Eclaircissements 
Avec la mise en scène politique d'un personnage imaginaire
- un revenant qui aurait changé de tête ( Discours
de campagne d'un revenant qui aurait changé de tête
, 4 octobre 2014) - je n'ai pas troqué
un acteur en chair et en os de l'histoire contre un fantôme,
mais j'ai tenté, bien au contraire, de faire débarquer dans
l'arène les protagonistes réels d'une espèce onirique par
nature et par définition. Comment les évadés partiels de
la zoologie qui, depuis le paléolithique supérieur se déplacent
à mi-hauteur entre la terre et leurs soleils intérieurs
se rendent-ils observables tantôt dans les airs, tantôt
à ras du sol?
Les protagonistes en chair et en os de l'histoire des peuples
et des nations se répartissent entre les rêveurs ascensionnels
et les voletants dans leur poussière. Ce phénomène introduit
une hiérarchie des âmes et des cervelles dans le récit de
tous les évènements. On l'a bien vu avec une Académie des
sciences morales et politiques qui, depuis 1832, s'est révélée
une invention de la Monarchie de Juillet et qui, à ce titre,
se réclame d'une objectivation illusoire du monde dont l'anthropologie
critique radiographie les instruments pseudo explicatifs.
Dès
1802, Chateaubriand proclame - quelle audace - qu'il ne
s'occupe que de "théologie poétique". C'était
dire, avec plus de deux siècles d'avance, que l'homme est
à lui-même une poétique ambulante et que toute théologie
n'est qu'un art poétique déguisé en cosmologie fantastique.
L'ascensionnel humain se manifeste dans les religions, la
littérature, la peinture, la musique, l'architecture, la
science. Les sentiers descendants sont ceux de l'auto-rabougrissement
académique ou sacerdotal. Dans les deux textes qui suivent,
je ferai se parler à lui-même un acteur central de l'ascensionnel
humain, le pape François.
Car
le débarquement effectif de ce poète de l'histoire dans
l'arène de la géopolitique contemporaine se poursuit à la
faveur même de l'échec de façade d'un Synode chargé, en
principe, de réformer le statut des divorcés et de soumettre
la morale de l'Eglise non plus aux décrets d'une dogmatique
inébranlable, mais aux observations de l'évolution mondiale
des mœurs, dont la vocation scientifique s'inscrit dans
la postérité sociologique de la Renaissance. Du reste, ce
tournant doctrinal semble avoir été expressément programmé
par le Saint Siège lui-même: il lui fallait accéder à la
communication de masse. Sinon, comment expliquer non seulement
que la Curie ignorerait l'état d'esprit de la majorité des
deux tiers du clergé, mais que personne n'aurait informé
le pape que son Eglise n'est pas près de légitimer l'homosexualité
et de relativiser une morale inscrite dans les chromosomes
de la bisexualité de notre espèce?
Raison de plus, pour une anthropologie de l'histoire branchée
sur une interprétation métazoologique de la géopolitique,
de proposer au lecteur une réflexion de fond sur l'encéphale
des chefs d'Etat élus au suffrage universel. Car ceux-ci
se révèlent tragiquement sous-informés de l'état des sciences
humaines d'aujourd'hui: ils ont pris un retard non moindre
que celui de l'Académie des sciences morales et politiques
dans la connaissance nouvelle que notre espèce a acquise
d'elle-même au début de ce troisième millénaire. Observons
donc les embarras d'un Saint Siège d'avant-garde. Comment
s'adapter au monde sans renier le vide de la pensée théologique,
qui ne pense jamais par elle-même, mais qui charge un tiers
mythique de penser à sa place afin de donner à sa réflexion
une caution censée irréfutable et de rendre son autorité
publique inébranlable.
