1 - Renan et la généalogie de la vie ascensionnelle
de la raison
2 - Nietzsche et la vie spirituelle de
l'intelligence
3 - Le dieu Zarathoustra
4 - Ainsi parla Zarathoustra
5 - Un sursaut manqué de notre mythe de
la délivrance
6 - Des encéphales en enfilade
7 - L'encéphale sommital de Zeus
8 - Que signifie le verbe exister?
9 - Le Dieu de demain
1
- Renan et la généalogie de la vie ascensionnelle de la raison
Les premiers orphelins des nations tombées en panne du corsetage
théologique rudimentaire de la vie ascensionnelle de l'humanité
ont tenté d'emprunter des pistes de l'intelligence interdites
aux premiers alpinistes bibliques. Renan a su prendre acte
de ce que le héros de la délivrance des chrétiens n'était
pas remonté de l'empire des morts d'autrefois. Mais il était
impossible de retrouver Lucien de Samosate, qui faisait si
allègrement dialoguer dans l'Erèbe Périclès avec Platon ou
Sophocle avec Aristote.
Puis le séminariste de Tréguier a vainement tenté de substituer
à la foi perdue de la seule bête qui se demande ce qu'elle
fait en ce bas monde une météorologie du salut plus campagnarde
que la précédente; car les idéalités de l'animal du pourquoi
serviraient, disait-il, d'étoiles et de guides à la longue
marche de l'espèce à la recherche d'un chef. Un romantisme
du salut aussi enferré dans le champêtre qu'auparavant s'est
époumoné à nous tirer de là; car nos idéalités d'une délivrance
universelle nous ont trahi. Car bientôt les oriflammes de
notre langage nous ont fait tomber dans un angélisme agricole
et un séraphisme bucolique plus secrètement carnassiers que
jamais; et nous avons enfermé nos abstractions pseudo-délivrantes
dans une théologie à l'usage des héros de l'abbé de Saint
Pierre; et nous n'avons pas tardé à nous livrer aux mâchoires
de nos concepts réputés salvifiques à l'écoute des douze apôtres.
2
- Nietzsche et la vie spirituelle de l'intelligence 
De
son côté, Frédéric Nietzsche, ce transfuge de feu de la cosmologie
fantasmagorique des chrétiens et de la pieuse paysannerie
de son pasteur de père tenta de métamorphoser l'ascensionnel
demeuré astronomique des premiers âges de nos prodiges salvifiques
en un trésor spirituel proportionné aux facultés latentes
de notre espèce de dormeurs - trésor qui remplirait
du moins les coupes demeurées vides de la tridimensionnalité
psychogénétique désespérante dont les anthropoïdes du fabuleux
se trouvent frappés leur vie durant.
La narration nietzschéenne de la naissance, du devenir et
de l'épanouissement d'un homme virtuellement divin et pourtant
déjà auto-suffisant, nous a initiés à la généalogie, d'étape
en étape et dans son développement logique, d'un Céleste potentiellement
en marche sur la terre. Pour la première fois, nous avons
découvert le devenir ascensionnel des guerriers de l'absolu,
dont la tâche avait été d'enfanter un dieu vraiment unique:
son âme logicienne serait plus élevée et d'une trempe de meilleure
qualité que celle du tortionnaire éternel de la Genèse. Mais
comment l'équiper de la tête aux pieds dans l'ordre de l'incandescence
des âmes sommitales? Nous avions perdu notre interlocuteur
diplômé, notre miroir magique, le plénipotentiaire agréé et
le géant validé dont la cervelle assermentée s'était
durcie. L'immobilité doctrinale garantie de nos docteurs du
merveilleux remplaçait un Titan trébuchant parmi ses
rites et ses litanies.
