" Il passe en Asie, en Afrique,
partout où il pense que la haine soit la plus échauffée
contre le nom de Jésus. Il prêche hautement à ces
peuples la gloire de l'Evangile, il découvre les
impostures de Mahomet, leur faux prophète. Quoi!
ces reproches si véhéments n'animent pas ces barbares
contre le généreux François. Au contraire, ils admirent
son zèle infatigable, sa fermeté invincible, ce
prodigieux mépris de toutes les choses du monde
: ils lui rendent mille sortes d'honneurs. François,
indigné de se voir ainsi respecté par les ennemis
de son Maître recommence ses invectives contre leur
religion monstrueuse; mais, étrange et merveilleuse
insensibilité! Ils ne lui témoignent pas moins de
déférence et le brave athlète de Jésus-Christ ne
pouvant mériter qu'ils lui donnassent la mort :
sortons d'ici, mon frère, disait-il à son compagnon,
fuyons, fuyons bien loin de ces barbares trop humains
pour nous, puisque nous ne les pouvons obliger ni
à adorer notre Maître, ni à nous persécuter, nous
qui sommes ses serviteurs."
Bossuet, Panégyrique de saint François
d'Assise, Pléiade, p. 279
"C'est
la douceur surnaturelle des plus grands saints,
qui ont toujours en réserve de désarmantes
risettes, qu'ils distribuent tout autour d'eux,
aux tyrans comme aux enfants, aux crocodiles comme
aux agneaux; c'est la douceur avec laquelle saint
François exhortait les poissons du lac Trasimène
à remercier Dieu pour avoir eu la bonne idée
de créer de l'eau; c'est la douceur des martyrs
chrétiens qui souriaient aux lions lorsqu'ils
se jetaient sur eux en rugissant pour les dévorer."
René
Pommier, Etudes sur Le Tartuffe,
Eurédit, 1994, p.86
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1 - Les racines anthropologiques du refus de penser
2 - Les sciences humaines et la démocratie
3 - Qu'est-il arrivé à Zeus ?
4 - " Les civilisations répondent
à un défi" (Toynbee)
5 - Le latin crypté de la foi religieuse
6 - L'incapacitas de Benoît XVI
7 - Le platonisme chrétien
8 - Théologie et politique de la sexualité
9 - Une théologie des Tartuffe de la "
raison "
10 - Le tartuffisme du cercle vicieux
11 - Une théologie de la famille
12 - L'inconscient carcéral du sacré
13 - Pathologie de la terreur
14 - Le chef des exorcistes
15 - François et Benoît
1 -
Les
racines anthropologiques du refus de penser
Pour tenter d'escalader le mont Carmel de la religion des
droits de l'homme, il faut se demander au préalable si le
concept de raison agit sur la politique et si la politique
agit en retour sur la liberté de ce personnage. La
semaine dernière, la pesée de la signification anthropologique
de l'abdication de Benoit XVI m'avait conduit à observer,
sans surprise excessive, que l'encéphale des démocraties schizoïdes
fonctionne, peu ou prou, sur la même scolastique du concept-roi
que celui de l'Eglise de la délivrance fonctionne sur la scolastique
du "Verbe de la Délivrance". Mais si les idéalités
forgées sur l'enclume des abstractions dévotes sont aussi
lourdes à porter que la croix du salut par la torture d'un
innocent, la première tâche de la pensée impie sera de tracer
l'enceinte d'une linguistique sacrilège. Quelle sera la signification
proprement simiohumaine d'un évènement déclaré religieux si
le monde moderne manque précisément de toute interprétation
anthropologique du religieux?
Demandons-nous donc si le débat, vieux de vingt-cinq siècles,
sur l'existence ou l'inexistence d'un Jupiter objectivable,
donc concevable dans sa cohérence spécifique, si ce débat,
dis-je, va se trouver soumis à la pesée politique au sein
des démocraties dites laïques et quel sera le poids, aux yeux
des Etats ascensionnels, d'une démonstration blasphématoire
aux yeux du monde entier de ce que ni le ciel des idéalités,
ni celui des chrétiens ne sont partie prenante dans l'élection
d'un pape sur cette terre. Un Jupiter privé de domicile fixe,
mais qui "existerait" par magie dans l'espace ne se serait
pas rendu coupable d'imprévoyance et ne serait pas tombé dans
une sottise aussi condamnable que d'appeler un vieillard égrotant
à diriger son Eglise de 2005 à 2013. Mais alors, le Zeus de
la Liberté a-t-il commis librement la même faute avec l'élection
manquée de Jean-Paul 1er, qui se trouvait, lui, à deux pas
du sépulcre, ce qui a contraint son successeur à tenter
de colmater précipitamment la brèche d'une discontinuité impardonnable
dans la texture de l'histoire du ciel et de la terre confondus
et de se donner en toute hâte le nom de Jean Paul II?
Mais la question ne sera jamais seulement posée, et la raison
de ce silence est fort simple: la foi n'est pas près de se
fonder pour un sou sur une théologie, mais seulement sur le
besoin irrépressible de tout simianthrope en voie de cérébralisation
d'entendre une parole d'autorité descendre d'en-haut. On ne
prive pas un enfant de la parole surplombante d'un éducateur
chargé d'enseigner de génération en génération une obéissance
jugée plus nécessaire à l'intéressé qu'au pédagogue.
