1-
L'Amérique face
à la Chine
2
- L'observation
des fourmis
3
- Le retour des dieux
4
- Aux sources de la simianthropologie politique
5
- L'islam de la deuxième Renaissance
6
- L'islam potentiel
7
- Qu'est-ce que l'étonnement philosophique ?
8
- L'apprentissage de l'étonnement
9
- L'avenir de l'islam civilisateur
10
- La géopolitique d'un sacré
11
- Il est réconfortant …
12
- Mon itinéraire
1 - Les
animaux et nous
Pour illustrer la nature et l'avenir du débarquement de l'islam
sur la planète du XXIe siècle, l'anthropologie critique ouvre
la trousse des Célestes et inspecte leur outillage, leur fourniment
et leurs boniments d'hier et d'aujourd'hui. Elle observe en tout
premier lieu que, depuis 1945, l'ambition des empires semblait
être devenue plus commerciale et monétaire que guerrière; et pourtant
l'empire américain est demeuré militaire de la tête aux pieds.
On a pu constater le poids de cette évidence au cours de l'été:
nous avons entendu le Nouveau Monde demander sans vergogne à la
Chine "pourquoi elle croit avoir besoin d'un porte-avions".
On sait que, pour sa part, le demandeur ne cache pas qu'il possède
dix de ces géants des mers. Le seul George Herbert Walter
Bush senior fait fonction de base aéronavale océanique.
Il transporte quatre-vingt dix avions de combat et six mille membres
d'équipage. Construit en 1998, il est équipé
de quatorze radars de détection et de surveillance, d'un
système de brouillage électronique, de deux batteries
de missiles sol-air Sea Sparow MK 57 Mod3, de deux batteries de
missiles RIM-116 Rollin Air Frame Missile, de quatre canons anti
missiles de 20mm Phalanx. Sa propulsion est assurée par
deux réacteurs nucléaires, de sorte que son autonomie
est illimitée sur notre astéroïde.
L'empire
du Milieu entend-il donc dominer le monde, poursuivait bénignement
le questionneur? L'examinateur est-il candide, retors, provocateur,
léger ou stupide? Pourquoi ajoute-t-il que la "confiance entre
les nations" doit reposer sur une "transparence" séraphique,
alors qu'il s'agit d'une réciprocité dans le translucide qui se
moque du monde et dont l'impertinence devrait conduire tout droit
à l'incident diplomatique.
Pour comprendre ce dialogue de sourds, ou ce gant jeté à la figure
d'un interlocuteur supposé benêt, ou ce soufflet dans une cour
d'école, ou ce défi enfantin de la fable du matamore et du moucheron
que La Fontaine a oublié de rédiger, croit-on que
l'effigie de la divinité qui se profile derrière les duellistes
n'est pour rien dans leur échange de coups fourrés, de feintes
calculées et de parades apprises? La Chine ne raconte que quelques
fantômes stellaires. On y rencontre un dragon ; mais cette civilisation
est la première à savoir qu'il n'existe aucun Dieu et qu'il faut
jouer au tric-trac. Du coup, on négocie poliment, on ne saute
pas trop haut, on garde l'épée au fourreau, parce que l'histoire
de la terre est un jeu de go où le gain résulte d'un habile et
imperceptible déplacement des pièces. Le ciel américain, lui,
est occupé par un Dieu sûr de ses prérogatives, fier de l'exclusivité
de ses apanages, sourcilleux et toujours sur ses gardes, convaincu
de régner seul dans le cosmos et de dispenser à chacun des grâces
proportionnées à ses mérites. Si nous ne savons pas pourquoi les
verbes exister, expliquer et comprendre se
conjuguent à l'école des théologies, des valeurs, des patries,
des orgueils, si nous ignorons que les ciels les plus divers veillent
tous sur leur cassette de signifiants, vous n'observerez jamais
comment l'humanité se promène parmi les trésors qu'elle a entreposés
dans sa tête.
