des sacrilèges de la science ! Les deux orthodoxies tarderont-elles
longtemps encore à comprendre que leurs intérêts convergent depuis
longtemps? Ne pouvaient-elle concilier leurs vocations pastorales
respectives ? On était médusé d'entendre M. Nicolas Sarkozy juger
malencontreux qu'une France désormais tout entière agenouillée
devant les nouveaux bénitiers - les verdicts du suffrage universel
se voulaient aussi infaillibles que ceux de l'Eglise - "cherchât
des difficultés" galiléennes aux croyances religieuses. Pourquoi
ne pas aplanir les sentiers du mythe, pourquoi ne pas l'aider
dans son ambition redevenue légitime de s'emparer des têtes, dès
lors que l'ignorance avait de nouveau le vent en poupe ? Pourquoi
l'autel et l'éducation nationale n'exerceraient-ils pas de conserve
un contrôle modernisé des cerveaux?
Hélas,
à Lourdes, le pape rappelait solennellement le principe de l'indissolubilité
du mariage à toute la chrétienté, "afin de ne pas déchirer
davantage la tunique sans couture du Christ" ; et Rome signifiait
le congé de l'Eglise à la France, parce qu'une orthodoxie menacée
de vaporisation dans le laxisme doctrinal et de fossilisation
dans le culte de sa lettre ne peut que naviguer entre deux récifs
et finir par se fracasser sur l'un ou sur l'autre.
3
- La nouvelle " trahison des clercs " (Julien Benda)
La consolidation
du despotisme des modernes à l'école du naufrage de la pensée
dans les alternances de la tiédeur et de la rigueur trouvait la
condition même de son succès dans l'inculture des intellectuels
eux-mêmes, dont le laxisme, comme il est dit plus haut, coulait
précisément depuis un siècle dans le creuset d'une loi de séparation
toute formelle entre l'Eglise et l'Etat ; car ni l'une, ni l'autre
de ces deux autorités ne songeait à conquérir la raison d'avant-garde
qu'attendait la postérité de Darwin et, dans le même temps, à
devenir "savantes en théologie" , ni l'une, ni l'autre
ne songeait à explorer le gigantesque capital psycho-cérébral
amassé au cours de vingt siècles de l'histoire du mythe et dont
le monde entier avait accumulé les dividendes cérébraux, ni l'une,
ni l'autre n'y reconnaissait une banque de données si précieuse
que seule la fécondation sacrilège de son contenu réel sur les
cinq continents pouvait redonner un avenir blasphématoire à l'intelligence.
Si l'on
néglige de décrypter ce que l'humanité se racontait à elle-même
par le truchement des hauts-parleurs qu'elle avait branchés sur
le cosmos, on ne peut rien connaître du fonctionnement dédoublé
et du contenu hétéroclite de la boîte osseuse des descendants
d'un quadrumane à fourrure ; et si l'on se connecte sur ces capteurs,
on découvre la scission psychogénétique native entre le réel et
le spéculaire dont souffre l'entendement encore en gestation de
cet animal à la fois meurtrier et inachevé . Mais, au début du
XXIe siècle , les intellectuels décérébrés par le faux triomphe
de la loi de 1905 n'ont fait que rivaliser d'entrain apostolique
avec M. Nicolas Sarkozy dans la défense subrepticement cléricale
des vertus civiques et de l'éthique superficielle de la République
; et ils se sont contentés de faire valoir que la vigueur du zèle
pastoral du clergé laïc ne devait le céder en rien à celui d'une
Eglise infantilisée par la désertion des grands accoucheurs d'un
ciel ennemi de la cécité. Le 12 septembre 2008, le pape Benoît
XVI réunissait pêle-mêle au couvent des Bernardins de Paris, tout
juste restauré, quelque mille intellectuels, chanteurs ou personnalités
politiques dont pas un seul ne disposait d'une formation théologique
approfondie et ne songeait le moins du monde à soutenir la vocation
du XXIe siècle de constituer les théologies en documents cérébraux
à décoder. Mais toute recherche anthropologique sérieuse s'éteindra
à l'échelle du globe terrestre quand la léthargie philosophique
de l'Europe l'aura déconnectée de son ciel et de ses autels sans
lui avoir ni appris à autopsier les cadavres de ses idoles ni
à se reconnaître dans leur dépouille mortelle.
4
- Les ridicules de l'ignorance
L'inculture
dans laquelle la laïcité est tombée la rend caricaturale et la
livre au ridicule politique. C'est ainsi que M. Nicolas Sarkozy
en visite à Rome a pu comparer sa propre ambition à celle du chef
de l'Eglise: dans son esprit, c'était louanger Benoît XVI, son
valeureux compagnon d'armes dans l'arène de l'Histoire que de
le féliciter de son combat acharné, sa vie durant, pour finir
par s'asseoir, encore vaillant, mais exténué sur le trône de Saint
Pierre. Combien la vocation du Saint Père ressemblait à la sienne,
qui s'était battu comme un beau diable pour s'installer, encore
jeune sous les lambris de la République!
Mais dès
lors qu'une laïcité superficielle et privée de contenu philosophique
s'était changée en un simulacre de victoire de son message sur
celui des cultes, dès lors que le tribut actuel que réclamait
la peur ancestrale de spectrographier les millénaires de l'ignorance
sacralisée se révélait d'un montant plus exorbitant que celui
d'autrefois, dès lors que l'obscurantisme arborait maintenant
les vêtements d'une science contrefaite et que l'ignorance sûre
de son savoir de M. Homais se révélait d'une pesanteur supérieure
ou égale à celle d'une théologie de village, dès lors que le triomphe
d'une cécité intellectuelle désormais liée au mutisme qui frappait
le savoir expérimental à son tour - il ne savait plus ce qu'il
lui fallait "expérimenter", faute d'hypothèse créatrice
- le triomphe, dis-je, d'un savoir privé d'antennes allait fatalement
entraîner des conséquences politiques aussi dramatiques dans leur
ordre que l'aveuglement autrefois véhiculé par les rites cultuels
; car les Etats encore qualifiés de démocratiques pour la forme
allaient se trouver non seulement assaillis, mais menacés de mort
par le squelette du "Dieu" défunt dont ils avaient bien vainement
enfoui les ossements sous leurs tabernacles désertés.
Certes,
la servitude intellectuelle est le pain quotidien des théologies
délabrées; certes, elles en font la condition naturelle de la
prospérité de leur charpente. Mais quand la vassalité cérébralisée
et semi volontaire de l'humanité élit domicile au cœur de la science
expérimentale elle-même, un obscurantisme viscéralement leurré
par son propre code probatoire se révèle plus suicidaire encore
; car le démonstrateur n'introduit plus que des ex-votos verbaux
dans ses preuves. Alors celles-ci entassent les instruments de
leur scolastique de la liberté sur les autels que les démocraties
falsifiées par leurs propres vocables consacrent à saluer leurs
statues sonorisées. Comment une science politique qui se croit
devenue post-religieuse à titre organique, mais qui s'agenouille
désormais devant ses idéalités d'apparat, ne boirait-elle pas
à son tour le nectar du refus de raisonner clairement ? Comment
n'irait-elle pas jusqu'à ignorer la nature du poison qui la tuera
à petit feu devant les prie-Dieu de l'abstrait?