C'était désormais au tour d'une philosophie de la conquête
de notre propre altitude de servir de guide aux nations ambitieuses
du sommital. Mais comment forger une éthique de grimpeurs
et de casse-cou. Dirons-nous, avec Julien Benda: "Clercs de
tous les pays, vous devez être ceux qui clament à vos nations
qu'elles sont perpétuellement dans le mal du seul fait qu'elles
sont des nations"? Plotin rougissait d'avoir des bras et des
jambes. Dirons-nous toujours avec Julien Benda: "Vous devez
être ceux qui rougissent d'avoir une nation. Ainsi vous travaillerez
à détruire les nationalismes et à faire l'Europe. " (Discours
à la nation européenne,1933)
3
- Le dieu Zarathoustra 
Hélas, l'expérience d'un demi-siècle de notre vassalisation
sous la bannière du mythe de la Liberté a suffi à nous enseigner
que l'évaporation de nos nations réduirait l'Europe à s'évanouir
dans le faux ciel du supranationalisme américain. Il appartient
donc aux Socrate de demain de s'armer d'une tête moins nuageuse
que celle des Eglises. Comment le buveur de la ciguë de la
vérité interprète-t-il le silence embarrassé du Vatican face
au nazisme et le silence interloqué des Etats pseudo démocratiques
actuels face au crocodile angélisé de l'Amérique? Il y faut
une éthique, donc une incandescence des hauteurs de la raison
elle-même et qui trouverait sa source vive dans un feu nouveau
de l'intelligence. Nietzsche écrit que le christianisme périra
de son immoralité. Mais quelle est la moralité suprême, celle
qui saurait comment définir l'immoralité des religions de
la mort et des mâchoires du trépas? Le
Zarathoustra de Nietzsche a quitté le modèle de purification
de la conscience de soi que pratiquait encore le démiurge
en marche dans le Coran. Allah met sans cesse la main à la
pâte et s'affaire à sa tâche avec une rigueur d'esprit et
une détermination politique que n'effleure jamais l'ombre
d'aucune hésitation, d'aucun remords et d'aucun repentir.
Voyez
comme ce Dieu-là vous pétrissait sans relâche les rites et
les coutumes qu'il nous ordonnait de hisser à nouveaux frais
sous la voûte stellaire! C'est dire que, sitôt qu'on y regarde
de près et d'un œil soupçonneux, on découvre que notre démiurge
affairé se mettait le plus souvent à l'école des lois et à
l'écoute de nos prières ressassées - celles dont les peuples
de l'endroit faisaient leur nourriture depuis des siècles
et dont leur tête contentait leur estomac tant bien que mal.
En
revanche, les spécimens rarissimes de notre espèce que nous
appelons des prophètes nietzschéens n'y vont pas par quatre
chemins non plus, mais sur une route nouvelle, celle des incendiaires
de leur âme. Ceux-là renoncent à mettre en place un maître
du cosmos empâté dans ses châtiments, ceux-là se veulent les
annonciateurs de leur feu. Mais, en secret, ils haussent,
eux aussi, leur saint calame à la température de la littérature
biblique; eux aussi vous pétrissent d'une main énergique un
modèle d'éloquence qu'ils cachent dans leur manche. Du coup,
nous nous sommes souvenus que notre politique et notre histoire
ne montent dans le four de notre esprit qu'aux heures critiques
où une civilisation désemparée a besoin de se reforger son
Olympe épuisé. Zarathoustra est un accoucheur qui se laisse
bousculer par son temps, tandis que celui de la Genèse maniait
encore la maïeutique du gourdin, du fouet et de la hache.
La
grande différence de style et de gestuelle entre la grossesse
du dieu torturé sur le gril de sa pensée et les Zeus de pacotille
qui accouchent des saintetés de la torture qu'ils infligent
à autrui pose une question de méthode aux maïeuticiens de
l'anthropologie critique de demain. Car l'histoire des enfantements
de l'imagination religieuse de l'humanité se trouve désormais
arrêtée au carrefour décisif d'où nous voyons que les dieux
rangés à la queue leu leu et qui se mettent à tour de rôle
en possession des armes que sont l'atrocité de leur code pénal
d'un côté et la férocité de leur système pénitentiaire de
l'autre vieillissent de se trouver étroitement dépendants
de leurs corsets de fer - ceux des mœurs et de la politique
des époques qu'ils traversent la corde au cou et des chaînes
aux chevilles.
4
- Ainsi parla Zarathoustra 
C'est ainsi que le dieu d'origine cosmologique et pénale encore
en service sur cette terre nous paraît de plus en plus grognon,
rancunier, vengeur, cruel, irascible et sensible aux flatteries
de ses adorateurs. Beaucoup d'entre nous le jugent non seulement
avide de puissance et de gloire, mais assoiffé d'une renommée
tapageuse dans nos pauvres enceintes et surtout en proie à
une sauvagerie d'anthropoïde tout juste évadé des forêts de
nos ancêtres. C'est que les dieux de nos cités se fossilisent
dans la cage de leur politique, tandis que les dieux nietzschéens
se veulent tellement sévères dans le choix de la cervelle
altière des prophètes de leur âmes qu'ils ne se collèteront
jamais avec les multitudes dans l'arène du monde. Aussi Nietzsche
n'a-t-il jamais rédigé dans la poussière un testament qui
s'intitulerait Ainsi parlait Zarathoustra
(Also sprechte Zarathoustra) mais un
Ainsi parla Zarathoustra
(Also sprach Zarathoustra
).
