Editorial
Le 4 juin 2008,
au Caire, M. Barack Obama était allé droit au cœur de la question
de l'alliance de la politique avec la culture qui fait la trame
de l'histoire du monde. La planète allait-elle féconder quinze
siècles de la civilisation musulmane ou bien les peuples du
Coran allaient-ils se trouver frappés d'un retard intellectuel
qui les ferait glisser progressivement dans l'oubli?
On sait que le lobby
juif américain est aussitôt parvenu à occulter, puis à effacer
jusqu'au souvenir de cette vision planétaire de l'avenir de
l'humanité. Puis, le 4 décembre 2010, Tel-Aviv a réussi à faire
renoncer expressément les Etats-Unis aux principes qui fondent
la démocratie mondiale : l'autorisation a été accordée à "Tsahal"
de conquérir la Cisjordanie et d'affamer une ville d'un million
et demi d'habitants.
Si ce chancre n'avait
trôné au cœur du monde, les révolutions de Tunis et du Caire
auraient-elles mis en scène le miracle qui s'est accompli sous
les yeux du monde entier? Mais M. Barack Obama aura-t-il en
mains les cartes qui lui permettront de redonner vie à son rêve
ou bien Clio ne distribue-t-elle jamais les cartes une seconde
fois? Les Etats-Unis ont beaucoup perdu de leur prestige au
sein de l'Islam depuis 2008; et M. Jean Daniel a pu rédiger
un éditorial sarcastique dans lequel il proposait de décorer
M. Benjamin Netanyahou du ruban de "l'homme de l'année"
pour avoir terrassé et humilié le Président des Etats-Unis aux
yeux du monde entier.
Mais à la suite du
renoncement de l'Amérique aux valeurs qui définissent la démocratie
et à sa promesse de bénir les futures conquêtes d'Israël - on
ira jusqu'à opposer le veto aux propositions des hérétiques
qui prétendront les délégitimer - l'assemblée des Nations Unies
et l'Europe avaient timidement relevé le gant. Puis le 14 janvier
2011 a connu une subite mutation de la stratosphère. Maintenant,
les jours de Benjamin Netanyahou sont comptés du seul fait qu'il
sera physiquement impossible à la démocratie américaine et mondiale
de jouer la carte d'un destin prometteur de la civilisation
musulmane et, dans le même temps, d'autoriser Israël à poursuivre
en toute légitimité ses conquêtes sous le drapeau taché de sang
de la "seule démocratie du Moyen Orient". Les semaines
et les mois qui viennent diront si la planète civilisée saura
donner son élan et sa vitalité à la seconde Renaissance, celle
qui dépassera les promesses et l'éclat de la première.
Pour ma modeste
part, puisque je viens de commémorer les dix ans de ce site
qui est entièrement consacré à évoquer les multiples faces de
cette tâche :
- Dix
ans de la simianthropologie politique sur le net,
26 décembre 2010
qu'il me soit permis
de rappeler quelques jalons et d'ouvrir quelques pistes. Sur
quels chemins l'Europe a-t-elle des chances de tracer la voie
à la pensée mondiale de demain ? La route n'est-elle pas entièrement
barrée du seul fait que l'avenir de notre astéroïde ne sera
pas religieux au sens dogmatique et doctrinal? Un "philosophe"
chrétien demeurera un carré rond, puisqu'il est impossible de
trouver un argument philosophique pour renoncer aux droits de
la raison et pour en laisser le monopole à une divinité. Il
se trouve également que le premier des philosophes était un
athée, qui s'appelait le Bouddha et qu'on nommait l'Eveillé,
précisément parce qu'il cherchait les voies de l'illumination
spirituelle dans la critique des idoles.
Mais le drame de
l'Occident n'est -il pas l'extinction pure et simple des "philosophes"
informés du contenu des documents anthropologiques abyssayx
qu'on appelle des théologies? Puisque tous les connaisseurs
d'une religion en sont devenus les fidèles, comment apprendraient-ils
à les observer du dehors? C'est dire que si le dialogue de la
civilisation mondiale de demain avec l'islam passait par l'esprit
d'éveil qu'on appelle, plus simplement, la lucidité et que l'Occident
des mystiques appelle le "non-savoir" ou la "nuit de l'entendement"
depuis la Renaissance, l'an 2011 sera celui du débarquement
de cet humanisme-là dans la civilisation mondiale.
Qu'il me soit permis
de recourir à une première inspection des lieux et à l'esquisse
d'un inventaire.