2 - Les sciences
humaines et la démocratie
La seconde question posée par la recherche de la signification
anthropologique d'une foi religieuse et d'une foi démocratique
toutes deux vaporisées - l'une au ciel, l'autre à l'odeur
des brûle-parfums du langage que profèrent les idéalités -
la seconde question, dis-je, sera de s'interroger sur l'étoffe
rapiécée dont usent les sciences humaines au sein des démocraties.
On y voit ces disciplines boitiller aussi péniblement que
dans l'Eglise. Elles se trouveront donc contraintes, soit
de persévérer dans leur volonté soigneusement camouflée d'ignorer
les raisons pour lesquelles l'Eglise ne se trouvera nullement
ébranlée par la réfutation aux yeux du monde entier du mythe
de l'infaillibilité du Saint Esprit, soit d'avouer leur volonté
masquée de fuir, elles aussi, l'arène de la pensée terrorisante
dont la logique tient les rênes. Car il est certain que la
foi religieuse ne se demandera pas un seul instant quelles
sont les prérogatives et les apanages qui demeureront intactes
entre les mains d'un Zeus spectaculairement dépossédé de tout
pouvoir sur le cours de l'histoire et livré sans défense aux
volontés souveraines de sa propre créature. De même, personne
ne se demandera ce qu'il advient de la nouvelle Trinité, composée
de la souveraineté du peuple, de celle de son bras droit,
le suffrage universel et de celle de la liberté d'une nation
dont le flambeau de l'esprit serait celui de la raison; car
le territoire de ces trois souverains se trouve occupé par
cinq cents bases militaires de l'étranger depuis soixante-huit
ans.
Mais cela même fera débarquer à nouveaux frais l'audace du
XVIIIe siècle dans la politique mondiale, parce que la vassalisation
accélérée de l'Europe livrée à une scolastique de la Liberté
posera aux sciences humaines la même question axiale qu'au
cours de deux mille ans du monothéisme chrétien, à savoir
quelle est la nature des relations que la bête loquace entretient
avec un maître de la vérité et de la justice censé
domicilié hors de sa boîte osseuse.
3
- Qu'est-il arrivé à Zeus ?
On
remarquera que, jamais encore, le refus déclaré
des Etats démocratiques de confier à la raison et à l'intelligence
des philosophes la "chasse au trésor" qu'on appelle la vérité
n'avait pris des proportions aussi tragiques que de nos jours:
certes, en 410, un saint Augustin profondément ébranlé par
le sac de Rome avait consacré vingt ans de sa vie à tenter
d'enregistrer, de comprendre et d'interpréter les métamorphoses
soudaines du statut cérébral d'une divinité bien connue de
tout le monde et qu'on avait supposée cogitante.
Mais
comment prendre acte à la seule école de Clio du peu de solidité
de la cervelle du Dieu solitaire des chrétiens ? Ou bien le
ciel se montrait impotent dans l'histoire comme dans la politique
et toute la terre habitée passait au grand large de son prétendu
géniteur, ce qui demeurait une folie inconcevable aux yeux
de l'humanité du IVe siècle, ou bien il fallait montrer un
courage philosophique sans exemple pour se ruer à l'assaut
d'une pensée ecclésiale demeurée tragiquement infirme et se
demander quelles raisons secrètes et sans doute difficiles
à décrypter, même à l'école d'une audace intellectuelle sans
pareille, avaient bien pu conduire la sagesse nécessairement
infinie et l'omnipotence tenue pour indubitable du Créateur
à précipiter dans le néant le sceptre de sa propre dialectique,
alors que, selon le récit de la Genèse, chaque
ligne de ses écrits témoignait de son attention soutenue et
bienveillante au sort de ses malheureux sujets, donc au destin
de Rome et des Romains. Et puis, comment faire comparaître
devant le tribunal, donc citer à la barre le terme-clé de
providence, qui signifie "savoir d'avance",
donc veiller au grain en navigateur averti, si les décisions
du ciel n'étaient pas mûrement réfléchies? Car sur tous les
cadrans solaires, on lisait un passage bien connu des Psaumes:
Omnia creasti, nec minore regis providentia (Ta prévoyance
a créé toutes choses; et c'est avec non moins de prévoyance
que tu gouvernes (regis) le monde).
4
- " Les civilisations répondent à un défi" (Toynbee)
Que
se passerait-il si le cerveau effaré du genre simiohumain
actuel ne refusait plus obstinément de se demander ce que
signifierait penser avec une droiture héroïque, donc
s'interroger avec vaillance sur le fonctionnement et le statut
de la boîte osseuse d'un Zeus censé en bon état de marche
sur notre astéroïde? Dans ce cas, la décision inconsciemment
iconoclaste de Benoît XVI du 28 février 2013 de déposer le
fardeau du créateur du monde déclencherait un renouveau inouï
de la pensée rationnelle mondiale, tellement la pesée d'un
entêtement aussi viscéral à se bander les yeux produirait,
en retour, un déclic résurrectionnel instantané au sein des
sciences dites humaines. Car la planète entière des aveugles
et des sourds volontaires se trouverait mise en demeure de
peser la vocation intellectuelle inaliénable, mais inachevée
de ces disciplines - celle qui leur ordonne de faire tomber
sans cesse les chaînes de leur auto-ensommeillement.