1 - Un mystique au timon de l'Eglise
L'année
où j'ai publié - c'était en 1965 - mon Essai sur l'avenir
poétique de Dieu, j'étais loin de me douter que,
quarante huit ans seulement plus tard, un acteur de la spiritualité
chrétienne tenterait de débarquer subitement sur une scène
politique rendue muette à l'école de la médiocrité de ses
élites : le pape François. A l'époque, le débat philosophique
concernant le statut des religions faisait encore écho aux
fracas du siècle des Lumières en ce qu'il portait, d'un
côté, sur le rang intellectuel et psychique du sacré, de
l'autre, sur la nature et le statut des sciences du calculable.
Constatant,
il y a un demi-siècle, que le Dieu polymorphe des
chrétiens de mon temps n'était plus celui de Voltaire, et
encore moins celui du siècle ecclésiocratique précédent,
je me demandais seulement pourquoi Bossuet, Pascal, Chateaubriand
et Claudel s'étaient obstinés à feindre de mettre en scène
une divinité artificiellement centralisée alors qu'en fait,
ils évoquaient déjà quatre géniteurs défocalisés du monde,
lesquels n'accordaient ni la même voix au mythe, ni ne le
laissaient afficher la même démarche, ni ne pratiquaient
la même politique, ni n'usaient d'un art unanime d'orchestrer
le cosmos. L'humanisme occidental avait-il donc si peu progressé
depuis le Moyen-Age que tout le monde brandissait maintenant
une effigie diversifiée, mais sur laquelle personne ne s'accordait
plus? Que faire d'un scénario flottant et d'une divinité
irréfléchie, mais encore artificiellement centralisée à
Rome?
Certes,
me disais-je il y a cinq décennies, le Saint Siège
n'est ni un apprenti de l'histoire et de la politique, ni
un néophyte du pilotage concerté de notre encéphale parmi
les récifs du temporel. Longtemps, le destin bruyant ou
tranquille de la cervelle du monde d'ici bas et de là-haut
était passé par le creuset de la schizoïdie catholique.
Les croisades, la querelle des investitures, les guerres
de religion du XVIe siècle, l'anti cléricalisme de la Révolution
française, la séparation progressive de l'Eglise et de l'Etat
à la suite de la loi de 1905 sur le statut d'une République
laicisée, tout cela avait forgé le destin dichotomisé d'une
espèce scindée de naissance entre le surréel et le terrestre,
donc d'un animal bifide et rendu d'avance aussi impuissant
à confondre qu'à séparer clairement ces deux coulées du
temps tumultueux ou sommeilleux - mais toujours biphasé
- des peuples et des nations.
Mais, depuis longtemps, les guerres bipolaires de la théologie
ne se lovaient plus au cœur de l'aventure cérébrale et politique
des fuyards de leurs ancêtres toisonnés: le quadrumane à
fourrure que vous savez semblait avoir achevé la course
aventureuse de ses schizoïdies cérébrales. Du coup, le Zeus
d'hier s'était endormi dans les ultimes marmonnements de
sa créature ; mais celle-ci est néanmoins demeurée plus
bicéphale que jamais, puisque le sceptre du prix Nobel de
la foi est tombé des mains du Créateur dédoublé de la bible
dans celles du grand Pontife américain qui, depuis 1945,
officie à la tête d'une Eglise plus impériale que la précédente
, celle des Saintes Ecritures apocryphesde la Liberté démocratique
mondiale.
Nous
n'avons rien gagné à ce basculement du goupillon du ciel
des modernes dans les caisses d'un suffrage universel plus
scindé que jamais. Le pape François a pesé les poids respectifs
de la tiare du Dieu romain et de celle de son rival triomphant,
le Jupiter de la Justice et du Droit auquel les rois de
la finance internationale présentent désormais leurs
offrandes.
Le
Saint Siège a donc observé avec attention les erreurs de
parcours et de jugement de l'une et de l'autre de ces divinités
administratives; et il a remarqué que la balance de la première
s'est rouillée entre les mains d'un sacerdoce de célibataires
et celle de la seconde dans les ateliers de la bureaucratie
de la Liberté. Et il s'est dit qu'il était temps de changer
le fléau, les plateaux, les poids et les mesures des deux
Curies. Si la boîte osseuse de la bête se trouve encore
encombrée de la ferraille d'une cosmologie mythique, comment
y rallumer les flambeaux de la vie ascensionnelle de l'humanité?
