Un commencement de
mobilisation politique de l'Europe au Moyen-Orient permet désormais
à ma réflexion anthropologique de porter sur l'avenir de l'éthique
au cœur de la vie internationale. Une réflexion de ce genre ne
saurait trouver sa problématique et sa méthode que par la médiation
d'échographies drastiques d'une espèce dont les meurtres et la
justice se réfléchissent dans les miroirs de ses théologies.
C'est dire que, depuis
cet été, toute anthropologie qui se voudra scientifique se trouvera
condamnée à étudier en profondeur les relations que les peuples
entretiennent avec leurs dieux , tellement ces derniers se révèlent
l'expression spectaculaire de l'âme et du cerveau des nations
qu'ils représentent dans l'arène des siècles. Je ne puis donc
éviter de mettre au premier rang de mes exposés sur Internet mes
scanners de la psychophysiologie des trois dieux uniques et du
fonctionnement de leur encéphale ; car l'alliance de Washington
et de Tel Aviv est devenue l'arbre de transmission de l'histoire
universelle dans l'inconscient et le moteur du destin d'une Europe
placée entre le choix de l'indépendance et celui de la vassalisation.
Je ne saurais donc
sacrifier l'objectivité scientifique sous le prétexte que les
relations actuelles de la France et de l'Europe avec Israël posent
un problème politique et diplomatique focal. Au reste, toute tentative
d'escamotage de cette difficulté serait vaine, parce que les bombardements
de juillet et d'août des infrastructures du Liban constituent
un événement politique gigantesque et qui se révèlera si peu effaçable
aux yeux des historiens du monde entier qu'ils en analyseront
les conséquences pendant les vingt ans qui viennent.
Dans ce contexte,
ma radiographie anthropologique du " Concile de Stockholm " censé
s'être tenu le 30 août 2006 illustre l'irruption de l'inconscient
théologique de l'humanité dans l'histoire des événements internationaux.
1
- Un tournant de l'histoire
2
- Les malheurs de la conscience universelle
3
- Le Concile de Stockholm
4
- Les Christophe Colomb de l'anthropologie générale
5
- Quelques pas dans la topologie freudienne
6
- Quelle est la spécificité de l'animalité humaine ?
7
- Une zoologie de la culture
8
- L'encéphale bifide du singe cérébralisé
9
- Le modèle paternel du pouvoir politique
10
- Freud et le statut semi zoologique de l'humain
11
- L'anthropologie de l'imaginaire et la politique
12
- K. G. Jung et la spéléologie des idoles
13
- La psychanalyse de la torture et l'histoire
14
- La théologie et le syndrome de Stockholm
15
- La théologie du meurtre innocent
16
- Retour à Caligula et à son cheval
17
- Dis-moi quelle est ton idole et je te dirai qui tu es
1
- Un tournant de l'histoire 
Les historiens de l'alliance des idoles avec les atomes écriront
que les mois de juillet et d'août 2006 avaient changé la face
du monde, parce que les sciences dites humaines de l'époque s'étaient
trouvées contraintes soit de fonder une anthropologie critique
en mesure de se poser la question de la spécificité de l'animalité
de notre espèce , soit de laisser l'histoire, la politique et
les mythes sacrés quitter l'enceinte de leur discipline, tellement
toute science de la complexion psychique et de l'intelligence
des fils d'Adam sombrait dans le ridicule si le pacte d'acier
entre les Etats-Unis et Israël, qui remontait à l'expédition de
Suez en 1957 et qui avait fondé la puissance de l'empire américain
sur cet axe central de la politique mondiale, laissait indéchiffrée
l'énigme qui allait conduire ces deux nations au naufrage commun
de leur rang et de leur prestige sur la scène internationale.
Le déclic de ce tournant du destin avait été mineur: la résistance
libanaise à la souveraineté d'Israël au Moyen Orient - résistance
alors incarnée par le Hezbollah - avait réussi à capturer deux
soldats israéliens à la frontière entre les deux pays, dans l'intention
d'échanger ces trésors contre des prisonniers de guerre libanais
capturés au cours des précédents conflits provoqués par l'Etat
hébreu et qui croupissaient dans ses geôles sans espoir de jamais
se trouver jugés. Alors, le lion de Juda avait rugi et s'était
rué sur le Liban. A seulement secouer sa crinière, il avait détruit
les ponts, les hôpitaux, les centres de ravitaillement, les écoles,
les dépôts de pétrole, les usines, les installations électriques
et massacré les populations civiles en violation du droit international,
lequel, je le rappelle pour mémoire, précisait depuis des siècles
que toute guerre met aux prises des Etats souverains dans l'enceinte
de certains zoos spécialisés, qu'on appelle des champs de bataille.
De plus, depuis 1971, les juristes des carnages avaient déclaré
coupable de crimes de guerre le belligérant qui s'attaquait aux
populations désarmées, parce qu'il fallait combattre les armes
à la main pour bénéficier du statut des combattants.
Depuis
1945, les déchaînements léonins de l'histoire avaient été quelque
peu oubliés, refoulés ou relégués sur des théâtres lointains.
