*
1 - Les deux niveaux de la
science historique
2
- Où le haut Moyen Age nous tire par la manche
3
- Introduction à la science de la démence
4
- Le principe des vases communicants
5
- Le cerveau démocratique
6 - Le cerveau actuel de la France nucléaire
7
- La boîte osseuse de la France
8
- Le maître des imaginations
9 - L'instinct de conservation des idoles
10
- Un regard nouveau sur la condition humaine est-il possible
?
11
- Des animaux
à décrypter
1 -
Les deux niveaux de la science historique
Il est des époques privilégiées où l'histoire et la politique
semblent se donner le mot pour illustrer de conserve les contradictions
internes qui frappent d'une infirmité partagée deux disciplines
vieilles comme le monde, mais soudain désemparées et appelées
à retourner ensemble sur les bancs de l'école. Car la distance
qui séparait depuis longtemps l'agitation des diplomates livrés
au clapotis des événements du moment et la profondeur de la
réflexion des grands historiens qui ridiculisaient les vaines
gesticulations des chancelleries prend des allures tellement
caricaturales que l'anthropologie critique en profite pour prendre
avantage d'un hiatus devenu aussi rapidement spectaculaire entre
le quotidien de la raison et le long terme de l'intelligence
et pour poser allègrement les jalons d'une réflexion prospective.
Voyez
la rencontre artificielle et toute de parade de quarante sept
Etats précipitamment réunis à Washington sous la houlette de
M. Barack Obama, dont la vocation pastorale subit des coupures
de courant, mais qui avait besoin d'un nouvel affichage catéchétique.
Les conciles démocratiques feraient-ils donc la loi du monde
et dans l'urgence? Si je ne cesse d'observer un parallélisme
étroit entre l'histoire des doctrines religieuses et celle de
la pensée politique, c'est parce qu'il n'est pas de démonstration
plus frappante de ce que la planète suit un cours que le sceptre
de M. Barack Obama échoue non moins à soumettre à son commandement
que la théologie pontificale d'autrefois à corseter le globe
terrestre.
Car
enfin, voilà le saint conclave d'une demi-centaine d'Etats tout
soudainement censés prévenir une catastrophe nucléaire sans
cesse retardée depuis soixante cinq ans; mais la question de
la crédibilité politique et militaire subitement accordée à
de l' excommunication majeure des modernes n'est posée par aucun
gouvernement. Quelle circonstance rêvée pour raconter à deux
niveaux l'histoire saccadée du cerveau d'une planète placée
avec constance sous les armes, d'un côté, mais livrée de l'autre
aux à-coups de l'anecdotique.
2 - Où le haut Moyen
Age nous tire par la manche
Narrons
d'abord l'hétéroclite, le tohu-bohu, et le dérisoire des secousses
qui font l'écume des jours: toute la presse nationale française
a privilégié les bruitages convenus. Les Français ont été tenus
soigneusement à l'écart des informations sérieuses qui leur
auraient appris que les électrochocs de l'éphémère font désormais
vaciller les grands prêtres. Le pape des décharges électriques
de la démocratie mondiale a déclaré que, dans sa bénignité infinie,
l'Amérique de la paix et de la justice renonçait à pulvériser
les pays privés du feu nucléaire. Mais s'il est un progrès de
la pudeur politique qu'on croyait tacitement acquis depuis 1945,
c'était qu'aucun Etat converti au culte de la Liberté ne réitèrerait
les exploits d'Hiroshima et de Nagasaki sur un adversaire incapable
de riposter. Pourquoi prendre acte d'un perfectionnement des
tensiomètres de la démocratie brevetés depuis longtemps et déposés
au bureau des inventions depuis belle lurette? Pourquoi afficher
précipitamment et avec une solennité suspecte une détermination
aussi vertueuse d'apparence? A seule fin de repeindre à toute
allure et toutes affaires cessantes le trône écaillé de la sainteté
américaine. Pourquoi des couleurs aussi vives, et pourquoi en
ce moment ? Parce qu'au même instant et dans la foulée, M. Barack
Obama proclamait que l'Iran et la Corée du Nord ne bénéficieraient
nullement d'une mesure de grâce entérinée sans le dire depuis
treize lustres : les jours de ces Etats seraient comptés s'ils
devaient persévérer dans le péché mortel de se doter des mêmes
armes et des mêmes foudres qu'Israël.