*
1
- L'islam et le réveil de la raison mondiale
2
- L'inculture de
la classe dirigeante européenne
3 - Le christianisme immolateur
4
- De la rivalité entre le bourreau et la victime et vice
versa
5
- Le protestantisme de Luther
6
- Calvin le cartésien
7
- L'islam
8-
La théologie de l'islam et la raison humaine
9
- Décrypter le génie des prophètes
10
- Quelques pas dans la tête des prophètes
11
- Muhammad et les sacrifices humains
12-
Le "Connais-toi" de demain
1 -
L'islam et le réveil de la raison mondiale
Le Monde du 8 février 2011 s'étonnait du mutisme
des intellectuels français face à un événement aussi planétaire
que les révolutions tunisienne et égyptienne et attribuait ce
silence à leur embarras, mais également à l'inculture religieuse
de l'intelligentsia européenne. Le lendemain, sur France Inter,
Bernard Guetta était seul à souligner que la jeunesse égyptienne
n'était pas descendue dans la rue pour brandir la charia des
Frères musulmans, mais au nom des valeurs de la démocratie.
En
vérité, l'Occident de la raison et de la pensée n'a pas encore
pris conscience du paradoxe qui fera du réveil politique de
l'islam le déclic d'un réveil intellectuel et moral de la planète,
car la civilisation de l'esprit critique s'était endormie à
l'ombre de la séparation républicaine de l'Eglise et de l'Etat;
mais cette fausse paix s'est révélée un somnifère de la philosophie.
Quelles sont, d'ores et déjà, les promesses intellectuelles
d'un islam armé d'intelligence et en quête de ses retrouvailles
avec l'universalité de la connaissance de l'humanité et de son
histoire? Comment l'élan prometteur de la jeunesse musulmane
en direction d'une démocratie plus réelle que la nôtre et plus
compatible avec une foi religieuse trans-rituelle, comment cet
élan, dis-je, va-t-il modifier en profondeur l'échiquier mental
de la planète du "Connais-toi"?
Nous sommes à un tournant décisif de l'évolution en armes de
l'encéphale des évadés erratiques de la zoologie. Les futurs
historiens de notre temps diront que l'année 2011 aura commencé
par une mutation anthropologique des notions mêmes de "vérité"
et de "sens", donc par un renoncement au schématisme cérébral
qui s'était imposé au siècle précédent. Quel schématisme ? Celui
qui se caractérisait par une mise hors jeu, certes légitime,
des liturgies magiques des sorciers du catholicisme et du luthéranisme
sur la scène politique internationale, mais également par une
marginalisation politique irréfléchie de la religion
de Muhammad et de ses virtualités cognitives. De plus, les puissances
dites émergeantes se sont toutes rangées du côté d'une vision
seulement pratique de l'action politique, de sorte qu'un siècle
seulement après le divorce de la vision politique d'avec la
vision théologique du monde, la classe cultivée et la classe
dirigeante de l'Europe ne disposent plus ni d'une connaissance
élémentaire du sens historique et psychologique que charrie
le contenu doctrinal du catholicisme, du protestantisme et du
calvinisme, ni d'une compréhension de la politique que véhicule
la théologie de l'islam.
2
- L'inculture de la classe dirigeante européenne 
La première conséquence du réveil plus rapide qu'on ne le pensait
du monde musulman, donc du débarquement d'un islam régénéré
dans l'histoire vivante de la planète sera de contraindre une
intelligentsia européenne oublieuse à reconquérir en toute hâte
la connaissance minimale des trois monothéismes dont disposaient
les encyclopédistes du XVIIIe siècle. Non point que l'enseignement
officiel des professions de foi que formulent les religions
dites du Livre soit subitement appelé à renaître au sein des
démocraties déchristianisées d'aujourd'hui, bien au contraire;
mais, du moins, le siècle de silence et de stérilité philosophique,
psychologique, anthropologique, historique, sociologique, de
la laïcité évoqué plus haut aura-t-il alerté un Occident superficiellement
rationalisé et qui aura découvert à ses dépens les voies occultes
et dangereuses qu'emprunte le sacré dans l'inconscient si on
le refoule sans l'avoir ni compris, ni réfuté en pleine connaissance
de cause.
Il
faut se rendre à l'évidence: la civilisation de la pensée scientifique
n'a en rien fait progresser un décryptage en profondeur de l'humanité.
Elle n'aura compris ni les fondements du messianisme de remplacement
que fut le marxisme, ni le poids psychobiologie du mythe de
la "rédemption" qui inspirait les principes évangéliques de
1789, ni le contenu "théologique" des identités nationales désormais
soutenues par des idéalités enivrées par leur auto-sacralisation,
ni même la notion à la fois abstraite et séraphique de personnage
historique, dès lors que, depuis 1789, la France est devenue
un acteur mi-réel, mi angélique de l'histoire cérébralisée par
son apostolat idéologique.
Et
pourtant la laïcité aurait pu faire progresser les sciences
humaines jusqu'à leur permettre de radiographier la dichotomie
cérébrale native qui caractérise le genre simiohumain. Au lieu
de porter remède à une victoire faussement triomphale de la
"raison", la laïcité est devenue un monstre dont la dichotomie
a provoqué, dans le monde entier, un repli épouvanté de la pensée
critique; et, faute de s'engouffrer dans la brèche qu'elle avait
ouverte et qui fissurait l'empire des songes politico-théologiques
du simianthrope, elle s'est empressée de la combler. Par bonheur,
ce fut en vain - mais nous baignons dans l'humanisme acéphale
qui en est résulté.