Mais si cet animal trébuche maintenant parmi les auréoles
de la sainteté des démocraties verbifiques, à quoi bon troquer
l'Olympe ancien pour les lampadaires de la sainteté des
droits de l'homme?
2
- Une métaphore existentielle 
Dès le séminaire, le pape François s'est fait remarquer
parmi ses condisciples par la propension naturelle de son
esprit à observer les taupinières de l'endroit réfléchies
dans un ciel local et un ciel local dans les coutumes et
les mœurs des populations. En 2014, la paléo-anthropologie
des hérésies en dit aussi long qu'autrefois sur la diversité
des aventures à la fois cérébrales et géographiques des
premiers évadés de la zoologie. Et pourtant, depuis les
origines du christianisme, les scissions doctrinales et
neuronales confondues du simianthrope se laissent toutes
recueillir dans un seul filet des songes sacrés, celui de
l'arianisme: à toutes les époques et en tous lieux, il s'agit
toujours et principalement de savoir si le Dieu incarné
braillait dans son berceau ou s'il lui avait fallu attendre
patiemment l'âge adulte pour égaler en esprit son Père domicilié
dans le ciel.
Afin
de ne pas dichotomiser trop brutalement la personnalité
d'un Dieu encore vagissant dans les langes, la question
avait été tranchée avec simplesse dans le sens de l'unité
évidente et censée facile à comprendre de la personnalité
dédoublée du Sauveur. Mais à cette résolution décidément
trop rudimentaire du Concile de Nicée en 325; avait succédé
celle, plus affinée, du Concile d'Ephèse de 431 et celle,
embarrassée, du Concile de Chalcédoine de 451: le pape Léon
1er avait décidé que Jésus n'était Dieu qu'à l'heure où
il marchait sur les eaux, changeait Lazare en sursitaire
de sa mort, guérissait un aveugle ou un paralytique, mais
nullement quand il se mettait en colère, maniait le fouet
parmi les changeurs du temple ou tombait de fatigue.
Mais, puisque l'Eglise ne pouvait s'offrir le luxe de renoncer
d'un seul coup à l'ambiguïté politique de substantifier
les métaphores de la vie spirituelle de l'humanité - elle
y aurait perdu le contact pastoral indispensable avec les
masses illettrées de l'époque - où fallait-il faire passer
la clôture intérieure entre l'homme ascensionnel et le Dieu
extériorisé et banalisé de tout le monde? Impossible d'en
décider au gré des circonstances et des vœux changeants
de l'auditoire. Aussi, la doctrine autorisée en est-elle
venue à théoriser une psychophysiologie de l'abaissement
du mythe de l'incarnation du ciel:
le prophète s'est vu doté de "deux natures" aussi artificielles
l'une que l'autre. De nos jours encore, le catéchisme
officiel de la religion romaine enseigne que Jésus aurait
retrouvé la rate, le foie et les organes de Zeus ou d'Athéna
(Voir Catéchisme romain, 1992, p.104, n°468).
Aussi le pape François ne peut-il faire un pas dans l'ambiguïté
de la politique et dans la géhenne de l'histoire sauvage
du monde sans se demander comment l'Eglise et lui-même marchent
dans une mixture et une décoction du ciel et de la terre.