Du
coup - mais les Français n'en ont rien su - les députés iraniens
de l'opposition ont proclamé leur devoir patriotique de défendre
la dignité de la nation et de dénoncer l'immoralité du Tartuffe
gigantal de la Liberté sur la scène internationale. Décidément,
c'est une grande défaite politique pour un géant de cette taille
de se trouver accusé d'immoralité devant un parterre de tous
les peuples de notre astéroïde . Comment régner sur le théâtre
du monde si l'on n'est plus seul à brandir le sceptre du Bien
et du Mal sur les cinq continents?
Au tour de l'Iran de réunir dans sa capitale une conférence
internationale du droit et de la vertu. Soixante-dix Etats décident
de s'y faire représenter à des niveaux diplomatiques divers.
Et voici que la Turquie demande à la communauté mondiale des
Etats civilisés de se livrer à une analyse géopolitique commune
sur la sécurité d'un peuple livré aux fauves nucléaires qui
l'assiègent de toutes parts, et voici qu'Istanbul se concerte
avec le Brésil afin de faire front à ses côtés, et voici que
M. Medvedev réfute la politique des ventres creux qui décime
pieusement des peuples entiers et y affame les jeunes générations,
et voici qu'aux yeux du concile des hérétiques il devient barbare
de se venger sur les femmes et les enfants de l'indocilité des
dirigeants d'une nation à l' égard de Washington, et voici que
la Russie exclut que le peuple iranien puisse se trouver paralysé
par d'éventuelles sanctions économiques, et voici que la Chine
feint d'entrer un instant dans la stratégie des fausses dévotions,
mais pour qu'elles déshonorent les idéalités régnantes sur les
cinq continents; et voici que les mandarins rappellent qu'une
acceptation du bout des lèvres de débattre avec l'adversaire
fait partie du jeu de go et ne peut que conduire à la défaite
du demandeur, et voici que la France refuse catégoriquement
de réduire son arsenal nucléaire, sous prétexte qu'elle l'aurait
d'ores et déjà réduit à la portion congrue; et voici que le
pays de Descartes pousse l'incohérence mentale jusqu'à hurler
avec les loups, mais sans lâcher sa prise pour autant. Comme
il est difficile d'aboyer la mâchoire pleine!
L'intelligence
de notre espèce serait-elle placée sur courant alternatif? Son
ampérage varierait-il brusquement et la ferait-elle progresser
ou rétrograder par secousses ? Passons donc de l'histoire tumultueuse,
partielle et matamoresque à l'histoire des cerveaux et des âmes.
Un capitaine absent nous appelle à descendre dans les soutes
la lanterne de Diogène à la main. Si nous assistons à des accélérations
et à des freinages rapides de notre capacité de réflexion, il
nous faut rappeler les brusqueries de la nature à l'égard de
notre encéphale et préciser les cas où notre boîte osseuse se
trouve bousculée et ceux où elle tombe en léthargie, faute de
recevoir les décharges appropriées.
Car
enfin, le haut Moyen Age nous tend la main, nous tire par la
manche, nous cligne de l'œil, le haut Moyen Age se change sous
nos yeux en Pythie du feu thermonucléaire. La chute du genre
humain dans les ténèbres éternelles à laquelle recourait le
Saint Siège de l'excommunication majeure était-elle plus crédible
que l'extinction de notre pauvre espèce dans la fournaise du
feu nucléaire? Pouvons-nous faire hâter le pas à Zeus et l'aider
à étendre son regard jusqu'aux confins du monde?
3 - Introduction à la science de la démence
Au premier abord, l'hypothèse de notre prééminence cérébrale
paraît la mieux étayée; mais, sitôt que l'on y réfléchit le
caducée de Mercure à la main, l'apocalypse théologique endosse
la cuirasse la plus sûre. Songez donc: Adam s'était imaginé
qu'il existait un créateur de l'univers, lequel aurait pris
soin de remettre entre les mains de son vicaire le pouvoir extraordinaire
de livrer à la géhenne le peuple entier des croyants; songez
donc, en ce temps-là, la foudre du Zeus nouveau régnait en solitaire
sur toute la chrétienté; songez donc, en ce temps-là, la crédulité
des semi évadés de la zoologie était si grande que personne
ne doutait de l'efficacité du thermonucléaire théologique dont
la foi et la sainteté attisaient le feu infernal sous les rôtissoires
de l'éternité.