Quel
est donc le contenu anthropologique des trois monothéismes biphasés
et pourquoi leur décérébration collective s'est-elle focalisée
sur un mythe de la "délivrance démocratique"? Comment allons-nous
féconder l'alliance politique de la planète avec l'islam d'aujourd'hui
et de demain? Comment l'échiquier culturel mondial s'en trouvera-t-il
bouleversé? Tentons de rappeler ce que la raison planétaire
actuelle saurait depuis des décennies si la laïcité avait su
se révéler un moteur universel de la raison et de la pensée
scientifique.
3 - Le christianisme
immolateur
Le christianisme est une religion immolatrice. A ce titre, son
assise théologique n'est autre qu'un déguisement tardif des
sacrifices sanglants des religions primitives. Qu'est-ce à dire
? Que les dieux originels passaient pour des souverains naturels,
omniscients et tout-puissants du cosmos. A ce titre, Adam leur
immolait des spécimens de sa propre espèce du plus grand prix
possible, parce que les Célestes proportionnaient leurs faveurs
au montant des offrandes qu'on leur consentait. Les autels ont
mis en place les premiers "retours d'ascenseur" de l'humanité.
- A
propos de la mort sacrificielle de Jean Paul II,
12 avril 2005
Puis,
notre pauvre espèce s'est inspirée de la spiritualité de l'Egypte;
et elle s'est longtemps imaginé qu'elle rassasierait les Immortels
à un bien moindre prix si elle égorgeait force animaux de boucherie,
dont les plus massifs étaient les bœufs. Mais malgré leur dimension
et leur poids, ces quadrupèdes n'ont pas tardé à se dévaloriser
à la bourse des sacrifices. C'est pourquoi le christianisme
a rétabli le marché décorné, celui de l'assassinat d'un congénère
d'une valeur inestimable en la personne d'une Iphigénie de sexe
masculin - un prophète docile comme un agneau qu'on immolera
le plus saintement du monde au créateur et au roi du cosmos,
mais à l'école d'une procédure nouvelle, astucieuse et fort
économique, parce que la victime clouée sur un gibet sera proclamée
unique et parce que son oblation sera tenue pour le paiement
d'une dette contractée depuis longtemps et d'un montant tellement
considérable qu'on croyait impossible de jamais la rembourser.
Et pourtant, la créance avait été acquittée in extremis et à
titre définitif grâce à l'intervention d'un substitut extraordinaire
et dont la cote remédiait par magie à la carence native du débiteur
insolvable.
Naturellement, cette trouvaille cultuelle se heurtait à une
difficulté insurmontable: comment l'humanité allait-elle offrir
à son sanglant sacrificateur une réalimentation perpétuelle
et satisfaisante de la précieuse viande à immoler? Comment empêcher
un tarissement inexorable de la marchandisation et, par conséquent,
le naufrage de toutes les religions immolatrices? Pour prévenir
un désastre cultuel aussi irréparable, de nombreux prodiges
liturgiques devenaient indispensables, mais la finalité commune
et exclusive de cette sorcellerie était d'assurer un renouvellement
inlassable de la marchandise, donc un recommencement éternel
de la mise à mort dite "salvatrice" de la victime.
Autre
difficulté: si l'approvisionnement perpétuel en chair et en
sang du meurtre de l'autel exigeait une succession de miracles
rituels censés assurer la reconstitution corporelle de l'offrande
exposée sur les propitiatoires, comment se convaincre de ce
qu'on s'est procuré physiquement et à coup sûr la victime à
égorger, comment disposer du "vrai et réel sacrifice" dont l'Eglise
catholique brandissait la nécessité physique face aux prétentions
nouvelles et jugées sacrilèges des protestants? Quant à renoncer
purement et simplement à la réitération sanglante de l'assassinat
cultuel, comment apaiser une idole furieuse si vous ne lui donniez
rien à humer?
Du
coup, l'offrande d'un meurtre appelé à calmer l'idole en fureur
sera réputée le fruit de la métamorphose en un cadavre torturé
à mort du pain et du vin empruntés au rite juif et à l'Egypte,
et cela par l'effet tout magique qu'on attribuera à certaines
paroles approbatrices de son sort que la victime elle-même aurait
prononcées en prélude à son exécution par crucifixion sous Tibère.
Il suffirait, pensait-on, que le prêtre les répétât à chaque
immolation afin d'en renouveler sans cesse les effets prodigieux
- donc "rédempteurs", c'est-à-dire "racheteurs" ou "salvifiques",
pour emprunter le vocabulaire résigné des glorificateurs de
cette religion.
4
- De la rivalité entre le bourreau et la victime et vice versa
Outre
ses retrouvailles cachées avec le vieux meurtre sacré des origines,
le christianisme romain a également reproduit la parturition,
bien connue des Grecs, de nombreux demi-dieux et demi-déesses:
une superbe mortelle, le plus souvent consentante, se laissait
violenter par le roi du cosmos et le tour était joué. Mais par
le seul effet de l'écoulement des siècles, le mythe grec s'est
affiné, de sorte que la victime chargée de payer le tribut à
l'idole des chrétiens sera censée etre née de la fécondation
d'une vierge dans un village de la Judée, et cela par l'effet
automatique du "verbe divin" que l'Eglise qualifiera de "spermatique"
et qu'elle attribuera à l'engrosseur.
