Le 30 septembre 2018, une singulière nouvelle a provoqué
un grand étonnement dans les médias. Des députés, des avocats
et divers notables ont interpellé l'Eglise de Rome: pour
quelle raison se voulait-elle à ce point absente de la vie
politique et au premier chef de la vie parlementaire de
la République?
Et
pourtant,
en 2013 le Général des Jésuites, un Italien devenu archevêque
de Buenos Aires, accédait à la papauté et renouait aussitôt
avec le rêve de saint Ignace, celui de convertir les centaines
de milliers de Chinois au christianisme. Ce rêve était-il
réalisable ou bien le monde avait-il tellement changé que
cet objectif n'était plus réalisable? C'est la question
centrale que pose notre époque, parce que le pape actuel
n'a pas d'ambition plus haute que de concrétiser
un aussi immense projet et donc de reprendre pied dans l'histoire.
Alors
que les dieux anciens étaient d'autant plus audibles et
crédibles qu'ils faisaient le plus de brut possible dans
la politique et dans l'histoire de leur temps, un dieu nouveau
s'était présenté dans l'arène du temps des peuples et des
nations il y a deux millénaires. Loin de chercher comme
ses collègues à intervenir bruyamment dans les affaires
du monde, ce dieu-là faisait de grands efforts à se rendre
absent de l'histoire du sang et des carnages qui font le
quotidien des peuples et des nations. Et, loin de chercher
à multiplier ses adeptes, il semblait avant tout désireux
de multiplier ses martyrs.
Sept siècles plus tard, un nouveau dieu unique, du nom d'Allah,
mettait un bémol significatif à cette définition nouvelle
des dieux uniques : loin de se présenter en champion de
l'ignorance, celui-là proclamait que "l'encre du savant
serait aussi précieuse que le sang des martyrs".
Mais
il n'avait pas réussi longtemps à tenir sa promesse: après
quelques tentatives louables de redonner vie à des textes
antiques dont la pieuse ignorance des chrétiens avait perdu
la mémoire et les avait presque totalement détruits, le
nouveau venu avait à son tour dressé une barrière d'interdits
autour des forteresses sacrées des connaissances de l'époque.
Pendant
ce temps, qu'en était-il du dieu des chrétiens? Son
ardeur se ramenait à retirer ses fidèles de l'arène du sang
et de la mort. Tous
les ordres religieux, des dominicains aux cordeliers, des
ordres mendiants aux bénédictins et plus tard des trappistes
aux chartreux ont tenté de se retirer des tumultes de l'histoire
d'Adam. Or, en 410, le sac de Rome par les barbares avait
déjà posé au cœur du christianisme la question de savoir
ce qu'il fallait penser d'une divinité incapable de protéger
ses fidèles de la défaite et sa capitale du
saccage.
Cependant la décision des ordres religieux de sortir du
monde avait reçu un premier coup d'arrêt au siège de Pampelune
en 1521, à la suite duquel un certain Ignace de Loyola,
fondateur de l'armée appelée Compagnie de Jésus et devenu
son premier général, avait redonné au christianisme la vocation
de doter les chrétiens d'un guide et d'un chef sur le modèle
militaire. C'est à cette tradition que se rattache la vocation
de l'actuel pape François.
Mais
il aura fallu attendre deux millénaires pour assister au
pire: il se trouvait maintenant révélé que la découverte
de la composition ultime de la matière conduisait effectivement
à la possibilité de l'auto-anéantissement de l'humanité.
Et le dieu des chrétiens ne pourra pas davantage
l'empêcher qu'il n'avait pu empêcher la destruction de sa
capitale en l'an 410.
Cela
signifiait-il que la décision originelle du dieu de retirer
le sacré de l'histoire et de tout le temporel conduisait
purement et simplement au suicide universel en commun? Quoi
qu'il en soit, il devenait évident que le mythe d'un créateur
du ciel et de la terre, donc de l'univers de la matière
et de la sphère cosmique, se trouvait désormais placé
à un tournant décisif, celui de la mort du concept d'absolu.
Il était devenu impossible de voir surgir une nouvelle divinité,
impossible de ressusciter l'ancienne et enfin impossible
de trouver un fantastique et un fabuleux nouveaux en remplacement
des dieux uniques usés et impossibles à régénérer. Le rêve
du pape François paraissait futile car la question
entrait dans le tragique le plus désespéré, puisque nous
ne savions pas si, sans la promesse d'une divinité de rechange,
nous allions finir par détruire l'humanité de nos propres
mains. Si toute socialisation nous conduisait à la mort,
de laquelle les premiers chrétiens avaient pu croire se
libérer et à des apories sans remède, comment faire passer
définitivement tous nos rêves sacrés à la trappe?
Etions-nous
des animaux condamnés à chercher un travail n'importe où
et n'importe lequel afin d'assurer notre pitance quotidienne?
Quoi qu'il en soit, nos dirigeants n'avaient aucune réponse
à apporter à ces questions - notre destin de bêtes de somme
paraissait consommé et irréversible.
Le
12 octobre 2018