Le Vatican va-t-il se dépêtrer d'une métaphore entêtée à
se colloquer des deux côtés de l'humain? S'il s'avisait
d'envoyer à la casse le vieux Lucifer et l'armée entière
des exorcistes assermentés que Rome a placés bien en vue
ou seulement en images auprès de tous les évêques de la
chrétienté, s'il livrait au feu des tonnes de cierges et
d'encensoirs patentés, s'il disait sans attendre,
avec le Bérenger du XIe siècle, que les chrétiens sont devenus
une "troupe de sots" de s'imaginer que le vin de
leurs messes se changerait subitement en sang humain et
métaphorique confondus et le pain de leur sacrifice en chair
de composition cellulaire et figurée bien emmêlées, s'il
livrait aux flammes d'un incendie planétaire les cargaisons
d'ex-votos, de prie-Dieu et de statuettes de bois,
de pierre ou de plâtre façonnées par des magiciens de leur
foi, il dresserait contre lui des régiments de sorciers,
de devins et de scribes - et ses jours seraient comptés
à la tête de l'Eglise; mais s'il laissait le genre humain
à ses prosternations en chaîne et sous la grêle de
ses sortilèges , comment construirait-il la balance de Dieu
que le siècle attend? Car, pour fabriquer la balance à peser
les têtes et les cœurs, c'était le roi des âmes en personne
qu'il fallait livrer là-haut aux fondeurs et aux forgerons
du Dieu de demain. Or, les Eglises sont des musées du rêve
d'éternité qui taraude le genre humain. On y expose des
lanternes immortelles et des flambeaux éteints. Comment
empêcher l'Eglise des torches vives de s'éteindre dans l'Eglise
des âmes mortes?
3
- Qu'est-ce que " l'esprit " ? 
Et
puis, François est un mystique attisé, d'un côté, par l'ordre
des Jésuites, qui le compte dans ses rangs et, de l'autre,
par le Poverello, fondateur de l'ordre des Franciscains.
Or, les divers ordres religieux se réclament en tout premier
lieu des témoins du ciel qui répondent à leur vocation spirituelle
spécifique. Parmi les saints, les uns se veulent des protagonistes
de l'histoire en sang, les autres, des méditants. Ceux-là
tournent le dos aux acteurs tombant dru du ciel de la politique.
Ignace
de Loyola était un guerrier-né. Il avait été rendu infirme
des deux jambes au siège de Pampelune. Du coup, le rescapé
boiteux avait fondé un ordre para militaire et avait pris
la tête des héros d'un ciel marchant au pas sur la terre.
La Compagnie de Jésus est rangée en ordre de bataille sous
les ordres de son général. La théologie du chef des paradis
de la foi porte les galons du code qui font la force des
armées. La discipline militaire endosse la casaque d'un
catéchisme. Les cohortes de la piété défilent au pas de
charge - les pécheurs descendent à l'abîme en rangées bien
ordonnées. Toute sa vie, Ignace a jugé que le centre de
commandement de la Trinité manquait d'un képi. Peu de temps
avant sa mort, il avait assisté en rêve à une délibération
de l'état-major, composé du Père, du Fils et du Saint Esprit,
qui avait décidé d'adjoindre à son quartier général un expert
de la guerre, ce qui élevait le triumvirat théologique officiel
à une quaternité aguerrie.
Le
Poverello, lui, était un convertisseur enflammé - mais on
ne sanctifie pas la pauvreté sans obéir à une vocation érémitique.
Comment François accorde-t-il le génie politique de l'homme
d'épée avec l'appel de la Thébaïde? Un pape attiré à la
fois par le désert et par les arènes du monde voit notre
temps prendre rendez-vous avec Israël à Gaza. Bien plus,
le christianisme est condamné, deux mille ans après l'épreuve
à la fois réelle et métaphorique que le chrétien appelle
le Golgotha, à en découdre à nouveaux frais avec Israël
et, cette fois-ci, à l'échelle de l'histoire et de la politique
de la planète tout entière, parce que le peuple de Jahvé
tente, depuis soixante-dix ans et les armes à la main, de
retrouver la Jérusalem terrestre et toute la Judée des géographes.
Comment,
dans ces conditions, le monde moderne ne poserait-il pas
à la fois au peuple de la Bible et au peuple chrétien la
question: "Qui es-tu? Qu'appelles-tu l'esprit?"