2 - L'observation
des fourmis
Comment sauriez-vous pourquoi la Chine s'est bien gardée d'envoyer
promener l' effronté jeunet, pourquoi elle n'a pas ridiculisé
le toupet de l'adolescent, pourquoi la moquerie n'est pas son
fort, pourquoi elle a gentiment répondu que son unique porte-avions
venait tout droit d'Ukraine, qu'il était fait de bric et de broc,
qu'il ne serait achevé qu'en 2014 et qu'elle en faisait
seulement l'essai? Non, non et non, a ajouté l'interrogé bienveillant
et secret, la Chine ne cherche pas à "dominer le monde".
Mais pourquoi un journal allemand, le Spiegel, a-t-il
repris à son compte et en détail les questions puériles que le
département d'Etat américain a osé poser au peuple de Confucius,
qui compte un milliard deux cents millions d'habitants?
De même que l'observation des fourmis ressortit à l'entomologie
universelle, la science qu'on appelle l'Histoire ressortit à une
anthropologie planétaire. On y apprend que l'Allemagne actuelle
se trouve occupée sur la totalité de son territoire par deux cents
places fortes de son ennemi d'il y a soixante cinq ans. Comment
se fait-il que cet Etat s'auto-vassalise à plaisir sur les planches,
comment se fait-il que cette nation s'abaisse au point de demander
à une puissance souveraine et en docile porte-voix de son maître
d'outre-Atlantique, si Pékin ne cacherait pas des ambitions politiques
pécheresses dans ses poches?
Voilà
un document anthropologico-religieux par nature et par définition;
et c'est à ce titre qu'il se présente à la pesée d'une théopolitique
à la recherche de la distanciation méthodologique nouvelle qu'exige
la connaissance scientifique d'une espèce tellement spécifique
que nul ne sait encore comment l'appeler. Figurez-vous que c'est
tout cérébralement que les descendants d'un quadrumane toisonné
se laissent domestiquer, et cela à l'école de leur propre voix.
Décidément, si nous n'acquérons pas une connaissance résolument
simianthropologique des haut-parleurs célestiformes que la géopolitique
colloque dans le vide de l'immensité, nous ne disposerons jamais
de la connaissance de l'Histoire qu'exigera une discipline digne
de conquérir le rang d'une science. A ce titre l'anthropologie
critique installe son télescope dans l'infini; et elle rejette
à la fois le conceptualisme faussement transparent de Voltaire
et la feinte cécité de Shakespeare le visionnaire qui prétendait
écouter un idiot.
3 - Le retour des
dieux
Et puis, "Dieu" est revenu partager son encéphale avec le nôtre.
Impossible de refuser plus longtemps d'apprendre à connaître les
gigantesques acteurs imaginaires dont nos ancêtres avaient installé
la stratégie sous l'os frontal de l'humanité. Le 26 août 2011,
le secrétaire général du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah, le
plus intelligent des chefs arabes, disait que "Jérusalem et
la Palestine font partie de notre religion, de notre culture ,de
notre jeûne, de notre prière et de notre jihad. Donc, sans Jérusalem,
ces valeurs perdent beaucoup de leur sens. Nous allons prier prochainement
dans la mosquée et l'église de Jérusalem."
Croit-on
que cette ville n'est qu'un tas de cailloux éparpillés sur quelques
arpents, sait-on que la Jérusalem réelle est une cité de l'âme,
une forteresse intérieure , la Cité de Dieu de saint
Augustin, le Mont Carmel des juifs et des musulmans, et non un
objet livré aux topographes, aux géomètres et aux registres cadastraux?
Mais alors, voilà une science de la mémoire en promenade autour
du véritable habitat de l' espèce onirique dont elle est censée
raconter l'histoire, voilà une discipline incapable de visiter
et de rendre intelligible le monument psychique central des habitants
d'un royaume méta-géographique! "Il faut surveiller de près
ce qui se passe à Jérusalem, surveiller la judaïsation de ses
quartiers, de ses rues, de ses marchés, de ses parcs, de son patrimoine
culturel, surveiller la persécution israélienne des habitants
de Jérusalem à laquelle se livre Israël, surveiller le vol de
leur territoire et la menace réelle de judaïser Jérusalem",
dit encore Sayyed Hassan Nasrallah.