Cette nouveauté cultuelle résultait en sous-main des progrès
constants de la gnose au sein du monde antique; mais elle a
également provoqué une lente métamorphose de l'éthique politique
du boucher du cosmos, donc une mutation de la nature même du
tribut à acquitter au rançonneur des nues. Aussi, la victime
physique ne cessera-t-elle de grandir en dignité, de sorte qu'elle
finira par se confondre à son sacrificateur, non point corporellement,
mais au cœur d'une mystique de "l'esprit divin". Il en résultera,
in fine, que l'immolateur sanglant des origines finira
par s'immoler lui-même et par rendre son suicide généreux.
Que
signifie le dieu rendu donateur à l'école de sa victime ? Qu'à
force de sacrifier une progéniture proclamée ascensionnelle
et de la hisser au rang de son propre géniteur, le christianisme
accouchera d'une philosophie universelle du sang de la politique,
puisqu' une classe dirigeante qui ne se sacrifiera pas elle-même
sur l' "autel du bien commun", comme on dit se verra évacuée
de l'arène des glaives qu'on appelle l'histoire. Une putréfaction
accélérée des fausses élites remplacera le couteau égorgeur
et " sauveur " des peuples et des nations.
5 - Le protestantisme
de Luther
La seconde religion pieusement immolatrice de l'Occident, donc
fondée, comme la première, sur le versement d'un tribut sanglant
à un créancier inlassable s'appelle le protestantisme, lequel
partage sa doctrine et son enseignement entre deux législateurs
de l'autel qualifiés de "réformateurs", Calvin et Luther. Ces
frères ennemis peinent grandement à déposer sur l'étal la même
victime "rédemptrice", donc "racheteuse" que la religion catholique,
alors que seize siècles séparent les deux confessions, ce qui
rend plus doucereuse et plus pateline la mise en scène de prodiges
aussi ahurissants que la naissance virginale de l'offrande immolée
et la transsubstantiation du pain et du vin de la messe en chair
et en sang du respirant à occire.
La Réforme démontre que les théologies sont tributaires des
mutations cérébrales de l'humanité et du niveau social des civilisations.
Luther tente d'amollir et de conserver les prodiges les plus
stupéfiants du catholicisme. Pour cela, il lui faut imaginer
une sorte de transsubstantiation floue, à la fois physique et
figurée du pain et du vin du sacrifice - mais une religion sacrificielle
par nature et par définition en est nécessairement réduite à
tenter de tourner en tous sens et sans résultat le meurtre payant
qui la fonde. De plus, le catholicisme dispose d'un clergé sévèrement
contrôlé et que dirige d'une main de fer un chef ambitieux de
renforcer sans relâche l'autorité qu'il est censé avoir reçue
d'une divinité - et donc, de préciser les dogmes de l'Eglise
avec une minutie de juriste romain. Or, pour aboutir à un résultat
doctrinal libéré des précisions dangereuses des législateurs
du ciel, l'esprit de liberté politique des peuples du Nord présente
un modèle social incompatible avec le type de commandement et
d'obéissance que la loi romaine a forgé.
6
- Calvin le cartésien 
Quant à Calvin, il fait entièrement table rase du culte immolateur
et de tous les prodiges à couteaux tirés avec le bon sens que
réclame une liturgie trucidatoire, de sorte qu'au lieu de métamorphoser,
comme Luther, la victime sacrificielle en bouée de sauvetage
rebelle à sa divinisation, donc impuissante, le fondateur du
calvinisme dépose les armes sans combattre et se livre pieds
et poings liés à une divinité césarienne. Mais si vous renoncez
à la guerre avec votre maître, comment le ficellerez-vous à
l'école des rites, des prières et des offrandes de la dévotion
? Aussi les ligotages théologiques comparés de Luther et de
Calvin illustrent-ils les fondements du problème anthropologique
insoluble qui rencontrent tour à tour le despotisme et la liberté
; car leur nature même jette les rescapés de la zoologie dans
des apories parallèles. Ou bien l'idole supposée à la fois bienveillante
et punitive - c'est-à-dire racheteuse d'une créance, et dangereusement
incontrôlable - l'idole, dis-je, terrorise sa créature par la
gratuité satrapique de sa puissance et de ses dons, ou bien
la victime de l'autel tente de suppléer à l'éloignement redoutable
et à l'arbitraire du sceptre sommital du cosmos, mais alors,
comment calmer un Zeus qu'enivre l'autorité tyrannique censée
attachée à son rang?
Remarquez
que le Zeus sourcilleux de Calvin et le Zeus désarmé de Luther
reproduisent l'un, le modèle patriarcal de la famille des origines,
où le père disposait du droit de vie et de mort sur sa progéniture,
l'autre le modèle débonnaire du père de famille germanique.