5
- Où " Dieu " est-il passé ?
Comment
allons-nous baptiser le venin mortel d'une ignorance sécrétée
par les preuves mêmes de leur "vérité", comment donnerons-nous
un nom à la négligence de l'anatomiste républicain qui aura jeté
la dépouille mortelle de l'idole à la voirie, alors que le cadavre
qu'on appelait une théologie de son vivant n'a aucune raison ni
de se taire, ni d'échapper à l'autopsie à la suite de l'affichage
de son trépas . Vous aurez beau tenter de mettre le mort sous
bandelettes et de le momifier dans sa bière, votre refus de l'autopsier
ne vous vaudra rien de moins que l'accusation justifiée de complicité
d'assassinat. Il y a vingt-cinq siècles que la science médicale
dont le bistouri s'appelle la philosophie est informée de ce que
votre meurtre conservera, certes, le mérite non négligeable d'avoir
porté à sa dernière demeure une parole somptueuse et retorse ;
mais, par définition, le diagnostic du médecin légiste exigera
la présentation du trépassé sur la table d'opération de la dissection
socratique .
Certes,
le verbe de l'idole est désormais reconnu pour tout humain, certes,
l'on a du moins identifié les souffleurs de mauvaise foi qui faisaient
parader un locuteur solennel, mais imaginaire sur le devant de
la scène de l'Histoire ; mais il serait d'une mauvaise foi non
moins maladroitement camouflée de refuser ensuite aux anthropologues
du XXIe siècle d'entendre la voix du "Dieu" sortir de dessous
terre. Au contraire, l'heure a sonné de dresser l'oreille, même
si la surdité d'une science encore en herbe lui fait mettre la
main en cornet pour entendre l'idole. Mais il faut savoir que
le simianthrope n'a pas encore d'esgourdes pour entendre ses propres
arpèges, il faut savoir qu'il ignore pourquoi il s'est attaché
au mât pour écouter le chant des Sirènes, il faut savoir que l'acteur
tonitruant du cosmos n'est devenu audible qu'à quelques-uns de
ses musicologues enchaînés.
En premier
lieu, on commence, ici ou là, de se demander pourquoi le simianthrope
d'autrefois éprouvait un si grand besoin de confier les exploits
de son organe vocal à un chanteur dont la caisse de résonance
n'était autre que l'immensité, pourquoi le néant gigantifiait
son effigie dans les nues, pourquoi il rechignait tout autant
qu'autrefois à s'écouter sous le superbe déguisement de son sépulcre,
pourquoi il se cachait hier sous l'autel, aujourd'hui sous son
linceul, comme si, mort ou vif, la lâcheté et la peur n'avaient
jamais cessé de lui fournir le gigantesque exutoire cérébral de
violer impunément les droits de la pensée logique . Quoi de plus
dévotement illogique, pourtant, quoi de plus saintement irrationnel,
n'est-il pas vrai, quoi de plus hypocritement pieux, assurément,
quoi de plus impunément religieux, en un mot, que de refuser au
vide le droit à la parole!
Quand "Dieu"
eut succombé sous anesthésie en raison même du succès des anthropologues
socratiques qui ont réussi l'opération de lui retirer du crâne
la boîte d'enregistrement de ses propres mystères, le bourdon
des millénaire a retenti au beffroi de l'Histoire ; et il a fait
entendre un étrange carillon. Alors la cloche des tourments cérébraux
des dieux a sonné à toute volée. Puis les discours que le simianthrope
s'adressait en secret à lui-même sur la terre se sont démultipliés
entre plusieurs modulations dans le cosmos ; puis les souffrances
et les félicités alternées des hommes et de leurs idoles au cours
des siècles ont commencé de former une constellation de spectres
diffus - et d'abord celle d' une mathématique de l'univers qui
n'avait tué Jupiter que pour le retrouver réfléchi dans un législateur
caché sous les nombres. Ah ! qu'il était plus facile de se tapir
sous l'effigie bien dessinée des idoles que d'hériter des dieux
dilués et vaporisé dans des savoirs compliqués, ah ! qu'il était
plus profitable de nourrir un promeneur solitaire qui vous présentait
sa carcasse en chair et en os que de décrypter à grand peine les
énigmes que son sépulcre vous aura mis sur les bras!
6
- Qu'est-ce qu'une religion ?
Quel est
donc le premier pas qu'il appartiendra à la pensée philosophique
simiohumaine de franchir et qui seule permettra aux sciences devenues
réellement transhumaines du XXIe siècle de comprendre l'enjeu
politique de la guerre de la raison du simianthrope que le siècle
des Lumières avait déclenchée à l'échelle de la planète? Nul autre
que de préciser sans ruse ni détour ce qu'est une religion en
tant que document situé à tel endroit sur l'échelle de l'évolution
du cerveau de notre espèce. Mais pour cela, il convient de revenir
à l'examen au microscope des documents sans lesquels il serait
illusoire de tenter de cerner leur complexion de telle sorte qu'aucune
contestation sérieuse ne pourra subsister quant à la spécificité
de leur nature. Car le naufrage de la réflexion anthropologique
prometteuse dans lequel la postérité du XVIIIè siècle a ensuite
entraîné cette discipline résulte entièrement de l'oubli du contenu
pourtant obvie , tant cosmologique que cultuel, du corps doctrinal,
donc de l'orthodoxie clairement énoncée dont les trois monothéismes
se réclament explicitement - et , en tout premier lieu , du contenu
simiohumain des dogmes que les théologies monothéistes exposent
expressément et sans ambages au public . Benoît XVI a soutenu
que "Dieu travaille" et qu'il "se salit les mains"
- eh ! bien, observez-le à la charrue , à l'établi, à la forge,
observez-le dans ses "travaux et ses jours".
Supposons
qu'il s'agisse de comprendre la signification psychobiologique
des travaux non moins assidus de Mithra, d'Osiris, de Wotan, puis
de ceux des campeurs de l'Olympe et enfin des dieux d'Isaïe, de
Mahomet ou de Jésus-Christ. La première exigence de la science
anthropologique ne sera-t-elle pas de relever minutieusement ce
qui est tombé de la bouche de ces personnages? Nul ne se met en
tête de falsifier méthodiquement les discours que Zeus tenait
dans Homère. En revanche, quand Platon réfute occasionnellement
le récit selon lequel le roi des dieux aurait été saisi d'un désir
violent pour son épouse Héra et qu'il l'aurait plaquée au sol
sur l'heure, ce caprice de théologien devrait mettre la puce à
l'oreille des anthropologues, parce que les dieux sont des acteurs
du cosmos que leurs adorateurs modèlent et malaxent sans relâche
. Cette vocation réformatrice est même si impérieuse et si universelle
qu'elle est tenue pour la plus sainte, puisqu'elle appartient
en tout premier lieu aux prophètes, qui n'y vont pas de main morte,
si je puis ainsi m'exprimer , puisque Isaïe fait dire sans répit
à l'idole qu'elle a horreur des sacrifices de sang qu'on lui demande
de humer à pleines narines - la consommation des victimes demeurant
réservée aux seuls fidèles.