4
- La vie rêveuse des demi-cérébralisés 
Dès lors que le pape est redevenu un acteur de poids de
la géopolitique, mais sans que la science historique ait
comblé son retard épistémologique et conquis les méthodes
d'interprétation rationnelles des mythes religieux qu'attend
notre siècle - depuis plus d'une génération, les philosophes
reprochent à Clio de se montrer petitement "événementielle"
- le retour spectaculaire de la diplomatie vaticane sur
la scène internationale contraindra inévitablement la narration
chronologique, donc irrémédiablement superficielle, de mettre
un canon sur la tempe du héros qu'on appelait l'objectivité.
Cet oracle est-il un muet de naissance? Son verbe conquerra-t-il
un recul révolutionnaire à l'égard du sens caché des mythes
de type théologique? Il y faudra rien moins que le déchiffrage
du cerveau onirique de l'humanité, donc un décodage anthropologique
des orthodoxies et des hérésies.
Du
coup, le territoire de la métazoologie s'étendra à l'analyse
du dialogue secret entre les bouches à feu d'Ignace de Loyola
et le feu intérieur de François d'Assise - ce qui enrichira
la science du passé sur plusieurs points décisifs, tellement
la science historique devra s'armer d'une connaissance simiantropologique
de la vie rêveuse d'un animal demi-cérébralisé. Car la notion
même d'objectivité est tombée en quenouille au sein de la
politologie mondiale.
Pour
tenter de comprendre le sens de cette aporie, commençons
par constater que le pape François n'entretient nullement
des relations catéchétiques banales et ridiculement scolaires
avec Ignace de Loyola. Un demi-millénaire après la fondation
de l'ordre des Jésuites, il n'est pas homme à contempler
les rangs serrés des malheureux censés marcher en ordre
de bataille vers l'Hadès. En revanche, les mythes vivants
sont des fenêtres grandes ouvertes sur les secrets les mieux
cachés du genre humain. On y contemple une espèce encore
enveloppée dans les langes d'une théologie puérile. A ce
titre, un pape humaniste sait que les cosmologies fabuleuses
et ensanglantées présentent aux hommes d'Etat et
aux historiens pensants le spectacle d'un monde de blessés
à mort et que les affabulations sacrées sont à la
fois les creusets et les décalques de la politique mondiale.
Alors
que la Compagnie de Jésus connaît de l'intérieur les fauves
qu'on appelle des Etats et des empires, le saint d'Assise
illustre l'autre face de la religion du Golgotha. Et puisque
le christianisme du XXIe siècle s'accommodera mal d'une
divinité aux yeux fermés et aux oreilles bouchées, le rendez-vous
spirituel de l'Eglise romaine avec le sens caché de son
propre récitatif apostrophera en retour le Vatican de la
tradition sacerdotale. La Curie reniera-t-elle le vrai message
de la Croix? Ponce Pilate, le Sanhédrin, Judas et la sueur
de sang du prophète au jardin d'agonie de Gethsémani, tous
les protagonistes semi mythologiques que la narration fondatrice
du christianisme a portés à une cosmologie symbolique et
réaliste confondues trouveront-ils place dans une orthodoxie
plus houspillée que jamais entre ses deux figures emblématiques,
Ignace de Loyola et François d'Assise?
5 - La guerre entre la Lettre et l'esprit
Mais il y a plus : il existe un lien profond entre les croyances
religieuses et les "exercices" du soldat bien entraîné.
Même aux yeux d' Erasme, qui a publié en 1503 un Poignard
du soldat chrétien (Enchiridion militis christiani),
c'est le poignard de Dieu à la main et sur les champs de
bataille du ciel que le royaume de Dieu se conquiert. Les
célèbres Exercices spirituels de saint Ignace
renvoient aux exercices guerriers du seul fait que
le verbe exercere renvoie à l'exercitus, l'armée
- donc à l'entraînement continu, à la souffrance physique
et à l'exténuation du fantassin dans la quotidienneté de
la vie militaire dont Alfred de Vigny évoquait la grandeur
et la servitude confondues. Mais, en grec, exercice
se dit askèsis , qui a donné ascèse en français.
