*
Introduction
Sans doute
les historiens de la première décennie du troisième millénaire
diront-ils, primo, que l'heure de l'effondrement d'un
empire fondé sur la manne d'une monnaie fictive approchait
à grands pas, parce que le gouffre devenait abyssal entre
les ressources de la nation et le coût fabuleux tant de la
navigation d'une gigantesque flotte de guerre sur toutes les
mers du globe que de l'entretien à fonds perdus de mille deux
cents garnisons implantées sur les cinq continents; secundo,
que la crise économique s'est aggravée en 2010, parce qu'il
devenait évident qu'elle mettait en question la validité des
fondements mêmes du capitalisme, et cela bien plus gravement
que du temps où le rêve communiste avait un instant paru crédible
à l'armée des semi intellectuels évangélisés par l'utopie;
tertio, que la ruine du Nouveau Monde a été prodigieusement
accélérée par Israël, qui avait ridiculisé le géant aux yeux
du monde arabe, de la Chine, de la Russie, de l'Amérique du
Sud et même du Japon en raison de son refus catégorique de
mettre un terme provisoire à ses conquêtes territoriales ;
quarto, qu'il était aussi impossible de rendre viable
un Etat palestinien infirme que d'en faire accepter un vrai
à Jahvé; quinto, qu'un personnage demeuré vaporeux
depuis le paléolithique avait subitement débarqué en armes
dans l'Histoire, la conscience universelle, laquelle clouait
maintenant au pilori l'immoralité de la classe dirigeante
de la démocratie mondiale; sexto, que le fossé entre
les peuples et leurs élus avait été rendu abyssal par le spectacle
d'une civilisation de la Liberté occupée à affamer, les armes
à la main et tous canons pointés, la population d'un territoire
d'un million six cent mille habitants à Gaza.
Mais, plus
souterrainement encore, un siècle qui voyait fondre à vue
d'œil les assises anciennes de l'histoire du monde faisait
germer en secret deux révolutions nouvelles de la conscience.
Alors que Copernic n'avait jamais ébranlé le sens commun de
l'âge de pierre - on voyait toujours le soleil courir dans
le ciel - l'univers à quatre dimensions devenait angoissant
dans ses profondeurs, parce que l'écart entre le témoignage
quotidien des sens et la vérité des physiciens du cosmos avait
fait table rase de la logique d'Aristote. Le second séisme
résultait de la nécessité de décrypter dorénavant l'identité
humaine à la lumière d'une spéléologie des symboles, parce
que si l'homme réel ne se cachait ni dans sa chair, ni dans
le fantôme d'"esprit" conceptualisé de Platon à Hegel, comment
fallait-il tenter de connaître et de comprendre l'humanité
transanimale? Naturellement, il a fallu un ébranlement titanesque
du monde ancien pour que la question : "Qui suis-je?" se glissât
à nouveau hors de son sépulcre.
Dans le texte
ci-après, j'ai tenté de signaler quelques repères d'une évasion
aléatoire.
1 - La vocation de la raison
des modernes
2 - La généalogie de Dieu
et de l'Etat
3 - Un retour à Descartes
4 - Le trépas et les funérailles
du sens commun de Descartes
5 - Et maintenant …Israël
6 - Israël et l'avenir de
l'anthropologie philosophique moderne
7 - Le mythe de la caverne
8 - La troisième postérité
de Platon et du concept
9 - Le symbolique est le
télescope de la philosophie
10 - Résumé et conclusion
1 - La
vocation de la raison des modernes
Pour comprendre la généalogie des signifiants, donc du sens,
l'analyse anthropologique des mécanismes psychiques qui façonnent
les interprétations religieuses du monde nous conduit au cœur
de la greffe du langage des signes sur la politique et sur l'histoire,
mais également au cœur de la pensée scientifique. Pour accéder
au recul d'un regard de la raison sur la migration du réel vers
une signalétique générale - vers un réseau de signaux - il faut
donc entrer dans l'encéphale du croyant jusqu'à en comprendre
non seulement la sauvagerie native et inévitable, mais également
l'élévation et la noblesse des codes d'interprétation du monde
qui pilotent l'encéphale des semi évadés de la zoologie.