Pourquoi, depuis cent trente deux ans, lisons-nous une traduction
erronée et banalisante, comme si le citoyen Zarathoustra conversait
avec ses amis ou s'entretenait avec ses hôtes? Si nos grammairiens
connaissaient le "passé de sacralité" la parole annonciatrice,
la parole oraculaire, la parole souveraine aurait un statut
syntaxique dans notre littérature, parce qu'elle énoncerait
un message solitaire par nature et par définition; et nous
saurions que Marc et Matthieu usent d'un tout autre type de
discours. Ces greffiers étrangers à leur sujet, ces plats
narrateurs enregistrent seulement des prodiges qui les dépassent
et qui les laissent interloqués, tandis que Luc et Jean rédigent
un Ainsi parla Jésus. Le Coran est un Ainsi parla
Mahomet.
Si
Nietzsche s'était abaissé à rédiger un Ainsi parlait Zarathoustra
, comme on se l'imagine bêtement en France depuis treize décennies,
il serait impossible à l'anthropologie critique de descendre
dans l'abîme des voix du calibre prophétique.
5
- Un sursaut manqué de notre mythe de la délivrance 
Aussi
sortons-nous d'un siècle de débarquement de notre espèce dans
le faux sommital de l'utopie politique. Autrefois, nous nous
demandions seulement: "Qui nous a donné le soleil et la lune,
la nuit et le jour, la vie et la mort?" Et maintenant, le
messie Karl Marx nous reconduisait d'une main de fer à la
fausse mission dont notre mythe du salut nous chargeait et
qui nous enjoignait exclusivement d'abolir en toute hâte notre
seul péché mortel, celui de nous rendre acheteurs et vendeurs
de nos moyens de production, donc de notre outillage de plus
en plus titanesque.
On sait que les premières décennies de l'ère chrétienne avaient
tenté d'illustrer nos doutes sur ce point: les craquements
de nos stratagèmes alternés d'affamés et d'obèses paraissaient
en perdition. Jusque dans L'île d'Utopie de
Thomas More de 1516, notre sanglante et glorieuse rêverie
de nous déposséder saintement et à jamais de notre condition
d'animaux immergés dans le temporel avait suivi le même chemin
de la déconfiture politique qu'en 1917. Cette année-là, nous
avions engagé à nouveaux frais et en rangs serrés les bataillons
d'un clergé de convertisseurs apostoliques et guerriers; et
ces diplômés de l'absolu étaient montés au front avec ardeur.
Une fois de plus, nous avons écouté quelques gosiers solennels
et nous nous sommes prosternés dans la poussière devant les
Stentors de nos oracles - puis nous sommes redescendus aux
enfers du Moyen-Age, où nous avons fait cuire et rôtir nos
hérétiques au feu de nos goulags.
Décidément, notre oiseau de Minerve en devenir élèvera l'histoire
de notre recul à l'égard de notre pauvre tête jusqu'à nous
initier à une pesée de l'encéphale de "Dieu" plus distanciatrice
que la précédente. Qu'est-ce à dire? Quel est l'encéphale
du Dieu que nous forgeons sur nos enclumes si celui-là ne
colle qu'à nos chausses et si Zarathoustra ne s'abaisse pas
à remplir nos escarcelles? De nos dieux, les petits nous frappent
au dessous de la ceinture, les grands nous tournent le dos.
6 - Des encéphales en enfilade 
Les
encéphales de nos trois dieux uniques - leur monopole cérébral
rend chacun d'eux nécessairement polycéphale -se comptent
sur les doigts d'une main et leurs circonvolutions s'emboîtent
les unes dans les autres, se complètent ou se confondent -
sinon, ils ne se montreraient pas les chefs de guerre chevronnés
que l'on sait, les législateurs expérimentés que nous saluons,
les administrateurs éclairés et les garde-chiourmes terrifiants
devant lesquels nous nous prosternons depuis des millénaires.