L'ascèse monastique est copiée sur la vie réglée et épuisante
des camps, parce que l'empire des cieux se travaille comme
une terre à féconder. Le moine qui se lève à deux heures
du matin pour prier sait que seul un travail acharné et
aride fait exister Dieu.
Si la citadelle entourée de la muraille de ses métaphores
- on l'appelle le Saint Siège - tentait de passer au large
de ses retrouvailles avec son labourage bi-millénaire de
l'histoire universelle, la science historique y perdrait
son champ de manœuvre et le christianisme doctrinal ferait
naufrage dans l'oubli de son rêve de justice. Ignace rappelle
à ce pape que la politique est la sueur de l'histoire en
marche et que l'homme d'Etat ignorant des rouages et des
ressorts langagiers du sacré est un idiot qui se
raconte une histoire de fou, comme dit l'anthropologue William
Shakespeare , tandis que François d'Assise raconte aux serviteurs
ritualisés d'un culte vieilli que l'homme est un animal
désespérément ascensionnel et assermenté
à titre seulement subalterne en ce bas monde.
Mais
comment se colleter avec le temps de l'histoire en ce début
du IIIe millénaire, comment conduire à bon port la barque
de saint Pierre si le rêve d'une alliance de la foi avec
la justice gît dans les décombres de Gaza où, une fois de
plus, Israël donne rendez-vous à la guerre multimillénaire
de l'humanité entre la Lettre et l'Esprit?
6
- Le polythéisme larvé de M. Barack Obama 
Le
pape François est descendu résolument et sans attendre dans
l'arène instable de la politique mondiale, mais nullement
aux côtés d'un Dieu des chrétiens redevenu explosif et dont
la dynamite reste entièrement à faire débarquer sur
la terre. Ce pape s'est présenté aux côtés des légions traditionnelles
de ses Jésuites au garde-à-vous et de quatre-vingts de ses
ambassadeurs de choc; et il s'est bien gardé d'invoquer
la voix irénique de la religion du Golgotha, mais exclusivement
celle de la raison politique en armes et de la sagesse diplomatique
la plus aguerrie.
Pourquoi
a-t-il néanmoins appelé les nations civilisées à demeurer
dans leurs casernes au lieu de se ruer l'arme au poing sur
la Syrie? Pourquoi les revues bien affûtées
de la Compagnie de Jésus ont-elles diffusé sur les cinq
continents un message exclusivement ancré dans la logique
de la civilisation du droit international? Certes, le pape
François a rudement admonesté la France des Lettres, des
arts et de la pensée rationnelle, donc de la santé mentale
d'ici-bas. Mais où avait-il caché le Dieu en gésine qui
alimentera la planète du feu et de la fournaise de la vie
spirituelle de demain?
Décidément,
se disait le Saint Père, notre pauvre espèce ne saurait
demeurer plus longtemps l'otage de son double orphelinat,
celui de ses sciences exactes, d'un côté, dont les fiers
travaux ne l'ont conduite à aucun éclat des âmes et à aucun
resplendissement des intelligences contemplatives et, de
l'autre, au veuvage des Eglises, dont le dessèchement dans
les routines du culte et dans l'exténuation des catéchèses
étalent la ruine spirituelle de tous les sacerdoces.
Et
puis, le rendez-vous du siècle avec les lois sauvages du
temporel se révèlent plus universelles et plus féroces que
jamais: il a fallu réhabiliter en toute hâte une théologie
squelettique de la sauvagerie de la "guerre juste", mais
au détriment des oriflammes des "guerres justes" d'autrefois,
qui se trouvaient si effrontément qualifiées de "saintes",
parce que le ciel du bon sens rendrait burlesque, hélas,
une religion dont le pacifisme oratoire proclamerait hérétique
d'arrêter la marche des coupeurs de têtes en Irak. Mais
si, quelques siècles auparavant, les Vandales, les Burgondes,
les Wisigoths, avaient envahi l'Europe, c'était, selon saint
Augustin, parce que le Zeus de Job et celui des chrétiens
voulaient démontrer d'un commun accord à leurs frêles créatures
qu'ils n'avaient en rien à se préoccuper des sanglantes
broutilles du temporel. Mais alors, comment garder intacte
parmi les barbares la barque de la théologie biphasée des
chrétiens?