Sans une lecture ouverte au pathétique des signalisations simiohumaines,
il n'y aura pas de science de l'encéphale trans-animal.
Si
j'emprunte le discours d'une laïcité censée fonder l'identité
cérébrale de la France et si je soutiens que la religion n'est
nullement dangereuse en elle-même, mais dans ses dérives occasionnelles
et qu'il faut seulement éviter ses fâcheuses instrumentalisations
politiques, je présupposerai que les religions seraient étrangères
au politique par nature et par définition, ce qui démontrera
combien j'aurai passé outre à l'essentiel, à savoir que rien
n'est plus viscéralement et plus originellement politique par
nature que de doter le cosmos d'un créateur omniscient, d'un
administrateur général chevronné, d'un législateur avisé et
d'un pilote omnipotent de l'éthique du monde, de sorte que c'est
la laïcité qui instrumentalise le mythe religieux en retour
à le priver en un tournemain de son véritable contenu, qui est
politique par définition, donc "fondamentaliste", comme
on dit. L'idole se vengera de ce coup de force à son égard:
elle émigrera sans plus attendre vers des sociétés prétendument
devenues rationnelles, qu'elle contaminera sans difficulté,
et cela au point de les faire patauger bien davantage dans le
sacré que précédemment, mais entièrement à leur insu et au cœur
même d'un temporel prétendument triomphant. Une science anthropologique
rigoureuse ne saurait se permettre d'oublier la logique qui
inscrit l'homme tout entier dans des mondes politiques. Le cerveau
de cette espèce se trouve dédoublé de naissance entre le "réel"
et divers mondes imaginaires. Mais ces univers distincts s'interpénètrent
réciproquement selon des dosages à préciser. La raison de demain
a d'autant plus vocation de décrypter les songes religieux métissés
que Freud n'y suffit plus, que la postérité de Darwin y tâtonne
et que la notion emmêlée et inconsciemment confuse "d'objectivité
scientifique" est sans cesse à retirer de sa gangue mythique
du moment.
Si l'on ne se pénètre pas de l'évidence première que le croyant
est pleinement convaincu de l'existence et de l'excellence d'un
créateur politique du cosmos et que les sages directives de
cet acteur de l'histoire auraient permis de séparer le plus
sincèrement du monde et de toute éternité un Bien et un Mal
majusculaires, donc fantasmagoriques par définition, comment
le philosophe et l'anthropologue trans-relativistes observeraient-ils
"les mots et les choses" en tant que personnages
distincts? Car ces ennemis sont irrémédiablement condamnés à
sceller entre eux des pactes arbitraires et artificiels, dont
la vocation sera d'expliquer non seulement la politique et l'histoire,
mais l'impertinence de la théorisation anthropomorphique de
la tête aux pieds de la course de l'univers de la matière sur
des chemins réputés locuteurs.
C'est
dire également qu'un humanisme horrifié par la sainte Inquisition,
par exemple, se privera du regard plongeant d'une anthropologie
drastique sur les alliances secrètes qu'une imagination religieuse
et une rationalité pudibonde concluent avec les piétés verbifiques
qui servent de poutres de soutènement au suffrage universel.
Qu'en est-il de l'autorité de l'axiomatique politico-magique
du rêve de la Liberté, qu'en est-il de l'élévation d'une narration
des évènements à l'intelligibilité de l'histoire, qu'en est-il
du récit ensorcelé par la pseudo compréhensibilité qu'il affiche,
qu'en est-il de la métamorphose du renseignement muet en une
symbolique au sein d'une problématique dans laquelle le signe
insèrera ses prétentions à l'infaillibilité doctrinale?
2
- La généalogie de Dieu et de l'Etat
Comparons
le voyage que le vocable "Dieu" a entrepris en direction d'un
personnage qu'on croira agissant avec constance et sagesse dans
le monde et qui sera censé en fournir des preuves en abondance,
passons, dis-je, de l'itinéraire du discours religieux à celui
du substantif "l'Etat", cet acteur non moins réputé physiquement
agissant que "Dieu" sur la scène du monde.
