1 - Le récit historique est aux abois
2 - Le pape François et l'avenir du sacré
3 - Les Titans de " Dieu "
4 - L'avenir de la raison politique et l'Europe
5 - Le dépérissement du rêve politique
6 - Une religion en quête de son levier spirituel
1
- Le récit historique est aux abois 
La semaine dernière, je soulignais que ce n'était pas seulement
la science historique qui se trouvait réduite à la portion
congrue, que ce n'était pas seulement le champ de vision de
Clio qui se trouvait rabougri, que ce n'était pas seulement
le trou du souffleur qui se trouvait à ras du trottoir - la
caméra est tombée en panne, le metteur en scène s'est enfui,
l'auteur de la pièce a quitté les planches.
Mon propos était de soulever la question de la nature et des
limites de l'humanisme semi rationaliste hérité du monde antique
et de la Renaissance ;car si notre civilisation devait demeurer
incapable de décrypter le langage des grands mystiques, comment
accèderions-nous à une connaissance anthropologique des secrets
du génie poétique ou du génie musical, mais également du génie
mathématique, tellement la raison et l'intelligence de feu
dont se nourrissent les créateurs dans tous les ordres se
fondent sur une dimension élévatoire et un élan ascensionnel
inscrits au plus secret des consciences sommitales.
Les Anciens honoraient des dieux que nous avons réfutés, mais
du moins savaient-ils que le génie ressortit à un souffle
intérieur, qu'ils appelaient un divinus afflatus. Les
sciences, les lettres et les arts des païens étaient plus
proches que les nôtres du sacré vivant et respirant de tous
les grands artistes. Le monde moderne aurait-il jeté l'enfant
avec l'eau du bain? Certes, les dieux morts offraient le ridicule
de camper sur une montagne, certes, ils mâchaient notre viande
de boucherie. Mais nous n'avons pas à nous vanter des progrès
de notre cervelle, puisque nous n'avons pas encore conquis
de regard sur la bête dont l'encéphale sécrète des personnages
imaginaires, puis les colloque dans le cosmos et va leur apporter
à manger.
Pourquoi, deux millénaires ne nous ont-ils pas suffi à conquérir
une science du carnivore semi cérébralisé qui fait respirer
l'odeur de la chair crue de ses bestiaux aux narines de ses
idoles? Pourquoi la bête que nous sommes demeurés transporte-t-elle
son système olfactif et le fumet de ses rôtis dans le cosmos?
Nos théologies passeraient-elles du cru au cuit, à l'image
de notre cuisine? De toute évidence nous sommes un animal
sui generis, comme on dit.
Certes,
nous ne cessons de nous demander si nous allons quitter la
zoologie. Mais savez-vous que le trépas de Zeus n'a pas cessé
de faire consommer de la chair fraîche à nos dieux, savez-vous
que nous offrons encore des animaux de boucherie à Jahvé et
à Allah et le corps saignant d'un pauvre homme le dimanche
sur tous les autels du dieu des chrétiens? Deviendra-t-il
un jour possible de délivrer notre "vie spirituelle" des carnages
cultuels qui ensanglantent nos offertoires dans le monde entier,
nous sera-t-il un jour permis de sauver le sacré qui, chez
les Anciens déjà, séparait le trésor des mystiques de la sauvagerie
culinaire de leurs congénères attablés aux côtés de leurs
sacrificateurs?
2
- Le pape François et l'avenir du sacré 
Telle me semble la révolution anthropologique dans laquelle
le pape François se trouve embarqué par la force des choses
et à son corps défendant; car son combat contre la pauvreté
spirituelle de notre temps attire l'attention des chrétiens
de bonne volonté sur le fonctionnement de la boîte osseuse
des saints. Mais attention, ces vigies-là se révèlent les
méfiants du cosmos, prenez garde, ces sentinelles-là se veulent
les rieurs en gloire et les spectateurs de la folie du monde
- on ne meurt pas dans l'allégresse sans habiter une étoile.
Ce qui importe à la fois à une anthropologie ambitieuse de
décrypter les mythes sacrés et à un pape dont la première
encyclique, en juin 2013, cite Frédéric Nietszche, ce n'est
en rien de s'attarder sur l'échec prévisible de l'ambition
attribuée au Saint Siège de faire changer de politique et
d'histoire à une bête irrémédiablement dédoublée entre des
mondes iréniques, mais imaginaires, et une terre ensauvagée:
c'est de découvrir la méthode de pensée qui permettrait à
la politologie de demain d'ouvrir l'œil sur un champ visuel
élargi - celui qui nous porterait à la hauteur d'une première
spectrographie trans-zoologique de la vie onirique qui caractérise
la condition simiohumaine depuis notre évasion partielle de
la zoologie.
