Ou bien l'Occident reprendra la guerre de l' intelligence et la
situera au cœur d'une laïcité devenue pensante, ou bien les léthargies
intellectuelles des démocraties modernes conduiront la civilisation
mondiale au naufrage dans les déclins de la raison. Dieu.com
de Danièle Sallenave ose enfin poser la question cruciale de l'irréflexion
qui menace la géopolitique menacée de rechute dans l'âge théologique.
Est-il possible de sortir d'une gigantesque panne du "Connais-toi"
et de poser quelques jalons pour une résurrection de l'Europe
de la connaissance ?
1 - Une amazone dans le paysage
2
- Qu'est-ce que l'athéisme ?
3
- La grande panne de la raison
4
- Qu'est-ce que cela veut dire ?
5
- Les ordres monastiques
6
- Jean de la Croix
1
- Une amazone dans le paysage 
Le talent de romancière et d'essayiste de Danièle Sallenave est
de ceux qui forcent l'attention du philosophe des mondes imaginaires,
parce que son œuvre se situe à l'articulation de nos nervures
avec les insurrections de la pensée, aux entrecroisements du rêve
avec la raison , à la frontière des ententes entre les forces
confuses de la vie et les voix de l'intelligence . Mais Dieu.com
fera date parce que, pour la première fois depuis un siècle,
une laïcité devenue manchote et décérébrée se voit sommée de reprendre
sa place dans la guerre que notre espèce livre pour apprendre
à se connaître. Il était grand temps qu'elle se réveillât. Les
démocraties occidentales sont au bord du gouffre. Leur chute dans
l'obscurantisme des modernes est-elle pour autant conjurée?
Alors que les combats héroïques de la lucidité avaient été retrouvés
au XVIe siècle avec Érasme et Montaigne, au XVIIe avec Descartes
et Galilée, au XVIIIe avec les encyclopédistes, la guerre de la
lucidité avait été suspendue au dix-neuvième . Napoléon , Charles
X, Louis-Philippe, Napoléon III pouvaient bien autoriser les progrès
des sciences du bout des lèvres, mais non les sacrilèges du "Connais-toi"
. Après un sursaut qui avait rendu semi laïc l'enseignement d'un
déisme républicain, le XXe siècle français n'a pas pris la relève
de l'humanisme bifide et boiteux hérité de la Révolution. Sera-t-il
possible de combler le gigantesque retard accumulé dans toute
l'Europe par l'absence de la France sur le front où Darwin et
Freud attendent la fécondation de leur postérité ? Pour tirer
les conséquences de la découverte de l'évolutionnisme et du continent
de l'inconscient , il faut une tournure d'esprit tournée vers
l'aventure de l'universalité de la connaissance. Ces terres demeurent
largement l'apanage et la chasse gardée de la civilisation française.
2
- Qu'est-ce que l'athéisme ? 
Danièle
Sallenave insiste sur trois points fondamentaux d'un Discours
de la méthode dont l'oubli signifie rien moins que le naufrage
de toute philosophie cartésienne dans les subterfuges de l'irréflexion
fétide de bas empires: primo, l'allégation selon
laquelle le plus grand prodige des croyances serait de rendre
respectables toutes les sottises du monde, secundo,
le postulat que les religions modérées seraient vraies pour avoir
perdu leur musculature, parce que leur faiblesse politique ferait
surgir un Dieu réel dans le cosmos, et tertio, l'axiome
suprême de l'absurdité selon laquelle l'athéisme serait une "
croyance parmi d'autres ". A ma connaissance, Dieu.com
est le premier essai français à rappeler que l'athéisme est la
condition logique de l'existence même de toute science véritable
et de toute philosophie sérieuse des mythologies. L'auteur cite
la lettre du 31 octobre 1938 dans laquelle Freud rappelle à Singer
que tout " examen scientifique d'une croyance religieuse
présuppose l'incroyance " (p. 192), et cela tout simplement
parce que la logique d'une connaissance rationnelle du monde et
de nous-mêmes exclut que la notion de vérité puisse légitimer
une proposition et son contraire dans le même temps et sous le
même rapport.
Danièle Sallenave rappelle que " respecter les croyances
", c'est légitimer " le mythe qui veut que Bacchus
ait arrêté les soleil et la lune ", et défendre les cultes
modérés, c'est gratifier un Dieu de l'existence s'il veut bien
se montrer gentil, alors qu'une religion ne dépose jamais les
armes que sous la contrainte de la loi - ce qui exige un examen
approfondi de sa véritable nature. Quant à prétendre que l'athéisme
serait une croyance, c'est oublier que les rêves ne se mettent
pas a quia les uns les autres. Allah ne réfute pas
Osiris, Jahvé ne réfute pas Zeus, la croix ne réfute pas Athéna.