Et maintenant, voyez la perplexité des soutanes du nucléaire,
voyez comme ce clergé s'interroge et s'étonne! D'abord,
se dit-il, si nous n'apprenons à porter sur notre espèce un
regard de l'extérieur et si notre animalité spécifique défie
notre rétine, jamais nous n'expliquerons pourquoi Moscou et
Washington se congratulent avec tant de chaleur d'avoir seulement
réduit quelque peu le multiplicateur arithmétique qui leur permet
de détruire aussi entièrement qu'auparavant la planète sur laquelle
ils se trouvent réduits à sautiller ensemble. Comment livrerions-nous
à la pesée la capacité cérébrale du singe vocalisé si l'excommunication
majeure à laquelle Rome s'exerçait toute seule livrait d'un
coup et définitivement Adam aux fourches et aux marmites du
Diable et si, par conséquent, Dieu et son Pape étaient un peu
moins stupides que Washington et Moscou, puisque ces deux-là
se vantent exclusivement d'avoir réduit quelque peu le nombre
des auto-pulvérisations de l'humanité auxquelles notre astéroïde
est en mesure de recourir la lance d'Athéna à la main.
Mais, du coup, la question de la crédibilité respective de l'excommunication
majeure d'un côté et de l'excommunication nucléaire de l'autre
change entièrement de casque, de chapelet et de prie-Dieu, parce
que plus les peuples sont demeurés agenouillés, plus ils mijotent
dans le fantastique et le fabuleux, de sorte que les mondes
imaginaires devant lesquels ils se prosternent s'imposent aussi
irrésistiblement à leur pauvre cervelle que leurs délires sacrés
sèment des ex-votos dans leur tête. Or, l'effort intellectuel
qui met sous tension la boîte osseuse d'une espèce désormais
relativement cérébralisée ne l'a pas détournée de l' héroïsme
suicidaire dont elle se targue, de sorte qu'elle demeure fièrement
décidée, dit-elle, à prendre la relève de la volonté d'extermination
qui inspirait sa doublure dans le ciel de ses ancêtres - celui
dont l'idole de l'époque s'était illustrée par le génocide du
Déluge. L'auto-pulvérisation nucléaire est-elle donc plus probable
ou plus aléatoire aux yeux des spécialistes que celle d'un animal
autrefois convaincu de se trouver pris en étau entre les mains
de fer d'un ciel ensauvagé, sans scrupules et impossible à fléchir?
Pour
tenter de l'apprendre, déposons l'encéphale actuel du genre
simiohumain sur l'un des plateaux de la balance à peser l'embryon
de raison dont jouit notre espèce et sur l'autre la conque crânienne
de nos lointains ascendants. O surprise, voici que, tout à l'opposé
de notre première hypothèse, l'excommunication majeure de l'Eglise
se révèle beaucoup plus crédible que celle du Vatican multicéphale
des matamores de leur propre trépas sous le feu nucléaire.
4 - Le principe
des vases communicants
Afin de tenter de démontrer un théorème aussi hasardeux en apparence,
les anthropologues actuels ont inspecté la matière grise de
l'animal en question à l'aide de la méthode suivante : puisqu'on
n'a jamais réfuté le bon sens de la nature naturante dont les
physiciens ont élevé les exploits au rang d'un principe, celui
des vases communicants, ils se sont dit que si vous faites couler
à l'aide d'un tuyau le contenu d'un récipient plein à ras bords
dans un récipient à moitié vide, le niveau des liquides s'équilibrera
en raison de la pression égale que la masse atmosphérique exercera
sur les deux contenants. Pourquoi n'en serait-il pas de même
si l'on transvasait le contenu du cerveau du XIe siècle dans
le cerveau du XXIe?
Vous me direz que les deux liqueurs ne sont ni de la même couleur,
ni de la même densité, ni de la même fluidité. Raison de plus
pour constater que la plus foncée des deux assombrira la plus
claire et vice et versa et que ce changement de la luminosité
et de l'épaisseur du flux de l'une et de l'autre se révèlera
précisément révélatrice de la nature de leur mélange. Car la
théologie est d'une coloration plus proche du noir, à cause
du Diable qui y a élu domicile et qui ternit en elle l'éclat
du Créateur, tandis que la thermonucléorologie ne parvient pas
à emprunter entièrement la teinte de la mixture infernale.
Mais il y a mieux: la sottise des incroyants d'aujourd'hui -ils
multiplient bêtement leurs pulvérisations nucléaires dans le
vide de l'immensité - leur sottise, dis-je, n'est-elle pas plus
pesante et plus inguérissable que celle des croyants que leur
piété livre à une seule extermination théologale? Vous commencerez
donc de vous demander quel intérêt terrestre Washington a trouvé
de réunir un concile mondial à seule fin de diminuer le nombre
des rôtissoires du néant. C'est qu'il s'agit primo, de menacer
exclusivement deux Etats privés de la foudre, comme il est rappelé
plus haut, secundo, d'éviter soigneusement de soumettre aux
pères conciliaires l'examen de la question de la crédibilité
de la fulmination dans le temporel qui a succédé à celle de
la divinité dans les nues.