Pouvons-nous
commencer d' étendre notre regard semi-animal jusqu'à nous
faire apercevoir dans le lointain les contours encore flous
d'un territoire entièrement nouveau de l'histoire réelle du
monde, celui dont l'éthique déjà relativement transanimale,
dicterait sa loi à une interprétation métabiologique de la
chronologie des évènements? Sur le terrain psychogénétique
le déroulement de la pièce ne semblera pas avoir changé de
registre; mais les vrais regardants auront troqué la problématique
d'un cuisinier des dieux contre celle de Socrate et de François
d'Assise, ces métazbiologistes qui se sont élevés à la béatitude,
parce que leur propre globe oculaire était devenu leur soleil.
3 - Les Titans de " Dieu " 
Laissons aux prophètes la tâche d'installer aux yeux des foules
ébahies un législateur herculéen à la tête du cosmos et un
rédacteur en chef des codes pénaux, puisque ces pédagogues
d'un Olympe pour enfants indisciplinés réduiront leurs Titans
au rang d'élèves à éduquer et les rendront un peu moins carcéraux.
Socrate sait, depuis vingt-quatre siècles, que le genre simiohumain
appartient à une espèce adorante de naissance, mais profondément
endormie et qu'il faut lui fournir des civilisateurs, Socrate
l'éveilleur sait que les généraux et les chefs d'Etat terrestres
ne sont que des déclencheurs d'une sublimation collective
rudimentaire ou d'une cristallisation vénératrice automatisée
de cet animal - vingt-deux siècles plus tard, Stendhal redécouvrait
ce phénomène mécanique et soixante quinze ans après lui, Freud
le retrouvait à son tour.
Mais
le mystique, lui, est un civilisateur de haut rang de la divinité
obtuse et barbare à l'usage des nains de son temps.
A ce titre, il sait que le démiurge primitif n'est ni le père
de famille hypertrophié du grand Viennois, ni le lâche du
cosmos qui se défaussait sur un subordonné diabolique de la
tâche musculaire d'alimenter à la pelle le feu de la torture
sous ses marmites infernales. Le mystique sait que "Zeus"
se brûle à la flamme de sa solitude et de sa voyance.
Et maintenant qu'en serait-il d'une géopolitique vaticane
dont la distanciation méthodologique porterait sur les claudicants
de la raison animale du monde, qu'en serait-il d'un Saint
Siège qui porterait le regard d'Isaïe sur la bête idolâtre,
mais aussi le regard des Sophocle, des Swift, des Shakespeare,
des Cervantès, des Kafka, parce que les vrais anthropologues
du globe oculaire de "Dieu" ne sont autres que les allumeurs
sidéraux dont la littérature mondiale a fait ses soleils?
-
Mon Panthéon 2 , 18 janvier
2014
- Mon
Panthéon 1 , 11 janvier 2014
Il
faut se rendre à l'évidence: si la férocité du génocidaire
à courte vue du Déluge se trouvait invalidée, si ce monstre
du cosmos se trouvait disqualifié par sa propre catéchèse
et officiellement excommunié par son successeur, l'humanisme
mondial serait fort embarrassé par l'obligation nouvelle devant
laquelle nous nous trouverions soudainement de prêter une
oreille incrédule à la bête sottement divinisée qui
mettait ses négateurs à l'école des tortures infernales,
faute de les réfuter par aucun argument intelligent et réduite
à invoquer pour seul syllogisme la ceinture de cuir dont elle
avait ceint ses reins.
Le
pape François s'est placé sur le chemin d'un apprentissage
du globe oculaire perfectionné de l'humanité de demain - mais
le regard d'une métazoologie pensante portera sur les secrets
psychobiologiques communs à la barbarie humaine actuelle et
à la barbarie du "Dieu" d'hier. Clio fera-t-elle de ce pape
de transition entre deux ères la poutre maîtresse d'une révolution
de la science historique. Certes, cette mutation est en marche
depuis longtemps dans les souterrains. Mais le regard des
saints de la pensée portera sur la férocité d'un démiurge
des carnivores qui, hier encore, campait à l'aise et avec
toute sa denture dans les têtes. Décidément les crocs de l'homme
et ceux de "Dieu" se civilisent réciproquement et de siècle
en siècle, décidément ces sosies griffus se regardent l'un
l'autre dans le miroir de leur transcendance en gestation,
décidément ce parallélisme ne s'observera jamais à travers
un vasistas béant au raz de la chaussée.