Si l'athéisme était une croyance, on se demande bien pourquoi
jamais aucune religion n'est parvenue à le terrasser, faute de
disposer d'une raison armée pour un tel exploit.
3
- La grande panne de la raison 
Mais ces évidences illustrent également à quel point la pensée
française est devenue asthénique, anachronique et stérile. En
vérité, elle est tombée en panne depuis le sacre de Napoléon en
1804. Ce Waterloo s'inscrit dans la logique d'un athéisme bloqué.
Quel désastre qu'une stratégie qui a conduit la raison européenne
et la France loin du gigantesque renversement de toute la problématique
de la question qu'appelait la postérité vivante de Darwin et de
Freud ! Alors que l'évidente inexistence de tous les dieux aurait
dû permettre d'approfondir jusqu'au vertige la connaissance des
secrets du genre humain, tellement les dieux morts se révèlent
une mine inépuisable de renseignements sur l'encéphale de leurs
inventeurs, on a préféré enterrer en hâte les dieux en promenade
dans le cosmos et les oublier dans nos écoles sans les avoir autopsiés
à leur domicile : la boîte osseuse des sociétés.
On
sait qu'une psychologie et une psychanalyse égarées par l'irréflexion
sur la véritable nature du problème ont pris le chemin tout opposé
à celui qu'imposait la logique de la question : puisque c'était
" Dieu " et ses théologies qu'il fallait psychanalyser
en premier lieu afin de tenter de comprendre pourquoi le genre
humain se réfléchit dans les gigantesques miroirs du sacré qu'il
dresse vers les nues, pourquoi avoir refusé de descendre dans
les identités collectives d'une espèce cérébralisée ? Pourquoi
ne pas s'attacher à découvrir pour quelles raisons notre éthique
et notre politique se mettent irrésistiblement à l'écoute des
médiums glorieux et des titanesques fondés de pouvoirs qu'élabore
siècle après siècle l'histoire des évadés de la zoologie?
C'est
se tromper de portail de chercher " Dieu " dans
l'individu, alors que c'est le décryptage de " Dieu "
qui permet de décoder l'individu en retour. D'où de sottes biographies
de Jésus, de Mahomet ou de Moïse , comme si leur véritable biographie
n'était pas celle de l'encéphale du mythe auquel ils s'identifient.
Tous les écrivains savent cela: " C'est mon œuvre qui m'a
enfanté ", dit Michelet. La vraie biographie de Socrate
est celle de la philosophie occidentale et de son histoire. Mais
pourquoi les sciences humaines n'ont-elles jamais seulement tenté
d'observer les grands réflecteurs des rêves de l'humanité que
sont ses porte-emblèmes? Parce qu'une raison engagée sur cette
via appia de la connaissance revivifierait aussitôt des sacrilèges
endormis ! Quel courage il faudrait pour se brancher sur une véritable
science critique de l'évolution de l'encéphale des évadés partiels
de la nuit animale, et quels risques on courrait à fonder une
anthropologie dont la sonde fouaillerait les entrailles des théologies,
tellement seule une connaissance des dogmes et des doctrines religieuses
éclairerait une psychogénétique de notre espèce et rendrait compte
de sa dichotomie entre le rêve et le réel .
Du coup, il faudrait avouer - toujours la logique- que les fuyards
de la nuit ne sauraient à la fois se trouver en évolution et soutenir
qu'ils seraient déjà arrivés à bon port. Mais si nous nous trouvons
encore en route, comment ne pas nous initier à une pesée parallèle
de l'encéphale simiohumain de notre " Dieu " en
voyage et de celui de nos société simiohumaines, alors que nous
décalquons notre modèle et l'accompagnons tout au long de notre
histoire et de la sienne? Comment ces deux cerveaux dialoguent-ils
entre eux, comment se renvoient-ils la balle, comment s'enfantent-ils
réciproquement, comment négocient-ils leurs apanages respectifs,
comment se défaussent-ils l'un sur l'autre, comment échangent-ils
leurs recettes, comment se déchargent-ils de leurs responsabilités,
comment troquent-ils leurs masques et s'empruntent-ils leurs armures
?