Du coup et de fil en aiguille vous découvrirez le fonctionnement
secret de toute la machinerie politico nucléaire de la nouvelle
planète des songes; car vous verrez à l'œil nu ses rouages,
ses engrenages et ses ressorts sécréter une substance étrange,
l'hypocrisie politique ; et vous vous demanderez pourquoi l'hypocrisie
se donne nécessairement les armes d'une démence para religieuse.
C'est
dire que, dans le cas où le masque sacré de la faiblesse d'esprit
qu'arbore la théologie nucléaire était le même que celui des
allumeurs de la foudre de Dieu, vous vous trouveriez en mesure
de comparer les ingrédients de la mauvaise foi de Zeus avec
ceux dont use sa créature. Mais pour cela, il vous faudra peser
les armes de la peur dont disposent respectivement l'Olympe
et la terre.
5 - Le cerveau démocratique
Pour
bien comprendre ce point difficile, revenons un instant à la
pesée comparée des atouts dont dispose la sainteté divine pour
exterminer l'humanité et de ceux dont jouit l'auto-pulvérisation
thermonucléaire dont nous nous menaçons désormais nous-mêmes.
Pour apprécier le goût nouveau de se terroriser à ses propres
frais et faute que le ciel soit encore de taille à y pourvoir,
spectrographions la cécité de l'animal théologisé et celle de
l'animal nucléarisé. Pour cela - excusez mon retard - un bref
retour à l'observation de l'encéphale de nos ancêtres se révèlera
indispensable à la rédaction d'un diagnostic irréfutable. Car
il est établi qu'Henry IV d'Allemagne, qui régna de 1056 à 1106
et dont l'armée entière avait été vilainement précipitée en
enfer par Grégoire VII, ne croyait pas un traître mot du contenu
proprement religieux de l'excommunication majeure dont le pape
avait frappé la puissance militaire de l'empire. Ce ne fut donc
en rien dans un esprit de sincère et pieuse pénitence qu'il
se soumit à la voix du ciel de son siècle, mais seulement en
guerrier malheureux, parce qu'il avait été vaincu à plate couture
sur le champ de bataille des dévotions terrifiées auxquelles
l'encéphale de l'humanité de l'époque servait encore de théâtre.
C'est
pourquoi nous devons examiner de plus près la composition des
cerveaux dont l'imagination parareligieuse actuelle a fait ses
otages et qui croient désormais dur comme fer en l'efficacité
guerrière de la foudre que brandissent des Jupiter locaux. On
sait que quelques grands Etats et un tout petit se sont habillés
en incendiaires de l'atome. Mais s'il est extraordinaire qu'au
XIe siècle déjà, les vrais chefs d'Etat disposaient d'une avance
intellectuelle de plusieurs siècles sur l'entendement moyen
de leurs contemporains, n'est-il pas essentiel de nous demander
ce qu'il est advenu de la prodigieuse inégalité cérébrale des
divers spécimens entre lesquels notre espèce se divisait il
y a un millénaire seulement de cela?
Puisqu'aucun général d'Henry IV d'Allemagne n'a accordé crédit
au sceptre du vicaire romain de Jésus-Christ, la question que
soulève l'anthropologie critique est de préciser jusqu'à quel
échelon au sein de la hiérarchie militaire les forces de combat
de l'époque ont basculé dans l'orthodoxie romaine. Or Henry
IV n'a pas eu à recourir à la méthode classique de l'exécution
publique d'un soldat sur dix qu'entrainait la rébellion des
légions de la Louve. Pour que son armée retrouvât ses esprits,
il lui a suffi de pendre haut et court quelques pelotons de
capitaines épris de scolastique et un quarteron de colonels
dévots. Quelle économie de têtes galonnées, mais également quelle
démonstration de ce que le grégarisme religieux, qu'il soit
coûteux ou à bas prix, ne l'a emporté sur la fidélité à l'empire
que jusqu'à un grade peu élevé. Quelle est, en revanche, la
solidité mentale moyenne des chefs d'Etat et des généraux des
démocraties de l'atome et comment la peser à peu de frais? Leur
encéphale est-il de la trempe de celui de Henry IV au XIe siècle
ou de celui des gradés que cet empereur a dû se résigner à faire
gigoter au bout d'une corde?