Le
premier cerveau d'un ciel monopolaire s'est donné l'omniscience
d'un César des sciences exactes et les apanages d'un empereur
de notre histoire et de notre politique d'hier, d'aujourd'hui
et de demain. On trouvera une description détaillée de ses
prouesses intellectuelles dans la Summa contra gentiles
de saint Thomas d'Aquin, le principal théoricien minutieux
de l'ubiquité de la tête chercheuse d'un démiurge bien équarri,
mais encore taillé à la hache de la logique d'Aristote. Le
second crâne de notre Zeus universel attire autour de son
képi des millions de miliciens assoiffés de se casquer, eux
aussi, d'un chef galonné, conquérant et relativement cogitant.
Le troisième encéphale de nos capitaines du cosmos a servi
de guide à l'éthique et aux lois de toutes les cités de la
terre. La quatrième conque osseuse d'un Zeus au regard d'aigle
a rédigé, comme il est rappelé plus haut, un code pénal d'une
fureur terrifiante et l'a mis en cheville avec le système
pénitentiaire enragé d'un cosmos à l'usage de notre férocité
naturelle. Ce bourreau souterrain et ce confiseur sommital
nous sert désormais de balance à juger nos cités de sauvages
et à les séparer peu ou prou de celles que nous avons relativement
civilisées, tellement les ridicules sucreries réservées à
nos ossements immortalisés et que notre pâtissier suprême
distribuait à ses adorateurs n'étaient jamais qu'une sotte
gâterie, tandis que les tortures calculées que ce monstre
infligeait dans l'Erèbe à ses victimes épouvantées illustrent
le degré de terreur saintement requise par notre température
morale, du temps où notre pauvre espèce oscillait entre ses
atrocités et ses attiédissements.
7
- L'encéphale sommital de Zeus 
Vous
me direz que les encéphales inachevés de nos premiers comploteurs
célestes, notre oiseau de Minerve en a survolé les hangars
à tire-d'aile et depuis belle lurette, vous me direz, en outre,
que la chouette de demain ne saurait nous montrer davantage
qu'un magasinage de notre salut et de notre damnation que
nous connaissons depuis des siècles et sur le bout des doigts.
Mais c'est ici que l'examen du cerveau de notre Jupiter de
demain nous conduira au survol de la cinquième demeure du
roi du cosmos, celle qui dotera d'une signification toute
différente l'échelonnement des boîtes osseuses du ciel dont
nous avons appris à dévider les litanies et à entonner les
cantates. Car le Zarathoustra que Jean de la Croix, Nicolas
de Cuse ou Me Eckhardt se partagent n'a d'autre interlocuteur
que le silence et le vide de son éternité. On cherche la balance
à peser une solitude tellement incandescente qu'elle ne s'adresse
qu'à elle-même, une solitude qui ne parle qu'à son soleil,
une solitude qu'éclaire en retour l'intensité de son feu.
De cet incendie immortel, non seulement les fuyards des forêts
ne veulent pas en entendre parler, mais leur horreur pour
elle est à la mesure de leur épouvante. Aussi les sylvestres
se sont-ils donné un exorciseur suprême du cinquième encéphale
dont ils se trouvent habités à leur corps défendant.
8
- Que signifie le verbe exister? 
L'homme
est un animal à la recherche de son souffle et fort embarrassé
par la boîte osseuse minuscule qu'il tient entre ses pattes.
Pourquoi cette bête a-t-elle jeté l'enfant avec l'eau du bain?
Prenez le Zeus logicien, mathématicien et géomètre de Descartes:
l'auteur du cogito s'était construit son Dieu sur celui de
saint Anselme, qui disait que la proposition "Dieu existe"
se révèle aussi tautologique à l'examen que celle des géographes;
car l'existence ne saurait être refusée au créateur du cosmos,
puisque son inexistence nous ferait tomber dans l'absurdité
de nous faire renverser toute la topographie d'Aristote. C'est
cela que Descartes a repris à son compte d'arpenteur: il est
impossible, disait-il, d'évoquer une montagne sans qu'il existe
nécessairement - donc logiquement - des vallées. Un humanisme
occidental qui ignore tout des sources de sa raison dans une
mystique des piétinements de la logique d'Aristote est-il
suffisamment informé du regard que Zarathoustra porte sur
le danseur de corde dans le vide que ce dieu met en scène?
