1 - Les aventures du verbe comprendre
2 - La raison solitaire
3 - Qu'est-ce que la logique ?
4 - Dieu, masque de l'homme
5 - Pour une anthropologie réellement scientifique
Mes vœux pour
2015
Puissent,
en cette année 2015, les vrais historiens de
l'Europe raconter l'infamie et la honte d'un
continent placé sous le joug de l'étranger.
Puissent, en cette année 2015, les vrais historiens
de l'Europe perpétuer la mémoire du blocus auquel
de petits Napoléon de la démocratie tentèrent
de soumettre la Russie de Tolstoï et de Dostoïevski
.
Puissent,
en cette année 2015, les vrais historiens de
l'Europe appeler au secours un Bolivar du Vieux
Monde, puissent les peuples vassalisés sous
le joug du mythe de la Liberté délivrer leur
nation des cinq cents bases militaires américaines
qui, depuis trois quarts de siècle, y promènent
leurs képis.
Puissent,
en cette année 2015, les dirigeants d'une République
titubante retrouver l'usage naturel d'une langue
claire, fluide et d'une démarche assurée, puissent,
en cette année 2015, les mots qui hoquettent
et clopinent d'un bêlement au suivant retrouver
leur ancienne vigueur et redonner au pays l'allure
des peuples qui vont leur chemin sous leur propre
bannière.
Ce 9 janvier je commence un exposé de dix textes
brefs et que je voudrais utiles à la reconstruction
de la pensée rationnelle sans laquelle la France
courra au naufrage de ses voix.
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1
- Les aventures du verbe comprendre
Il y a quinze jours, je rappelais la difficulté qu'éprouvent
les paléontologues à retrouver les sentiers par lesquels un
bimane prédestiné à quitter la zoologie et à devenir volubile
a tenté de se mettre en apprentissage d'un regard de l'extérieur
sur lui-même; et j'avais remarqué qu'à l'origine du langage,
les dieux avaient paru remplir cet office à la satisfaction
générale, mais que, dès le Ve siècle avant notre ère, les
Athéniens avaient commencé de prendre leurs Célestes à revers
et s'étaient attelés, dans un premier éclat de rire de leur
raison, à la tâche d'observer les Immortels cachés dans leur
dos, ce qui présentait un grand avantage politique pour les
deux parties; car les Olympes étaient en charge de rendre
la justice, ce qui permettait aux simianthropes de l'époque
de découvrir l'impossibilité dont souffre l'humanité de récompenser
équitablement et de punir à bon escient. Car sitôt que les
dieux quittent leur royaume pour officier dans les prétoires
solennels des cités, ils se rendent ridicules et cruels. Aujourd'hui
encore, nos trois dieux uniques en sont réduits à la sauvagerie
de leurs châtiments et au grotesque dans la distribution de
leurs vaines gâteries aux ossatures immortalisées de leurs
créatures.
Puis l'homme moderne a tenté de se regarder de plus loin et
il a chaussé les lunettes de ses sciences dites expérimentales.
Mais, du coup, il a découvert, atterré, que les significations
du monde précèdent les constats censés les vérifier et que
l'expérience coutumière demeurerait sans voix si vous la priviez
des paramètres qui éclairent les faits d'avance.
Du
coup, toute science descriptive commence par se donner des
yeux et des oreilles ; ce qui rend anachronique son décryptage
antérieur de l'intelligibilité du monde. Mais alors, l'autorité
raffermie qu'elle revendique et qui la rend prospective se
fonde sur une distanciation intellectuelle régénérée. Faut-il
en flairer l'odeur le nez au vent? Nenni. Une science ne se
révèle heuristique que si elle demeure ambitieuse de surplomber
le décryptage à ras de terre qu'elle a vocation de réfuter.
Mais comment rendre compréhensibles les déchiffrages successifs
d'une discipline qualifiée d'expérimentale si l'expérience
attend ses décodeurs sur des hauteurs sans cesse nouvelles?
Quel sera l'objet réel de l'expérience s'il faut connaître
d'avance la semence inconnue qui fécondera le champ. On ne
réfute jamais qu'une myopie, mais une myopie ne se révèle
qu'à retardement.