Mais,
depuis deux millénaires, de nombreux évènements théologiquement
anti-dormitifs à souhait n'ont cessé de jalonner l'histoire
du christianisme doctrinal; et aucune catastrophe de ce genre,
comme il est dit plus haut, n'a jamais réussi à ordonner soudainement
au genre simiohumain de se priver de la cuirasse que sa cécité
cérébrale lui a forgée. C'est pourquoi, comme le renoncement
dévot de Benoît XVI à exercer sa charge en raison de son mauvais
état de santé ne commencera nullement de persuader Adam de
la nature anti léthargique de toute vocation intellectuelle
authentique. Mais, encore une fois, qu'en sera-t-il de l'Europe
de la pensée si elle se trouve subitement placée devant le
double spectacle de sa vassalité politique et de son refus
viscéral d'observer et de comprendre comment ses trois dieux
uniques ont vassalisé son encéphale depuis deux mille ans?
Encore une fois, quels sont les démentis au mythe de la Liberté
qui, depuis la Guerre du Péloponnèse au Ve siècle avant notre
ère jusqu'à l'occupation américaine de l'Europe portera notre
espèce à observer Zeus d'un œil averti et à peser sur une
balance sûre les fausses conquêtes de la religion démocratique?
5
- Le latin crypté de la foi religieuse
C'est
pourquoi l'analyse du contenu psychopolitique de la déclaration
d'abdication en latin de Benoît XVI est si riche d'enseignements
anthropologiques.
Certes,
l'idiome de l'Eglise est l'œuvre du transcripteur de l'allemand
élégant de Benoît XVI. Il s'agit sans doute d'un Celte - peut-être
le Cardinal Torrens - qui a calqué son latin sur le tour d'esprit
des Gaulois. Traduire: "Je déclare renoncer" par "Declaro
renuntiare" change le latin en une copie hilarante du
français. Declarare s'emploie principalement au passif
dans le sens où nous disons qu'une maladie s'est déclarée.
Un consul "declaratus" est un consul désigné,
mais non encore entré en fonction.
Quant
à renuntiare, on ne le trouve dans l'acception de renoncer
que dans le latin d'église. Tous les bons auteurs rattachent
renuntiare à nuntiare, qu'on rencontre dans
nonce, nonciature, annonciation, etc. Renuntiare,
c'est annoncer avec force et insistance. Cicéron dirait:
"Depono officium", je dépose ma charge",
ou "Decedo de officio", je me retire,
ou plus simplement "Abeo", je m'en vais.
C'est
également transcrire un gallicisme en latin d'Eglise que de
traduire "Je suis bien conscient", par "Bene conscius
sum". S'il existait un latiniste au Vatican, il n'aurait
pas introduit trois bene et deux ex corde dans
un texte d'une quinzaine de lignes.
Mais le piège inverse peut également se refermer sur les Celtes,
parce que le français du XVIIe siècle s'est si soigneusement
calqué sur le mot à mot des meilleures tournures en usage
dans le latin classique qu'on parle un bon français à bien
copier le latin. Venir à composition se dit venire
ad compositionnem, infliger une peine, se dit infligere
poenam, non sans cause se dit non sine causa,
consister en se dit consistere in, tenter
la fortune se dit tentare fortunam, donner l'occasion
se dit dare occasionem, la loi agraire se dit
lex agraria, vivre dans l'abondance se dit vivere
in abundantia, se conformer à la volonté
se dit se conformere ad voluntatem, etc.,etc.
On
ne saurait donc en vouloir à l'excès aux Gaulois de la Curie
romaine d'ignorer le latin des auteurs classiques, tellement
il arrive à ces étrangers de tomber juste. De plus, le christianisme
est tellement incompatible avec l'esprit réaliste, juridique
et guerrier des Romains qu'il a fallu relexicaliser le latin.
Le dernier auteur à la fois latin et chrétien est saint Ambroise,
un ancien préteur. On lui doit d'avoir fait revenir la religion
du gibet récompensé à la pratique des sacrifices humains antérieurs
à Scipion l'Africain - on sait que ce saint a exposé le cadavre
providentiel de son frère Satyrus en offrande payante et de
bonne odeur sur l'autel de l'Eglise de Milan. Dans un tel
contexte, que signifie l'incapacité physique de Benoît
XVI à servir plus longtemps le Grand Sacrificateur dont l'arbre
de vie est une potence de bois sec, mais bien rémunérée?
6 - L'incapacitas
de Benoît XVI
Depuis
Ambroise, le ciel immolateur des chrétiens romains est devenu
un produit d'importation du polythéisme le plus primitif,
mais caché sous le voile d'une spiritualité partiellement
fondée sur le symbole et l'allégorie. Aussi le ciel nouveau
est-il plus revanchard que celui de Zeus. Il tient comme à
la prunelle de ses yeux à se faire rembourser le préjudice
qu'il a subi et qu'il juge immense : l'idole se fait payer
sans relâche un tribut d'un montant inépuisable à seule fin
de tenter d'effacer à ses propres yeux la dette titanesque
du péché originel.