La simianthropologie politique et critique constate que, deux
cent vingt-trois ans après la mort de Voltaire, plus d'un siècle
après celle de Nietzsche et environ deux millénaires après Lucrèce,
la civilisation mondiale ne sait rien de l'encéphale surréel
de l'humanité et que Clio nous raconte encore la vieille histoire
d'une espèce dont elle n'a pas visité les rêves qui peuplent sa
cervelle.
4
- Aux sources de la simianthropologie politique
En
janvier 2011, les masses arabes sont descendues à grand bruit
dans les rues. Depuis 1945, comme il est dit plus haut, l'histoire
était subitement devenue industrielle, commerciale, et monétaire
sous le fanion d'une puissance navale à l'échelle planétaire.
La légende démocratique s'était-elle donc subitement figée
sous le sceptre d'un souverain financièrement intéressé à toucher
les dividendes du mythe de la Liberté? Voici que, non moins soudainement,
le paysage anthropologique change de contenu, de texture et de
rythme, parce que Chronos est toujours demeuré un témoin des songes
cosmologiques de l'humanité, de sorte que l'épopée eschatologique
que la révolution de 1789 tente d'incarner se révèle plus religieuse
que jamais sans ses déguisements mêmes.
Chacun
sait que raconter et comprendre font deux. Mais si comprendre,
c'est expliquer, nombreux sont les discours soi-disant explicatifs.
C'est pourquoi, depuis plus de dix ans, le lecteur de ce site
observe avec quelqu'intérêt combien il est prometteur de tenter
de conquérir une distanciation à la fois anthropologique et critique
à l'égard des exploits et des défaites de Clio. La meilleures
preuve en est que la science mémorieuse a commencé par s'égarer
dans le fabuleux que les récits primitifs du sacré avaient forgé
pour en venir à la narration tardive et muette. Quel double égarement!
D'un côté, nous avons été livrés à la fausse profondeur de l'histoire
sainte, de l'autre, à une chronologie aussi minutieuse qu'éborgnée.
Entre la courte-vue des greffiers du tragique et la presbytie
délirante des représentations religieuses ou idéologiques du monde,
ne serait-il pas plus fécond d'observer comment notre espèce ficèle
la narration à la mythologie et la mythologie à la narration?
Le XVIIIe siècle a soutenu que seuls les philosophes écrivent
l'histoire sur les hauteurs. Mais la raison des philosophes jouit-elle
d'ores et déjà du privilège inouï de connaître son objet à la
seule lumière des feux de l'intelligence? J'ai déjà
dit que Voltaire et Shakespeare racontent une aventure dont ils
avouent l'incompréhensibilité, mais le grand Anglais ajoute que
tout ce bruit et cette fureur, c'est un sot qui nous en fait le
récit, tandis que Voltaire s'installe à trop peu de frais sur
Sirius.
5
- L'islam de la deuxième Renaissance
Si la Révolution arabe n'était qu'une brise printanière, le souffle
d'un renouveau aussi bienvenu que passager ou même un ébranlement
seulement politique, elle serait vouée à l'éphémère des mutations
sociales et des changements de gouvernements. Par bonheur, ce
réveil inaugurera un bouleversement de la méthode historique que
l'Occident avait élaborée depuis Thucydide en ce qu'il enseignera
à Clio la pesée des hommes et des siècles à l'école de la contemplation
et de la méditation nouvelles dont notre espèce cherche la balance.
Cessons d'interpréter la Renaissance arabe comme une secousse,
même tellurique, des paramètres de la géopolitique classique,
alors que toutes les conditions du plus gigantesque séisme se
trouvent enfin réunies, celles où l'histoire se révèlera le miroir
énigmatique d'une espèce en évolution et dont il faudra modifier
le globe oculaire afin de tenter de passer du récit historique
aveugle à l'apprentissage de la raison visionnaire.
La première Renaissance n'était qu'une descente dans la mine d'or
d'un passé englouti par le tsunami d'une prétendue révélation
unique et définitive de tous les mystères de l'univers - révélation
qui nous aurait mis en mains et à jamais les clés d'une "création".