C'est
donc que l'espèce de raison mise à "l'épreuve des faits",
comme on dit, donc en usage à telle ou telle époque de la
lente évolution cérébrale de la bête, cette raison, dis-je,
perdra le titre d'expérimentale et de scientifique
quand nous aurons commis le sacrilège promotionnel d'inaugurer
une compréhensibilité plus en altitude que la précédente;
et celle- ci sera en rupture de ban avec les présupposés de
la connaissance jusqu'alors abusivement qualifiée d'objective.
Seul le recul d'une problématique déjà en marche, donc préjudicielle
se révèlera fécondatrice, donc profanatrice d'un verbe comprendre
en gésine perpétuelle de nos blasphèmes ascensionnels.
2 - La raison solitaire
C'est ainsi qu'en 1905 la raison publique de la France est
devenue officiellement laïque. Du coup, la raison religieuse
d'autrefois a quitté en tapinois la place qu'elle occupait
à son aise et depuis des siècles pour se trouver reléguée
et mise à l'étroit sans plus attendre dans la vie privée des
citoyens. Mais la vérité partagée que chaque époque qualifie
de hautement rationnelle est toujours un personnage
sottement collectif, donc unanimement irréfléchi, ce qui contraint
la vérité à se blottir dans des minorités stigmatisées par
le plus grand nombre. Du coup, notre histoire fait l'expérience
de la disqualification subite des majorités de l'ignorance
dont notre logique courante portait les armes . Du jour au
lendemain, un orage sera expliqué par les lois savantes de
la météorologie et non plus par la colère d'une divinité.
Comment
progresserons-nous à changer de tête d'un siècle à l'autre?
Existera-t-il une science de la succession de nos métamorphoses
cérébrales? Les apanages de la dernière arrivée de nos vérités
peineront à prendre le relais des prérogatives de nos dieux
morts ; et la nouvelle discipline de la vérité tout juste
entrée en service sera difficile à mettre sur pied dans toutes
les têtes, parce que nous sommes cérébralisés selon tel ou
tel modèle. Notre pensée religieuse protégeait nos carcasses
à titre posthume, tandis que notre raison laïque est tragiquement
déserteuse de nos ossements. Il nous faudra donc prendre sur
nos épaules la solitude du Dieu qui nous déchargeait de notre
déréliction dans le cosmos.
3 - Qu'est-ce que la logique ?
Mais puisque les faits muets qui défilent sans relâche sur
l'écran de nos expériences n'échappent décidément à leur ratatinement
dans l'éphémère qu'à la faveur d'une mise en perspective iconoclaste
de leurs paramètres pseudo explicatifs , il nous faudra nous
procurer une instance méthodologique durable, que nous appellerons
la théorie. Cet oracle sera chargé de rendre intelligible
le savoir aphone que nos huissiers enregistreront au greffe
non plus du tribunal de Zeus, mais de celui de la nature;
alors seulement notre théorie circonscrira pour longtemps
le champ d'investigation des prophéties de la matière, alors
seulement nous ferons comparaître l'univers dans le prétoire
d'une juridiction un peu moins capricieuse que celle de nos
dieux. C'est ainsi que la longévité de nos preuves scientifiques
s'est étendue d'Archimède à Einstein. Nous appellerons coordonnées
les axes de nos vérifications, celles qui imposeront à nos
expériences le sceau de leur signification. Il y faudra une
lanterne que nous chargerons d'éclairer une masse de constats
demeurés sans voix et qui ne commenceront de "parler raison"
qu'à l'heure de leur comparution à l'audience de nos problématiques
dûment autorisées à exercer leur judicature.
Aussi,
depuis Platon, la philosophie explicative est-elle une science
des coordonnées qui donnent la parole à des maïeutiques de
notre intelligence en devenir. Seule une logique inspirée
par nos accoucheurs socratiques sera en mesure de tenir les
rênes des faits et de les contraindre à nous avouer leur signification
théorique. Nous appellerons dialectique le cocher qui conduira
tout notre attelage à destination. L'art d'enchaîner nos propositions
les unes aux autres sous le fouet d'une logique unificatrice
et ascensionnelle change notre dialectique en une géométrie
accusatoire, celle des connaissances que nous promouvons au
rang de rationnelles sur nos échiquiers toujours en marche.