6 - Le cerveau actuel
de la France nucléaire
On
sait que le Général de Gaulle fut le premier chef d'Etat à comprendre
que l'atome est une arme imaginaire par nature et que c'est
précisément son inexistence dans l'ordre militaire qui lui confère
l'aura théologique qui terrorisera pour deux ou trois générations
les esprits microscopiques de la planète de notre époque. C'est
pourquoi ce chrétien a doté la France de la foudre apocalyptique
encore indispensable aux grands Etats. Mais il a pris soin de
la proclamer efficace du ponant au couchant, afin de signifier
à tout l'univers des cerveaux embryonnaires de son siècle que
le feu divin s'était transporté sur la terre et qu'il se trouvait
pointé dans toutes les directions de l'univers euclidien. C'est
que seule une ubiquité de la terreur calquée sur l'épouvante
religieuse pouvait rendre efficace une sottise mythifiée depuis
la Genèse.
Une
telle philosophie de la politique était anthropologique avant
la lettre. Elle présupposait, primo, non seulement qu'en
politique il ne suffit pas d'avoir cent fois raison, mais qu'il
ne sert de rien d'avoir cent fois raison si l'on ne dispose
pas des moyens de convaincre la sottise; secundo, qu'on
peut avoir cent fois tort, on l'emportera plus aisément que
si l'on a cent fois raison, parce que l'erreur est toujours
et nécessairement plus convaincante que la vérité, puisque sa
conformité à la structure des cerveaux du moment la rend fatalement
majoritaire. C'est pourquoi Henry IV d'Allemagne n'a pas argumenté
avec les rebelles - se montrer le plus fort était la seule réponse
efficace, parce que les sots s'imaginent qu'on ne saurait avoir
raison à se montrer le plus faible, de sorte que Dieu lui-même
avait tort de se montrer désarmé par le gibet et la corde. Comment
combattre la stupidité nucléaire, sinon en posant à l'anthropologie
critique la question décisive de savoir si notre évolution cérébrale
peut changer d'allure et de dégaine et si nous pouvons lui apprendre
à modifier son rythme?
Certes,
il est déjà arrivé que notre cervelle subisse des accélérations
de son pas. Les dieux antiques ont décliné avec lenteur, puis
c'est à toute vitesse que nous leur avons refusé un squelette,
des muscles et des viscères, dans l'illusion qu'à les vaporiser
dans le vide, ils retrouveront l'armure mentale nécessaire à
l'ancienne efficacité politique de leur trône dans l'immensité.
Mais, du coup, faute de charpente sur laquelle prendre appui,
nos Célestes ont perdu beaucoup de leurs anciens apanages, de
sorte que nous avons imaginé de nous redonner une divinité en
chair et en os et de la doter de l'esprit de Zeus. Cette mutation
ultra rapide de notre masse cérébrale n'a pris que quelques
décennies. Un long sommeil a suivi ce petit saut. Pouvons-nous
soumettre la foudre apocalyptique qui nous brûle les doigts
à un amaigrissement précipité? Nullement, parce
que le mode même d'accélération auquel nous devons soumettre
notre évolution cérébrale a changé de nature.
7
- La boîte osseuse de la France
Pour en juger, observez la boîte osseuse de la France dont Nicolas
Sarkozy assure le pilotage. Le 12 avril 2010, ce chef d'Etat
a proclamé à Washington que seule une apocalypse de belle taille
assurerait la sécurité militaire de la Gaulle et qu'au-dessous
de trois cents ogives nucléaires, la survie physique du pays
se trouverait dangereusement menacée, du moins en ce bas monde.
De plus, a-t-il ajouté, nous disposons de quatre sous-marins
spécialisés dans la pulvérisation de notre astéroïde. L'un de
nos quatre mousquetaires de l'apocalypse sillonne les océans
nuit et jour afin de détecter sur l'heure l'ennemi qui pointerait
son museau dans l'immensité des étendues liquides avec l'intention
évidente de couper notre tête d'un seul coup de hache.
Comment peser l'encéphale placé aux commandes de la nation?
Il y faut un renversement radical de la dialectique de la foi
en usage depuis le XIe siècle, parce que tout Etat armé en Goliath
de la sottise du monde peut maintenant se vanter de rivaliser
avec Dieu le père dans le cosmos, de sorte que la question du
statut psychique et mental de la foudre terrestre pose désormais
le plus clairement du monde la question décisive du poids des
feintes auxquelles les chefs d'Etat d'aujourd'hui peuvent s'exercer
et, tout particulièrement, le cerveau du roi que les Français
se sont donné pour cinq ans.