Mais la jeunesse arabe d'aujourd'hui bouillonne aux portes d'une
tout autre annonciation, celle de la rencontre à venir entre un
humanisme classique tombé en panne de sa véritable inspiration
et les retrouvailles de l'humanité avec un "Connais-toi" enseveli
sous les rites et les liturgies. Or, cet avenir se trouvait en
germe dans le premier élan, certes audacieux, mais trop rapide
et demeuré superficiel de la raison du siècle des Lumières. A
l'heure des premiers télescopes sidérés par l'infini, Necker écrivait:
"Que devient donc notre petite terre au milieu de ces immensités
dont l'esprit humain essaie en vain de s'emparer? Qu'est-elle
déjà relativement à cette quantité de globes terrestres dont nous
pouvons former le calcul à l'aide de nos découvertes, ou du moins
dirigés par des présomptions raisonnables? Seraient-ce donc les
habitants de ce grain de sable, serait-ce un petit nombre d'entre
eux qui auraient le droit de prétendre que seuls ils connaissent
la manière dont on peut adorer le souverain Maître du monde ?
[…] Comment donc oseraient-ils annoncer à tous les âges présents,
à tous les temps à venir, qu'on ne peut éviter les vengeances
célestes si l'on s'écarte de quelques lignes des usages et des
pratiques de leur culte?" (M. Necker, De l'importance
des opinions religieuses, cité par Grimm, Correspondance,
t. XV, 473-474, édition de 1821)
6
- L'islam potentiel
Le réveil partiel de l'intelligence critique européenne que fut
le siècle de Voltaire aurait pu donner sa véritable descendance
à la Renaissance si toute l'aventure n'avait tourné court du seul
fait que les Encyclopédistes sont tombés dans la contradiction
de croire en l'existence d'une divinité plus inaccessible, ultra
séraphique et plus vaporeuse que celle du naïf Moyen Age. Du coup,
ils ont qualifié de simples "opinions" les rudesses des
dogmes et l'acier trempé des orthodoxies primitives. Mais l'heure
n'avait pas sonné de les radiographier à titre de documents carnassiers,
patelins et abyssaux, donc comme des effigies permanentes du singe
à décrypter à l'école de son histoire proprement cérébrale.
C'est
une mèche allumée à la main que l'islam virtuel, l'islam du courage
cérébral le plus inouï attend son rendez-vous avec la civilisation
occidentale. Quel tonneau de poudre qu'une humanité contrainte
de se regarder dans sa véritable histoire, quel explosif qu'un
monde arabe tout subitement armé des instruments de communication
du monde moderne, quel détonateur qu'une religion de la raison
qui demandera à l' humanité: "Qu'avez-vous fait de vos microscopes
et de vos télescopes? Leur avez-vous enseigné à observer l'encéphale
d'Adam et d'Eve? Les avez-vous braqués sur la boîte osseuse d'une
espèce qui se bâtit des forteresses mentales dans le vide de l'immensité
? Pourquoi avez-vous peuplé le néant de personnages fantastiques,
pourquoi leur demandez-vous de vous apprendre à penser?"
L'islam potentiel est le nouveau-venu et le tard-venu providentiel
qui portera un regard neuf sur les étranges héritiers d'un quadrumane
à fourrure et qui leur demandera: "Qui êtes-vous, que savez-vous,
qu'avez-vous appris depuis cinq siècles que vous avez découvert
Aristote, Plaute, Epicure et Lucrèce?
7 - Qu'est-ce que
l'étonnement philosophique ?
L'anthropologie
critique est moins imprudente que Voltaire l'extra lucide et plus
disposée que l' "idiot" qu'évoque Shakespeare à prêter l'oreille
aux criailleries des descendants d'une espèce aphone, puis vantarde
et babillarde à souhait. L'avantage de cette discipline est d'émettre
de prudentes hypothèses, puis de les vérifier avec soin et à
l'écoute de la méthode la plus saine, celle que préconise
l'Introduction à la médecine expérimentale de Claude
Bernard, parue en 1865, mais dont la portée philosophique demeure
à décrypter.
Car figurez-vous que le verbe vérifier est aussi piégé
que le verbe comprendre. Comment vérifier des signifiants,
donc le sens réputé immanent aux évènements?