Les retrouvailles d'Israël avec la fureur de Jahvé allaient-elles
permettre aux anthropologues de la nouvelle génération, dont l'ambition
sacrilège était de connaître réellement l'espèce qu'ils étudiaient,
de tester de visu l'éthique des évadés partiels du monde
animal? En vérité, cette interrogation, alors fort nouvelle et
qui passait encore pour diffamatoire, cheminait dans les souterrains
de l'anthropologie expérimentale depuis qu'Israël avait arrêté
des ministres, des députés, des maires du gouvernement palestinien
afin, disait-il, de les faire passer en jugement devant le nouveau
tribunal de Nuremberg qu'il était devenu motu proprio et
à ses propres yeux . Or, le crime dont les Palestiniens se trouvaient
accusés était d'ordre éthique en ce qu'ils avaient cru aux idéaux
auxquels le suffrage universel était censé se conformer et qu'ils
avaient eu l'audace d'exprimer afin d'accorder la majorité politique
dans leur pays aux résistants du Hamas, ce qui avait introduit
une seconde inconnue dans l'équation des hérésies et des orthodoxies,
celle de savoir si la légitimité, en droit public international,
du vote majoritaire proclamé souverain au titre de voix autorisée
des peuples et des nations, pouvait être foulée aux pieds sitôt
que les intérêts partagés des Etats-Unis et d'Israël exigeaient
qu'on qualifiât les patriotes de terroristes et
qu'on mît les résistants au ban des nations de leur vivant
pour les porter au Panthéon après leur mort. La question posée
à l'échelle de la planète était celle de trancher du statut doctrinal
de la théologie de la liberté et des relations que la foi démocratique
entretient avec la pratique. Autrement dit, la question des Provinciales
débarquait dans la politique mondiale sous les traits éternels
de la querelle entre les casuistes et les hommes de foi.
2
- Les malheurs de la conscience universelle 
Ni
l'Europe des jésuites de la politique, ni la France des droitures
de la raison n'avaient été consternées par un déni de justice
qui entraînait rien moins que l'effondrement du droit constitutionnel
sur les cinq continents ; en revanche, quelques semaines seulement
plus tard, quand Israël avait tiré les conséquences jésuitiques
du mutisme de la conscience universelle en se précipitant sur
le Liban, le glaive levé, la nation des dix commandements de la
logique avait subitement proclamé sa consternation ; et elle était
revenue à grandes enjambées au Discours de la méthode que
le roi des philosophes français avait rédigé en latin et fait
traduire en français trois cent soixante-dix ans auparavant. Or,
consternare signifie, dans la langue de Descartes et de
Cicéron, étendre sur le sol, abattre et consternatio, épouvante.
Comment fallait-il interpréter la consternation de la France
? Car l'Elysée avait engagé debout une bataille diplomatique plus
acharnée que consternée contre les Etats-Unis et Israël devant
le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies afin
d'arrêter le bras armé d'Israël, et cela en application stricte
du droit international, qui associait la conscience universelle
à une certaine humanisation de la guerre, donc à une certaine
éthique du genre humain. Mais la France n'avait pas obtenu le
retrait de l'agresseur du territoire libanais. Alors Beyrouth
s'était quelque peu réveillé du sommeil politique et éthique des
théologiens de service de l'Islam et avait demandé le secours
des casuistes du Coran, qui eux-mêmes s'étaient vus contraints
de tirer un instant de leur poche les vrais écrits du prophète
et de porter aide et assistance à leurs frères. C'est ainsi que
le renfort passager de Mahomet avait permis à la France de Descartes
d'obtenir la cessation inespérée de l'occupation israélienne selon
un calendrier bien défini.
Pendant
tout ce temps-là, l'Europe des jésuites était demeurée tellement
tétanisée à l'idée de mettre en péril la définition israélo-américaine
du péché et de la grâce qu'elle avait gardé les yeux pieusement
baissés et s'était montrée fort contrite en dévotions au pied
du Mont Sinaï au sommet duquel les nouvelles tables de la loi
avait été gravées un demi siècle seulement auparavant. Et pourtant,
au spectacle primo des populations libanaises affamées
par le blocus aérien et maritime exercé par Israël, secundo
devant l'anéantissement des infra structures de ce pays, tertio
au motif de la contestation muette de la conscience universelle,
la Suède protestante avait ressenti un chatouillis théologique
qui lui avait ouvert la bouche toute grande ; mais aucun son n'était
sorti. A quoi fallait-il attribuer le silence consterné de Luther
? Au fait que les nations souveraines de l'Europe avaient été
épouvantées à la perspective de paraître profaner le nouvel ordre
divin. Aussi s'étaient-elles contentées de se qualifier de donatrices,
au lieu de blasphématoires . Quels étaient les statuts respectifs
des casuistes donateurs et des vrais défenseurs de la foi démocratique?
3 - Le Concile de Stockholm
C'est
alors que la question de la nature de l'acier et de la finesse
des rouages dont il aurait fallu armer une balance à peser le
statut animal ou angélique de l'humanité avait commencé de se
poser avec une grande acuité dans les arcanes de l'anthropologie
isaïaque ; car il était aussitôt apparu que la principale difficulté,
aux yeux des Pères du Concile de Stockholm du 30 août 2006 était
d'apprécier les poids respectifs de Caligula et de son cheval
sur les plateaux d'une justice méta-zoologique. On sait que le
célèbre empereur avait élevé le bel équiné au rang de consul du
peuple romain et qu'il l'avait appelé Incitatus, ce qui
signifie ultra rapide. Quelle allait être la célérité ou la lenteur
du cheval et du cavalier d'une conscience universelle muette?