On
sait que la pertinence du langage attribué à l'association du
ciel et de l'Etat est censée se trouver démontrée par la substantification
de leurs exploits respectifs: il en résulte que s'il n'existait
pas de cathédrales, si tous les villages de France perdaient
leur clocher, leurs cierges, leurs ciboires, leurs missels,
leurs prie-Dieu, leurs encensoirs et leurs autels, "Dieu" verrait
s'évanouir des apanages tenus pour visibles et censés vérifier
ses activités sur la terre; et il est démontré que la foi s'éteindrait
aussi immanquablement dans les cœurs et dans les esprits que
Zeus ou Mars, qui ont disparu des consciences avec leurs prêtres,
leurs rituels, leurs liturgies et les sacrifices d'animaux domestiques
qu'on leur offrait en tous lieux .
La question est donc de savoir comment il se fait que, dans
l'état actuel de son évolution, le cerveau de notre espèce croit
en la réalité des personnages qu'il a mis en embuscade dans
les coulisses du monde et dont les attributs prouveraient l'existence
et donneraient leur voix aux choses. N'en est-il pas de même
de l'éloquence attribuée à l'Etat en tant que tel? Mais si ce
vocable ne se trouvait que dans les dictionnaires, alors que
sa sonorité est censée étaler des paramètres physiques spectaculaires
aussi bien sur les places publiques qu'à l'école de ses nombreux
dignitaires - qui vont de la masse de ses gendarmes aux robes
noires de ses magistrats et des palais somptueux de la République
aux cérémonies cadencées du 14 juillet - qui parlerait d'une
nation et d'un peuple, qui proclamerait tangible et visible
l'Etat en tant que tel et sous les mêmes apparats et simulacres
que Dieu ? Demandons-nous donc ce que signifient les mots harnachés,
galonnés, enrubannés dont les évadés de la zoologie chargent
désormais de porter en public le glaive et l'éclat de leurs
définitions, demandons-nous ce que signifient des abstractions
rendues ostensibles, croit-on, et auxquelles il est demandé
de porter au côté l' épée effilée de leur sens.
3
- Un retour à Descartes
Pour
tenter de résoudre ces difficultés, revenons un instant au premier
anthropologue moderne, un certain René Descartes, qui s'échinait
à expliquer à la princesse Elisabeth que sa pieuse philosophie
du Moyen Age était entièrement erronée et qu'elle avait le plus
grand tort de persévérer dans son obstination dévote à se définir
comme un "mélange de corps et d'esprit". Car les scolastiques,
ses pédagogues, étaient coulés dans le moule du mythe chrétien
de l'incarnation de la vérité et du sens, comme la France républicaine
est coulée dans le moule épistémologique du mythe de l'incarnation
de la démocratie.
Certes,
Descartes défendait les fondements platoniciens de la science
du XVIe siècle qui, avec les Copernic et les Galilée, avait
été contrainte de revenir à la distinction socratique entre
le concept et la matière. Mais la question n'avait pas encore
pris le sens politique, historique et anthropologique qu'elle
prend de plus en plus aux yeux des modernes. Car si la princesse
Elisabeth ne parvenait ni à se concevoir sous les traits d'un
pur esprit, ni à s'abaisser au rang d'une matière, il lui fallait
se résigner à concocter les signifiants du monde dans la marmite
du diable où le Moyen Age cuisinait les salmigondis savoureux
du "sens commun".
Si
le siècle de Descartes était parvenu à faire choir les savoirs
réputés intelligibles dans le champ périlleux de l'histoire
et de la politique, il aurait observé la migration harassante
du mythe de l'incarnation en direction d'une problématique censée
rendre désormais "parlantes" toutes seules les sciences
de la nature. Car, de Copernic à Einstein, celles-ci se sont
imaginé que les concepts de raison, de cause,
de déterminisme se substantifiaient sous la meule de
l'expérience, laquelle en vérifiait souverainement le contenu
langagier. Mais qu'en est-il de la forgerie de la preuve censée
illustrer la parole du sens sur son enclume et qui illuminerait
un savoir jailli de ses flambeaux vocaux?