4
- Dieu, masque de l'homme
Mais
sur quoi nos accusateurs font-ils porter leurs réquisitoires?
Précisément sur la guerre qui règne entre nos présupposés
d'hérétiques, qui seuls donnent leur sens scientifique à nos
expérience, et les a priori orthodoxes de nos adversaires,
qui leur ont été révélés, à les entendre, par la divinité
qui pilote tous leurs jugements. Saint Paul prétendait que
la loi divine se plaçait en amont du péché et qu'il ne nous
restait qu'à définir le Bien et le Mal à l'écoute du ciel,
puis à châtier les pécheurs en supplétifs d'une dogmatique,
donc en auxiliaires placés en aval d'une réponse doctrinale.
Mais Socrate lui répond, avec un demi-millénaire d'avance,
que la mort de Zeus nous met en charge de la gestion de sa
tête, de son âme et de son éthique, tellement le défunt ne
saurait avoir emporté son savoir dans sa tombe.
Du
coup il nous faut mettre nos dieux sur le gril et les citer
à la barre de notre tribunal. Car nous ne saurions à la fois
jeter nos Olympes aux orties et ne pas occuper la place qu'ils
auront laissée vacante. Quels étaient les présupposés qui
élevaient nos Célestes au rang de législateurs chevronnés
du cosmos, d'expérimentateurs légitimes de notre histoire,
de vérificateurs patentés de nos vérités à nous? Voici que
notre raison dérélictionnelle se demande comment nous l'avons
construite, puis confiée à nos représentants dans le vide
de l'immensité.
Quelle
est la subjectivité originelle d'une créature devenue rebelle
à l'autorité et à la logique de ses dieux? L'Europe de notre
temps illustre la première civilisation dont les mythes religieux
se révèlent radicalement incompatibles avec les démonstrations
et les connaissances de ses astronomes. En 1543, Copernic
révélait que la terre tournait autour du soleil et que les
anciens forgerons de l'infaillibilité de Zeus se trouvaient
tous réfutés dans leurs écrits pour avoir soutenu mordicus
la rotation en sens contraire du soleil. L'Eglise s'en est
tellement affolée qu'elle a prétendu - et pendant plus d'un
siècle - que les preuves matérielles et les témoignages oculaires
d'une créature infirme demeuraient impuissants par nature
à réfuter les textes censés avoir été dictés du haut du ciel,
donc seuls incontestables, puisque racontés par la divinité
en personne à ses scribes assermentés.
Mais, du coup, le fondement psychobiologique des croyances
religieuses s'est révélé indépendant des récits fantastiques
qui les allèguent. Puis la découverte de l'infini n'a nullement
ruiné la crédibilité des narrations sacrées dans les esprits:
au contraire les croyants en ont aussitôt conclu que leur
foi se trouvait pleinement confirmée et même plus sûrement
cautionnée par la réfutation récente de l'autorité de leurs
textes pourtant garantis jusqu'alors par leur ancienneté,
de sorte que, depuis le XVIIIe siècle, les chrétiens, les
juifs et les musulmans ne croient plus au géocentrisme sans
s'expliquer en rien de l'effrondrement leurs cosmologies mythiques
sous les coups de boutoir de la science.
Puis,
au début du XXe siècle, l'univers mesurable en longueur, largeur
et profondeur que les hommes et les animaux se partageaient
depuis les origines a fait naufrage à son tour, de sorte que
le temps d'Euclide ou d'Archimède est subitement devenu une
forme de la matière soustraite aux instruments des arpenteurs,
tandis que le cosmos des atomes multipliait par quatre milliards
la distance qui nous sépare de l'étoile la plus proche - elle
se cache à quatre années-lumière de notre astéroïde. Enfin,
l'évolutionnisme a définitivement chassé Adam et Eve de l'Eden,
mais sans jamais jeter à bas les cosmologies mythiques de
nos ancêtres. C'est donc que la subjectivité du sacré semi-animal
n'est en rien tributaire ni de la physique mathématique, ni
des axiomes de la géométrie d'Euclide, ni des lois d'Archimède,
ni de la logique d'Aristote.