Le concile de l'éthique de la planète hâtivement convoqué à Stockholm
allait-il bénéficier d'une illumination soudaine ou d'une révélation
progressive, donc tardive ?
On
sait qu'aux yeux des augures d'autrefois, la question cruciale
que Caligula et son cheval se posaient de conserve était seulement
de savoir si l'éthique d'un empire se mesurait à la quantité d'avoine
que réclamait Incitatus ou bien si une espèce transchevaline pouvait
recevoir le certificat de son évasion de la zoologie à seulement
conduire Pégase à sa mangeoire. C'est pourquoi le sacrificateur
cherchait d'abord le cœur de la bête immolée, puis le point de
départ ou la partie terminale des entrailles. Pourquoi l'empereur
Pertinax avait-il été assassiné au quatre-vingt cinquième jour
de son règne par les soldats, alors qu'il sacrifiait dans l'enceinte
du palais sans avoir trouvé, ô funeste présage, ni le cœur, ni
les entrailles de l'animal ? Cette question était plus difficile
à résoudre par les théologiens de la démocratie et des droits
de l'homme qu'il n'y peut paraître au premier abord, parce que
l'anthropologie philosophique, qui venait tout juste d'être portée
sur les fonts baptismaux de l'intelligence simiohumaine cherchait
le cœur et les entrailles du genre humain dans la postérité de
Freud et de Darwin ; et elle commençait seulement de décrypter
les théologies sacrificielles par l'étude encore embryonnaire
des relations meurtrières que le cerveau semi animal de l'humanité
entretient avec les autels du christianisme.
Il convenait donc de se demander si les sciences humaines du début
du IIIe millénaire parviendraient à construire la balance sur
le cadran de laquelle l'aiguille indiquerait les poids théologiques
respectifs de Caligula et d'Incitatus. Or, cette question remontait
à Aristote, qui avait écrit : " Un tyran doit sembler témoigner
d'une dévotion peu commune, parce que ses sujets se laisseront
plus aveuglément livrer à l'arbitraire s'ils le croient fort pieux.
" Un lauréat du prix Nobel de physique, Steven Weinberg, avait
repris cette réflexion à son compte : " Je pense que, tout
bien pesé, l'influence morale de la religion a été horrible. Avec
ou sans la religion, les honnêtes gens peuvent se comporter honnêtement
et les mauvaises gens se livrer au mal ; mais pour que les braves
gens puissent faire le mal , il faut la religion. " Aussi
le concile de Stockholm était-il fort embarrassé pour trouver
le cœur et les entrailles du Liban immolé sur les autels d'Israël
, et plus embarrassé encore pour trancher la question de la piété
d'Incitatus en Judée et de Caligula à Washington ; et plus embarrassé
encore pour préciser l'éthique des immolations au cœur de la théologie
des démocraties modernes.
Aussi
la question ne peut-elle se trouver résolue que par une relecture
anthropologique de Freud et de Jung et par une spectrographie
entière des idoles . Quels sont les naseaux, quels sont les sabots,
quelle est la crinière de Dieu ?

Mariali
4 - Les Christophe Colomb
de l'anthropologie générale 
Le libellé de la question sera le suivant : " Un siècle après
ses premiers pas en 1900, la science psychanalytique est-elle
en mesure de débarquer dans une anthropologie générale de la théologie
des droits de l'homme et, dans l'affirmative, transitera-t-elle
nécessairement par une histoire psycho-biologique des trois théologies
monothéistes ? " On me dira qu'une énigme mathématique de ce calibre
est aussi ardue à résoudre que la fameuse conjecture de Poincaré,
qui a été formulée en 1904 et qui a résisté pendant un siècle
aux virtuoses les plus rares des équations pour céder en 2003
aux attaques d'un seul topologue . Comme la topologie mathématique
est une branche tellement mystérieuse de l'empire des nombres
qu'elle unifie, entre autres, le cercle et l'ellipse, la rencontre
symbolique des Christophe Colomb du calcul avec les conquérants
d'une spectrographie de la condition humaine aura à résoudre en
tout premier lieu la question posée par Robert Ricci et plus récemment
par Richard Hamilton - celle de savoir si " toute variété non
fermée, mais connexe et sans frontière , est homéomorphe à une
sphère " - ce qui signifie, en français de tous les jours, que
le globe oculaire qui intègrerait la politique et l'histoire dans
une connaissance anthropologique de l'inconscient simiohumain
ferait une ellipse homéomorphe à l'expansion de la vie onirique
du genre humain dans le cosmos.
Pour bien comprendre les termes d'une équation aussi ironique,
il importe de rappeler brièvement le chemin socratique que la
question a parcouru au sein des sciences humaines et d'en préciser
les longitudes et les latitudes avec toute la clarté désirable,
tellement, dans ce genre de conjectures anthropologiques, la nature
et la portée des abscisses et des ordonnées peut engendrer des
malentendus et même des confusions aussi fastidieuses que pénibles
à dissiper. Pour résumer la difficulté sans perdre un temps précieux
à démontrer des broutilles aux yeux des sciences humaines dont
les escadrons demeurent jour et nuit sous les armes, il faut rappeler
que Caligula appartient à la catégorie des logiciens de l'univers
dont le génie ne s'attarde pas à franchir l'espace à pas menus
et à s'échiner longuement aux balisages que souhaite le tout venant
des calculateurs sur les cinq continents. S'il s'attardait à folâtrer
parmi le thym et la rosée des équations au lieu de courir à grandes
enjambées dans la topologie mathématique, jamais il n'aurait trouvé
le loisir de résoudre la conjecture de Poincaré des sciences humaines.