Voltaire n'aurait qu'à bien se tenir si la raison mondiale retrouvait
son baluchon au bord du chemin et redevenait le pèlerin des profanations
créatrices. Qu'adviendrait-il des démocraties appuyées sur le
bâton de la " tolérance " depuis l'affaire Calas
si les trois points vigoureusement soulignés par Danièle Sallenave
redevenaient des explosifs tellement puissants que non seulement
Darwin et Freud se remettraient en marche, mais verraient les
balbutiements d'une raison critique timidement retrouvée dans
le panier des philologues de la Renaissance prenaient leur véritable
sens dans une histoire enfin cohérente des feux et des léthargies
de l'intelligence européenne? Quelle serait alors l'armure de
la pensée de demain?
4
- Qu'est-ce que cela veut dire ? 
Sitôt toute la problématique de la question remise à l'endroit,
on cesse de s'imaginer qu'on emportera la forteresse à l'économie
et par une prise à revers peu coûteuse. Il faudra donc damer le
pion aux docteurs de Sorbonne du Moyen Âge et devenir plus savant
en théologie que nos théologiens. On sait que la laïcité invertébrée
que dénonce Danièle Sallenave est devenue plus illettrée que les
Janotus de Bragmardo dont se moquait Rabelais. Il faudra qu'un
laïc passe dix ans de sa vie à étudier les théologies s'il entend
maîtriser une documentation religieuse que les théologiens ne
sauraient décrypter - on ne lit pas l'univers de Copernic avec
les lunettes de Ptolémée. Mais cet immense matériau anthropologique
est indispensable à la raison de demain.
Prenez le dogme de la Trinité des chrétiens. Pour mémoire, je
rappelle que le démiurge qu'invoquent les croyants de cette religion
est censé composé de trois personnes bien distinctes , " le
Père, le Fils et Saint Esprit " et que ces trois acteurs
du cosmos sont réputés égaux au " Père " sans qu'ils
brisent en rien l'unité psychique du créateur de l'univers.
Voyons un peu ce que cela veut dire. Si toute divinité
simiohumaine est nécessairement un acteur et un metteur en scène
averti du cerveau de ses adorateurs et si je tente de comprendre
l'identité spécifique qui lui appartient nécessairement - et nullement
celle du croyant lambda couché sur le divan du psychanalyste et
qui n'y comprend goutte - je remarquerai que tout État et toute
politique sont construits sur ce modèle . La France est un personnage
principiel dont la Constitution énumère les saints commandements;
mais elle est incarnée par le peuple, qui est consubstantiel au
souverain et égal à lui, comme le Christ est l'égal et le co-souverain
de son père mythique .
Mais ces deux acolytes ne seraient pas vivants et respirants dans
l'histoire et dans la politique si l'esprit démocratique ne leur
servait de Saint Esprit. Quand ce dernier s'essouffle, rien ne
va plus. Nos trois personnages sont donc égaux entre eux, mais
non confusibles ; et ils font une seule personne, qui s'appelle
la France. Les théoriciens de cette nation idéale privilégient
tantôt l'un, tantôt l'autre personnage de cette trinité de héros
à mi chemin de la terre et des nues. Les théologiens du christianisme
font de même avec leur ciel, puisque les orthodoxes grecs privilégient
le Saint Esprit et Rome le Père, tandis que les luthériens font
pratiquement du Fils leur seule bouée de sauvetage.
Question
: que vaut une science historique qui ignore tout de l'inconscient
théologique des idéalités qui pilotent les nations démocratiques
et leur politique ? Comment Clio dirait-elle aujourd'hui à la
France : " En quoi le cerveau qui te donne ta place actuelle sur
l'échelle de l'évolution cérébrale de notre espèce est-il encore
simiohumain ? "
Prenez
le dogme de la magie eucharistique, selon lequel le pain et le
vin de la messe se métamorphoseraient sur l'autel en chair et
en sang de Jésus-Christ par l'effet instantané des paroles de
la consécration que prononce le prêtre de ce rituel. Par leur
intelligence des métaphores, les écrivains comprennent sans effort
que la chair et le sang des poètes assassinés se transforme depuis
des siècles en pain et en vin de l'esprit et que la France de
la littérature et de la pensée se nourrit de ce pain et de ce
vin. Quel est le niveau cérébral d'une simiohumanité qui n'a pas
la clé de la vie poétique de la raison? Mais que signifie l'inversion
de ce prodige, puisque l'Église confesse depuis saint Ambroise
que le pain et le vin de la foi se changent en chair et en sang
bien réels sur tous les autels du monde? Cela signifie que si
le pain et le vin du ciel ne se donnaient pas à immoler sur l'autel
des grâces de la mort, ils ne descendraient pas dans la chair
et le sang de l'histoire. Comment la France assurerait-elle sa
survie sur le champ de bataille du sacrifice si les nations simiohumaines
renonçaient à se perpétuer sur l'étal ou l'autel de leurs carnages
?