Le
terme d'incapacitas a donc un sens physique. Il n'a
été introduit que tardivement dans une religion romaine pourtant
à nouveau fondée sur l'immolation d'un être humain à une divinité.
Aussi, incapacitas n'a-t-il fait son apparition dans
le latin qu'avec Rufin (env.350-411) et seulement au XVIIe
siècle parmi les Gaulois, où il n'a pris qu'accessoirement
le sens figuré d'empêchement politique. Mais que signifierait
l'incapacité corporelle de payer son dû à une idole
qui vous tend avec une insistance de rapace une escarcelle
à remplir à ras bords et jour après jour? Car, naturellement,
le paiement censé acquitté sur le Golgotha au profit d'un
gibet éternel n'est qu'un leurre matois. Le banquier de l'immortalité
de votre squelette est un marchand madré: il se fera rembourser
sa dette de siècle en siècle et il y faudra le charcutage
à la fois honni et revendiqué d'un innocent aux mains pleines.
En latin classique, la capacitas renvoie au contenu
d'un récipient à remplir. La capacitas des gladiateurs
désigne leur poche stomachale - en ce sens, Cicéron se demande
s'il existe dans son esprit (in animo) une sorte de
réservoir (capacitas).
Mais,
encore une fois, la pesée des perversions de la grammaire
et de la syntaxe du latin ecclésial en appelle à une
anthropologie de l'alliance du sacré avec l'anatomie: quelle
est la signification physique du langage de la foi chrétienne
et de l'espérance démocratique confondues si l'expression
"selon son essence spirituelle" (secundum suam essentiam
spiritualem…), que Benoît XVI applique à la spiritualité
chrétienne dans son ensemble signifie que la parole cléricale
repose de la tête aux pieds, si je puis dire, sur la métaphysique
grecque, laquelle sous-tend la parole divine depuis Platon,
donc sur un discours essentialiste qui jure avec l'esprit
romain. Mais il s'agit de conjoindre le vocabulaire proprement
humain à celui du ciel, l'un charnel, l'autre abstrait. Impossible
de métamorphoser le pontificat romain en un office vaporeux
et dont l'origine, la nature et la finalité émaciées transcenderaient
les charpentes et rompraient le cordon ombilical censé élever
le mythe de l'incarnation de Jupiter au rang de médiateur
patenté entre l'absolu et le contingent, l'insaisissable et
le temporel. Toute la théologie de François est d'enraciner
le christianisme dans le réalisme et de le "déplatoniser".
7 - Le platonisme
chrétien
Pour
comprendre la dimension résolument supra terrestre de l'essentialisme
grec et les causes anthropologiques de l'infiltration de la
pompe byzantine dans la spiritualité occidentale, donc pour
interpréter le conceptualisme platonicien qui compénétrait
à la fois la théologie de Benoît XVI et une foi catholique
demeurée fort concrète sous les ailes d'ange artificiellement
greffées dans son dos, il faut revenir à Rufin et au rôle
qu'occupe ce séraphin dans l'histoire de la langue d'un salut
platonisé.
Après
de longues études à Rome aux côtés de saint Jérôme, qui sera
promu, un millénaire plus tard, au rang de traducteur officiel,
donc sanctifié de l'Ancien Testament et du Nouveau, ce citoyen
de la classe moyenne a passé le reste de sa vie à Jérusalem
et à Césarée, parce que sa connaissance du grec, perfectionnée
auprès de saint Jérôme, lui permettait de traduire dans la
langue toute pratique des Romains les textes les plus abstraits
d'un christianisme devenu métaphysique au contact de l'Orient
des derniers hellénistes. On doit à Rufin la traduction latine
de la théologie extatique de Grégoire de Naziance, ailée de
Grégoire de Nysse et asexuée d'Origène. Tous trois croyaient
que les "idées pures" habitaient un monde invisible et insaisissable.
Le concept avait même précédé la création de l'univers: le
petit artisan désarmé et aux bras courts de la Genèse louchait
constamment en direction de ces déesses verbales afin de s'assurer
qu'il enfantait un monde bel et bien calqué sur les lumières
surnaturelles des abstractions les plus transcendantales et
que sa copie ne comportait aucune erreur dans le trait - on
sait que, dans la caverne du grand maïeuticien de la transcendance
grecque, l'éclat des idéalités divines les plaçait hors de
la vue des prisonniers alignés derrière un petit mur et enchaînés
à leurs bancs par les pieds et par le cou - donc, symboliquement,
face à une inaccessibilité radieuse.
8 - Théologie
et politique de la sexualité
C'est pourquoi il faut entendre dans le sens d'Origène la
phrase ésotérique du traducteur officiel de la Curie, le Celte
qui écrit Hoc munus secundum suam essentiam spiritualem
(Cette fonction spirituelle en son essence). Mais
tout le texte catholique artificiellement platonisé retrouve
bien vite le mythe rassurant et consolant de l'incarnation
de la vérité céleste: la fonction papale (munus) rattrape
l'humain par ses basques. On sanctifiera l'histoire pontificale
au galop de l'expérience, puisque les "essences" censées incapturables
se verront néanmoins conviées à s'exprimer à l'école des contingences
du temporel et du contingent providentiellement récupérés.