Le "discours de la raison" que l'univers était réputé
tenir au cœur de la physique mathématique classique portait
les mêmes vêtements verbaux que la théologie finaliste dont
une divinité amie du sens commun était habillée;
et la politologie servait de couturier à un Etat de droit calqué
sur les recommandations expresses ou les ordres catégoriques
d'un ciel de mèche avec la rationalisation des habitudes de
la matière. Mais cette rationalisation demeurait inconsciente
des valeurs qui lui donnaient son assise dans "l'intelligible".
Comment expliquer le parallélisme entre les vêtures vocales
du ciel et la logique simiohumaine du cosmos?
Il
faut se résigner à l'avouer, les difficultés qu'un certain Renatus
Cartesius rencontrait à seulement tenter de fixer un court instant
l'attention d'oiseau de la princesse Elisabeth sur le problème
qu'il la conviait en vain à examiner - il a fini par y renoncer,
non sans un mouvement d'humeur assez vif - ces difficultés pédagogiques,
dis-je, sont demeurées les mêmes aux yeux de la conscience d'oiseau
d'aujourd'hui, qui persévère à métamorphoser les routines profitables
du cosmos en un discours rationnel. Vous ne perdrez peut-être
pas votre salive à prétendre éveiller l'intelligence du simianthrope
sur l'évidente vérité que le concept de Dieu demeurera séparé
de son culte et étranger à la substance attribuée à l'idole
dans le polythéisme; mais jamais le cerveau de nos savants ne
vous concèdera que l'Etat en tant que tel est un pur concept,
lui aussi, et qu'il ne saurait se substantifier en un appareil
auto substantificateur, composé de ses juges, de ses soldats,
de son administration, qui s'échineront jour et nuit à prétendre
le chosifier. Il faudra donc observer comment nous soulevons
à bout de bras le mythe de la réification de la parole de l'Etat,
donc son sens, alors qu'il est bien impossible de jamais passer
d'un concept aux objets censés l'incarner - car ceux-ci se changent
en signes et sont interprétés à titre de signaux jusque dans
la théorie scientifique.
4 - Le trépas et
les funérailles du sens commun de Descartes
Et pourtant les lettres de Descartes à la princesse Elisabeth
auraient dû délivrer la boîte osseuse du simianthrope de sa
cécité ou de sa léthargie, puisque Einstein interdit désormais
de faire un pas dans l'étendue que nous avions unifiée par la
magie de la physique mathématique tridimensionnelle
Autrefois,
je marchais à grandes enjambées dans l'espace. A mes côtés,
le temps me servait d'instrument de mesure du chemin parcouru.
Et maintenant, je m'aperçois que seule la durée me permet de
conjuguer le verbe être et que je ne saurais courir dans
le cosmos si les heures ne m'avaient autorisé au prélable
à doter d'existence l'étendue. Pis que cela, si je joue au ping-pong
dans un avion, je m'aperçois que les allers et venues de la
balle ignorent la vitesse du projectile qui me transporte et
que la terre tourne sur elle-même sans se soucier de sa giration
autour du soleil. Pis encore; si j'enfourche un photon, le temps
va réduire sa coulée au point que son mince filet me donnera
un avant-goût de mon éternité - mais quel naufrage du sens commun
que le spectacle du vieillissement prématuré de mes congénères
demeurés ficelés aux heures de la terre! Et puis, quelle camisole
de force que le temps faussement généreux dont la coulée, devenue
parcimonieuse, prolonge mon ossature de quelques instants, quelle
nouvelle tromperie que de m'offrir pour immortalité un pauvre
retard de mon trépas. Pas de doute: il "existe" désormais,
autant d'espaces que de véhicules qui en transportent des bribes
et des morceaux. Le temps a épousé le mouvement, le temps l'a
ligoté et ficelé à son mystère, le temps joue à la balle avec
la matière.