4 - L'avenir de la raison politique et
l'Europe 
Qu'on
marque cette date d'une pierre blanche: en 2013, le regard
de saint François d'Assise a terrassé le regard superficiel
que la Démocratie mondiale portait sur la Démocratie mondiale,
en 2013, le regard flatteur que la Liberté portait sur une
Liberté vaniteuse, en 2013 le regard cajoleur que la Révolution
de 1789 portait sur la Révolution cajoleuse de 1789, en 2013,
un globe oculaire résolument placé à l'extérieur du théâtre
des idéalités spéculaires a observé du dehors les séraphins
cérébraux dont les parfums enivraient la planète. Pour la
première fois, le genre simiohumain a plongé son regard dans
le miroir de ses saintetés verbifiques.
C'est cela, l'évènement abyssal et imprévu, mais qui a ébranlé
dans ses fondements une démocratie bâtie depuis deux siècles
sur des contrefaçons grammaticales de la vie ascensionnelle
de l'humanité, c'est cela qui a mis à nu les sources semi
zoologiques de l'auto-sanctification verbifiques d'un animal
vocalisé. Quelles sont les chances de la France et de l'Europe
de fonder une critique des mots abstraits, donc une anthropologie
capable de scruter les masques idéaux de la bête auréolée
par sa parole? L'ambition de retrouver et de féconder le regard
que les saints portaient sur les mâchoires des évadés de la
zoologie est-elle à la portée de la connaissance expérimentale
d'une espèce dont les outils mentaux sont sur le point de
se rendre parazoologiques? Nullement: la conquête d'un matériau
nouveau de la connaissance rationnelle dépend de l'invention
de l'appareil mécanique qui seul permettra de le découvrir.
Il a fallu fabriquer la chambre de Wilson pour visualiser
des atomes. On attend la chambre de Wilson dans laquelle l'encéphale
des mystiques rendra visibles les syllogismes et les trajectoires
que la bête s'était fabriqués au cours des siècles
précédents.
Pour l'instant, sachons seulement que le pape François est
un fils averti d'Ignace de Loyola et du Poverello d'Assise,
parce qu'on ne pilote pas une théologie en haute mer et dans
les tempêtes du temporel sans avoir appris quelques rudiments
de la politique des animaux parlants. Pourquoi ont-ils enfanté
un ordre religieux composé de légionnaires du ciel ? Pas de
doute, si nous voulons construire la chambre de Wilson qui
nous permettra de relever le tracé des particules élémentaires
du temporel simiohumain et d'observer les rôles respectifs
du glaive et des croix dans les trois principaux mythes polythéistes,
il nous faudra mettre en parallèle les déconfitures de la
foi des guerriers et celles des saints tout au long d'une
histoire conjointe de la démocratie messianisée et de l'Eglise
dite révélée.
5 - Le dépérissement du rêve politique

On
sait que, sous la présidence spéculaire de M. Nicolas Sarkozy,
l'espérance parareligieuse du corps électoral de la France
"si belle en son miroir" avait fait basculer la masse des
électrons du salut vers la gauche de l'échiquier du mythe
démocratique. La rédemption par l'intercession du verbe démocratique
va sans doute passer à droite des médiations finalistes que
la sotériologie démocratique met en scène. Mais quand quatre-vingt
dix pour cent des prosélytes du mythe de la Liberté ont perdu
leurs attaches affectives et cérébrales avec une eschatologie
citoyenne vouée à osciller entre deux rédemptions du temporel,
quand, en arrière-fond du naufrage de la transcendance de
type républicain, le peuple de 1789 découvre la fatalité de
la chute des démocraties dans la médiocrité des âmes et des
têtes, quelle sotte vanité, se dit-on, que de brandir d'une
génération à l'autre, le fanion d'une Liberté désaffectée
et privée de tout contenu sur la scène internationale!