Le canal secourable de l'action et de la parole pontificales
suffiront à y pourvoir. Pour François, le salut se construit
péniblement au sein d'une Eglise des pauvres asservie au train
des jours, pour Benoît XVI, une théologie dichotomisée entre
Rome et Constantinople posait un problème insoluble.
Mais
si l'Europe des croyances religieuses ne se faisait pas une
idée ultra platonisée des fondements ultimes de la raison
occidentale et des "essences" sur lesquelles la foi
trouve son appui le plus stratosphérique, Benoît XVI aurait
pu écrire que la fonction pontificale (munus) serait
spirituelle en sa contingence et dans le modeste apprentissage
qui l'asservit à la terre - Hoc munus spirituale …-
François rappelle qu'un pontificat n'est sanctifié que par
délégation expresse et partielle de la grâce de Zeus. Qu'en
sera-t-il, en conséquence, du "souffle spirituel" censé
inspirer le Vatican pas à pas si le sacré en exercice ne constitue
jamais le divin par nature? Origène (185-251) avait si peu
"incarné" le ciel à ses propres yeux et son platonisme était
tellement ardent à prendre son vol qu'il s'est castré afin
d'échapper autant que possible à l'animalité d'un corps terrestre
dont la sexualité présentait l'image la plus repoussante et
la plus scandaleuse aux yeux des chrétiens appelés à flotter
dans les plus hautes régions de l'atmosphère.
Les quatre évangiles portent également l'empreinte indélébile
de l'alliance de la piété grecque avec le séraphisme. Mais
Rome voyait dans la chasteté du prêtre une arme de la
politique. Quand Grégoire VII ordonna le célibat au clergé
en 1074, il n'avait en tête qu'une stratégie - celle de Lyautey,
qui disait qu'un soldat marié perd la moitié de sa valeur
sur le champ de bataille, parce qu'on ne court pas au martyre
avec femme et enfants. Et pourtant Grégoire VII disposait
d'une théologie du "péché de chair" toute prête à servir et
qui n'attendait que l'occasion d'armer une Eglise de guerriers
de la foi qu'Ignace de Loyola fondera en 1540. On lit dans
Mattieu 19,12 : "Il y a des eunuques qui se sont faits
eux-mêmes eunuques pour le royaume des cieux", et dans
Marc, 9,43, "Si ta main est pour toi une occasion de chute,
coupe-la".
9
- La théologie des Tartuffe de la "raison"
Quelle
est la signification anthropologique de l'idée de pureté et
de chasteté qui conduit un ciel platonisé à la castration
de son clergé aux ailes d'ange? La piété asexuée installe
la foi dans un empyrée de la sainteté dont Molière se montrera
le plus génial des pré-anthropologues, mais Stendhal ne le
lui cède en rien : son récit des années de Julien Sorel au
séminaire de Dijon demeure un morceau d'anthologie. Mais si
la foi est un eunuque, elle intéresse plus que jamais la science
historique, la politologie et la philosophie modernes, parce
que la castration cérébrale de l'humanité n'a cessé de se
situer au cœur de la géopolitique.
Certes,
la chasteté est liée à l'apparition d'une espèce qui se voudrait
trans-animale. Elle était déjà un signe de la pureté religieuse
dans Homère - les prêtresses demeuraient vierges leur vie
durant et leur chute dans les "tentations de la chair" était
tellement pécheresse qu'elle était châtiée par la peine de
mort: elles avaient souillé Artémis, Athéna et même Aphrodite.
Mais le monothéisme chrétien est la première religion qui
ait fait de la sexualité un péché universel et qui ait massifié
l'alliance d'origine psychobiologique de la foi avec la continence
- c'est pourquoi la question du statut du sexe faible se situe
au cœur du conflit actuel entre l'Occident laïcisé et l'islam
polygame, donc au centre de la réflexion politique mondiale
sur les droits respectifs de la raison profane et de la raison
religieuse.
10 - Le tartuffisme
du cercle vicieux
Le 3 décembre 1999, le Cardinal Ratzinger publiait dans le
Monde un article qui se voulait "philosophique",
donc critique, mais dans lequel le théologien allemand réaffirmait
l'alliance indéfectible du christianisme avec une "raison"
élevée au rang d'instance charitable et compatissante. Mais
toute théologie est condamnée à fonder sa philosophie de la
raison sur le tartuffisme dont elle dote la notion même de
raison. Car la foi ne cherche pas la vérité, elle déclare
la posséder déjà, de sorte qu'elle se contente d'en vérifier
les applications dans le temporel. Le tartuffisme de la raison
trouve donc son assise anthropologique dans la tautologie,
c'est-à-dire dans le cercle vicieux auquel elle se
condamne à recourir: on sait que l'introspection auto-glorifiante
de la raison tartuffique est née avec saint Augustin et que
Jean-Jacques Rousseau est allé déposer de nuit le saint manuscrit
de ses Confessions sur l'autel de Notre-Dame.