Mais si,
dans l'enceinte de l'Assemblée nationale, un député de l'opposition
se levait pour demander aux élus de la majorité une réforme urgente
et saine de la Constitution, cette revendication, si inspirée
qu'elle pourra paraître, ne deviendra effective qu'à la condition
de se trouver entérinée par les deux chambres solennellement réunies
en congrès à Versailles. De même, une divinité ne change ni de
nature, ni d'attributs aussi longtemps qu'elle n'aura pas été
officiellement refaçonnée par l'autorité expressément habilitée
à en modifier les apanages et la complexion. Aussi l'anthropologie
critique définit-elle les dieux à l'école des dévotions codifiées
dont ils réclament l'hommage. De quel droit passerait-elle
outre à leur statut légal?
Certes,
elle se demandera également de quel droit on tue ceux dont on
ne sait quelle mouche les a piqués pour qu'ils prétendent tout
soudainement et jusque sur le billot modifier la dégaine de l'idole
: le moment venu, l'anthropologie critique s'attachera à tenter
de décoder cette seconde et dangereuse écoute des dieux, de la
République, de la philosophie, de la poésie, de la musique et
de quelques autres personnages désespérément virtuels. Mais, pour
l'instant, nous n'avons pas à nous plaindre : que demander de
plus à une religion en sabots que de confier la haute mission
et la sainte charge d'en faire connaître les propositions et la
logique interne à ses dignitaires les mieux bottés - ceux qu'on
salue du titre de dépositaires chamarrés et assermentés de la
saine doctrine? Encore une fois, si notre siècle ne s'informe
plus de la substance calligraphiée des trois monothéismes, si
la légèreté d'esprit d'une raison réputée victorieuse d'un mythe
sacré s'accorde le luxe d'ignorer ce que ses autels énoncent en
toutes lettres et avec toutes les ressources d'un vocabulaire
codifié depuis des siècles, on se demandera également en vain
pourquoi toutes les époques éprouvent de surcroît le besoin incoercible
de substituer au discours bien récité des orants de Jupiter une
parole potentielle jugée plus digne de son encéphale en gésine
et comment la science anthropologique de demain pourrait prétendre
interpréter un récit sacré sans avoir construit la balance
à peser le passé, le présent et l'avenir des dieux .
7
- L'hostie du sacrilège
Quelle est
donc la "vraie nature" d'une idole en promenade sur la
terre et que ses défenseurs suicidaires - ses prophètes - ne cessent
d'insulter et de couvrir de honte ? Pourquoi refusent-ils obstinément
de plier le genou devant elle? D'où tirent-ils l'autorité de lui
cracher à la figure, de la clouer tous les jours au pilori de
l'opprobre , de la vouer sans relâche aux gémonies, de la forger
inlassablement à l'école des blasphèmes de ses saints? Des témoins
aussi entêtés de ce que l'idole n'est pas
ne sont-ils pas le signe de l'ambiguïté psychobiologique du simianthrope
sanctificateur et désacralisateur? Voltaire ou Diderot connaissaient
encore par cœur le contenu vomitoire du catholicisme, de sorte
que le dogme de l'eucharistie, par exemple, les jetait dans une
fureur d'adorateurs insatiables de ce que le dieu aurait
dû être à leurs yeux . Les croyants ressemblent aux
lecteurs de Racine et de Corneille : les premiers peignent "Dieu"
tel qu'il est, les seconds tel qu'ils voudraient qu'il fût ou
qu'il devînt. Quel est le "Dieu" caché qui lapide le "Dieu" de
tout le monde, le "Dieu" caché qui donne à ses martyrs l'hostie
de leurs sacrilèges à déglutir, le "Dieu" caché qui insulte le
faux "Dieu" du matin au soir et s'épuise à réveiller "le vrai"
en sursaut ? Quel est le sommeil de "Dieu" qui fait de lui une
idole à vomir? Peut-être le saint se demande-t-il toute sa vie
quel est le "Dieu" qui l'habite et n'en saisit-il jamais que des
caricatures. Du coup, il ne cesse de se venger sur ses contrefaçons
.
8
- Le " Dieu inconnu " de Benoît XVI
Pourquoi
"Dieu" ne vient-il jamais aux rendez-vous qu'on lui donne? Mais
la France vient-elle au rendez-vous de ses saints? Et Béatrice
est-elle au rendez-vous de Dante ou Iseult de Tristan? Que dit
du "vrai Dieu", de celui qui se nourrit des blasphèmes d'Isaïe,
une vulgate ensommeillée par les chants de gloire que les trois
monothéismes décérébrés font monter à ses oreilles? Leurs scribes
prétendent que les trois dieux uniques se font un baudrier des
valeurs universelles qui blasonnent leurs créatures. Mais Erasme
l'iconoclaste rappelait déjà, dans sa Ratio verae theologiae,
que tous les peuples de la terre et tous les gouvernements chargés
de la cargaison entière de leurs croyances sacrées ou profanes
défendent des "valeurs universelles", telles que la probité, la
frugalité, la droiture, la décence et que le Décalogue n'est rien
de plus qu'un catéchisme philosophique et moral dont l'universalité
contrefaite ressortit au plus simple bon sens politique. Quant
à la "transcendance" qu'invoque désormais à Rome ou en
Arabie Saoudite un chef d'Etat qui n'a pas lu un mot du plat catéchisme
qui sert de code civil à l'idole, tous les psaumes de l'existentialisme,
de celui que Heidegger plaque de force sur l'œuvre entière de
Platon jusqu'à celui de Bergson , de Husserl ou de Sartre s'en
réclament à leur tour. Si l'on n'observe ni ce que le christianisme
banalisé à la romaine ou celui que Calvin a corseté à l'école
des aléas de sa grace entendent respectivement par un vocable
qu'ils partagent aussi bien avec le stoïcisme de Marc-Aurèle qu'avec
le criticisme de Kant, on ne voit pas comment une connaissance
authentiquement simianthropologique de la "transcendance" cabotine
dont les religions monothéistes se réclament officiellement deviendrait
accessible aux sciences humaines du XXIè siècle.
Mais si
l'on veut bien se coller aux oreilles les écouteurs romains dans
lesquels le mythe s'adresse à sa propre roture et invoque son
code du travail à haute et intelligible voix, que nous dit ce
christianisme-là? Qu'il appartient à son autorité d'employeur
de définir la "raison" de ses employés et de la doter de son contenu
artisanal, de lui expliquer les tâches urgentes qui lui reviennent
heure par heure et de lui assigner jour et nuit les limites qu'il
lui sera à jamais interdit de franchir . Et que disaient à l'idole
laborieuse les super logiciens de l'esprit qu'on appelait des
prophètes, sinon qu'elle n'avait pas encore toute sa tête, qu'il
lui fallait commencer par grandir et que la première tâche de
sa raison, sitôt qu'elle aura atteint l'âge adulte, sera d'autopsier
le meurtre qui l'inspire depuis le berceau. Comment le "Dieu"
qui voit l'idole en tant que meurtrière va-t-il se "révéler" au
"prophète" ? Il est étrange que ce "Dieu"-là soit un inconnu.
Il est plus étrange encore, que, pour la première fois dans la
théologie romaine, un pape invoque cet inconnu en tant qu'inconnu.