Ah
! que nos ancêtres étaient encore à la fête! Deux jardinets
bien séparés se portaient secours ou couraient se prêter main
forte, celui du vide et celui du temps qui l'arpentait. Voyez
comme le mouvement endossait complaisamment la redingote des
heures, voyez comme nos cadrans en mesuraient le parcours et
la dégaine, voyez comme nos horloges permettaient au néant de
se peupler d'atomes, voyez comme la matière permettait au temps
de courir à toute allure ou avec lenteur, voyez comme les substances
se ficelaient à l'écoute du tic tac de nos pendules, voyez comme
la dromomanie de la matière se laissait domestiquer par nos
clepsydres ! Aussi longtemps que le rien et le temps campaient
sur leurs repères respectifs et se communiquaient force renseignements
dûment vérifiables, il nous suffisait d'introduire la balance
fictive de nos équations dans l'univers providentiellement répétitif
qui nous avait été donné en partage pour que nos formules algébriques
servissent à la fois de clés et de répliques oraculaires au
cosmos. En ces temps reculés, nos calculs immolaient le mutisme
de l'immensité, en ces temps reculés, la matière nous criait
que sa prévisibilité la rendait loquace en diable sur les chemins
de nos "lumières naturelles".
5
- Et maintenant …Israël
Et
maintenant, voyez à quel naufrage de notre signalétique générale
nos mathématiques ont conduit notre raison d'hier, voyez comme
un espace et une durée devenus flottants ont englouti le jeu
de tric-trac du "sens" auquel nos cadrans solaires se livraient
avec l'infini : nous voici tout disloqués par les diastoles
et les systoles du cosmos. Dites-vous bien que le temps s'est
au mouvement en est devenu le souverain, dites-vous bien que
la vitesse de la lumière a ralenti la course des heures et que
les rênes du soleil freinent et domptent la durée, dites-vous
bien que le temps et la matière ont convolé en justes noces,
mais jouent à cache-cache dans l'étendue, dites-vous bien que
la fainéantise avec laquelle nous nous traînons dans le cosmos
ne cesse de signer notre arrêt de mort et que si nous accélérions
notre trot au point de rivaliser avec la galopade des photons,
nous saurions que nos savants d'autrefois sont devenus sots
et aveugles et qu'ils voudraient n'en faire qu'à leur tête.
Figurez-vous qu'ils ne calculent plus que l'étendue et l'espace
qu'occupent les astres et qu'ils limitent l'arène de nos essoufflements
à quinze milliards d'années-lumière ; mais si vous leur demandez
ce qu'ils font du vide sans cesse rouvert au-delà de la frontière
qu'ils auront craintivement tracée, vous les verrez arrêter
le temps afin de se bâtir une demeure mesurable.
Mais sachez que Chronos a cessé de battre la mesure dans le
cosmos, sachez que la substance de nos corps nous a séparés
du temps dont la coulée uniforme rythmait nos jours d'autrefois,
sachez que le père d'Ouranos et de Gaia est devenu le poumon
fantasque de l'infini ou la "montre molle" de Salvador
Dali. Comment retrouverons-nous les arpents et les lopins de
l'espace et du temps bien sages et bien sarclés de nos ancêtres?
Comment retrouverons-nous jamais les ratissages de nos vieux
entremetteurs, qui nous payaient rubis sur l'ongle et qui veillaient
à la sacralité de nos chemins? L'angoisse est devenue le gouvernail
de notre négoce avec nos heures.
Par bonheur la postérité de nos grands philosophes prend des
chemins nouveaux. Car si nous commençons d'observer les tailleurs
parcimonieux du temps des pommes et des pommiers que la physique
d'Aristote croyait avoir répertoriés et si nous savons maintenant
que la causalité et le déterminisme, par exemple, n'ont pas
davantage de substance que Dieu ou l'Etat; et si nous avons
appris à nos dépens que les " lois de la nature" n'incarnent
nullement les déités verbales qui les élevaient dans le ciel
de la théorie, Israël fera débarquer à son tour et sans le savoir
la véritable postérité cérébrale de Descartes à la fois dans
la géopolitique et dans l'anthropologie moderne ; car même si
l'Etat juif parvenait à sembler s'incarner un instant sur la
terre, jamais il ne substantifiera ni le sionisme, ni le grand
Israël. Observons donc comment certains concepts trompent leur
monde plus longtemps que d'autres et demandons-leur des comptes.