Dans
sa lettre à "Messieurs le Doyen et docteurs de la sacrée
faculté de théologie de Paris", Descartes décrit en
ces termes le tartuffisme dont s'affuble la logique elle-même
: "Et quoi qu'il soit absolument vrai qu'il
faut croire qu'il y a un Dieu, parce qu'il est
ainsi enseigné dans les Saintes Ecritures et, d'autre part
qu'il faut croire les Saintes Ecritures parce qu'elles
viennent de Dieu […] on ne saurait néanmoins proposer cela
aux infidèles, qui pourraient s'imaginer que
l'on commettrait en ceci la faute que les logiciens
nomment un cercle."
[ J'ai analysé l'article du Cardinal Ratzinger dans Le
Monde daté du 28 décembre 1999; mais un quotidien
ne permet pas d'évoquer, même succinctement, le contenu
tartuffique du séraphisme platonicien qui sous-tend la
rationalité religieuse de l'Occident, alors que le soubassement
angélique du cercle vicieux n'est autre que le fondement
anthropologique de toute la mystique chrétienne de l'Orient
et de l'Europe "rationalistes".Le cercle vicieux
présente le visage dévot d'une logique qu'il
a reçue préempaquetée en coulisse
par la foi.]
Voir: Le
christianisme et l'avenir de la raison européenne, Réponse
à Mgr Ratzinger, 28 décembre
1999
11
- Une théologie de la famille
Cette
digression apparente était nécessaire pour poser la question
décisive de l'avenir d'un humanisme occidental dont le choix
théologique du conclave a démontré la signification politique
et la portée anthropologique. Car si l'Occident se laisse
convertir, subjuguer et asservir à l'écoute naïve de l'apostolat
démocratique américain, c'est exactement sur le même modèle
de la candeur qu'il s'était laissé façonner par l'apostolat
chrétien pendant deux mille ans : même propagande bénisseuse,
même chapeautage angélique et condescendant des vassaux, même
séraphisme mondialisé, même soumission des peuples à l'autorité
confessionnelle d'une raison de convertisseurs, même protectorat
messianique, évangélique et rédempteur, même cécité semi volontaire,
même détermination semi consciente de détourner les yeux du
vainqueur armé d'outre-Atlantique, mêmes prosternations devant
la sainte face, ici d'un Dieu crucifié, là d'une Liberté qualifiée
de rédemptrice, de salvifique et d'eschatologique: la démocratie
planétaire est si bien devenue la nouvelle Eglise universelle
que jamais une laïcité rendue myope à l'école même de la "raison"
tartuffique qui la désarme, ne sauvera l'Europe d'Orgon de
sa chute dans l'abîme de la servitude. On
attend le Molière de la démocratie américaine
qui dira, avec l'auteur de Tartuffe: "C'est
une grande atteinte aux vices que de les exposer à
la risée de tout le monde."
Mais
une "spiritualité" qui fait débarquer le ridicule de l'angélisme
démocratique et son illogisme dans la politique de la planète
de Tartuffe renvoie non seulement à une psychanalyse du séraphisme
parental dont toute la théologie platonico-chrétienne porte
l'empreinte, mais à une psychanalyse des idéalités contrefaites
qui apposent le sceau du concept scolastique de liberté
sur une géopolitique de l'abstrait absolutisé. Le tartuffisme
de la raison démocratique a remplacé celui de la foi.
- Le
Ministère de la Culture et l'islam en France 2
, 2 mars 2013
- Le
Ministère de la Culture et l'islam en France,
23 février 2013
12
- L'inconscient carcéral du sacré
Benoît
XVI a, du reste, explicité en ces termes la désespérance qui
frappe toute raison terrestre: "L'enfer, c'est le désert
de l'absence de Dieu". Mais l'épouvante qu'éprouve un
humanisme d'enfant de chœur, l'épouvante de voir s'éteindre
les idéalités protectrices que la démocratie et la foi tant
romaine qu'orientale idolâtrent en commun, cette épouvante,
dis-je, appelle une spectrographie des masques du langage
qui permettent aux fidèles de fuir vertueusement le réel,
à savoir le silence et le vide de l'immensité. Les modernes
se prosternent devant des concepts dévots qui les protègent
en retour, comme ils se prosternaient hier devant le mythe
d'un Dieu des immolations les plus sanglantes du meurtre sacrificiel,
donc les plus rassurantes, parce que les plus dépensières.
Le
premier psychanalyste abyssal tapi au plus secret de la religion
du salut crucificateur n'est autre que Blaise Pascal, dont
toute la théologie de l'alliance de la torture édifiante avec
l'épouvante pieuse renvoie au symbole focal de la panique
d'entrailles qui s'empare jour et nuit des habitants d'une
île déserte dont le "boucher obscur" de la mort assassine
de génération en génération toute la population. On voit à
quel point le petit rationalisme qui auto-angélise l'Occident
met, en réalité, "le fardeau sur les épaules d'Autrui", c'est-à-dire
sur celles de la divinité torturante en personne. La démocratie
sacrificielle et l'Eglise du gibet sauveur offrent le spectacle
de la même dérobade devant le culte du meurtre religieux qui
sert de moteur au sacré dans l'histoire. La dérobade de Caïn
se révèle donc également une auto-immunisation d'Abel. C'est
à ce titre qu'elle fait appel au vaccin d'une foi superficielle,
décérébrée et fondée sur le tartuffisme du cercle vicieux,
ce qui permet aussi bien à l'anthropologue du sacré qu' au
psychanalyste des théologies et de la démocratie confondues
de descendre de conserve dans les arcanes de la bête discoureuse.