Quant à l'hypertrophie du culte de la vierge Marie dans le catholicisme,
il résulte de la lente métamorphose de la matrone romaine. A
l'origine, la femme latine était un bien estimable au seul titre
de sa fécondité. Plus elle avait d'enfants, plus elle était
jugée précieuse; et si elle était stérile, sa répudiation s'imposait.
Aussi était-il civique de la prêter à titre de génitrice garantie
à tel ou tel ami digne d'avoir de beaux enfants. C'est ainsi
que le vertueux Caton avait prêté sa femme au grand orateur
Hortensius. Si la femme se livrait à l'adultère et si son mari
la reprenait à son domicile, la loi le châtiait, parce que le
citoyen offensait la République à légitimer une débauchée de
vil prix.
Aussi le christianisme romain a-t-il couru à l'autre extrême:
la Vierge catholique est une mère et c'est à ce titre qu'elle
se trouve divinisée - mais elle est censée être demeurée précieuse
en tant que vierge même après la naissance de nombreux frères
et sœurs de Jésus-Christ, parce que la pureté de la matrone
romaine des origines s'inscrit dans la continuité d'un culte
civique, celui d'une génitrice féconde.
7
- L'islam 
La
troisième religion aux côtés de laquelle la civilisation occidentale
sera appelée à approfondir son "Connais-toi" est la musulmane,
dont le livre sacré s'appelle le Coran. Mais, d'ores et déjà,
on devine à quel point une spectrographie anthropologique et
critique du catholicisme et du protestantisme est nécessaire
si l'on entend vitaliser les relations que la pensée et la philosophie
de demain seront appelées à entretenir avec Muhammad. Car ce
prophète, né en 570 et mort en 632, bénéficie de six siècles
d'avance sur le catholicisme , de sorte que Luther et Calvin
se révèlent infiniment plus proches de l'islam que de Rome.
Car l'un et l'autre illustrent à leur corps défendant l'évidence
que l'avenir de la raison passera par l'abolition des sacrifices
humains que le christianisme aura subrepticement reconstitués
à l'écoute de l'inconscient qui pilote son culte, puis qu'il
aura habilement masqué sous des prodiges liturgiques absurdes.
C'est
pourquoi l'islam rejette avec horreur les mêmes prodiges barbares
que la Réforme n'aura repoussés qu'à demi et seulement deux
siècles après les débuts de la Renaissance en Italie. C'est
dire que Muhammad conduit tout droit l'Occident de la philosophie
et de l'anthropologie critique à une réflexion abyssale sur
et la boîte osseuse des hommes de génie et de pouvoir qui se
présentent dans l'arène des siècles en tueurs politiques des
sortilèges sacrés et qu'on appelle des prophètes. J'y reviendrai.
Pour l'instant, il suffit de rappeler que Muhammad est pleinement
un homme et qu'à ce titre, il se veut dépourvu de pouvoirs magiques.
C'est
un grand avantage, pour l'Occident embrumé, de savoir qu'un
prophète n'a nullement besoin de se légitimer à naître d'une
vierge de village, de savoir qu'on ne demande pas à son génie
de bénéficier d'une ascension théologique continue et de siècle
en siècle, laquelle l'aurait rendu confusible avec le créateur
de l'univers, de savoir qu'il n'est pas utile de le hisser au
rang de chef d'un clergé de sacrificateurs patentés, de savoir
que seules les idoles ont besoin de sorciers chargés de leur
procurer une victime censée leur rembourser une créance d'un
montant gigantesque, de savoir qu'un immortel statutairement
ficelé à l'astronomie de Ptolémée et à la géométrie réputée
immuable d'Euclide n'est pas l'Allah de Muhammad. En vérité,
l'islam se présente très tôt en médiateur des retrouvailles
de la civilisation mondiale avec Aristote et Platon - demain,
avec celle de Darwin et d'Einstein.
Qu'est-ce qui rendra donc fécondes et pourtant difficiles, prometteuses
et pourtant laborieuses les relations de l'islam avec la civilisation
de la science et avec la raison anthropologique de demain? Autrement
dit, pouvons-nous emprunter les chemins qu'enfantera le monde
musulman d'avant-garde pour accompagner l'essor de la pensée
critique mondiale sur une planète encore trop partiellement
armée d'un regard sommital sur les mythes sacrés de l'humanité?