C'est pourquoi les mathématiciens de haut vol ont tous souligné
qu'à l'instar d'Alain Connes, qui a reçu la médaille Fields en
1982, Caligula se passe de prouver des allégations pesantes et
élémentaires, mon cher Watson, quand des centaines de pages rédigées
pendant trois ans par des équipes serrées de mathématiciens américains,
espagnols, français et asiatiques se sont appliquées à les expliciter
en long et en large à l'usage du tout venant des calculateurs
terrestres.
5 - Quelques pas dans
la topologie freudienne 
La même difficulté de communication entre le lièvre et la tortue
s'est présentée au concile de Stockholm pour la démonstration
dont l'énoncé topologique va de soi: avant Freud, les prétendus
connaisseurs de l' espace qu'embrasse l'imaginaire simiohumain
se divisaient en deux camps. Les uns, qu'on aurait dû appeler
les théologues , mais qui préféraient le titre de théologiens,
prétendaient démontrer l'existence du dieu de l'endroit où ils
avaient ouvert les yeux et dont ils affirmaient que leur ciel
les y avait fait naître précisément afin qu'ils y rencontrassent
leur divinité au sortir de leur berceau, les autres, qu'on qualifiait
de rationalistes , soutenaient que des compétences célestes de
ce calibre étaient nécessairement instinctives et innées du seul
fait que les dieux naissent meurent dans les encéphales au gré
des lieux et des époques et, conséquemment, que le calcul des
probabilités excluait que des peuples à demi sauvages et dépourvus
de tout moyens scientifiques de connaître les derniers secrets
de l'univers auraient détecté par la seule puissance de leur entendement
naturel des traces et des vestiges de dieux qui se seraient réellement
nichés dans le cosmos. Quant à l'hypothèse selon laquelle le cerveau
de hordes barbares et ignorantes se serait ensuite si spontanément
affiné que ses antennes lui auraient permis de détecter l'odeur
de trois dieux gigantesques, mais piteusement tapis ou blottis
dans le vide, il n'y fallait pas songer ; car quand bien même
la finesse d'oreilles des premiers hommes leur aurait permis d'entendre
le heurt de leurs cuirasses, comment auraient-il expliqué les
guerres inexpiables que leurs panoplies cérébrales se livrent
les unes aux autres?
Je
m'excuse de figurer parmi les mathématiciens tout juste bons à
expliquer au lecteur les rudiments anthropologiques des équations
des songes ; mais, de me situer au dernier rang des topologues
du rêve, je crois utile de rappeler à mes illustres confrères
qu'il est inutile de brûler les étapes d'une science stellaire
de la vie onirique de notre espèce, parce que la pédagogie la
plus nécessaire aux nations simiohumaines est celle qui se soucie
de connaître l'enfance de la cartographie cérébrale qui, à peine
sommes-nous sortis de nos langes, nous expédie dans le fabuleux
, le fantasmatique et le fantasmagorique. Or, en ces temps reculés,
les mathématiques européennes évoluaient encore dans une étendue
et une durée dont les trois dimensions se trouvaient en ligne
de bataille sur un seul front, de sorte que le quartier général
du calcul et tout l'état major des équations se trouvaient encore
logés sur un territoire fiable, tandis que nous nous apitoyons
sur les quelques arpents nourris des mirages d'Archimède et d'Euclide
sur lesquels nos ancêtres s'étaient installés à titre transitoire.
Il
en résultait que toute la communauté internationale des calculateurs
campait sans le savoir et depuis des millénaires sur un espace
géographique et un temps des horloges non seulement arbitrairement
séparés, mais farouchement ennemis de leurs comptages respectifs.
Aussi les théologues et les rationalistes se divisaient-ils entre
les adorateurs tranquilles d'une durée qu'ils appelaient l'éternité
et qui , à les entendre, leur accordait à titre posthume des certificats
d'immortalité, d'une part, et les observateurs patentés d'un monde
fini et calculable d'autre part, qui ne savaient comment harponner
des heures qui se jouaient d'eux, mais qu'ils bousculaient d'un
coup d'épaule. Aussi le premier topologue de la quatrième dimension,
un certain Sigmund Freud s'était-il essayé à une révolution de
la méthode copiée sur le génie joyeux des grands mathématiciens,
qui n'ont pas le temps, comme il a été dit, de s'arrêter aux broutilles
et brindilles dans lesquelles s'empêtrent les calculateurs honnêtes,
mais inutilement besogneux.
6
- Quelle est la spécificité de l'animalité humaine ?