"Nos villes ne sont plus remplies d'autels et d'images représentant
de multiples divinités. Pour beaucoup, Dieu est vraiment devenu
le grand Inconnu. Malgré tout, comme jadis, à l'époque où, derrière
les nombreuses représentations des dieux était cachée et présente
la question du Dieu inconnu, de même, aujourd'hui, l'actuelle
absence de Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui
Le concerne." (Discours de Paris au Collège des Bernardins,
12 septembre 2008)
Bien plus,
ce pape paraît crucifié sur son espèce de "raison". Quel statut
attribuer à la croix de la raison, se demande-t-il, afin qu'elle
accède "à ses possibilités les plus élevées" ? Et si le
"vrai Dieu" était celui de ses sacrilèges? Et si les possibilités
les plus hautes de la raison se cachaient dans les blasphèmes
d'Isaïe ? Que voyait ce prophète avec quelques siècles d'avance
? Il voyait l'idole des chrétiens monter sur la potence du sacrifice
de sang, il voyait l'idole à venir tuer son "Fils" et le clouer
sur le gibet de l'Histoire . La raison politique du XXIe siècle
aurait-elle vocation de vomir le Golgotha à l'école du génie religieux
d'Isaïe?
9
- Le meurtre sacré et l'Histoire
En tout
premier lieu, une religion est un document cérébral, affectif
et politique dont les deux coordonnées fondamentales et complémentaires
s'appellent respectivement une cosmologie mythique et un appareil
cultuel. Le pilier cosmologique de ce double récit raconte comment
il se fait qu'il existe une terre, des étoiles, des hommes, des
animaux et une végétation tantôt rare et tantôt abondante au gré
des saisons et des caprices de la géographie. Le second dit que
tout culte requiert une liturgie et que toute liturgie se donne
un autel pour théâtre de la gestuelle sacrée qu'elle est chargée
de mettre en scène. A quelle école ? A celle d'une narration de
la mise à mort symbolique, mais réputée effective d'une victime
innocente. Pourquoi innocente ? Parce que les idoles ne sont pas
friandes de viande avariée, mais de brebis blanches. Quelle est
donc la signification profonde du drame de sa propre pourriture
que l'Histoire se raconte sur l'édicule où sa propre chair sue
le sang? Pourquoi appelle-t-on propitiatoire ou offertoire
l'étal où l'immaculé est réputé inchangé, alors qu'il se teinte
de rouge? Pourquoi le simianthrope est-il censé y assassiner un
congénère mâle et quelquefois une jeune femelle, puis les manger
tout crus? Quand la consommation passe pour réelle , on avale
un certain Jésus de Nazareth selon l'état civil, quand la manducation
de la victime est tenue pour fictive, il s'agit d'un Isaac caché
sous un mouton.
Certes,
d'Abraham au Nazaréen, les sacrifices humains avaient été lentement
remplacés par des sacrifices d'animaux, principalement des boeufs.
Mais, chez les Romains, l'assassinat d'un congénère sur l'autel
n'a été aboli que sous l'empereur Claude. Tite-Live nous cache
que ces offrandes aux dieux étaient encore courantes du temps
des guerres puniques et Quinte-Curce raconte qu'ils ont failli
se trouver rétablis à Tyr au cours du siège de la ville par le
grand Macédonien. Les Gaulois ont pratiqué ces saints sacrifices
bien longtemps après la conquête romaine, l'Ancien Testament en
regorge et Jean Paul II a pris soin de mettre en scène sa propre
"mort sacrificielle"
- A
propos de la mort sacrificielle de Jean Paul II,
12 avril 2005
On conjecture
que ce pape polonais n'était pas informé de ce que l'offrande
de leur chair et de leur sang à leurs idoles est non seulement
la clé religieuse du simianthrope depuis les temps les plus reculés,
mais également la clé secrète de la politique de cet animal cérébralisé,
comme il est démontré par les démocraties messianiques d'aujourd'hui
et confirmé par toute la zoologie du thermonucléaire depuis soixante
ans .
- L'éducation
nationale et la politique sacrificielle, 8
septembre 2008
10
- Le meurtre simiohumain
Le culte
du Dieu à la fois unique et incarné des chrétiens est retourné
au sacrifice antéabrahamique - Jésus est un spécimen sélectionné
avec le plus grand soin et jugé le plus précieux qui puisse se
trouver dans tout le genre simiohumain. Pourquoi est-il tenu pour
la victime la plus payante de toutes, la plus définitive et la
plus absolutoire sous un déguisement irénique et pacificateur
chargé de donner le change aux âmes sensibles? Pourquoi, aujourd'hui
encore, les théologiens romains se demandent-ils gravement si
Jésus se trouve immolé sur l'heure sous le couteau des paroles
saintes et meurtrières de la consécration ou s'il se présente
déjà mort sur l'autel pour avoir été tué d'avance, il y a longtemps
et une fois pour toutes par les Juifs, comme le Père de la Taille
en a présenté le premier l'hypothèse en 1924 ? De toutes façons,
il faut distinguer avec soin l'anthropophagie pour cause de famine,
d'une part, de l'anthropophagie sacrée, d'autre part. Cette distinction
remonte à Jonathan Swift l'abyssal, qui proposa de lutter contre
la famine en Irlande par la cuisson à l'étuvée des nourrissons.
Mais tout
le génie politique du christianisme est dans l'invention de la
victime suicidaire, donc censée volontaire, ce qu'ignoraient les
Athéniens. Iphigénie est immolée de force, Jésus est réputé demandeur
de son supplice. Cette trouvaille est la clé de la civilisation
occidentale, parce qu'elle a fait du soldat une victime demanderesse
de son propre sacrifice à la patrie. Mais le culte chrétien se
trouve fort gêné par la perplexité de ses docteurs de la guerre
, qui suent sang et eau, du moins depuis Erasme, pour expliquer
la récalcitrance évidente de la victime du Golgotha à se
faire crucifier nonobstant la contrepartie offerte par l'idole.
Aussi les uns lui reprochent-ils avec aigreur d'avoir fort rechigné
à se laisser occire, alors qu'elle aurait dû "courir au sacrifice
avec des bondissements de joie" à l'idée quelle allait, à
elle tout seule, suffire à "sauver le genre humain" tout
entier de l'appétit de l'Harpagon du ciel, tandis que les
autres s'échinent à démontrer qu'elle avait raison de trembler,
parce qu'elle était fort intelligente et, de surcroît, suffisamment
omnisciente pour connaître d'avance et par le détail les souffrances
rédemptrices qu'elle allait endurer et qui lui seraient saintement
infligées afin de rembourser d'une seul coup une certaine dette
à son père.
11
- La République de M. Nicolas Sarkozy et l'enseignement du meurtre
sacré
Ne sommes-nous
pas enfin assis sur les bancs de l'Histoire, celle du crime simiohumain
? Les instituteurs de la République parfumée de M. Nicolas Sarkozy
enseigneront-ils aux enfants des écoles à comprendre pourquoi
le monde moderne s'efforce d'oublier le contenu meurtrier du christianisme
réel et pourquoi l'éducation nationale lui substitue tantôt l'encens
pseudo légitimant d'une vague "transcendance" , tantôt
un culte des "valeurs" universelles que la Démocratie vaporise
avaricieusement dans l'atmosphère?