5
- Pour une anthropologie réellement scientifique
Du
coup, l'Europe du XXIe siècle se trouve chargée d'une mission
cognitive sans exemple en aucun temps, celle de découvrir
les racines de la panique qui s'empare du simianthrope sitôt
qu'il se sent menacé de se trouver à l'abandon dans le cosmos
et cela, précisément à l'exemple d'une divinité jugée rassurante,
puisque sa solitude à elle était si peu tragique et si légère
à peser sur ses seules épaules qu'elle paraissait nous délivrer
du poids de la nôtre. C'est dire que la mutation politique
et intellectuelle de la planète actuelle coïncide avec une
plongée abyssale dans la connaissance de l'animalité spécifique,
donc de type cérébral, non seulement de la bête volubile,
mais des divinités qui la dédoublent et lui donnent la réplique
dans le vide de l'immensité et de l'éternité.
De
toutes façons, un animal onirique de naissance et qui n'a
quitté la zoologie que pour s'entretenir de siècle en siècle
et le plus sérieusement du monde avec des personnages aussi
imaginaires que fantastiques - et qu'il traite en souverains
fabuleux de son histoire, mais qu'il finit par reconnaître
pour n'avoir jamais existé ailleurs que dans sa conque osseuse
- un tel animal, dis-je, s'ouvre à une spéléologie du titanesque
cérébral entièrement inédite; et une anthropologie prétendument
scientifique, mais qui ignore l'hallucination mentale de la
bête demeure aussi éloignée d'une anthropologie qualifiable
de scientifique que l'alchimie du Moyen-Age demeurait étrangère
à la chimie de Lavoisier.
Mais n'est-il pas étrange que la quatorzième ou la quinzième
année de nos six derniers siècles aient illustré un tournant
décisif de notre histoire? En 1415, la bataille d'Azincourt
a mis en évidence et rendu irréfutable une scission sans remède
entre l'Europe et l'Angleterre, et cette scission entre les
îles et la terre ferme retrouve de nos jours toute son actualité
politique. Puis, en 1515, la bataille de Marignan a fait débarquer
le canon dans le progrès continu de la technique de nos massacres
à la guerre. Puis, en 1610, l'assassinat d'Henri IV a démontré
que nos cosmologies mythique répondent aux diverses psycho
physiologies de nos peuples et de nos nations et que l'Europe
latine conservera le catholicisme des magiciens de l'autel,
tandis que toute l'Europe du Nord persévèrera dans un rationalisme
protestant aux rituels quelque peu désensorcelés. Puis, en
1715, la mort tardive de Louis XIV a coïncidé avec un nouvel
essor d'un Siècle des Lumières, qui avait commencé du temps
de Bossuet. Puis, en 1815, le retour inopiné des Bourbons
allait conduire en quelques soubresauts le monde entier au
triomphe du régime démocratique Puis, en 1914, l'Europe a
franchi le premier pas vers sa sortie irréversible de la géopolitique.
Enfin, en 2015, l'épicentre de la planète a définitivement
basculé du côté de l'Asie et l'Europe n'a plus le choix que
d'entrer dans la planète de demain ou à se coller en vassale
aux chausses d'une Amérique condamnée au déclin.
Décidément,
c'est dans le prétoire du "connais-toi" socratique que la
raison simiohumaine accède à la dignité des accoucheurs du
tragique; car la pensée rationnelle brandit désormais sur
nos têtes le fouet de nos futures élévations mentales; et
nous découvrons, dans l'ahurissement, que nous étions des
animaux cachés sous les effigies de nos sorciers du cosmos.
La philosophie est devenue un Zeus dont les éclairs nous brûlent
les doigts. Voici que le mythe de la Liberté enchaîne ses
valets à son verbiage. Quel est ce personnage et sur les planches
de quel théâtre s'avance-t-il? Son sceptre et sa dégaine sont-ils
dignes du décodage d'une espèce larguée dans le néant ou seulement
un déguisement de notre politique, un déguisement de notre
justice, un déguisement de tueurs masqués par leurs dieux?
C'est
ce que nous verrons la semaine prochaine.
Le 9 janvier 2015