Exemple: racontez- moi la guerre entre les protestants et les
catholiques au XVIe siècle. Comment la rendrez-vous intelligible
si vous ignorez comment et pourquoi un animal rendu erratique
par un mécanisme secret de la nature se donne à tout vat des idoles
fort sottes pour maîtres et pour guides?
Descendants
d'un primate toisonné, voyez comme vous mettez la charrue avant
les bœufs chaque fois que l'acier de vos plumes vous narre tout
courant que vous comprenez ce que vous vous racontez à vous-mêmes,
à savoir que les catholiques confessent le dogme de la "présence
réelle", ce qui signifie qu'à leurs yeux ils mangent effectivement
la chair crue et boivent à pleines gorgées le sang encore chaud
d'un homme qu'ils croient ressuscité il y a deux mille ans et
qu'ils s'imaginent exposé physiquement sur l'autel de leurs messes.
Votre science historique est-elle explicatrice en ce qu'elle
connaîtrait la généalogie des personnages fabuleux dont un chimpanzé
tardif a peuplé le cosmos? Comment allez-vous vérifier
des symboles, comment allez-vous expérimenter des songes?
L'anthropologie
critique se garde de professer le dogme laïc selon lequel comprendre,
reviendrait à projeter sur les évènements un savoir naïvement
conceptualisé. Elle sait que la raison est une ignorante perpétuellement
en apprentissage des méthodes qui la rendront apte à éclairer
en profondeur l'objet de son attention, une effrontée désireuse
de se procurer sans relâche les outils de la chasse et de la capture
d'un animal inconnu et qui s'appelle la vérité, une ouvrière
méfiante à l'égard des instruments censés parler tout seuls dans
le cosmos. Mais comment vos expériences sont-elles censées démontrer
les liens qui ficèleraient les faits à la hotte des signifiants
qu'ils charrieraient sur leur dos si la vérité joue un jeu énigmatique
avec les oracles que profère la parole?
Si
Malbrough s'en-va-t'en guerre, son sac à dos est plein
des signes et des signaux d'une signalétique militaire;
s'il métamorphose du pain et du vin en corps à dévorer
et en sang à boire, de quelles preuves serez-vous les vérificateurs
et quel sera le territoire de vos expériences?
L'anthropologie
critique est philosophique en ce qu'elle est étonnée en diable
d'entendre des voix retentir de tous côtés dans l'univers du silence;
et elle se montre non moins étonnée de la spécificité vocale du
genre simiohumain que l'entomologiste dont je ne vous raconte
pas l'ahurissement s'il entendait des fourmis lui expliquer les
signaux qu'émettent leurs fourmilières.
8 - L'apprentissage
de l'étonnement
Néanmoins
l'histoire volubile et qui dévide aveuglément son chapelet d'évènements
supposés loquaces n'en demeure pas moins instructive à sa manière,
non seulement parce qu'il est étonnant que Clio ne s'étonne de
rien, mais parce que le refus même de tout étonnement dont témoigne
sa discipline fait l'objet de l'étonnement le plus précieux de
la pensée, celui dont les surprises ne cessent de féconder la
simiantropologie critique. Car enfin, le simianthrope a vécu pendant
des millénaires sous l'égide de ses dieux; et pourtant, nul ne
s'explique ni pourquoi ces haut-parleurs sont morts les uns après
les autres, ni pourquoi un ultime locuteur est censé s'être subitement
présenté dans le cosmos, ni pourquoi ce dernier est réputé exister
pleinement et en solitaire triomphant pour avoir terrassé la polyphonie
de ses prédécesseurs. Qui a édicté que tout l'héritage reviendront
au dernier discoureur?
Décidément,
une science historique qui ne connaît ni ne comprend la boîte
osseuse des contemporains du ciel d'Homère ne sait pas non plus
un traître mot du simianthrope mis à l'écoute de son dernier Jupiter.
Il y a donc lieu de s'étonner grandement de ce que la science
historique contemporaine ignore autant la nature et la provenance
de l'abondante l'assemblée des idoles trépassées des Anciens que
des trois orchestrateurs du cosmos encore supposés dans
l'exercice de leur haute fonction.