Prenez le Dieu sacrilège de saint Jean de la Croix. L'ascèse
harassante à laquelle ce saint soumet les rabâchages de la
raison humaine délivre toute la philosophie du joug des cinq
sens dont dispose la créature et vous conduit au blasphème
le plus resplendissant, à savoir que Dieu n'est autre que
l'âme du croyant portée à l'incandescence des poètes de leur
propre feu. Mais comment une civilisation qui aura perdu en
chemin la clé du sommital s'exercerait-elle à une connaissance
existentielle des âmes ascensionnelles? Notre Renaissance
d'il y a un demi-millénaire nous a seulement redonné quelques
belles voix de ce bas monde; mais si notre humanisme, devenu
bidimensionnel, ignore les composantes mentales de la "théologie
négative", comment lirons-nous nos poètes en connaisseurs
de leur feu?
Car
les enfants d'Homère se demandent quelle est l'existence propre
à la poésie, les philosophes, quelle est l'existence propre
à la philosophie , les peintres, quelle est l'existence propre
à la peinture, les musiciens, quelle est l'existence propre
à la musique. C'est dans ce sens qu'ils disent que la proposition
" la musique existe " est tautologique car ce qui se définit
dans l'ordre de l'esprit existe en esprit. C'est en ce sens
que Dieu est une musique de l'âme de ses compositeurs, de
ses orchestrateurs et de ses dessinateurs.
9 - Le Dieu de demain 
Un
humanisme armé des scalpels de la vie ascensionnelle des fuyards
de leurs vallées est déjà un familier de l'empire des morts,
car il n'est pas d'élévation qui ne repose sur l'apprentissage
d'une ascèse intellectuelle dont une logique de l'esprit aiguise
le bistouri. Mais askèsis signifie simplement exercice en
grec. Il nous faut donc apprendre les secrets purificateurs
d'une ascèse ascensionnelle pour que ce guide de toute dialectique
donne une âme et une moisson à la "théologie négative" des
mystiques et des philosophes. L'humanisme occidental attend
l'aube d'une renaissance qui donnerait à l'humanisme en creux
de l'Europe une connaissance des "montagnes sans vallées",
celles de la "logique négative".
Les
alpinistes du mont Carmel de la raison, savent que la raison
est à elle-même son Mont Carmel. A ce titre, la philosophie
est un purificateur de la pensée qui se fait, de son ascèse,
un monastère de l'intelligence du monde. Comment une vraie
civilisation reconnaîtrait-elle d'instinct la qualité spirituelle
d'une voix de poète, mais non la qualité d'une théologie négative,
la qualité d'une ascèse intellectuelle, mais non la température
d'une sottise religieuse. Prenez les descriptions imbéciles
des ressuscités chez Thomas d'Aquin, qui explicite les raisons
pour lesquelles Jésus mangerait de bon appétit au paradis
à seule fin de satisfaire aux lois de la physique d'Aristote
et afin de convaincre à ce prix les bienheureux qui l'entourent
qu'il est ressuscité en chair et en os? Si l'Occident laïc
n'acquérait pas une connaissance abyssale des grands et des
petits mystiques, comment cette civilisation dirait-elle "nihil
humanum a me alienum puto" (Je pense que rien d'humain
ne m'est étranger)?
On
ne saurait avoir appris que tous les dieux sont mortels sans
savoir, en retour, de quels secrets ils nous entretenaient
de leur vivant et pourquoi ils ont démérité au point de trépasser
dans nos têtes, et ce que nous attendons des successeurs de
leurs encéphales. Car, d'un siècle à l'autre, nos dieux sont
nos balances à nous peser nous-mêmes. A quelle hauteur nous
logeons-nous, quels miroirs mettrons-nous entre les mains
de nos "dieux" de demain, que disent nos Célestes des sommets
que nous leur donnons à gravir?
L'oiseau de Minerve du troisième millénaire montera du crépuscule
de l'Europe. Il nous dira quel regard le Dieu mort portait
sur les piaillements de ses quatre encéphales précédents.
Alors les purificateurs du sommital nous diront si la solitude
à venir de l'humanité sera une ascèse digne de la noblesse
et de la grandeur d'Athéna, la déesse de l'intelligence dont
Renan disait: "J'arrive tard au seuil de tes mystères
".
le
12 juin 2015