6 - Israël et l'avenir
de l'anthropologie philosophique moderne
La
France, par exemple, croit dur comme fer et depuis quelque deux
mille ans qu'elle est à portée de main de ses géomètres et de
ses topographes, la France de Vercingétorix s'imagine que son
territoire l'incarne aux yeux de ses ridicules arpenteurs. Mais
les Etats censés durer n'existent pas davantage sur la terre
que ceux qui demeurent privés de leur pétrification illusoire
sur un territoire; car, en tant que tel, un Etat est toujours
un personnage exclusivement mental, comme l'Elisabeth de
"l'esprit" se réduisait à un signe, un signal, un symbole que
sa chair, son sang et ses os échouaient à substantifier. A quels
certificats de "l'esprit" le verbe exister en appelle-t-il
si les constats d'huissier et les actes notariaux n' attestent
pas le sens de nos signifiants?
Telle est la question qui féconde la postérité cérébrale de
Descartes, tel est son destin dans l'histoire des signes. Car
le platonisme d'hier se lovait dans la signalétique générale
de l'idéalisme classique. Mais Socrate avait beau se moquer
de Criton, qui croyait que le vrai Socrate avait des bras et
des jambes. Car nous n'avions pas d'anthropologie des hommes-signes,
nous n'avions pas de regard pour les signes en marche, nous
ne regardions pas les hommes à la lanterne, les Diogène qui
jetaient un poulet plumé parmi les définisseurs platoniciens
de l'homme.
Et
maintenant, Israël se métamorphose sous nos yeux en un témoin
du signe qu'il est à lui-même en un symbole en
marche sur la terre. Quels yeux de l'esprit le verront-ils comme
un signe de l'humanité? Car cet Etat se fait signe à
Gaza. Mais, dans les profondeurs, une mutation de l'intelligence
semi animale de notre espèce se prépare : à se trouver voué
à la destruction inexorable de sa chair et de son sang - on
ne fera pas durer physiquement un Etat colonial dans un monde
décolonisé par la démocratie mondiale - cette nation deviendra,
à son corps défendant, c'est le cas de le dire, le germe, puis
le phare de la raison diogénique de demain; car le singe vocalisé
et vocalisateur découvrira comment ses ancêtres chosifiaient
les mots de la tribu, comment ils les habillaient en personnages,
comment ils les enrubannaient vainement - mais la lanterne des
Diogène de l'humanité n'a pas de chair. Quelle ciguë que l'intelligence
écartelée entre un corps périssable et un langage illusoire,
quel remède que l'intelligence crucifiée sur la potence d'un
langage mais qu'un regard de loin sur notre espèce change en
élixir de la connaissance! Quel
est le dieu des signes dont nous sommes habités?
7 - Le mythe de
la caverne
L'avenir
de la philosophie occidentale s'inscrit tout entier dans la
postérité politique inattendue et pourtant certifiée de Descartes
et de Kant. Autant Descartes a introduit le platonisme naïf
du "sens commun" de l'époque dans la physique classique,
autant Kant a inauguré la première distanciation encore embryonnaire
et candide à l'égard des "lumières naturelles" du Moyen
Age. Certes, les "catégories" demeuraient congénitales
au jugement banalisé par la coutume dont Aristote avait inauguré
la recension dans son Traité de la logique. Mais
à l'heure où l'Europe n'occupe plus le pôle central de la géopolitique
sans avoir, pour autant, renoncé au génie prométhéen qui inspire
désormais la science mondialisée, le moment est venu de ramener
la philosophie à sa seconde origine platonicienne, celle qui,
dans le Théétète, le Gorgias, le
Hippias Mineur, fonde la théorie
de la connaissance sur une observation anthropologique avant
la lettre de la faiblesse cérébrale du genre humain, et notamment
sur la difficulté que cet animal éprouvait à l'époque pour seulement
passer du concret à l'abstrait et pour s'élever de l'objet au
concept sans se totémiser à l'école de son auto-vaporisation
dans ses grammaires.