Certes,
dans ses premiers travaux, notamment dans son Tractatus
en latin tardif cui titulo inscribitur Futurum cujusdam
illusionis, qu'on a attiédi en français par L'avenir
d'une illusion, Sigmund Freud s'attardait encore à démontrer
qu'aucune divinité ne saurait exister hors de la boîte osseuse
de ses apprêteurs et qu'il était illogique de refuser l'inscription
de Zeus, d'Osiris, de Mitha ou de Wotan à l'état civil des Immortels
pour le motif qu'ils avaient déménagé de leur domicile naturel,
à savoir l'encéphale des humains de leur temps, pour descendre
dans leur sépulcre et d'accorder ensuite de plein droit leur légitimation
doctrinale aux trois derniers prétendants censés avoir enterré
leurs prédécesseurs et capté leur héritage. De plus si, à l'instar
des défunts, ce trio avait élu domicile dans l'espace, il occuperait
nécessairement un certain volume du seul fait qu'une idole ne
saurait s'évader du cerveau de ses fidèles sans se rendre quelque
part. Du coup, la localisation extra-tombale des trois personnages
et leurs dimensions respectives poseraient des problèmes insolubles
aux topologues du ciel.
Mais
l'essentiel de la découverte de Freud n'est pas d'avoir traîné
derrière lui quelques vaines séquelles des chicanes immémoriales
entre les théologues et les physiciens. A ce titre, il était demeuré
prisonnier de la culture française, ne serait-ce que par sa manie
de ruiner la langue allemande à toute vapeur. On sait que, depuis
Goethe, cet idiome ne cherche pas seulement dans le fonds linguistique
gréco-latin des vocables qui manquent aux Germains, mais supprime
les vocables les plus courants de leur parler de tous les jours
. C'est pourquoi Freud a donné à son essai sur l'illusion religieuse
de 1927 le titre Die Zukunft einer Illusion, au
lieu de Die Zukunft einer Einbildung . Mais le tribut
de Freud à la culture française va beaucoup plus loin, parce que
la raison cartésienne se situe tantôt dans le giron de l'Eglise,
qui n'autorise que les questions jugées licites par le dogme ,
tantôt dans les troupes d'assaut qui attaquent la foi du dehors
. Cette bipolarité cérébrale conduit le cartésianisme national
à s'essouffler dans la stérilité de se demander si Rome a raison
ou si elle a tort , ce qui permet à l'institution de Pierre de
continuer d'occuper la place d'honneur d'une catéchèse de l'intelligence
, alors qu'un siècle et demi après Darwin, l'avenir des sciences
humaines passe par la question de la pesée de l'animalité de Dieu.
C'est
par l'observation critique de la généalogie des Célestes qui naissent
et prospèrent dans l'encéphale inténébré de naissance d'un semi
animal - on ne savait que depuis 1859 que sa conque cérébrale
avait quadruplé de volume en un million et demi d'années - que
Freud a ouvert le véritable champ de la pensée du IIIe millénaire
; car le point décisif n'est autre que la découverte de la génèse
proprement théologique d'une espèce dont la spécificité est de
se nourrir des mondes oniriques que son encéphale dichotomisé
est condamné à sécréter. Jusqu'alors, les héritiers de l'auteur
de L'Evolution des espèces étudiaient seulement
les différences et les ressemblances entre l'homme et le chimpanzé
et, pour cela, ils observaient à la loupe les clichés qu'ils avaient
pris des deux espèces à des époques diverses de l'histoire de
leur ossature et de leur crâne, tandis que Freud a donné le coup
d'envoi à toute l'anthropologie scientifique du IIIe millénaire
en posant la question de la spécificité de l'animalité simiohumaine.
7 - Une zoologie de la
culture 
Du coup, la question du statut semi zoologique de la culture débarquait
dans l'anthropologie scientifique ; et, depuis lors, ce coup de
tonnerre n'a cessé de gronder au cœur des sciences humaines. Car
si le singe en prières demeure un animal, il appartient à une
anthropologie enfin devenue réellement scientifique de découvrir
le statut zoologique de la foi religieuse ; et l'enquête anthropologique
est condamnée à s'armer d'une psychologie abyssale et notamment
d'une exploration vertigineuse et métafreudienne de l'inconscient
des agenouillements, du seul fait que la zoologie des personnages
prodigieux installés dans les imaginations ne renvoie plus à un
empire arrêté et circonscrit par des théologies, mais à un espace
psychique dont les frontières ne sont pas encore tracées, tellement
elles se révèlent mouvantes et ouvertes sur l'infini. Du coup,
le débarquement de l'évolutionnisme dans l'étude anthropologique
de l'inconscient religieux change la question de la distance entre
l'homme et ses dieux en celle de la distance entre l'animal et
l'homme .
Cette révolution extraordinaire de la problématique qui commandait
l'anthropologie scientifique classique allait entraîner une mutation
non moins décisive de la logique interne de toute la méthodologie
antérieure ; car, dès lors que les nébuleuses théologiques dont
s'alimentent les fuyards flottants de la zoologie naît de leur
besoin de se doter de personnages fantastiques, inégalement titanesques
et semi vaporeux qu'ils expédient dans le vide de l'immensité,
il fallait se demander, non seulement quelle était la généalogie
des illusions animales de ce type, mais comment il se faisait
que les désirs cérébraux et nécessairement d'origine psychobiologique
d'une bête devenue partiellement pensante se substantifiaient
spontanément et impérieusement dans sa tête. Car l'examen de la
conviction en la réalité, sinon corporelle, du moins gazeuse,
de plusieurs tragédiens du cosmos dont la dégaine et les gesticulations
dans l'étendue se révélaient consubstantielles à l'encéphale simiohumain
rendait encore plus énigmatique le constat qu'au début du troisième
millénaire ni le vocable réalité, ni le verbe exister
ne faisaient l'objet du plus microscopique commencement d'examen
de leur contenu anthropologique, donc psychobiologique . De plus,
et parallèlement, les mathématiciens ne s'interrogeaient pas non
plus sur le sens du verbe exister appliqué à leurs équations.
