1 - Y aura-t-il des chefs d'Etat spéléologues
?
2 - Comment forger des Etats pensants
3 - L'ignorance des Etats modernes
4 - Le spirituel et le tragique
5 - Les rendez-vous de la pensée moderne
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- Y aura-t-il des chefs d'Etat spéléologues ? 
Comment un chef d'Etat qui se serait quelque peu informé du
degré d'avancement des sciences humaines d'avant-garde de
notre temps et des progrès de la spectrographie anthropologique
du cerveau religieux de notre espèce profitera-t-il de ses
premiers pas de méta-zoologue des miracles? Son premier devoir
de praticien et d'observateur distancié de l'encéphale des
Etats et de leur apprentissage des relations de l'homme avec
le sacré sera de placer le scalpel de la réflexion éclairée
avant la charrue aveugle de l'action publique. A quoi bon,
se dira-t-il, interdirai-je à un sexe condamné par le ciel
à demeurer illettré de s'attifer des vêtements imposés de
là-haut à leur pudeur: rien n'aura bougé dans la lecture formaliste
et effrayée qu'on leur aura inculquée d'un livre d'images
du septième siècle de notre ère?
Revenons donc à l'analyse para-zoologique des démocraties
mythiques d'aujourd'hui. Elles illustrent la politique et
l'histoire de la bête rendue semi-réflexive. Son bréviaire
est celui du messianisme que propage la bannière américaine.
Nous avons vu que les autels du symbolique que le simianthrope
d'outre-Atlantique se construit se nourrissent des assassinats
sacrés qui servent d'assise au culte de la Liberté.
Mais
que dirait-on d'un Périclès qui aurait rejeté, certes, avec
audace les pratiques infantiles de la piété de ses concitoyens,
mais qui n'aurait réfuté en rien la sottise de leur croyance
en l'existence objective des acteurs rémunérés du cosmos qui
se promenaient encore sous tous les os frontaux? Il faut sommer
les Athéniens du IIIe millénaire de mériter le titre de maîtres
d'école de l'Europe, il faut leur demander de se saisir de
l'occasion qui leur est soudainement apportée de lancer un
défi triomphal au vieil Ouranos et à tous ses successeurs.
Mais il se trouve que, depuis la nuit des temps les peuples
et les nations ne se sont révélés gouvernables que par un
usage habile de leurs rêves d'enfants fascinés par le merveilleux.
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- Comment forger des Etats pensants 
Une République devenue rationnelle se couvrirait donc de ridicule
si elle n'avait pas conquis, au préalable, la stature d'un
géant de l'instruction publique. Un Etat redevenu relativement
rationnel, donc investi d'une mission d'éducateur sommital
saura qu'il vaut mieux réfuter la croyance en l'existence
réelle des dieux campés dans toutes les boîtes osseuses que
de ne tourner en dérision que les colifichets ridicules qu'ils
vous font arborer. Mais si la vocation socratique des Etats
devenus pensants doit se révéler compatible avec la survie
politique du simianthrope semi-réflexif et si cette survie
enseigne, hélas, que seule la peur inspire le respect pour
leurs dirigeants aux évadés de la nuit animale, il en résultera
que l'autorité publique ne reposera jamais sur la bonté d'un
Etat désarmé. Et la pensée ne s'enseigne pas à l'école des
armes.
L'heure a donc sonné, pour l'Europe craintive et pour les
peuples condamnés à la candeur démocratique d'un côté et à
la maturité civique, de l'autre, de s'armer d'une politique
de la raison suffisamment adulte pour guider l'intelligence
de la civilisation mondiale entre les récifs de la peur. Mais
comment une méta-zoologie universelle assumera-t-elle la survie
cérébrale d'un continent apeuré si l'avenir de la pensée rationnelle
et mondiale dépend des progrès de la connaissance expérimentale
des arcanes anthropologiques des cosmologies mythiques?
En 1882, une laïcité encore étroitement associée aux candeurs
de la Révolution de 1789 croyait connaître la clé de toutes
les naïveté religieuses de la terre; en 2014, en revanche,
ce sont les Etats devenus de plus en plus pseudo rationnels
qui se trouvent au pied du mur et qui paient le prix le plus
lourd à leur ignorance des ressorts psychobiologiques de la
bête agenouillée devant sa propre image magnifiée, alors que
ces prosternations effarées devant un maître glorifié du cosmos
sont canalisables depuis des millénaires et, le plus souvent,
pour le plus grand profit du bien commun. Aussi les Etats
devenus les cancres d'aujourd'hui ont-ils, plus que jamais,
la charge de prendre sur leurs épaules une philosophie abyssale
des songes publics et de leurs tréfonds dans la psychobiologie
encore mal explorés des fuyards du règne animal. Il y faut
des dirigeants plus pensants que les cieux pour enfants de
leur temps, il y faut une maïeutique des rêves utiles ou nuisibles
de l'humanité! Car le temps s'achève où l'ignorance et la
sottise se révélaient utiles à l'humanité.
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- L'ignorance des Etats modernes 
Exemple:
le christianisme des premières candeurs reposait sur l'abolition
de la propriété privée. L'infantilité originelle des agrandissements
oniriques de cette religion de la délivrance a mis plusieurs
siècles à seulement convaincre les Césars des rêves anciens
de jeter aux orties les Célestes rudimentaires du passé; et
maintenant, ce sont les Etats laïcs qui n'osent prendre la
relève de la réfutation radicale des premiers Olympes du simianthrope.