Naturellement, Platon a été interprété d'un côté comme un mythologue
des idées dites pures, et cela malgré les tentatives méritoires
d'un Heidegger de mettre en évidence l'existentialisme caché
du disciple de Socrate, qui disait vingt-cinq siècles avant
La Bruyère : "Tel est l'homme, telle sa parole"; mais
d'un autre côté, voyez les efforts opposés des mystiques orthodoxes,
qui rappellent depuis deux mille ans que le mythe de la Caverne
se fonde tout entier sur le culte d'une lumière située au-delà
des idées pures. Qu'en est-il de la lumière du symbolique et
de la folie humaine en général? Erasme écrit de Platon: "Ce
philosophe feint une caverne pleine de gens qui y sont arrêtés
malgré eux. Un de ces captifs s'enfuit, et après s'être promené
longtemps, il revient. 'Oh! mes amis, s'écrie-t-il en rentrant
, que vous me faites pitié! Vous ne voyez ici que des ombres,
que des fantômes; en un mot, vous êtes des fous." (L'Eloge
de la folie) Mais qui sont les Socrate, les Diogène,
les Erasme, sinon des hommes-signes dont nous ne cessons, de
siècle en siècle, de décrypter le symbole qu'ils nous signalent
en marchant?
8 - La troisième postérité
de Platon et du concept
Le
monde entier entre dans la troisième postérité de Platon et
de Descartes, celle qui, non seulement observe de plus en plus
de l'extérieur le fonctionnement du cerveau semi animal de notre
espèce, donc les faiblesses respectives de la vaine saisie du
monde par des vocables et de la capture non moins vaine de l'univers
physique par l'intermédiaire des sens réduits à leur propre
témoignage; car si le langage généralisateur et qui élimine
les signes se révèle aussi trompeur que la saisie matérielle
des objets, le recul anthropologique que la philosophie platonicienne
avait esquissé ouvre aux lointains héritiers de la raison grecque
un territoire nouveau et immense, celui d'une distanciation
nouvelle à l'égard du symbolique.
L'homme
moderne se trouve livré à un cosmos désespérément expérimentable,
mais radicalement rebelle à son décryptage, donc privé de signes.
Car, d'une part, la physique einsteinienne et post-einsteinienne
a définitivement ruiné la fausse autorité qu'exerçait le sens
commun des scolastiques, mais également celle des "lumières
naturelles" de Descartes, de Kant et de Hume. D'autre
part, la double disqualification du concept et des sens éveille
un regard tout autrement distancié à l'égard de la raison simiohumaine
classique, un recul "diogénique" et qui ressortit au
génie visionnaire des plus grands écrivains et des prophètes,
qui ne se sont jamais laissé prendre en étau entre la parole
et le monde et qui s'appliquent à déjouer un piège d'une tout
autre envergure. Car, se disent les Isaïe et les Swift, les
Jérémie et les Shakespeare, les Ezéchiel et les Cervantès, comment
se fait-il que des personnages fantastiques se promènent sous
l'os frontal de notre espèce , comment se fait-il que ces acteurs
fabuleux nous racontent des histoires tour à tour délirantes
et semi rationnelles, comment se fait-il, enfin, que ces législateurs,
administrateurs et régisseurs à la fois rigides et immuables
de leur propre signalétique aient dirigé l'histoire et la politique
des otages de leurs propres symboles? Comment allons-nous hiérarchiser
les signes?
On sait que la double postérité anthropologique de Platon -
celle de la chute des sciences de la nature dans le mystère
du temps et celle du naufrage de la parole dans les délires
sacrés - élève désormais le philosophe-anthropologue au rang
d'interlocuteur privilégié de l'univers des signes . Du coup,
la distanciation du génie littéraire à l'égard des évadés partiels
de la zoologie se nourrit bien davantage de Kafka et des Voyages
de Gulliver que de la Métaphysique d'Aristote
ou de la Critique de la raison pure de Kant, bien
qu'il demeure aussi impossible d'entrer dans l'intelligence
des signes sans être monté au préalable sur les marchepieds
de la parole et en avoir compris l'utilité qu'à un chameau de
passer par le chas d'une aiguille.