Dans ces conditions, comment le Concile de Stockholm se serait-il
posé la question de la réalité de l'éthique, donc de la conscience
universelle ?
8
- L'encéphale bifide du singe cérébralisé 
Tout
Moïse et le monothéisme témoigne de l'obsession
de Freud de décoder l'humanité comme une espèce soumise de naissance
à un pouvoir bifide de type patriarcal - c'est-à-dire à un type
de l'autorité politique dans lequel le meurtre du père sera compris
comme la condition de l'accession salvatrice du fils à l'âge adulte.
Du coup, la divinisation posthume du géniteur terrestre à la fois
honni et vénéré ne sera que l'expression logique des remords des
assassins pourtant libérés de leurs chaînes par leur crime . Mais
faute d'avoir observé les deux lobes de l'encéphale fractionné
de naissance de l'humanité primitive et des neuf dixièmes de celle
d'aujourd'hui, l'analyse freudienne du noyau familial ne pouvait
le conduire à une psychanalyse de l'histoire schizoïde des semi
rescapés de la nuit animale, ni même à une réflexion anthropologique
abyssale sur la notion d'autorité dans l'ordre politique ; en
revanche, son génie était fort bien armé pour observer du moins
deux institutions exemplairement biphasées, donc construites sur
le modèle schizoïde de la famille - c'est-à-dire sur une autorité
solitaire, impérieuse et soustraite à toute critique de sa structure
psychique - l'armée et l'Eglise, dans lesquelles l'idéal d'une
obéissance imposée par une hiérarchie scindée entre le rêve et
le réel répond à la logique interne de l'instrumentalisation du
système.
Dans ces deux institutions semi oniriques, le sujet n'est jamais
qu'un rouage au service du personnage transcendantal que l'institution
est à ses propres yeux et dont l'individu sera chargé d'illustrer
la rigidité de son identité mentale et éthique . Dans les deux
organismes, la domesticité morale se trouvera magnifiée au titre
d'une vertu héroïque - un devoir - parce que la glorification
de la servitude volontaire de l'individu arme en retour un personnage
collectif dont le somptueux habillage est construit sur l'entière
dépendance de ses servants à son égard ; dans les deux organismes
également, l'obligation impérieuse de "chanter dans le chœur"
sert de masque déontologique à un narcissisme institutionnel réconfortant
et flatteur. L'armée engendre une autovalorisation virile étroitement
conjointe à l'appartenance du guerrier à l'empire des armes, comme
l'a souligné le Vigny de Grandeur et servitude militaire.
Mais une anthropologie attentive à décrypter l'évolution psychique
et cérébrale d'une espèce auto instrumentalisé par l'alliance
de ses songes avec ses institutions politiques ne peut que souligner
à quel point le XXIe siècle illustrera nécessairement et à l'échelle
intercontinentale la nature infantile de ce mode de commandement
de l'univers, parce que l'Islam prendra puissamment la relève
du catholicisme du XIXe siècle, donc le relais planétaire de ce
type de guidage de l'imaginaire et de l'action simiohumains.
9
- Le modèle paternel du pouvoir politique 
On remarquera que, dans les trois civilisations monothéistes,
l'autorité politique dominante demeure marquée du sceau redoutable
d'une paternité solennisée par ses propres rituels et renforcée
par les liturgies qui la rigidifient. Certes, dans le catholicisme,
la féminité se trouve largement sanctifiée par le mythe de la
fécondation virginale d'une déesse mère, le nourrisson se voit
baigné dès le berceau dans l'aura d'une crèche sacrée, la légitimité
doctrinale des Etats auto édénisés sous la cuirasse de leurs idéalités
répond au modèle d'une apothéose et d'une hypertrophie du pouvoir
patriarcal. Mais le refus de la souveraineté de l'individu, donc
le rejet du règne du singulier est tout aussi viscéral dans la
théologie romaine qu'à Jérusalem et à la Mecque : aux yeux du
chrétien, toute analyse rationnelle de la personnalité de Jésus,
et notamment de son audace nietzschéenne d'iconoclaste, sera ressentie
comme le blasphème d'un Isaïe du christianisme, parce que le prophète
crucifié sur un gibet par son créancier de père n'est autorisé
à se présenter en individu dominant, en roi de l'intelligence
et en contempteur du sceptre barbare de son géniteur qu'au titre
mythologique d'un fils du ciel humble et soumis, donc d'un débiteur
volontaire du père omniscient, et cela jusqu'au suicide inclus
sur l'autel d'un " rachat " par la mort. Il est demandé au fidèle
voué à s'immoler à l'idole de fuir comme la peste le sacrilège
des saints coupables du péché d'orgueil de se reconnaître dans
leur Jupiter.