Revenons donc à bride abattue à la question de la pesée des
deux encéphales du simianthrope évoqués plus haut et demandons-nous
à nouveau si le caractère mythologique de la bombe suicidaire
est plus fantasmagorique que l'excommunication théologique du
XIe siècle. Car, depuis le Déluge, il était devenu impossible
aux théologiens de la rage du Dieu de sa propre sottise de démontrer
que l'idole des chrétiens se retenait d'user des dernières ressources
de la folie furieuse, puisqu'elle y avait déjà froidement recouru
quatre millénaires plus tôt, selon la chronologie de Bossuet
et de l'Eglise de l'époque, dont on sait que Richard Simon ne
l'a réfutée qu'en 1678. Aussi le vicaire général de l'apocalypse
jouait-il sur le velours. Il n'y avait aucun danger, disait-il,
que Dieu fût jamais démenti, puisque Grégoire VII n'avait fait
que témoigner de la fidélité à elle-même de la jurisprudence
du monstre céleste dont la sainte volonté d'anéantir sa créature
était demeurée d'une remarquable constance.
Mais
le déclenchement d'une inondation décidée en haut lieu préfigurait-il
une noyade universelle d'un type inédit, celle de la suffocation
de l'humanité pécheresse sous les pieuses poussières de l'atome
punitif? L'humanité actuelle se trouve condamnée non plus à
soupeser le crâne et les gènes du génocidaire divin des ancêtres
- ses grâces sont à l'agonie - mais seulement ses propres chromosomes
cérébraux, afin d'apprendre à l'école de leur doublure mythique
dans l'éternité si, oui ou non, les épouvantés de l'immensité
sont aussi suicidaires qu'ils le prétendent.
On
voit que la question de l'accélération de notre évolution cérébrale
n'est pas une mince affaire; car le moteur de ce changement
d'allure, c'est de l'immensité et du vide qu'il doit recevoir
des décharges électriques à haute tension.
8 - Le maître des
imaginations
Pour tenter de débattre de cette question en comparatiste des
voltages respectifs de la boîte osseuse du ciel et de celle
de la terre, observons la logique interne qui commande cet ampérage
dédoublé; et, pour cela, commençons par peser le degré de cohérence
interne de la question posée depuis le XIe siècle. A quel moment
la logique d'Henry IV d'Allemagne est-elle autorisée à s'imposer
dans le débat sur le nucléaire? Car si la divinité du Moyen
Age avait fait valoir à sa créature qu'elle disposait de la
capacité de l'anéantir deux mille fois, aurait-on jugé sains
d'esprit les Isaïe ou les Jérémie de l'époque s'ils avaient
supplié le créateur de réduire ce nombre de moitié ? J'ai rappelé
plus haut que les Etats-Unis et la Russie ont sottement consenti
à limiter leur propre puissance céleste à quelque deux mille
auto pulvérisations du globe terrestre et que cette parcimonie
a été saluée par des actions de grâce du monde entier: il s'agirait,
prétendent en chœur les sots chefs d'Etat d'aujourd'hui, du
progrès le plus décisif et le plus intelligent que les idéalités
de la démocratie auraient accompli depuis trente ans dans l'usage
d'une arme dont nos dirigeants ignorent encore qu'elle est mythologique
par nature et par définition.
Faut-il en conclure que le cerveau simiohumain d'aujourd'hui,
et notamment celui des chefs d'Etat des plus grandes démocraties
du monde serait retombé à un niveau de la raison fort inférieur
à celui des dirigeants du Moyen Age? Nullement: simplement,
un Barack Obama et même un Sarkozy ont assimilé d'instinct la
diplomatie de la déflagration imaginaire de Grégoire VII: ils
savent que le cœur de la politique est "l'art de dominer
les imaginations", comme disait Necker et qu'un Etat qui
parvient à donner l'illusion de disposer de la capacité de destruction
dont jouissait l'ex-Dieu du Déluge peut se rendre le maître,
certes illusoire, mais aussi incontesté du monde entier que
l'Eglise de l'an mil. Telle est la stratégie de la bénévolence
qui tente de convaincre l'Iran qu'il lui suffira de se rendre
pieusement à Canossa pour que la jouissance de toutes les prérogatives
et apanages propres aux puissances piteusement régionales lui
soient accordées de bon cœur par la communauté internationale
des dévots de leur foudre. C'est donc la logique interne de
cette proposition qu'il faut tenter de réfuter à partir d'une
pesée anthropologique du cerveau simiohumain d'aujourd'hui.