9 - L'avenir de l'islam
civilisateur
Quel
est le lieu précis du rendez-vous de l'islam vivant avec l'humanisme
pensant de demain et avec la philosophie mondiale à venir? Pour
le découvrir, il suffit de remarquer que l'hémiplégie de la planète
de l'intelligence a été clairement remarquée et vigoureusement
soulignée par les philosophes arabes du XIIe siècle, qui ont dit
au christianisme: "Nous ne comprenons pas votre "Allah".
S'il est aussi puissant et miséricordieux que le nôtre, pourquoi
a-t-il créé chez vous une humanité tellement faible d'esprit et
tellement coupable des malfaçons dont elle souffre de naissance
qu'elle se trouve fatalement condamnée à tomber dans le péché
que vous qualifiez d'originel, et pourquoi lui a-t-il fallu racheter
à un si grand prix la faute d'avoir croqué la pomme de l'arbre
de la connaissance, afin de s'informer de son sort?" Saint Thomas
a tenté de réfuter ces apories dans sa fameuse Somme théologique
contre les musulmans, les "gentiles", c'est-à-dire
les gens des "gentes", les tribus et des ethnies. On sait
que cet ouvrage lui a valu le titre de docteur officiel de l'Eglise
catholique, apostolique et romaine, de sorte que le concile Vatican
II de 1962 ne lui a retiré en rien son auréole et sa qualité inaliénable
de lampion doctrinal des chrétiens.
Comment la pensée post-théologique de l'islam philosophique du
XXIe siècle se trouvera-t-elle mieux armée que la raison scientifique
de l'Occident actuel pour expliquer et comprendre qu'un débat
hérité du Moyen Age se placera nécessairement au cœur de l'anthropologie
critique et des sciences humaines du début du IIIe millénaire?
Comment se fait-il que seul Muhammad le potentiel, le virtuel,
le précurseur de Nietzsche et de Freud, conduira le génie arabe
à retrouver la trace des sociétés pré-humaines que le christianisme
originel avait abandonnée? Que dit Grimm au XVIIIe siècle? "On
adopte, par exemple, le terme sacrifice de la langue latine et,
pour pouvoir s'en servir, on change le repas de l'eucharistie
en un sacrifice [prétendument] non sanglant. Ce sacrifice devient
la messe, et une nomenclature latine devient l'origine d'une religion
absolument différente du christianisme des premiers siècles.
" (Grimm, Correspondances, t. IV, éd. 1813, p. 268)
10 - La géopolitique
du sacré
On
voit que si le simianthrope est un pécheur-né et s'il doit se
trouver racheté à grands frais, c'est afin qu'il soit mis en mesure
d'acquitter le tribut sanglant que son sacrificateur de père dans
le ciel lui réclame à grands cris. Et pourquoi le lui réclame-t-il?
Parce que les théologies réalistes sont condamnées à se greffer
sur la guerre et sur la mort. Sinon, comment le rachat de la victime
nourrirait-il la puissance et la gloire du maître? Le souverain
du ciel présente donc un fidèle décalque d'une histoire oscillante
entre deux obéissances alternées, celle que réclame le triomphe
des glaives et celle que commandent les heures d'une paix profitable
aux dirigeants des Etats.
Mais
pourquoi seuls les penseurs de l'islam de la seconde Renaissance
seront-ils armés pour remonter aux sources du meurtre sacré de
l'autel sur lequel se fonde désormais la religion de la
Croix? Parce que la philosophie arabe est la première qui ait
pesé le Dieu payant et payeur la première qui ait osé situer le
débat sur le sacrifice humain au cœur des civilisations. Qui rivalisera
jamais avec les fécondateurs de l'humanisme mondial capables de
plonger dans les abysses inexplorés du genre humain?
Mais
encore? Pour réfuter la foi fondée sur le meurtre pieusement
rémunéré des Isaac, des Iphigénie et du Nazaréen pour rejeter
la foi dont l'histoire nourrit les offertoires depuis le paléolithique,
il faut une psychanalyse des sources anthropologiques de l'assassinat
religieux; et cela ne se peut que par le décodage et le
démontage du mythe de l'incarnation. Or, les philosophes
occidentaux ignorent tout des théologies et de leur histoire même
événementielle. Comment se collèteraient-ils avec
la légende sacrée de l'incarnation s'ils ne savent poser sur l'établi
le crâne théologique du genre humain et en scruter l'ameublement?