Aussi,
la moitié catholique de l'Occident religieux témoigne-t-elle d'une
enfance vigoureusement guidée par une divinité bénédictionnelle,
mais sourcilleuse sous ses allures patelines et qui ne l'entend
pas de cette oreille sitôt que le croyant s'avise de contester
sa définition punitive d'un bien et d'un mal immuables, donc les
règles définitives qui régissent l'obéissance pieuse d'une créature
placée sa vie durant sous la férule de son maître. Qu'en est-il
de la psychologie de l'idole omnipotente et impitoyable sous ses
allures doucereuses ? Pourquoi commande-t-elle du berceau à la
tombe la vision du monde et la conduite au quotidien d'une espèce
assujettie dès l'état fœtal au règne d'un géniteur mythique? Qu'en
est-il de la prébende d'une vie éternelle des corps ? C'est ce
que préciseront les écrits qui seront dictés à l'idole par ses
géniteurs et que les commentateurs attitrés de sa parole expliciteront
de siècle en siècle au troupeau des fidèles.
Mais il est évident que l'anthropologie du IIIe millénaire est
née avec Freud et qu'elle ne saurait conquérir un savoir portant
sur les abîmes de la politique et de l'histoire dans l'inconscient
d'une espèce faite de bergers souverains et de brebis dociles
sans avoir radiographié ses décalques dans le ciel, parce que
tout le "temporel" attend les lumières d'un examen psychanalytique
des prisonniers d'un interdit attaché à l'enfance et qui prive
l'adulte de tout accès à l'examen critique des leçons que les
pédagogues de ses songes sont censés lui dispenser. Le mimétisme
entre les écoles du ciel et celles de la terre est la clé d'une
anthropologie mise à l'école du cerveau bipolaire d'une espèce
dont l'animalité spécifique tient à l'infirmité de son intelligence
flottante entre le réel et le songe et que Lacan qualifiera de
spéculaire.
10
- Freud et le statut semi zoologique de l'humain 
Ce
serait donc une grande " illusion " au sens latin de raillerie,
de s'imaginer que l'humanité humble et fervente que paît la foi
catholique se rencontrerait principalement dans les milieux nourris
d'une piété populaire - en Italie , en Espagne, en Pologne, en
Afrique et en Amérique du sud - alors qu'en réalité, la dévotion
officielle est construite sur l'autorité parentale et demeure
non seulement le cœur battant des sociétés d'origine gréco-latine,
mais le modèle des hiérarchies sociales et politiques dans le
monde asiatique. Si une anthropologie attachée à rendre compte
des péripéties douloureuses ou pathétiques de l'histoire universelle
ne saurait accéder au statut d'une science vérifiable à l'échelle
des cinq continents sans avoir acquis au préalable une connaissance
des sources psychogénétiques de l'obéissance infantile, c'est
parce que la légitimation théopolitique des relations entre les
gouvernants et les gouvernés, donc de toute action publique, se
fonde plus que jamais et dans le monde entier sur l'étroite dépendance
des peuples à des chefs conçus comme des éducateurs de l'enfance
des nations. Mais puisque cette loi est également celle des nombreuses
sociétés animales, on ne saurait concevoir de révolution plus
explosive que celle de Freud, qui se demande quel est le statut
semi zoologique de l'adulte simiohumain . Car l'astronomie de
Copernic s'était contentée de situer le soleil au centre du système
solaire ; mais si le soleil de l'intelligence regarde l'étoile
microscopique dont la lumière ignore le contenu zoologique du
verbe comprendre, l'anthropologie critique est appelée à éclairer
une autre espèce - celle dont le regard sur l'animal aura changé
de nature.
Le
génie prospectif de Freud n'a pas mesuré la portée méthodologique
d'une anthropologie critique dont il a posé les prémisses post-zoologiques.
Certes, il a enseigné à ses congénères à observer que le dieu
des chrétiens se présente sous les traits d'une " sublimation"
du père de famille. Mais Stendhal l'avait précédé, qui connaissait
ce phénomène psychologique sous le nom de " cristallisation
amoureuse". Assurément, il a établi que l'enfant croit à la
métamorphose de son géniteur en l'auteur de tout l'univers. Mais
Cervantès l'avait précédé, qui savait pourquoi le lecteur croit
en l'existence de don Quichotte ou d'Hamlet, de sorte qu'à l'âge
adulte, il élève un acteur interstellaire au rang d'un rédacteur
souverain et infaillible des lois de la morale et du droit .
Aussi la révolution freudienne est-elle d'un tout autre ordre
: il ne suffit pas de savoir que les prophètes mettent en place
les potentialités de leur idole et la font accéder au statut de
guides politiques et de précepteurs de l'humanité , il s'agit
de conquérir un regard transanimal sur l'animalité des dieux uniques.
A cette profondeur anthropologique, Swift laisse Cervantès, Shakespeare
ou Rabelais sur place ; mais le regard de sa raison que l'auteur
de Gulliver porte sur l'humanité demeure lui-même
zoologique ; car une intelligence construite sur le modèle du
bon sens cartésien n'a pas conquis de regard sur l'animalité cachée
de sa problématique et de sa méthode , pas de regard sur la sécrétion
qu'elle appelle l'intelligible.