Madame, porterons-nous une torche dans cet abîme ? Regarderons-nous
en face le tragique de la lucidité et les horreurs de la vérité
? Êtes-vous de taille à fixer des yeux le prêtre dont les paroles
de la consécration sont le poignard et qui réitérera chaque jour
le meurtre de la croix ? Sachez que l'Église juge indispensable
la répétition sans fin de l'immolation sanctifiante ; sachez que
le mythe de la résurrection des peuples livrés à l'abattoir de
leur salut est régénéré sans relâche sur l'autel du paiement du
tribut à l'idole. Mais pourquoi le bourreau sacralisé lève-t-il
les yeux au ciel chaque fois que le couteau se plante dans la
chair de la victime ? Pourquoi faire l'ange quand la bête répète
le rituel qui éternise l'exécution? C'est que le cerveau semi
animal est schizoïde ; il se divise entre ses séraphins et le
diable tout affairé autour de ses marmites dans les souterrains
du monde, c'est-à-dire en nous-mêmes.
Radiographiez maintenant la théologie du meurtre rédempteur chez
Calvin et comparez-la avec celle de Rome : le Réformateur fonde
tout le christianisme sur l'indignation qu'on puisse recommencer
tous les jours l'assassinat du Golgotha. Mais il n'en soutient
pas moins qu'une seule fois était bien nécessaire pour nous sauver.
C'est dire que, faute de verser la rançon à la divinité, nous
ne serions pas " rachetés " . Qui est le racheteur,
sinon l'homme et son histoire ? Mais un meurtre isolé ne fait
pas le compte . Décidément, le Dieu des Genevois est trop avare
du Golgotha pour ne pas s'étioler. Si la France de la pensée devenait
le témoin de la simiohumanité du genre humain, comme nous pèserions
le singe-homme à l'école des bois de justice de Dieu !
5
- Les ordres monastiques 
Continuons
un instant à déballer les trésors d'une laïcité plus savante en
théologie que tous les pères de l'Église réunis. Les descendants
de Descartes fonderont-ils l'anthropologie abyssale qu'attend
le IIIe millénaire ? Observeront-ils les formes qu'emprunte la
vie mystique selon les moules qu'apprêtent les divers ordres monastiques?
Pourquoi l'esprit et la psychophysiologie des Jésuites et des
Chartreux sont-ils incompatibles entre eux et comment se trouvent-ils
rassemblés sous le sceptre d'un géant simiohumain du cosmos, sinon
parce qu'ils obéissent tous à la structure triphasée sur laquelle
le pouvoir auto sacrificiel de notre espèce est branché ?
Il
se trouve que saint Ignace et Calvin ont tous deux fréquenté le
collège Montaigu de Paris et que tous deux ont fondé un ordre
militaire. Mais saint Ignace, ce soldat valeureux, mais devenu
claudicant pour avoir reçu un obus au siège de Pampelune, met
sa " compagnie " sous les ordres d'un Christ promu au rang
de général en chef du genre humain, et c'est à ce titre glorieux
qu'il demande à ses hommes de lui obéir pour la plus grande gloire
de leur stratège du cosmos, tandis que Calvin accorde à son maître
dans le ciel une autorité tellement hypertrophiée que le troupier
y perd ses modestes moyens de conquérir les faveurs et les grâces
de son créateur. Quel est le tyran d'ici bas qui n'octroie ses
bienfaits et n'inflige ses châtiments au gré de ses insondables
desseins ? Sa réplique d'en haut damne les uns et sauve les autres
de toute éternité et selon son bon plaisir.
Que sait de sa discipline l'historien qui ne décrypte pas les
hommes et les nations à l'écoute du discours crypté de la théologie
? Une laïcité pensante fonderait une science nouvelle : la théologie
expérimentale. Celle-ci démontrerait que le naufrage politique
d'un mythe religieux résulte de ce qu'il s'est privé d'un ajustage
de ses sacrements aux lois de ce monde. Puisse Genève nous conduire
vers les profondeurs les plus cachées des angoissés de la nuit;
puisse Genève nous initier à une anthropologie du masochisme paniqué
qu'appelle l'approfondissement de la connaissance des derniers
secrets de l'homme.