Décidément,
il ne suffit plus à l'Etat laïc de proclamer invisible une chair
et un sang déclarés bien réels - au sens physique - par l'Eglise,
il ne suffit plus à la France de cacher ce corps et ces globules
rouges sous les "apparences" déclarées trompeuses du pain
et du vin de la messe: il faut que la République de la raison
se demande pourquoi le simianthrope tient si fort à camoufler
l'immolation maladroite de l'autel sous des subterfuges et des
faux-fuyants dont une théologie angélisée et édulcorée par vingt-cinq
siècles d'un irénisme contrefait connaît l'arsenal. L'éducation
nationale n'est pas disposée à se satisfaire de l'explication
du Cardinal de Richelieu selon lequel l'horreur, la terreur et
le dégoût suffoqueraient les fidèles s'ils se voyaient manger
le Dieu sacrifié sur l'autel des Achéens chrétiens. La nation
de Descartes est devenue celle des simiantropologues surgis de
terre un siècle et demi après Darwin.
Quel est
donc le sens politique mystérieux du document simiohumain de grand
prix que constitue un christianisme fondé sur l'épongement d'une
dette intarissable aux yeux de tous ses docteurs de première force,
donc également aux yeux de l'anthropologie sacrilège, de demain?
Examinons avec un courage républicain ce qu'une méthode rigoureuse,
donc une véritable anthropologie scientifique et critique nous
apprendra du simianthrope mangeur de brebis blanches si les descendants
des soldats de Valmy tentent du moins de traiter du véritable
objet de la querelle au lieu de lui en substituer un autre en
catimini, essayons d'éclairer la question décisive que le siècle
des Lumières a commencé de poser et qui n'est autre que celle
de la nature secrète d'une espèce habile à se cacher sous les
autels de ses meurtres sacrés. Retrouverons-nous le fil interrompu
de la question posée par Voltaire dans Candide ou l'optimiste
et en tirerons-nous un enseignement indispensable à la compréhension
de l'Histoire et de la politique du monde d'aujourd'hui ? Peinons
donc encore un instant à tenter de décrypter la face cosmologique,
puis la face immolatoire de l'idole simiohumaine , scannons une
dernière fois le vieux récit de la Genèse selon lequel le cosmos
aurait été créé par un personnage fabuleux, lequel aurait pris
grand soin de planifier le destin odoriférant de sa créature sur
la terre et après sa mort et qui lui aurait enseigné tout ensemble
une morale universelle cautionnée par un assassinat glorieux et
le culte de sa grandeur punitive à la sainte école d'un meurtre
rituel.
12
- Le Dieu des chrétiens et la torture
Soixante
ans après la mise sous tutelle politique et militaire de l'Europe
par les Etats-Unis, la politique du tortionnaire du cosmos a débarqué
dans l'arène de la justice de type démocratique, puisque, pour
plus de sûreté, le démiurge de la délivrance par la liberté avait
pris d'emblée la précaution, qu'il aura sans doute jugée élémentaire,
de se donner les moyens les plus féroces de la rédemption. De
même qu'il fallait assurer le salut d'une l'humanité mise en laisse
par l'avertissement dissuasif des châtiments les plus épouvantables
qui la menaçaient et qu'il lui infligerait pour l'éternité sous
la terre - terreur balancée par la promesse de récompenses fabuleuses
qu'il lui octroierait à titre posthume dans les nues - de même,
le Nouveau Monde se porte caution pour le salut définitif de la
planète, mais à la condition qu'elle passe sous le joug de l'évangile
de la Liberté que garantira la cuirasse d'acier de l'OTAN. L'apprentissage
du Bien passe par le Christ bardé de boucliers anti-missiles.
Pourquoi les piétés de la torture sont-elles l'arme fondatrice
de la sainteté politique de la France de M. Nicolas Sarkozy?
Pourquoi, au contraire d'Iphigénie,
la victime de l'autel des chrétiens de l'autel est-elle un torturé
aux mains jointes?
L'interprétation
républicaine du mythe d'un Créateur de mèche avec un gibet dévotieux
renvoie à un trait fondamental du pouvoir politique ancien, celui
qui s'attachait au mode d'emploi plus ou moins judicieux des potences.
Certes, l'humanité éprouve un besoin viscéral de se donner non
seulement un chef redoutable sur les champs de bataille, non seulement
de le vénérer à genoux dans les Eglises, non seulement de lui
obéir en tous points sur la terre et d'exécuter ses directives
à la lettre, mais de se donner à tuer pour sa gloire ici bas.
Car les idoles ont la tête politique : elles savent que cet instinct
du simianthrope, si puissant qu'il soit, ne suffit pas. Avant
Valmy, c'était donc dans le sacrifice politique que le sacrifice
religieux s'enracinait en tout premier lieu. On pensait que le
soldat rebelle à donner sa vie pour assurer la victoire de son
roi ne consentirait pas non plus à mourir pour son chef céleste.
La torture et la peine de mort étaient les mamelles de la puissance
de l'idole et de ses copies en chair et en os à la tête des Etats
; et la collusion de ces deux autorités mettait la torture au
fondement de la raison politique.
Assurément,
la ligne de démarcation entre les écartèlements auxquels la divinité
se livre sous la terre et dont elle laisse la pratique au Diable,
son fondé de pouvoirs, d'une part, et ceux qu'elle autorise la
créature à exercer sous le soleil, d'autre part, cette ligne,
dis-je, varie à l'intérieur de la théologie chrétienne selon que
cette religion se divise entre la confession catholique - ce qui
signifie universelle - et la protestante, mais également au gré
des multiples modulations doctrinales entre lesquelles ces deux
Eglises paraissent se diversifier: saint Thomas d'Aquin s'oppose
à Jean de la Croix sur divers points, comme Zwingli à Luther.
Mais, comme il est dit plus haut, le tortionnaire sacré auquel
M. Nicolas Sarkozy entend convertir la République et dont tous
les chrétiens saluent la sainteté depuis deux millénaires est
celui dont les dogmes, les docteurs, la doctrine et l'Eglise attestent
la cruauté de ses prérogatives - celles qui s'attachent à un camp
de concentration souterrain où le sceptre de la justice divine
trouve dans la torture la légitimation suprême de sa souveraineté.
Comme il
est démontré que ce Dieu-là ne plaisante pas le moins du monde
au chapitre de la sauvagerie des sacrifices indispensables au
maintien du bon ordre des affaires du ciel et de la terre, la
France laïque se donnera-t-elle une philosophie de l'abolition
de la peine de mort compatible avec le retour à une religion fondée
sur une exécution publique ? M. le Président de la République,
nous demandons à votre catéchèse de nous exposer vos directives
aux instituteurs qui enseigneront les droits de l'homme aux enfants
si l'Etat est appelé à faire cause commune avec le culte d'une
potence et si, de surcroît, la sainteté chrétienne fait d'un gibet
l'axe central du salut du monde.
Certes,
le calvinisme feint de rejeter le meurtre de l'autel, mais sachez
que ce n'est qu'un leurre pieux : cette théologie se contente
de refuser la réitération réputée effective en tous lieux et de
siècle en siècle du meurtre sanctifié sous la terre, ici bas et
au ciel. Votre République, M. le Président, ne trouvera donc aucun
secours théologique auprès de ce protestataire parqué sur les
marges du mythe : il ne fait que sauvegarder, à vos côtés, la
piété du tribut payant que figure une crucifixion récompensée
une fois pour toutes par l'idole . Comment allez-vous conduire
la France au culte d'un gibet si, même aux yeux de Genève, il
ne s'agit que de retirer au clergé rival les bénéfices d'une rente
vénérable - celle qui fournit ses dividendes perpétuels au sacrifice
sanglant des origines?