Certes, la guerre des cerveaux avait été couronnée de quelques
succès locaux et provisoires face à un Ouranos à bout de souffle
et qui ne faisait plus le poids sous l'assaut tenace des premières
sciences exactes. Mais maintenant, comment une divinité scindée
entre les gâteries posthumes qu'elle distribue à des ossatures
ravies de la longévité qu'on leur accorde et les tortures
enragées, mais inutiles auxquelles elle s'exerce encore sous
la terre pèserait-elle plus lourd dans la tête des adorateurs
qu'un Ouranos fatigué de déglutir les nourrissons que la fécondité
inlassable de Gaia ne cessait de lui servir?
Encore une fois, si les Etats modernes sont devenus aussi
résolument acéphales qu'au Moyen-Age, c'est qu'une laïcité
qui se prendrait au sérieux et qui formerait la jeunesse à
une lucidité digne de notre époque rencontrerait des obstacles
politiques titanesques : on ne remplacera pas aisément et
du jour au lendemain un cosmos habité depuis des millénaires
par un seul Céleste ou par une équipe de campeurs hissés sur
des Olympes par un cosmos désespérément désert et privé de
délivreur. Certes, Luther et Calvin auraient jugé stupide
d'interdire à titre préjudiciel aux réformés la croyance de
l'époque aux prodiges matériels réputés se produire sans relâche
sur l'autel de la messe. Mais quels arguments les Réformateurs
présentaient-ils aux foules si le Zeus des chrétiens demeurait
intouchable et inébranlable aux yeux de tout le monde et si
une spiritualité de la solitude, inaugurée par l'Eveillé attendra
des siècles encore?
4 - Le spirituel et le tragique 
C'est qu'en ce temps-là, l'ignorance religieuse des catholiques
ne présentait rien de tragique, bien au contraire, puisque
leur Dieu, privé des prodiges de l'autel par le scalpel de
Calvin était plus berceur que le précédent et pouponnait plus
gentiment tout le monde. Et voici que l'ignorance de notre
temps se révèle de nature si peu rassurante qu'elle fait frémir
les candidats les plus vaillants à la connaissance rationnelle
du cosmos. La tutelle d'une catéchèse réformée et privée seulement
de prodiges suffocants demeurait un jardin d'enfants: on pouvait
y grandir sans perdre son jouet principal - un Dieu assagi
et privé de ses miracles les plus intrépides, mais également
de tortures suffisamment épouvantables pour imposer le plus
grand respect à tout le monde. Et maintenant, un univers matériel
que la lumière met quinze milliards d'années à parcourir ne
sert que de sautoir minuscule en direction d'une éternité
mariée à l'immensité! Quant au bond suivant dans le vide de
l'éternité, il met bien davantage de distance entre notre
science de la matière et le récit tranquillisant de la Genèse
que les Grecs du temps d'Homère ne s'étaient éloignés de l'assaut
des Centaures.
Le vide actuel d'un cosmos non mesurable rend les religions
à la fois plus existentielles que du temps d'Homère et plus
aporétiques que jamais, tellement aucune théologie ne saurait
leur prêter leurs échafaudages microscopiques. Mais, dans
le même temps, les évadés partiels de la zoologie ont à relever
un défi digne de l'évolution de leur embryon de cervelle:
il leur faut changer radicalement de nature et se convertir
à un exploit plus extraordinaire que de passer par le trou
d'une aiguille qu'évoque l'Ecriture: il leur faut apprendre
à rivaliser à visage découvert avec leur divinité grossièrement
masquée par leur propre petitesse, il leur faut prendre résolument
la place de "Zeus" lui-même, il leur faut observer sans trembler
le solitaire du néant qui a pris leur place d'ermites du silence
et du vide. Aussi nos Etats, devenus tout tremblants, rivalisent-ils
maintenant d'ignorance sur la scène internationale avec les
camouflages ecclésiastiques de la vérité. Et surtout les secrets
politiques et psycho-ecclésiaux fatigués dont les sacerdoces
pelotonnés dans leurs catéchèses ont besoin se révèlent des
énigmes prometteuses dans un univers devenu idéalement silencieux
et muet.
5 - Les rendez-vous de la pensée moderne

Pourquoi une école publique timorée a-t-elle perdu l'ambition
et le courage d'instruire les démocraties veuves des théologies,
mais non du spirituel, de la marche de la pensée et de la
raison sinon parce que la laïcité se révèle épouvantée à son
tour? Pourquoi l'éducation nationale a-t-elle enfanté des
prêtres désarmés et des bedeaux effarés au sein des républiques
petitement hiérarchisées et fièrement fondées sur des abstractions
pseudo salvifiques? Que de concepts pseudo rédempteurs et
de catéchèses pseudo délivrantes! N'est-ce pas avec le tragique
de l'infini que la pensée moderne a pris rendez-vous?
Un nouvel héroïsme et une nouvelle grandeur nous attendraient-ils
au terme de ce chemin-là ? Serait-ce une bénédiction, pour
les civilisations moribondes de rendre à la pensée le tragique
et la noblesse de défier des croyances si elles ont perdu
leur toge rassurante et si leur ruine est le premier pas d'une
ascèse nouvellequ'on jugeait rassurantes?
Le
débarquement de l'angoisse dans l'univers de la connaissance
rationnelle et du tragique dans la politique, quel privilège.
Le sang et la mort sont les vrais interlocuteurs de l'homme
à la ciguë.
C'est
ce que nous verrons dans les six réflexions qui nous attendent
et qui mettront un terme à ces commentaires de la stérilité
des réactions de l'Etat à l'attentat du 7 janvier.
Le
6 mars 2015