9
- L'instinct de conservation des idoles
Le
premier pas de cette démonstration sera d'apparence facile:
comme il se trouve que l'ironie en serre dont la philosophie
socratique conserve précieusement la semence survit en quelques
recoins du paysage mental de notre civilisation, il ne sera
pas entièrement impossible de faire remarquer au singe semi
cérébralisé que deux mille auto- pulvérisations à la queue leu
leu dans l'immensité du cosmos ne sont pas moins imaginaires
que deux mille six cents et qu'il serait fort sage de tenter
de convaincre notre espèce de peser la crédibilité d'une seule
apocalypse universelle sur une balance transanimale afin de
réapprendre à raisonner peu ou prou l'école des encéphales supérieurs
du XIe siècle. Car, en ce temps-là, l'humanité ne débattait
pas du pourcentage de la réduction de l'apocalypse que Dieu
était prêt à consentir à sa créature.
Mais il sera difficile de démontrer aux singes d'Etat actuels
que le dieu de la Genèse bénéficiait d'une folie dont la solitude
dans l'immensité cautionnait la crédibilité et de les convaincre
de ce que les tyrannies petitement partagées s'émoussent nécessairement
à se frotter les unes aux autres dans l'éternité; car les trônes
de l'atome se trouvent en rivalité entre eux et se menacent
réciproquement de s'auto-renverser ensemble et d'un seul élan.
Comment convaincre le Moyen Age d'aujourd'hui que les dieux
nucléaire, eux aussi, tiennent à leur peau et que vous n'en
trouverez pas un seul qui se suicidera d'un cœur léger sous
son parasol. Pourquoi l'un d'entre eux perdrait-il la tête à
ce point-là? C'est pourquoi l'étude de l'instinct de conservation
qui tenaille les entrailles de tous les dieux figure au programme
des difficultés que l'anthropologie critique rencontre dans
son entreprise de soumettre l'encéphale de l'humanité à un changement
de vitesse de son évolution dans le vide.
Par
bonheur la démonstration de ce que Dieu est un personnage de
son temps nous sera grandement facilitée par l'examen des causes
très particulières et locales à souhait qui lancent la terre
entière des divinités de l'atome à la poursuite de l'Iran chiite.
Car Israël a fait changer de dégaine à Lucifer. Son sosie s'applique
maintenant à chasser des dizaines de milliers de fidèles d'Allah
de la terre de leurs ancêtres, et pour cela, il lui faut détourner
l'attention de la planète du spectacle de son expansion continue
en Cisjordanie. La chance de Lucifer au Moyen Orient, c'est
que le tombeau de Mohammad est de si peu de prix aux yeux de
ses disciples que les peuples arabes ne sont pas près de se
lever pour la Croisade, à l'exemple de Henri IV d'Allemagne,
dont j'ai déjà rappelé qu'il eut l'habileté de prendre la tête
d'une gigantesque expédition de plus des chrétiens en terre
sainte et qu'il retrouva à la pointe du glaive les lauriers
de la piété dont Canossa avait terni la couleur aux yeux de
ses sujets.
10 - Un regard
nouveau sur la condition humaine est-il possible ?
L'étude
de la boîte osseuse d'une espèce onirique de naissance peut-elle
conduire à une interprétation anthropologique et critique de
l'histoire universelle, donc à une science des à-coups que subit
l'évolution cérébrale de notre espèce? Certes, la rechute soudaine
du marxisme dans le culte du profit capitaliste a achevé de
nous convaincre de la nécessité d'observer les accélérations
et les retards alternés du cerveau de l'animal schizoïde et
de l'urgence de nous interroger sur les apories focales et inguérissables
auxquelles la condition simiohumaine se trouve livrée par la
dichotomie durable qui nous scinde entre le réel et le songe.
Paradoxalement,
le monde moderne nous conduit à un examen plus attentif qu'autrefois
des ressources intellectuelles provisoires dont la pensée religieuse
des origines s'était maladroitement armée; car les premiers
théologiens tentaient, sans le savoir, de se mettre en imagination
aux commandes d'une divinité dont ils ignoraient combien elle
se trouvait biphasée à leur image. Du coup, ils s'adjugeaient
un embryon de regard de l'extérieur sur un animal intellectuellement
dédoublé par ses idoles et qui se trouvait scindée à son corps
défendant entre des mondes oniriques exaltants et les vaines
platitudes d'ici-bas. C'est pourquoi l'axiome fondateur du christianisme
soutient encore de nos jours que la condition simiohumaine doit
nécessairement se soumettre d'avance au joug d'une conversion
imposée de l'extérieur par l'idole afin de se rendre viable
sur la terre et que, faute que "Dieu" débarquât de sa propre
initiative dans la conscience du fidèle, jamais la politique
ne connaîtrait l'harmonie et l'équilibre indispensables au train
des travaux et des jours du vieux Pindare.