8
- La théologie de l'islam et la raison humaine 
D'un côté, le Coran semble avoir pressenti les dangers politiques,
psychologiques et philosophiques d'une rationalisation intensive
de la théologie à l'école du temporel. L'islam ne connaît pas
de sophistique officielle et enseignée en chaire du statut et
des armes d'un entendement humain provisoire et localisé, pas
de démonstration scolastique du sexe des anges, pas de systématisation
catéchétique des relations du prophète avec Allah, pas de généalogie
critique du fameux lien de causalité que l'Occident a élaboré
d'Aristote à Hume et à Kant, pas de pesée en séminaire de la
projection psychique de la notion d'intelligibilité sur la matière
prophétisée, donc rentabilisée, pas d'analyse du pouvoir de
persuasion que le "sentiment d'évidence" et le "bon sens" ont
exercé du Moyen Age à nos jours, pas de jardinage à l'usage
des trépassés, pas de traité canonique des aises et des tracas
des habitants du paradis, pas d'enseignement révélé de l'âge
où les croyants sont censés entrer dans l'immortalité, pas de
considérations diététique sur l'engraissement ou l'amaigrissement
des bénéficiaires de la vie éternelle, pas de réflexion sur
les blessures de guerre des héros morts sur les champs de bataille
et ressuscités dans leur beauté ou couverts de cicatrices, pas
de savantes considérations sur la gastronomie céleste et sur
le jeûne de Muhammad dans les nues, alors que depuis saint Thomas
d'Aquin - ce théologien a été proclamé "docteur angélique" de
l'Eglise catholique à titre perpétuel - seul Jésus se fait apporter
des plats cuisinés dans l'éternité afin de démontrer sans fin
qu'il est bel bien ressuscité en chair et en os et qu'il
siège aux côtés de Zeus.
C'est pourquoi la première leçon que l'Occident devra tirer
du réveil de la rue arabe sera une leçon de géopolitique, parce
qu'il semble que la jeunesse de l'islam sache déjà que le fer
de lance de l'esprit religieux n'est autre que la charité. La
Révolution française n'a pas connu de fusion émouvante entre
"l'espérance, la foi et la charité " des croyants, d'un côté,
la "liberté, l'égalité et la fraternité" des laïcs, de l'autre.
Il se trouve, de surcroît, que la jeunesse s'élève aux deux
tiers de la population égyptienne, ce qui crée un climat de
joie et d'humour. L'humour d'abord: on y a vu des manifestants
rieurs et moqueurs se couvrir la tête de casseroles face aux
fusils des soldats et aux matraques de la police. La joie ensuite:
parmi les scènes qui ont fait vibrer la Révolution du Caire,
il y a ce jeune fiancé venu avec sa famille célébrer son mariage
au milieu des milliers de manifestants à la fête. Naturellement,
le peuple égyptien aura à découvrir qu'une
révolution terminée en un mois demeurerait superficielle
et n'aurait pas d'avenir.
9
- Décrypter le génie des prophètes
Mais
le danger d'un compagnonnage étroit et hâtivement improvisé
entre l'islam juvénile et la course du monde moderne vers une
psychologie abyssale est de passer à côté d'un approfondissement
vertigineux des notions mêmes de "raison" et d'"intelligence",
donc de compréhensibilité. Quand l'humanité se prosterne devant
un potentat imaginaire du cosmos, elle se livre tantôt au sort
des moines qu'anéantit une extase artificiellement programmée
et chronométrée, tantôt à l'angoisse mortelle des calvinistes
jetés en pâture à une divinité hasardeuse et au jugement gratuit,
donc imprévisible d'un potentat du salut.
Mais quid si la masse des croyants s'agenouille ponctuellement
devant un prophète? Ne court-elle pas le risque de le diviniser
et de juger plus blasphématoire de le regarder comme un homme
que de nier l'existence même de Jahvé, d'Allah ou du Dieu trinitaire?
Mais
précisément, le fait que Muhammad ne soit ni tenu pour le fils
unique d'Allah, ni pour Allah en personne devrait inspirer l'Occident
de la pensée rationnelle, donc d'une civilisation mondiale vouée
depuis plus de trois siècles à approfondir jusqu'au vertige
la connaissance des ultimes secrets du genre humain. Comment
se fait-il que ce prophète soit un type d'homme demeuré mystérieux
et que ne connaissent encoe ni les poètes, ni les romanciers,
ni les dramaturges, ni les philosophes, ni les anthropologues,
ni les ethnologues, ni les sociologues, ni les psychanalystes,
ni les théologiens? Pourquoi ce personnage suréminent est-il
demeuré un inconnu de l'humanisme mondial, alors qu'il n'est
pas d'acteur plus puissant, plus universel et plus fécondateur
de l'histoire de la planète que les prophètes? Mais qui connaît
l'âme et l'esprit d'Isaïe, de Jérémie, de Jésus-Christ, de Muhammad,
du Bouddha? Pourquoi l'humanisme occidental a-t-il peur de décrypter
l'homme au point de reculer d'effroi devant de génie des prophètes?Si
l'islam devait devenir le moteur central du monde pensant, ne
serait-ce pas à lui de se montrer le roi du souffle de l'esprit,
ne lui appartiendrait-il pas de convaincre le genre humain de
descendre dans les ultimes secrets de l'âme et du cœur des prophètes?