Quel malheur,
pour votre politique que d'avoir fait débarquer à nouveau une
religion sacrificielle dans une laïcité endormie! La France de
Descartes dormait d'un sommeil tranquille dans le troupeau des
démocraties acéphales; et voici, M. le Président, qu'il est rappelé
à tout le cheptel que l'offrande d'une victime humaine sur l'autel
n'est jamais qu'un mode de conjuration incertain - un Guantanamo
souterrain placé entre les mains du " Dieu de bonté " - et que
ce mode ancestral de gouvernement est commun à tous les simianthropes
d'hier, d'aujourd'hui et de demain . Sachez, en outre, que, depuis
1945, l'apocalypse nucléaire a pris le relais du mâchonnement
des morts et que si l'on demande à l'Iran de présenter sur l'autel
des démocraties les saintes offrandes de son renoncement à sa
souveraineté, ce sera seulement afin d'acheter la bienveillance
du ciel américain. Mais, sachez également, que dans l'ombre, la
France épointe les poignards de l'intelligence critique de demain,
sachez que, dans les souterrains de la nation, les Isaïe de la
République aiguisent les couteaux de la logique cartésienne: "Etes-vous
sûrs, demandent-ils, que votre géhenne mécanique soit plus praticable
que celle de l'excommunication majeure des chrétiens?" Je crains,
M. le Président, que vous ayez redonné un destin philosophique
à la France ; je crains que vous ayez rappelé aux instituteurs
que la laïcité est une arme de l'intelligence; je crains que vous
ayez réarmé la démocratie de la pensée parmi les ruminants de
la Liberté.
13
- La raison post-voltairienne
Tant que
les trois idoles se présentent sous les traits punitifs de trois
terroristes immaculés du cosmos, tant qu'elles se trouvent cautionnées
et légitimées par la lettre et l'esprit de leur catéchisme officiel
sur les cinq continents, tant que l'appareil de leurs châtiments
demeure inchangé depuis le génocide du Déluge jusqu'aux encycliques
d'aujourd'hui, l'anthropologie critique est appelée à fournir
à la France de la pensée que vous aurez réveillée les armes qui
lui permettront d'observer et de disséquer les témoins célestes
de la politique et de l'éthique du simianthrope . La simianthropologie,
M. le Président, est donc la discipline que sa vocation appelle
à spectrographier la logique interne qui gouverne l'encéphale
des géants simiohumains que figurent les théologies monothéistes.
Sachez que ces Cyclopes guident une créature déchirée entre ses
empyrées et ses géhennes, sachez que ces monstres homériques associent
leurs victimes à leur propre destin. C'est ainsi que le tueur
et sa proie sont réputés piloter de conserve et les yeux dans
les yeux une civilisation schizoïde.
Vous vous
demandez sans doute pourquoi la raison post voltairienne de la
République est si impérieusement appelée à étudier et à approfondir
la connaissance et l'interprétation psychobiologique des courants
doctrinaux apparemment divergents entre lesquels le mythe d'un
démiurge fondateur semble se ramifier et paraît diversifier sa
dogmatique générale du sacrifice, alors que son unité se révèle
immuable depuis Homère sous des vêtements diversement coloriés
; vous vous demandez sans doute comment vous rappellerez aux instituteurs
de la France laïque leur devoir d'enseigner à nos enfants qu'au
XVIIIè siècle, le cœur du problème était d'enseigner au genre
simiohumain à " penser par lui-même ", comme disait Voltaire et
qu'il s'agissait d'armer la démocratie d'un entendement en mesure
de combattre le pouvoir d'une royauté et d'une divinité étroitement
associées à l'école des autels. Car, voyez-vous, M. le Président,
la mission de l'éducation nationale est d'enseigner aux générations
futures que la vraie postérité du siècle des Lumières sera d'aider
la civilisation occidentale à retrouver son autonomie cérébrale,
parce que, sans cela, l'Amérique messianique vassalisera le Vieux
Continent à l'école de l'esprit de croisade qui l'inspire. Les
descendants de la bataille de Valmy vous demandent de laisser
les philosophes français forger les armes cérébrales à l'Europe
de demain.
Ne croyez
pas, M. le Président, que le Vieux Monde se serait délivré des
directives du Dieu évangélisateur et immolateur commun à Bossuet,
à Fénelon, à saint Thomas et à toute l'Eglise : l'Europe d'aujourd'hui
demeure d'autant plus pieuse et sans doute davantage qu'autrefois,
parce que, de son côté, le sacrificateur nouveau et insidieux
qui arme le glaive de la sainteté démocratique en Afghanistan
ou en Irak n'est pas dupe de son ciel. Je ne sais quels catéchètes
de village vous ont initié à la vulgate d'un christianisme pour
enfants de chœur . Mais il y a plus d'un siècle que cette religion
se trouve autopsiée par les anthropologues, les psychanalystes
et les penseurs politiques du monde entier et tous se trouvent
armés des instruments de la pensée rationnelle que le monde moderne
a conquis depuis quinze décennies ; et tous vous diront que la
fécondité philosophique de la guerre de la raison inaugurée par
l'audace, inouïe pour l'époque, des encyclopédistes français reposera
sur les analyses entièrement nouvelles que le XXIè siècle entreprendra
afin de remonter aux sources psychogénétiques du besoin du simianthrope
de se pelotonner autour de vocables fascinatoires et porteurs
du sceptre de Thanatos.
14
- La foi des chimpanzés
Savez-vous,
M. le Président, quelle est l'origine de la pulsion psychobiologique
qui déclenche l'esprit religieux chez les chimpanzés? Savez-vous
que le candidat au pouvoir suprême sur la horde conquiert sa couronne
à donner de la voix au maximum de sa capacité thoracique ? Peut-être
vous demandez-vous pourquoi tout le monde s'écarte sur son passage
: c'est que le cri est devenu le signe de la puissance politique
bien avant la découverte du langage. Jane van Lawick-Goodall raconte
comment Mike, un mâle de petite taille, avait volé deux bidons
d'essence vides dans son campement et avait eu l'idée de génie
de les entrechoquer avec tant de force qu'il avait produit un
tintamarre terrifiant. Si, à la veille de la commémoration du
cent cinquantième anniversaire de la parution de L'origine
des espèces de Darwin, votre vocation d'anthropologue
de la politique vous portait à encourager l'interprétation scientifique
d'un évolutionnisme redevenu heuristique, vous cesseriez de chercher
les prémices du futur simianthrope chez les derniers chimpanzés
- l'espèce est en voie de disparition - mais, au contraire, des
vestiges criants de cet animal chez le simianthrope semi accompli
d'aujourd'hui.
- Réflexions
sur le génie de la France, 15 septembre
2008
Alors seulement
vous aideriez le XXIe siècle à féconder la vraie postérité du
siècle des Lumières, celle qui relèvera combien l'"art de la
communication" de masse des modernes ressortit à la capacité
de quelques spécimens de faire le plus grand tapage possible :
l'élu sera l'Assourdissant qui aura occupé le plus efficacement
le champ médiatique.