9
- Le symbolique est le télescope de la philosophie
L'anthropologie philosophique des visionnaires de demain enseignera
à spectrographier la silhouette élévatoire de l'humanité telle
que le miroir du symbolique en dessinera les contours. Car le
symbolique filme un animal erratique de naissance et privé de
moyens de saisie d'un sens du monde transcendant à l'outillage
qui le forge, de sorte que cette espèce place inconsciemment
et à titre psychogénétique le cosmos tout entier sur une manière
d'autel invisible sur lequel elle immole à des acteurs verbaux
du cosmos des victimes emmaillotées dans un langage inconsciemment
sacrificiel, celui des dignitaires des sacrifices les plus chamarrés,
qu'on appelait la causalité et le déterminisme; et ces prêtres
assermentés et corsetés de l'univers se présentaient en tenue
de législateurs, d'habilleurs et de couturiers assermentés -
mais comment une physique autrefois soutenue par les câbles
du sens commun appelés à en consolider la machinerie n'aurait-elle
pas offert le spectacle du sacerdoce artificiel et contrefait
de ses courtisans?
On
voit que l'anthropologie visionnaire et critique des diogénètes
de demain serait bien désarmée si les grands écrivains et les
prophètes ne lui mettaient entre les mains la lanterne d'une
forme de l'intelligence qui leur est particulière. Mais quel
visionnaire du symbolique inconsciemment sacrificiel que le
Platon des prisonniers ficelés à leur banc par les pieds et
par le cou dans le mouroir qu'on appelle l'univers, quel visionnaire
du symbolique inconsciemment sacrificiel que l'Aristote que
sa logique a conduit à théoriser l'infini vingt siècles avant
la Renaissance, quel visionnaire du symbolique inconsciemment
sacrificiel que le Descartes qui vous coupe le nœud gordien
qui attachait la matière au langage, quel visionnaire du symbolique
inconsciemment sacrificiel que le Kant qui prend un recul nouveau
dans la caverne de Platon à l'égard du fonctionnement sur piles
expérimentales de l'encéphale simiohumain avant de se laisser
piéger à nouveau par la parole du sens commun retrouvé et qu'il
fait réciter à ses "catégories" du jugement, quel
visionnaire du symbolique inconsciemment sacrificiel que l'observateur
de la généalogie animale du concept de causalité - un certain
David Hume!
Car
ce que la science d'autrefois croyait démontrer à un cosmos
muet, c'était le pain et le vin du signifiant; et pour qu'il
vous le fournît bien breveté et prêt à le consommer, il n'était
pas de parole plus sûre sur la table du festin que celle du
sens commun. Mais si les religions se laissent désormais scanner
à la lumière des Diogène de demain, les chromosomes de la connaissance
semi animale commenceront de s'unifier inter sacrum et
saxum, entre le couteau et l'offertoire.
On attend l'immolation symbolique d'Israël entre le couteau
et le propitiatoire de Gaza pour que l'anthropologie des symboles
de l'esprit débarque dans la connaissance de l'histoire.
Pour
que les retrouvailles de la philosophie critique avec le génie
visionnaire des prophètes puisse donner lieu à des célébrations,
il faudra monter sur les escabeaux du sacrifice. Sinon, comment
accéderait-on à la lucarne du symbolique où les grands écrivains
élèvent l'intelligence à une théopolitique de la condition simiohumaine
? Le symbolique est l'œil visionnaire du cogito, le télescope
de la raison critique à venir.
10 - Résumé et conclusion
Retrouver
Platon chez Descartes et démontrer que la physique classique
reposait sur une manière de platonisme de la rue dans lequel
le sens commun faisait figure de constellation des idées pures;
démontrer que la physique à quatre dimensions - et davantage
- a disqualifié la fausse succulence des "lumières naturelles"
qui blasonnaient l'idéalisme réputé expérimental de l'Occident
; rendre existentiel un univers inintelligible dans lequel la
vitesse donne au temps les ailes de l'éternité et dans lequel
l'alliance de la lumière avec la durée fait tomber en léthargie
notre astéroïde ralenti; démontrer que le symbolique est le
phare de l'intelligence philosophique et faire débarquer la
vision des grands écrivains et des prophètes dans une histoire
sacrificielle commune à la pensée et aux sciences exactes;
démontrer que l'histoire et la politique en appellent au regard
des hommes-signes sur l'encéphale humain: si tels sont les principaux
axes du cogito du XXIe siècle, les chemins de l'avenir de la
philosophie européenne sont tout tracés.
.
Le 25 janvier 2010