Voici
rassemblés les esprits érudits et minutieux des bibliothécaires
du ciel. Leur ordre est celui des Bénédictins. Passons ensuite
à l'ordre des trappistes. Ceux-là enterrent leurs morts à même
la terre. Ils entonnent à gorge déployée des hymnes à leur gloire
future dans leur " céleste demeure " ; et ils regardent
leurs cadavres descendre dans une fosse de trois mètres de profondeur.
Les Franciscains, les Carmes chaussés et déchaussés, les Carmélites,
et tous les autres ordres, comment une laïcité pensante ne spectrographierait-elle
pas leurs encéphales dans la postérité de L'évolution des espèces
de 1859 et de L'avenir d'une illusion de Freud?
6
- Jean de la Croix 
Mais si les théologies sont les scanners de l'anthropologie scientifique
et si les performances de ces instruments d'optique perfectionnés
permettent de radiographier la simiohumanité que Dieu et sa créature
se partagent , comment interpréterons-nous le feu d'un Jean de
la Croix ou d'une Thérèse d'Avila , dont Danièle Sallenave écrit
: " Il y a un grand écart entre cette flamme qui brûle
et soudain vous glace, cette présence réelle jusque dans la vision,
cette absence qui désespère et les petites pratiques calculatrices
de la prière intéressée. " (p.301)
Il
est précisément fécond qu'une psychanalyse tétanisée par la peur
et qui n'ose spectrographier la condition simiohumaine dans la
postérité de Darwin tarde à porter ses feux dans l'histoire et
dans la politique ; car du moins manifeste-t-elle, aux yeux de
tous, la carence de ses analyses de l'inconscient de la raison
occidentale - ce qui ne peut que féconder son réveil. Alors, elle
psychanalysera l'inconscient d' une laïcité fondée sur les idéalités
censées salvatrices de 1789, et qui ne traduisent que le blocage
de la logique interne du mythe de la liberté. Il est providentiel,
si je puis ainsi dire, que Danièle Sallenave soit allée droit
au cœur du secret qui rappelle à une raison en marche et riche
d'un nouvel avenir que la poétique est la clé de l'intelligence
et que saint Jean de la Croix - 1542-1591 - est à la fois le dialecticien
quasi cartésien de l' " ascension de l'âme " et le saint dont
les Espagnols ont fait le prince des poètes en 1952. Comment l'alliance
de la vie mystique avec les poètes ouvre-t-elle à la raison le
chemin de sa montée au Mont Carmel de la connaissance?
Savez-vous,
Danièle Sallenave , que saint Jean de la Croix est si peu orthodoxe
que l'Église ne lui pardonnera jamais son sacrilège fondateur
selon lequel " Dieu " et le poète ne font qu'un
dans l'union mystique - de sorte que l'auteur du Cantique spirituel
n'a connu qu'une canonisation fort tardive - il l'a attendue deux
cent trente cinq ans ; et il n'a été élevé au rang de docteur
de l'Église qu'en 1926. Thérèse de Lisieux a connu une promotion
plus rapide pour s'être saintement suicidée. C'est que saint Jean
de la Croix enseigne que l'ultime conquête de l'intelligence est
la découverte de sa propre incandescence et que la flamme qui
la consume n'est autre que la " vive flamme" qui
éclaire le monde . L'amour est la clé de la vision intellectuelle,
la " lampara de fuego " de la raison. Vous vous
êtes approchée de ces secrets dans Les épreuves de l'art
et dans L'amazone du grand Dieu.
L'Occident
poursuivra-t-il son voyage sans disposer des documents qui seuls
lui permettraient d'éclairer l'histoire de son esprit? Quel est
le " Dieu " auquel ses poètes ont dicté ses plus
beaux écrits ? Pour l'apprendre, il faut lire le poète de l'intelligence
qui s'appelait Jean de la Croix . Cet Isaïe des chrétiens leur
révèle que leur Dieu est l'idole qui les récompense et les châtie
; cet Isaïe de la croix montre aux chrétiens que leur intelligence
est clouée sur la croix de leur histoire. Le sang de cet Isaïe
de l'intelligence nous dit que l'attente de la transanimalité
des évadés d'un quadrumane à fourrure est une " nuit active
", un cantique spirituel, une llama de amor viva.