Et pourtant, il y a plus de quinze siècles que Muhammad adresse
aux chrétiens un discours crypté et un défi que notre pauvre
psychologie n'a pas osé relever: "Votre Jésus, leur lance-t-il
à la figure, est un grand prophète. "Pourquoi la civilisation
mondiale de la science refuse-t-elle depuis quinze siècles de
se demander: "Qui c'est, un prophète?" Comment imaginer que
l'humanisme mondial conquerra jamais une profondeur et un envol,
une dramaturgie et un élan, un feu et un ciel si nous n'osons
nous demander ce que Nietzsche voulait dire quand son Zarathoustra
évoquait le "dernier homme", celui qui "vit le plus
longtemps", parce qu'il ne se demande pas ce que sont les
prophètes?
10
- Quelques pas dans la tête des prophètes 
Qu'arriverait-il si l'humanisme occidental apprenait à se demander
ce qu'il en est de l'âme et du cerveau d'Isaïe, de Jérémie ou
de de Zarathoustra?
D'abord,
tout prophète témoigne nécessairement d' un génie insondable
de la politique, sinon, comment saurait-il que le genre humain
se donne des chefs locaux et visibles et qu'il n'imagine pas
un instant qu'il n'y aurait pas d'administrateur général au-dessus
de la tête de ses dirigeants en chair et en os? Tout prophète
porte donc un regard d'anthropologue abyssal sur ses congénères,
tout prophète les voit comme des enfants épouvantés par le silence
et le vide du cosmos. Afin de les guérir de leur terreur, il
leur donne un tuteur, un gardien, un maître et un protecteur.
N'est-il pas roboratif, pour la raison, de savoir qu'il existe
des hommes assez extraordinaires pour donner à l'humanité les
dieux dont ils ont besoin à telle heure de leur histoire? Est-il
une création plus géniale que celle-là?
Elle se révèle même tellement vertigineuse que les prophètes
se voient contraints, s'ils veulent qu'on les croie, d'inverser
les rôles et de se faire dicter en retour par leurs dieux ce
qu'ils leur font dire. Mais qui croira que le dieu d'Isaïe ne
serait pas d'Isaïe, que le dieu de Jean de la Croix ne serait
pas celui du "prince des poètes espagnols", que le dieu du Christ
ne serait pas de lui et que celui de Muhammad ne serait pas
celui de la tête et du cœur de son prophète ? Pour tenter d'avancer
de quelques pas dans la tête des prophètes, lisez ceux d'entre
eux qui ont vendu la mèche sans s'en douter; et lisez Pascal,
le plus recommandable des initiateurs à la connaissance anthropologique
du génie prophétique. Car seul l'auteur des Pensées a osé peindre
l'espèce humaine comme des enfants égarés sur une île déserte
et qui voient assassiner leurs compagnons l'un après l'autre
par un "boucher obscur" qu'ils appellent Dieu ou la mort.
Si
l'humanisme réflexif de l'Occident suivait en spéléologue le
chemin étroit de la connaissance du cœur et de l'esprit des
prophètes, quel recul ne conquerrait-il pas, de quelle grandeur,
et de quelle élévation nouvelles la raison du monde ne se trouverait-elle
pas dotée! L'entendement de notre espèce demeurera balbutiant
aussi longtemps qu'il ne s'ouvrira pas au tragique du spectacle
qui inspire la raison apitoyée et souveraine des prophètes.
Mais Muhammad a opéré deux mutations radicales de l'encéphale
simiohumain. Premièrement, son génie a reconduit le sacré à
la première victoire de la civilisation, celle qui avait aboli
les sacrifices humains, de sorte que l'avenir spirituel des
diverses théologies chrétiennes passera nécessairement par le
scannages des idoles et d'abord du boucher du ciel chrétien
dont l'Egypte ancienne avait aboli les sacrifices bien avant
Abraham.
11
- Muhammad et les sacrifices humains 
Mais alors, allons-nous revenir aux immolations d'animaux, dont
la pratique s'était substituée aux Isaac et aux Iphigénie? Il
ne faut pas oublier que depuis Homère les sacrifices humains
étaient demeurés parallèles aux sacrifices d'animaux dans tout
le monde antique.
Si l'on compare le nombre des victimes humaines du paganisme
grec à l'âge classique au nombre de victimes chrétiennes, on
en comptera deux cent dix huit pour Poséidon, deux cent cinquante
pour Athéna , deux cent soixante et onze pour Hermès, deux cent
dix-neuf pour Apollon, trois cent soixante et un pour Artémis,
trois cent treize pour Arès, ce qui fait mille six cent quatre
vingt un sacrifiés, auxquels il faut ajouter qu'un oracle avait
livré annuellement au meurtre sacré et pendant mille ans deux
vierges de Locres à la suite de l'outrage du Locrien Ajas à
Cassandra. Je ne compte ni la purification d'Athènes par Epiménédès,
qui coûta un grand nombre de nobles jeunes gens, tous volontaires,
ni les immolations de prisonniers ennemis, que Thémistocle réduisit
à trois en prélude à la bataille de Salamine.