Comment
le simianthrope scolarisé, vaporisé, cérébralisé et sacralisé
franchit-il les échelons qui le conduisent du rang de chef tonitruant
de ses congénères à son effigie non moins fracassante dans le
ciel ? Pour le comprendre, vous remarquerez que la connexion entre
la théologie de la Création de l'univers et celle du souverain
politique omnipotent et omniscient installé dans le vide du cosmos
repose sur le caractère magique du pouvoir simiohumain en général
et que ce type de fascination est inscrit dans les gènes du religieux
qui pilotent toute autorité politique en ce monde. Ici encore,
les comportements de nos ancêtres sont demeurés visibles au sein
de toutes les sociétés simiohumaines actuelles. Savez-vous que,
chez nos ascendants quadrumanes, une horde remarquable par l'intensité
de ses vociférations conquérait la prééminence - on dit maintenant
l'hégémonie - sur toutes les autres? Savez-vous que tous les individus
des tribus subordonnées s'inclinaient poliment devant les représentants
dont ils reconnaissaient la suprématie politique à leurs clameurs?
Savez-vous que dès cette époque, la soumission collective la plus
ostentatoire ne résultait nullement d'une contrainte physique,
mais seulement , comme de nos jours, d'un comportement révérentiel
lié au prestige des décibels du souverain - donc à l'expression
d'un règne en quelque sorte surnaturel du vocal et dont le mythe
du Créateur ne fera que manifester la cérébralisation? L'hypertrophie
de la courtoisie qu'on appelle la piété ou la dévotion s'ensuivra
chez le chimpanzé devenu capable de se forger un locuteur cosmique
éloquent. Pendant vingt siècles le christianisme vivant a ressorti
à la littérature et à l'art oratoire - et il est trépassé pour
avoir cessé d'enfanter des voix.
Puisse
votre piété redonner la parole à une philosophie rivale des cordes
vocales du ciel, puisse votre dévotion réveiller la France de
son " sommeil dogmatique ", comme disait un certain Emmanuel Kant.
15
- L'anthropologie critique et la vassalisation de l'Europe
Dites-vous
bien qu la géopolitique contemporaine présente un terreau hautement
favorable à une réflexion scientifique inspirée par la pitié
- Réflexions
sur le génie de la France, 15 septembre
2008
- donc
propice à la mise en évidence de la place centrale qu'occupe l'histoire
du sacré dans l'interprétation de la vassalité innée dont souffre
le cerveau simiohumain ; car la domestication actuelle de la civilisation
européenne par les dieux des barbares favorise aussi bien la réflexion
philosophique sur la connexion native entre la simiohumanité d'aujourd'hui
et la simiennité originelle de notre espèce que l'observation
en vase clos des comportements obédientiels innés des descendants
actuels du chimpanzé. A la suite de la première guerre du Golfe,
l'Amérique a pu aligner et sur un simple claquement de doigts
de la Maison Blanche tous les chefs d'Etat de l'Europe en livrée
que le conflit avait viscéralement et d'un seul élan placés sous
la bannière et le commandement du Nouveau Monde . Puis, à la suite
de l'attentat du 11 septembre 2001 , les mêmes Etats se sont rués
comme un seul homme sur l'Afghanistan . Seules la France chiraquienne,
donc gaulliste et l'Allemagne du Chancelier Schröder, dont le
père avait été tué sur le front russe au cours de la dernière
guerre, ont ensuite osé refuser de placer leurs armées sous le
sceptre d'un Etat étranger en Irak.
Il n'est
donc pas d'époque plus favorable que la nôtre pour assurer l'émergence
d'une interprétation simianthropologique de l'Histoire , alors
qu'au milieu du XIXe siècle - la parution de L'évolution
des espèces remonte à 1859 - l'hégémonie mondiale de l'Europe
se prêtait encore fort mal à la mise en évidence de l'héritage
simien de l'humanité . Mais jamais encore l'abaissement précipité
d'un continent prestigieux dans un type de servitude observable
à la fois à titre paradigmatique et en direct n'avait facilité
à ce point l'observation des fondements religieux, donc magiques,
de toute autorité politique simiohumaine. Sachez que pour placer
sous la lentille de nos microscopes la parallélisme frappant entre
les comportements de la horde dominante et ceux des hordes soumises
chez les anthropoïdes d'une part et la reproduction fidèle de
cette matrice un million d'années plus tard en Europe d'autre
part, il vous suffira de vous mêler aux délibérations des Commissions
actuelles de l'OTAN, où vous pourrez observer en direct les comportements
serviles jusqu'à la caricature des représentants des pays du Vieux
Monde désormais placés pour toujours et par leur Constitution
sous le commandement militaire souverain et fascinatoire d'un
vainqueur de 1945 aux comportements d'autant plus vassalisateurs
qu'ils demeurent souriants.
16
- La sanctification du meurtre politique et la démocratie messianique
Qu'est-ce
que l'immolation cultuelle en sa symbiose avec le culte de l'hostie,
donc avec la manducation du pain bénit qui sanctifie le meurtre
sacré? Sachez qu'il s'agit d'un tribut expressément réclamé par
l'idole et que les théologies appellent cette prébende une offrande,
c'est-à-dire un cadeau qui méritera récompense. Apprenez ensuite
que, dans le monothéisme chrétien, la chair et les hématies du
spécimen qualifié de satisfactoire - c'est-à-dire de réparateur
de l'offense la plus grave qui se puisse concevoir à l'égard du
chef du cosmos et qui n'est autre que la "désobéissance originelle"
à son autorité - ce spécimen, dis-je, est censé placé entre les
mains du prêtre immolateur par l'effet d'un prodige : le pain
et le vin de la communion de table des fidèles chez les Juifs
se métamorphose subitement en le corps et l'hémoglobine de la
victime immaculée et tuée au bénéfice de la divinité courroucée.
Le miracle de la transformation instantanée de deux aliments d'un
usage convivial et de source végétale en une nourriture carnée,
donc en un être vivant et sanctifié par son immolation, s'appelle
la transsubstantiation ; et la cérémonie liturgique qui met en
scène la réalisation du désir que symbolise cette donation physico-séraphique
se glorifie de se qualifier d'eucharistique, c'est-à-dire "d'action
de grâces". La gestuelle liturgique est chargée d'angéliser le
meurtre de l'autel.
L'anthropologie
critique de demain vous conduira donc à une lecture rétroactive
du mythe de la Création et à la mise en évidence de la connexion
psychophysiologique de ce récit avec les sacrifices de sang .
17
- La radiographie simianthropologique du christianisme
Afin d'achever
de vous informer du contenu réel de la religion à laquelle vous
avez été fort mal initié, je vous conseillerais de vous nourrir
d'une stupéfaction sans cesse renouvelée et inlassablement fécondée
par l'ahurissement intellectuel des anthropologues d'aujourd'hui.
Quand vous serez scandalisé de ce que le simianthrope appartienne
à une espèce que son évasion du règne animal a affligée d'un cerveau
accompagné dans les nues par des personnages imaginaires, vous
serez prêt à remarquer l'inanité des preuves selon lesquelles
ces acteurs du cosmos existeraient et l'empressement de vos congénères
à se convertir sans examen et avec une légèreté d'esprit confondante
à leur dédoublement qu'ils jugent prestigieux dans telle croyance
religieuse de leur choix ou dans telle autre ; et vous comprendrez
que le besoin de ce chapeautage cosmique répond à une scissiparité
viscérale et incoercible de l'encéphale simiohumain. Alors, vous
vous direz que la scission du simianthrope entre les mondes spéculaires
et la réalité présente le plus prodigieux document de toute simianthropologie
présente et future, puisque vous découvrirez que l'alliance du
meurtre sacré avec le meurtre politique fonde la logique interne
de l'histoire universelle; et vous saurez que la fascination qu'exerce
un surréel punitif et bifide nourrit tout commandement et toute
obéissance.