On
voit à quel point l'interprétation de la signification
qu'illustre le refus de penser le tragique et le meurtre auxquels
la condition simiohumaine est livrée renvoie à une panique
de type dérélictionnel, celle d'une espèce paralysée des quatre
membres par la terreur de se risquer sur le territoire du
"Connais-toi" des bourreaux.
13
- Pathologie de la terreur
C'est pourquoi l'épouvante religieuse de Benoît XVI - celle
dont témoignait un pontificat hanté par la déréliction du
pécheur - se gardait bien de jamais faire appel principalement
au secours du père assassin, mais seulement au Christ et à
sa mère. Le Nazaréen miraculé faisait figure de calmant suprême
de la foi, de "vaisseau" (navis) à rendre navigable
aux moindres frais et à en mettre le gouvernail entre les
mains des petits enfants, de cataplasme des apeurés et de
leur Eglise, de vaccin chargé d'exorciser le tragique et le
terrifiant au sein d'une histoire universelle prise en étau
entre un paradis patelin et un bourreau dont la sainte justice
s'exerce à l'école des tortures éternelles. Mais à quel point
l'effroi religieux de Benoît XVI le lovait dans le cocon d'une
thérapeutique de l'angoisse, on peut le mesurer à l'aune de
la divinisation ultra médicamenteuse de la maternité de Marie,
qui permet à la théologie catholique de retrouver la déesse-mère
des Anciens - celle d'une vierge immortelle dont Jean Paul
II a puissamment contribué, lui aussi, à assurer la promotion
au sein d'un salut maternisé.
Mais
pour qu'un pape dont la réputation était celle d'un savant
en théologies se réfugie dans la cellule familiale dont la
doctrine officielle lui offre l'abri, et cela au point de
déclarer tout de go aux cardinaux rassemblés par une occasion
aussi solennelle que celle de son abdication qu'ils supplient
Marie de les assister de sa "bonté maternelle"
- sa materna bonitas - dans le choix du prochain protagoniste
de l'histoire universelle, pour qu'un pape infantilisé à ce
point par une foi terrifiée en oublie la tâche immense qui
attend son sucesseur - celle de paraître guider le plus virilement
possible un milliard deux cent millions de chrétiens désarçonnés
par l'interruption médicale d'un pontificat - quel trait de
lumière sur les causes ultimes de la perpétuation, siècle
après siècle, d'une débilité doctrinale bien éloignée
de la sagesse et de la fermeté des vieux Romains.
En 2005, au lendemain de la mort de Jean Paul II, Benoît XVI
n'a-t-il pas annoncé aux fidèles rassemblés dans la chapelle
Sixtine qu'à l'arrivée en chair et en os de Jean-Paul II sur
le seuil du paradis des corps, la charpente du Christ était
venue l'accueillir et que, par une faveur plus exceptionnelle
encore, sa mère biologique avait daigné accompagner le squelette
de son fils sur le pas de la porte de bois toujours vert du
royaume de l'éternité. L'Eglise des enfants du paradis tourne
de siècle en siècle les pages d'une histoire mise en images
à l'intention d'une humanité appelée à demeurer en bas âge.
14 - Le chef
des exorcistes
Mais
un pape ne saurait tomber dans une débilité mentale de ce
calibre par le seul effet d'un dérangement cérébral dont le
diagnostic ressortirait exclusivement à la démence. Ici encore
comme le soulignait René Pommier, l'effroi religieux n'est
pas pathologique au sens asilaire du terme.
[René
Pommier, Etre girardien ou ne pas
être, Shakespeare expliqué par René Girard, Editions
Kimé, 2013]
Ecoutons
Gabriel Amorth, l'exorciste en chef d'une Eglise de
la terreur infernale et des tortures éternelles aux yeux de
laquelle Joseph Ratzinger a "élargi le front du combat
contre Satan dans les cas de possession diabolique, mais également
dans tous les cas de troubles mentaux causés par le démon,
qui représentent quatre-vingt dix pour cent des cas."
On imagine avec quelle rapidité une humanité terrorisée jour
et nuit par le démon, lequel peut s'amuser à vous "faire
marcher sur les murs ou ramper sur le sol comme un serpent",
vous précipite, dans le puits sans fond de l'ignorance et
de la stupidité du Moyen Age.
Mais si l'anthropologie critique observe le meurtre et la
peur au cœur du genre humain, on mesure le défi qui attend
François - et l'on doute que le Saint-Siège soit armé pour
élever la raison spirituelle au rang d'un ange du courage
et du rire. Je rappelle au passage qu'il existait autrefois
une multitude de sorcières chevauchant leur balai et qu'elles
ne se voulaient ni ne se disaient des victimes du démon: au
contraire, c'était à leurs propres yeux et librement que les
malheureuses avaient conclu un pacte à frais partagés avec
Lucifer. Aussi ne se laissaient-elles ni soigner, ni guérir,
ce qui les conduisait tout droit à une crémation dont elles
ne contestaient en rien les fondements théologiques. Les cendres
de la dernière "sorcière" et pécheresse - Anna Göldi
- ont été dispersées à Glaris en Suisse le 17 juin 1782. Mais,
en 1768, Voltaire se résignera à célébrer ses Pâques en grande
pompe, parce qu'il ne voulait pas, disait-il, que son corps
fût jeté à la voirie. S'il avait été jugé au nom de la loi
et s'il avait refusé de se rendre coupable de connivence avec
Lucifer, comment ce relaps et renégat n'aurait-il pas été
reconnu pour un ensorcelé volontaire?