Pour
faire progresser l'encéphale grippé du genre humain tout autrement
qu'aux dernières heures du paganisme, il faut donc le convaincre
que, depuis la nuit des temps, tout chef d'Etat et tout général
commencent par demander, les premiers aux citoyens, les seconds
à leurs soldats d'intérioriser la souveraineté de leur chef,
de se convertir à la volonté de le servir et de se rallier entièrement
à ses vues afin de l'aider à conquérir le monde entier. Si le
cerveau de notre espèce n'apprenait pas en tout premier lieu
à porter sur ses maîtres un regard de l'extérieur, comment se
verrait-il jamais lui-même du dehors?
J'ai
dit ailleurs que l'érémisme souverain est l'héroïsme des hommes
de génie; car, faute de conquérir sa propre solitude dans le
néant, l'humanité demeurera bipolarisée par ses chefs et elle
se ruera fatalement dans l'utopie des fausses saintetés dont
la prêtrise marxiste fut le dernier avatar. Mais l'ultime naufrage
du rêve politico-religieux de Karl Marx dans une dictature prétorienne
de type sacerdotal par définition place désormais la distanciation
cérébrale propre à l'anthropologie scientifique dans des conditions
exceptionnellement favorables à une prise de vue planétaire
de l'évolution de la conque osseuse qui couronne notre espèce.
Quelle chance, pour l'humanité, d'avancer à la faveur d'une
réflexion d'un type nouveau sur la mort! Car le ciel nous avait
fait asseoir sur un tonneau de poudre; et nous ne pouvions ni
démontrer, ni réfuter les explosifs posthumes qui nous menaçaient
puisque "Dieu" les avait habilement placés hors de notre examen.
Mais maintenant, nous nous trouvons acculés à courir à tombeau
ouvert en direction de notre intelligence à nous et de nous
demander si nous pouvons lui faire presser le pas.
11 - Des animaux
à décrypter
Depuis
des millénaires la marche de notre intelligence se traînait
sur la route et dans la poussière d'une lente progression de
notre connaissance de la matière et de la vie ; et maintenant,
c'est à un tout autre type de conquêtes rapides de notre raison
que nous avons affaire. Car nous ne nous colletons plus principalement
avec la nature inanimée, mais avec notre propre tête. Qu'en
est-il des négociations et des empoignades avec nos doublures
dans des mondes imaginaires auxquelles notre encéphale sert
de théâtre depuis le paléolithique?
Qu'en est-il des mimes cérébraux qui servent de miroirs et de
guides à nos effigies tour à tour flatteuses et terrifiées dans
le néant ? Nous avons perdu l'interlocuteur taillé à notre mesure
qui nous adressait la parole dans le cosmos.
Certes,
et tout à notre image, il se montrait tour à tour conciliant
et furieux, patelin et menaçant, retors et souverain; mais enfin,
nous avions trouvé quelqu'un à qui nous adresser. Et maintenant,
seuls les dieux locaux que nous sommes demeurés à nous-mêmes
de tous temps et sous divers déguisements astucieux ou grossiers,
et maintenant seules nos propres effigies nous donnent la réplique
dans le vide et le silence dans lesquels nous nous trouvons
immergés pour l'éternité. C'est une terrible joute que celle
qui met nos territoires aux prises avec les dieux que nous sommes
devenus à nous-mêmes. Car ces maîtres de nos épouvantes nous
habitent plus que jamais. Nous sommes demeurés à leur école
et à leur écoute. Nos dieux sont encore là, nos dieux s'obstinent
encore à nous harceler. Que faire de la foudre que notre idole
a remise entre nos mains?
Décidément,
il va falloir en découdre avec les Célestes défunts dont les
sépulcres nous piègent en retour; décidément, il va falloir
apprendre à connaître les otages de nos dieux morts. Par chance,
nous savons dans quelle arène du "Connais-toi" ils nous ont
donné rendez-vous. C'est une noble tâche de devenir un peu moins
bêtes qu'autrefois, c'est une grande ambition de construire
la balance à peser la stupidité de notre espèce, c'est une tâche
digne de nos chromosomes futurs d'éduquer nos chefs et nos maîtres,
c'est une vocation glorieuse et salutaire d'envoyer côte à côte
Dieu et Machiavel en apprentissage de notre véritable histoire.
Quand ils auront appris à se regarder droit dans les yeux, ils
se diront l'un à l'autre: "Que savions-nous de l'enclume et
de la forge, que savions-nous de la cécité religieuse de la
créature, que savions-nous des entrailles des sacrifices. Décidément,
nous sommes redevenus des animaux à décrypter."
Le 25 avril 2010