Que signifie,
vous direz-vous, la rentabilité prodigieuse attribuée au meurtre
sacrificiel ? Pourquoi, vous demanderez-vous, le bénéfice de cet
assassinat répété est-il, à proprement parler sans prix, dès lors
qu'il est chargé de conférer rien de moins que l'immortalité à
vos électeurs ? Peut-être savez-vous déjà, M. le Président, que
l'homme politique ne s'en laisse pas compter, et que , depuis
le fond des âges , ilne s'est jamais montré aveugle au carnage
tapi sous la piété angélique qu'il affecte d'afficher, peut-être
savez-vous déjà que cet acteur de la mort rémunérée n'est pas
un enfant de chœur de l'Histoire . Dans ce cas, apprenez que le
psychisme de l'homme politique est calqué sur celui de l'idole
meurtrière et que l'idole sait, elle, que la puissance politique
n'obtient l'obéissance absolue de ses subordonnés qu'au prix du
sang. N'en doutez pas, M. le Président, l'idole sait depuis des
millénaires que le fer et le feu sont les vraies armes du sacrifice.
Si votre réflexion se laisse stimuler par la science actuelle
de l'homme et si vous devenez un savant radiologue du christianisme,
votre expérience à la tête de l'Etat fournira à l'historien et
au politique de demain un paradigme décisif aux yeux de la simianthropologie.
Nous disposons d'ores et déjà du diagnostic et de la pesée de
la vassalisation actuelle de l'Europe par un Dieu américain parfaitement
informé de ce que le glaive est la clé que l'Histoire et les cultes
se partagent ; mais le creuset de notre science a besoin des perfectionnements
que vous lui apporterez.
18
- L'avenir de l'Europe de la pensée
Songez,
M. le Président, que la peine de mort et la torture sont consubstantielles
au papillon carnivorne et aux ailes diaprées qu'on appelle le
monothéisme. Ne le prenez pas pour un ange sous prétexte qu'il
traverse les airs : c'est en vain que les théologies post abrahamiques
ont cru ou feint de croire qu'il leur serait possible de substituer
un bœuf ou un mouton symbolique aux Isaac et aux Iphigénie autrefois
immolés : le meurtre censé effectif d'un spécimen simio humain
sur un offertoire construit à cette fin a beau se trouver formellement
rejeté par l'Islam et par le judaïsme - seule la religion de la
Croix est revenue de la manière la mieux camouflée, donc d'autant
plus éloquente,² à l'assassinat cultuel ostensible des origines-
la guerre n'en demeure pas moins, hélas, l'autel de l'Histoire
réelle du simianthrope. Rien ne le démontre davantage que le messianisme
laïcisé , idéalisé , conceptualisé et démocratisé, mais armé jusqu'aux
dents de l'Amérique guerrière actuelle , dont les autels offensifs
se montrent non moins articulés avec le mythe du salut par les
armes et que chez tous les théologiens romains, protestants et
juifs de la trucidation sacrificielle.
Sachez encore,
M. le Président, que l'Europe se trouve placée à un carrefour
décisif de l'histoire de l'intelligence: ou bien notre civilisation
reprendra et approfondira à l'aide des instruments de la raison
des modernes le combat contre les meurtres sacrés que le siècle
des Lumières avait inauguré avec les armes de la pensée l'époque,
ou bien nous perdrons la seule assise anthropologique à partir
de laquelle cette civilisation conservera des chances de conduire
le monde à une refécondation de la philosophie occidentale.
Dites-vous
bien, M. le Président, que la question du statut de la pensée
critique s'est replacée au cœur des sciences humaines comme de
la politique et que la raison d'Isaïe retrouvée sera celle qui
verra l'idole en tant qu'idole. Cette raison-là n'est pas celle
de Benoît XVI, qui dit que "l'humilité de la raison sera toujours
nécessaire pour accueillir Dieu". Mais où se cache-t-elle,
"l'humilité nécessaire" de la raison d'Isaïe, celle qui
accueille un "Dieu" inconnu - nul autre, en vérité, que le soleil
de gloire de la logique de son prophète? Cet inconnu illumine
son porte-voix, cet inconnu dit que le "logos de Dieu" est celui
de la lumière qui inonde la logique d'Isaïe. Quelle logique ?
Celle qui se retourne sur l'idole, celle qui la toise, celle qui
lui dit que son prétendu "amour dévorant" n'est que le
masque angélique de la rédemption par le sang. Mais qui est ce
"Dieu"-là, sinon le personnage qui s'appelle l'Histoire ? Qui
est ce "Dieu"-là, sinon le personnage qui s'appelle la créature
? Qui est ce "Dieu"-là, sinon l'Amérique dont le glaive se cache
sous les ciboires de la démocratie mondialisée? Et quelle est
la logique d'Isaïe, sinon celle qui a vu les autels de cette idole-là
avec les yeux de l'esprit il y a plus de vingt-huit siècles de
cela? On cherche "l'humilité nécessaire" du "Dieu" inconnu
d'Isaïe, du "Dieu" inconnu de l'intelligence.
Croyez-vous
vraiment, M. le Président que l'apologie de l'ignorance ait jamais
fait progresser une civilisation?
* Dans
ce cas, apprenez que la France de la pensée a pris rendez-vous
avec une philosophie qui donnera son sens politique et religieux
le plus profond à l'abolition de la peine de mort ; apprenez que
cette interrogation-là ouvrira à la France de demain le champ
immense de la connaissance de l'homme dont les dieux morts détiennent
les secrets ; apprenez que la fécondation de la raison mondiale
par la connaissance anthropologique des théologies réconciliera
la France des Lumières avec l'avenir du "Connais-toi" qu'attend
le XXIe siècle ; apprenez qu'en contraignant une laïcité devenue
acéphale à redécouvrir sa vocation intellectuelle oubliée, vous
avez peut-être créé les conditions politiques de la Renaissance
qui conduira la raison à la découverte de sa mission libératrice.
M. le Président,
l'ère de l'interprétation simianthropologique de l'Histoire meurtrière
du monde a sans doute commencé avec l'exposé catéchétique de Benoît
XVI à Paris le 12 septembre 2008, dont l'orthodoxie était déjà
secrètement clouée sur la double potence du doute cartésien et
de la logique d'Isaïe - un exposé sur la vie contemplative qui
cherchait "l'humilité de Dieu". Et si l'humilité de la
"raison" introspective de "Dieu" était celle qui se voit sous
les traits de l'idole dédoublée entre l'ange et la bête? Clio
aurait-elle d'ores et déjà embarqué sur le navire de la raison
de demain? Quaestio disputata, disaient les moines bernardins.
Comment piloterons-nous demain le ciel et l' enfer de notre idole
et de son Sosie, notre Histoire , se demandent les simianthropologues
du "Dieu inconnu" .
Le
22 septembre 2008