Mais en ce début du IIIe millénaire, une anthropologie pseudo
scientifique et apeurée refuse encore tout net de penser
vraiment le sacré, donc de peser avec courage la finitude
d'une condition humaine semi cérébralisée et, de ce fait,
d'interpréter (deuten) la signification para
zoologique de son infirmité mentale. Il en résulte que, pour
longtemps encore, les sciences dites humaines demeureront
condamnées à une stagnation anthropologique sans remède. Mais
une philosophie de rebouteux patentés qui, de Platon à Kant,
a rarement tenté de faire entrer l'Occident dans une problématique
de guerriers de la lucidité, une philosophie étrangère à l'examen
du fonctionnement semi animal de la boîte osseuse des évadés
inachevés de la zoologie, une philosophie qui ne se donne
pas le cerveau humain actuel et celui de Zeus en spectacle
n'observera jamais la bête en quête de sa "raison". L'infirmité
de la boîte osseuse qui gangrène parallèlement la théologie
pastorale romaine et l'idéologie démocratique en dit long
sur la tâche qui attend l'anthropologie critique.
15 - François
et Benoît
A
partir de ce mois de mars 2013, le seul fait que la civilisation
mondiale présentera à l'humanité le spectacle d'un pape en
exercice et d'un autre "à la retraite" modifiera profondément
la topographie de la réflexion anthropologique et philosophique
sur les religions et sur la nature de leurs paysages mentaux,
ce qui permettra à une raison tombée en léthargie de rallumer
le flambeau du Siècle des Lumières enseveli sous la cendre
du mythe inerte de la Liberté. Par bonheur, une démocratie
irrationnelle est un carré rond ; et si la raison ne devenait
pas contemplative et méditante, donc mieux éclairée que celle
dont le comique de Voltaire, le bucolisme de Renan ou le pansexualisme
de Freud allumaient les bougies, elle ne découvrirait pas
pourquoi elle est devenue un carré rond.
L'Occident
attend l'avènement d'une raison branchée sur une intelligence
plus spirituelle et plus ascensionnelle que celle de la foi
corsetée et confite en dévotions qui a conduit au naufrage
de la pensée dans les démocraties verbifiques. Seule une foi
privée, ici des cierges de la piété ecclésiale, là de ceux
d'une République de l'abstrait sera en mesure d'observer le
genre simiohumain à l'école et à l'écoute d'une spectrographie
des nouveaux déguisements des sacrifices de sang, Souhaitons
que la politique mondiale deviendra un champ d'observation
privilégié du Dieu intérieur auquel Isaïe a fait dire son
abomination pour ses bouchers et ses charcutiers.
C'est
dire également que la pesée de l'animalité spécifique des
dieux d'autrefois exigera la fabrication d'un télescope dont
le miroir géant livrera au regard les reptations d'un animalcule
jeté sur un astéroïde aussi microscopique que lui-même et
dont l'encéphale sécrétait des totems à son image et ressemblance.
Quand les théologies seront devenues des documents anthropologiques
de première force, la raison isaïaque photographiera des insectes
en leurs offrandes les plus sauvages, celles de leurs propres
congénères immolés sur leurs autels. A ce titre, la raison
de demain se voudra un projecteur dont la vocation sera d'observer
les exorcismes qui permettaient à la bête sacrificielle de
conjurer le spectacle de sa solitude dans l'immensité et à
en déposer le fardeau sur les épaules de Zeus.
On
voit que le spectacle de deux papes condamnés tantôt à se
regarder en chiens de faïence, tantôt à converser familièrement,
tantôt à s'écouter et même à se consulter réciproquement,
tantôt à se disputer le sceptre de leur infaillibilité à l'école
des François et des Benoît, tantôt à lutter dans l'arène de
leur image mondialisée, tantôt à assister au combat entre
leurs effigies cultuelles, tantôt à se tendre des pièges théologiques,
tantôt à se lier les mains dans l'intérêt supérieur de l'Eglise,
tantôt à chercher la controverse entre les Anciens et les
Modernes du meurtre de l'autel, tantôt à l'éviter, on voit,
dis-je, que ce théâtre suspendu entre le ciel et la terre
favorisera la conquête de son surplomb à la pensée ascensionnelle
de demain. Quand la lumière de l'intelligence se sera substituée
aux agenouillements d'une raison longtemps prébendée par des
idoles et condamnée à payer tribut à sa bestialité cachée,
le passage du sceptre du "spirituel" des mains des théologiens
d'un meurtre sacré à celles d'Isaïe fera, du feu de la raison
contemplative des prophètes, le Saint Siège de la foi.
le
23 mars 2013