Or, pour cela, le philosophe arabe est mieux armé que le chrétien,
parce qu'il n'a pas oublié les trucidations théologiques des siècles
passés, tandis que le rationaliste français a été
soigneusement décervelé par une éducation nationale qui, depuis
1905, a jeté les cosmologies mythologiques au rebut sans avoir
examiné leur contenu anthropologique et qui, du coup, s'est trouvé
privé d'avance et par le système même dont il est
le produit, de tout moyen d'observer la moitié fantasmatique de
l'encéphale simiohumain.
Le
théologien arabe éveillé , lui, voit et comprend tout de suite
que le dogme de l'incarnation a totalement reconduit le christianisme
au paganisme, puisque Jésus-Christ est un dieu braillant dans
son berceau, un dieu omniscient avant d'avoir appris à parler,
un dieu doté d'un foie, d'une rate et de poumons divins, à l'instar
de Zeus, de Mars ou de Neptune, ce que le Catéchisme romain
de 1992 reconnaît en toutes lettres.
11 - Il est réconfortant
…
Telle
est également la raison anthropologique pour laquelle la philosophie
arabe du XXIe siècle ne s'attardera pas ridiculement à réfuter
la croyance, même physico-vaporeuse d'un Dieu présent quelque
part dans l'étendue et sous quelque forme que ce soit. Les trois
dieux "uniques" ne méritent pas davantage de se trouver réfutés
que Diane, Athéna ou Junon;
en revanche, la connaissance rationnelle et spectrographique du
genre simiohumain actuel recèle la virtualité la plus féconde
de l'islam de la pensée, parce qu'une religion qui, depuis les
origines, rejette le mythe de la chosification corporelle des
dieux et de l'esprit évite nécessairement et dans le même élan
le piège de la substantification du sacrifice sanglant qui permet
aux théologies barbares de tendre à l'histoire son principal appât
animal, le sacrifice de sang, cette âme et cette machine confondues
d'une espèce demeurée à l'Etat sauvage.
Il
est réconfortant que l'avenir de la convergence intellectuelle
entre l'islam de la seconde Renaissance et l'Occident encore en
attente d'une anthropologie abyssale s'attaque au scandale le
plus central de la barbarie, celui qui, depuis des millénaires,
réduit les tractations primitives de l'humanité avec le sang de
ses autels à un trafic dont l'arbitre s'appelle l'Histoire, il
est réconfortant que l'islam se situera de nouveau à l'avant-garde
de la pensée et de l'éthique de l'Occident, il est réconfortant
que le progrès des civilisations passera toujours par la guerre
de la pensée.
12
- Mon itinéraire
Les trois textes qui suivront seront consacrés à l'observation
anthropologique de l'affrontement qui se prépare entre l'Olympe
eschatologique des modernes et la vie dite "spirituelle" du simianthrope.
J'observerai donc, en premier lieu les origines anthropologiques
du monothéisme patriarcal de l'islam, puis l'évolution parallèle
de la politique et du sexe, puis les questions fécondes que la
notion de "vie spirituelle" pose aux démocraties pseudo rationnelles
d'aujourd'hui et enfin la future alliance de la pensée rationnelle
avec une vie de l'âme qui en appelle aux nouveaux éveilleurs de
la liberté.
Certes,
Washington tentera de contraindre l'Egypte à renforcer l'alliance
d'Allah avec le peuple de Jahvé. Mais la Syrie, elle aussi, se
réveillera au soleil de la Renaissance arabe. On dit que la route
des armes entre l'Iran et le Liban va devenir plus difficile et
que les conquêtes territoriales d'Israël en seront favorisées.
Nullement: l'Etat de Xerxès et celui du Cèdre ont aussitôt et
chaleureusement salué la chute du Colonel Kadhafi, ce qui signifie
que la nouvelle Renaissance profitera au désir d'indépendance
naturel que le peuple palestinien nourrit depuis 1947. Ce n'est
pas ma faute si la véritable science historique se collète avec
l'encéphale schizoïde d'une espèce déchirée entre la glèbe et
le sacré.
Le 4 septembre 2011