Mais
qu'est-ce que cela si l'on songe aux dizaines de milliers de
moines chrétiens qui ont agonisé dans les monastères, depuis
la sœur de Pascal jusqu'à Thérèse de Lisieux, la dernière sainte
que son suicide par une tuberculose volontairement contractée
a élevée à un rythme accéléré au rang de docteur de l'Eglise,
alors que le poète Jean de la Croix a mis trois cent trente
cinq années pour être élevé au rang de docteur de l'Eglise.
C'est qu'une religion dont la foi se focalise sur un sacrifice
sanglant fournit à la guerre un réservoir d'immolés potentiels.
C'est pourquoi sainte Thérèse de Lisieux est devenue l'héroïne
de la Croix dont l'immolation volontaire avait illustré d'avance
le sacrifice patriotique aux yeux des poilus massacrés dans
les tranchées - et c'est cette anticipation religieuse qui lui
a valu une canonisation rapide à l'heure où la loi de 1905 avait
empêché de célébrer à Notre Dame un Te Deum au Dieu de la France
victorieuse en 1919.
Muhammad
a aboli non seulement les sacrifices humains, mais les sacrifices
des bestiaux; car l'offrande d'un mouton n'est pas, dans son
esprit, l'offrande du cadavre d'un animal à Allah, mais le symbole
d'un partage de la chair de la bête avec les pauvres et d'une
communion dans la charité des fidèles rassemblés. On l'a bien
vu au Caire, quand les télévisions ahuries du monde entier ont
filmé des révolutionnaires prosternés la face contre terre,
puis courir embrasser les soldats et les policiers qui les menaçaient.
Jamais une religion immolatrice ne produira ce type de prodige
politique. Certes, les chrétiens croient manger la chair et
boire l'hémoglobine de la victime tuée sur l'autel - mais, du
coup, ils se condamnent à communier avec une divinité faussement
pacificatrice, puisque c'est de la viande et du sang qu'ils
se partagent - et c'est en vain qu'ils s'épuisent à changer
des substances d'origine animale en "pain du ciel". Certes,
il était impossible au VI e siècle, de supprimer radicalement
et d'un seul coup les sacrifices traditionnels d'animaux; mais
la réduction subite des offrandes matérielles conduisait la
religion à une lente extinction des égorgements cultuels. Il
ne s'agit, dans l'islam, que de perpétuer le rite juif annuel
de l'immolation de l'agneau le jour de Pâque - celui de la commémoration
de l'exode.
12- Le "Connais-toi"
de demain 
Que
dit le "Connais-toi" des Socrate de demain? Que tout prophète
vit dans le silence et le vide de l'immensité, que tout prophète
sait que le cosmos n'est dirigé par personne. Mais l'Eveillé
n'a-t-il pas arraché ses congénères aux entrailles des ténèbres
? Pourquoi les Isaïe, les Jésus, les Muhammad gardent-ils, au
plus profond de leur génie, l'œil héroïquement ouvert sur l'abîme,
alors que, dans le même temps, ils font aux hommes le don d'illuminer
le néant? Pourquoi les prophètes sont-ils les premiers saints
de l'athéisme?
Tel est l'ultime avenir d'une religion qui détient les clés
des classes dirigeantes de demain, celles qui sauront que le
"feu spirituel" naît de la nuit. Mais seul Muhammad a créé les
conditions cultuelles de l'épanouissement de l'athéisme ascensionnel
de demain. Je ne vois pas qui d'autre a rendu les fidèles responsables
devant un Allah intérieur, qui d'autre a retiré la victime humaine
et animale des offertoires un millénaire avant Calvin, qui d'autre
a disqualifié les rites et les liturgies, qui d'autre a rayé
les clergés d'un trait de plume. Si l'Occident entend approfondir
la connaissance de l'homme, qu'il se mette à l'école du cerveau
et du cœur élévatoires de tous les prophètes. Alors, quelle
débandade des petits secouristes des idéalités de la démocratie!
Mais si l'offense au prophète est ressenti comme un sacrilège
plus grave que l'athéisme, la cause en est peut-être que l'inconscient
des croyants leur fait la grâce de les avertir de ce qu'il n'y
a pas de Jahvé caché dans le dos d'Isaïe, pas d' Allah caché
dans le dos de Muhammad, pas de dieu qui assassinerait la victime
d'une potence derrière Jésus-Christ. Peut-être l'inconscient
religieux des peuples est-il prophétique sans le savoir, peut-être
assure-t-il la promotion des prophètes, parce qu'il sait qu'Isaïe
est seul responsable du Jahvé qu'il a privé du bois ou de la
pierre des idoles, que Jésus est seul responsable du Dieu qu'il
n'a pu empêcher de laisser choir à nouveau le pain et le vin
de la communion dans sa propre chair et son propre sang, que
le Bouddha est seul responsable du vide et du silence qui a
conduit ses fidèles à faire vrombir leurs stupides moulins à
prières, que Muhammad est seul responsable de n'avoir pas réussi,
du moins de son vivant, à initier l'humanité à l'âme et à l'esprit
des prophètes. Mais alors l'islam montre le chemin à la planète
du "Connais-toi" de demain.
le 13 février 2011