De
même qu'au XIXe siècle la Suisse minusculisée depuis la bataille
de Marignan renonçait à fonder une nation ascensionnelle,
armée d'un esprit sommital et propulsée par une volonté politique
unifiée, parce qu'elle se trouvait réduite à quelques régiments
protestants français divisés entre des Vaudois, des Genevois,
des Neuchatelois, des Valaisans, d'un côté et des protestants
allemands scindés entre des Bâlois et des Bernois de l'autre,
de même, dis-je, on ne forgera jamais qu'une Europe en modèle
réduit sur l'enclume des Finlandais et des Siciliens, des
Suédois et des Grecs, des Danois et des Italiens. Déjà les
maigres phalanges d'Ukrainiens catholiques-uniates de l'Ouest
se disent: "Nous n'avons ni la même langue, ni la même religion
que nos voisins de Crimée. Nous n'avons que faire de ces gens-là."
Pour
ajouter au ridicule des rêveries helvétiques de l'Europe moribonde,
il faut souligner que les cantons microscopiques de la Suisse
des origines - ceux de l'Helvétie des régicides du Moyen-âge
- se sentent à la fois les seuls pères légitimes de la nation
et les Pygmées désacralisés de la patrie de bric et de broc
qui leur a éclaté entre les mains. Si cette nation sauvée
du nanisme par un archer devenu légendaire sous la plume d'un
poète allemand n'était pas désormais dirigée par un conseil
d'administration aussi polychrome et pluriconfessionnel qu'anonyme
et si, depuis 1814, le filtre de la neutralité absentifiante
des fils de Guillaume Tell n'avait pas mis les descendants
de ce héros à l'abri des poisons de l'histoire vivante, la
Suisse se déchirerait entre Zurich et Berne comme l'Europe
de demain se déchirera entre Paris et Berlin - on sait que
le monde hellénique s'est fatalement déchiré entre Sparte
et Athènes sous le regard amusé de la Perse, tellement il
n'existera jamais d'empire politique sainement bicéphale,
résolument tricéphale ou pieusement quadricéphale.
6 - Une religion à la reconquête
de son levier spirituel
De plus, dans le cas où le Vieux Continent tenterait de se
fabriquer une calèche à deux cochers et à quatre brides dont
Paris et Berlin tiendraient les doubles rênes, aussitôt Londres
et Washington se feraient un jeu d'enfant de débaucher le
nord protestant de l'Europe, ainsi que la Hollande, comme
Georges Pompidou l'a expérimenté aux dépens de la France à
l'heure du débarquement du loup anglais dans la bergerie.
Le trépas de l'Europe est devenu aussi inévitable sur la scène
internationale que celui de l'empire résigné de la Louve,
que son titanisme désespérément disparate a vainement divisé
entre deux langues, deux théologies et deux encéphales.
C'est pourquoi l'Angleterre découvre qu'elle s'était affolée
pour rien de 1950 à 1970. Le Traité de Rome ne ressusciterait
pas Jules César, Charles Quint, Napoléon ou Hitler. En 2014,
il est temps, pour Albion, de reprendre le large. On l'a bien
compris avec la découverte des milliards de dollars dépensés
en secret et depuis des années par Washington pour faire exploser
l'Ukraine au nez de la Russie: pas un seul organe de presse,
pas une seule télévision du Vieux Monde n'en ont fait état,
et tous les Etats vassalisés du continent de Copernic ont
assisté motus et bouche cousue au déroulement de la pièce,
parce que le seule remuement des lèvres qui aurait interrompu
le déroulement cocasse de la représentation aurait fait demander
aux entractes à l'enfant du conte d'Andersen: "Qui sont ces
cinq cents légions de l'étranger que je vois stationnées sur
votre territoire?" Non seulement les civilisations naufragées
n'ont plus de regard sur leur destin militaire, mais elles
ne sont même plus spectatrices des garnisons de leur vainqueur
incrustées depuis des décennies sur leurs arpents.
La
semaine prochaine, nous verrons comment un pape inspiré par
le génie politique des grands mystiques de la liberté a commencé
d'observer le sac de cendres sous lequel la bête politique
de type européen se cache la tête. Car enfin, se dit le pape
François, les historiens de la foi dite apostolique seront-ils
condamnés à relever que, tout au long de l'agonie
du christianisme romain, les derniers grands pontifes de cette
religion n'auront pas levé le petit doigt au spectacle de
la chute, un siècle durant, de la civilisation occidentale
dans la servitude politique.
L'homme est un animal en voyage entre le temporel et le mythe.
La sotériologie chrétienne et la sotériologie républicaine
rendront-elles leurs trajectoires parallèles observables?
Parviendrons-nous à filmer le destin eschatologique de notre
planète dans la chambre de Wilson de la foi?
C'est
ce que nous verrons la semaine prochaine.
le 14 mars 2014