7
- La dérobade des intellectuels de la foi 
Décidément, si saint Ignace et saint François d'Assise se
révèlent les génies tutélaires de l'Eglise romaine, leurs
théologies respectives donnent bien du fil à retordre au
Saint Père. Et pourtant, il y avait urgence à brandir le
glaive de la foi parmi les infidèles, les ignorants et les
sots, parce que la vie théologique d'une humanité titubante
avait été confiée à un président des croyants d'outre-Atlantique
tellement ignorant des affaires de là-haut - donc également
de celles d'ici-bas - qu'il s'était exclamé: "Aucun Dieu
ne demande l'assassinat des femmes et des enfants, aucun
Dieu ne demande la décapitation publique des hérétiques",
alors que, dans le même temps, il appelait le monde entier
à suivre le panache blanc de sa propre sainteté contre la
Russie de Dostoïevski et de Tolstoï et que son ministre
de la guerre, M. Hagel, proclamait que les légions en armes
de la patrie des Tsars étaient "aux portes de l'OTAN"!
Washington se rappelait peut-être que, depuis le Déluge,
les trois Dieux uniques actuellement en exercice pratiquent
jour et nuit l'assassinat de masse et torturent sans relâche
leurs offenseurs aux enfers. Mais qu'allait faire la Russie
avec ce Dieu-là sur les bras?
Et
puis, le guide de la démocratie réputée la plus sainte du
monde pouvait-il confesser que les théologies monothéistes
sont à la fois génocidaires, et fondées sur la sainteté
d'une seule et même justice? L'incohérence théologique,
donc cérébrale, de la Maison Blanche posait aux disciples
des trois monothéismes des questions anthropologiques aussi
insolubles que celle-ci: quelle est l'identité mentale des
démiurges bibliques les plus unifiés et de leurs créatures
les plus pieuses, quelle est la cohérence cérébrale de l'arianisme
de type démocratique, puisque ce manichéisme se veut aussi
dogmatique et séraphique que les précédents? Seul l'absurde
serait-il vrai, comme le soutiennent tant de mystiques et
depuis tant de siècles?
Dans ce cas, comment s'y retrouver dans le chaos des démiurgies?
Un pape ne peut ni s'en tenir au credo quia absurdum,
(Je crois, parce que c'est absurde) ni refuser l'absurde
sans rejeter le mystère et réhabiliter le Démon censé se
cacher dans les recoins de la pensée logique. Mais alors,
Ignace ne cesse de rappeler au Saint Siège les droits imprescriptibles
qu'exerce un réalisme politique indispensable, hélas, à
la conduite d'une Eglise installée sur la terre - et l'absurde
devient la godille des dérobades intellectuelles multiséculaires
de la foi.
*
Le
souverain Pontife reprendra le cours de sa réflexion la
semaine prochaine. Il se demandera notamment si le Dieu
du simianthrope actuel se trouve placé à la hauteur des
questions métazoologiques que la démocratie mondiale pose
à la théologie chrétienne. Faut-il changer de divinité ou
retrouver le vrai Dieu sous les loques du Dieu de Washington?
Post
Scriptum 
J'écrivais
le 25 juillet:
"A partir de cette date, et compte-tenu qu'on ne luttera
efficacement contre le naufrage de la langue française que
si le Président de la République et le Premier Ministre
se voient nommément mis en cause, je relèverai quelques-unes
de leurs fautes."
-
1 - M. Valls dit: La France a procédé à
des économies conséquentes. On dit:
La France a procédé à des économies
importantes.
-
2 - M. Hollande confond cesser et arrêter:
on arrête une force matérielle, on cesse de
se livrer à telle ou telle activité.
Le
31 octobre 2014