11 - L'anthropologie
de l'imaginaire et la politique 
Comment
la sphère freudienne de l'inconscient politique d'une espèce demeurée
infantile s'affranchit-elle de la conjecture de Poincaré des sciences
humaines ? Autrement dit, par quel mécanisme inné l'imaginaire
religieux concrétise-t-il invinciblement ses fantasmes sans jamais
seulement s'interroger sur le sens du verbe être ? Il est tellement
décisif de répondre à cette question qu'il y faut un développement
et une extension nouveaux de la notion même de topologie du fantasmagorique,
donc un approfondissement de la science des métamorphoses internes
qui régissent le territoire de cette branche avancée des mathématiques.
Car les nations sont des personnages imaginaires, les Etats ont
une identité onirique, les peuples sont des acteurs reconnaissables
sur la scène où l'histoire danse avec ses rêves , la République
qu'observent ses voyants n'a pas de corps, et pourtant, est-il
un acteur plus visible et plus reconnaissable sur les planches
d'un théâtre que les citoyens portent dans leur tête ? C'est pourquoi
Freud a manqué l'examen des relations de l'inconscient avec la
politique mondiale et avec l'histoire entière ; et, faute d'avoir
lancé ce pont, la connaissance des idoles ne pouvait opérer sa
jonction avec une véritable anthropologie critique, comme il est
exposé dans la formulation de la conjecture centrale des sciences
humaines de demain.
Mais
pour cela, c'était la problématique entière des sciences humaines
embryonnaires de son temps qu'il fallait bouleverser. Par bonheur,
un siècle après la parution de la Traumdeutung ,
le monde a rendez-vous avec l'animalité de l'histoire, la terre
entière a rendez-vous avec l'animalité des nations, la civilisation
européenne tout entière se collète avec la question de l'animalité
collective de l'humanité: " Quelle est l'animalité propre à l'homme
? Quelle est la bête que tout le monde appelle Dieu ? Caligula
siège à la Maison Blanche et Caligula a dit à Israël ce que l'empereur
romain disait à son cheval Incitatus: " Prends ton temps , Incitatus
; vois ces réfugiés en fuite sous tes sabots, regarde leurs ponts,
leurs routes, leurs ports, leurs silos à blé, leurs ambulances,
leurs cliniques, leurs écoles. Je donne tout cela à tes sabots,
Incitatus, mais prends ton temps. Vois leurs décombres, leur faim,
leur soif , leurs maladies, leurs blessures, vois les armes de
Rome briller de l'éclat de tes sabots. Je t'ai fait consul, Incitatus,
pour que tes naseaux de feu et la flamme de tes yeux et le noir
envol de ta crinière et ton hennissement dans l'histoire de Rome
grave tes exploits dans le marbre de la mémoire de l'empire."
12 - K. G. Jung et la
spéléologie des idoles 
Le
premier mathématicien post freudien qui s'est attaché à approfondir
l'équation focale des sciences humaines, celle des relations de
l'animal vocalisé avec un cheval fou fut Karl Gustav Jung, qui
fit discrètement remarquer à Sigmund Freud , son aîné et son maître
jusqu'en 1913 , que les dieux ne sont pas tous de gentils pères
de famille et qu'ils pourraient aider une anthropologie sérieuse
à portraiturer l'humanité. On sait que le grand Viennois a suivi
à sa manière la piste sacrilège que son disciple lui avait suggérée,
puisque le berceau d'un géniteur sanglant du cosmos a été localisé
: il s'agissait de l'encéphale d'un Egyptien du nom du Moïse.
Pourquoi, à peine jaillie du crâne de ce chef de guerre, l'idole
a-t-elle offert ses services au seul peuple juif ? N'aurait-il
pas été logique de faire jouer à ce personnage le rôle d'un miroir
cosmologique dans lequel la politique et l'histoire non seulement
d'Israël, mais de l'humanité tout entière se réfléchiraient de
siècle en siècle, ce qui conduirait le "Connais-toi" socratique
à une anthropologie étendue à la connaissance de l'inconscient
meurtrier qui régit la condition simiohumaine dans tous les ordres
? Etudier notre histoire sur l'écran des idoles que sécrète notre
boîte osseuse , ne serait-ce pas apprendre à décrypter notre cerveau
semi zoologique à l'aide des scanners qu'on appelle des théologies,
à la condition toutefois que nous apprenions à nous servir de
ces instruments à un usage aussi privilégié, ce qui demanderait
un long et difficile apprentissage de l'histoire secrète de nos
formulations doctrinales et de leur articulation avec notre politique,
nos guerres, notre morale et nos lois ?
En
vérité, Jung est allé plus loin que Freud dans cette direction
; il aurait donc fait franchir un progrès considérable à son maître
et à la topologie cérébrale des songes religieux inaugurée par
le grand Viennois s'il avait osé radiographier les abîmes psychogénétiques
du genre simiohumain qu'il a entr'aperçus et en observer l'évolution
sans trembler. Mais on se tromperait grandement à s'imaginer qu'à
ce compte, la conjecture de Poincaré des sciences humaines était
à deux pas de se trouver résolue ; car il est aussitôt apparu
que l'approfondissement vertigineux de la problématique anthropologique
qui commandait désormais la méthode révélait la difficulté extrême
de trouver un passage à gué vers une psychanalyse de la condition
semi animale de l'homme.
C'est
que les blocages psychobiologiques dont souffrait Gustav Jung
ont paralysé son courage , mais révélé à la métazoologie l'obstacle
le plus caché que ce type d'équation rencontrait sur le terrain.
Car si le Zürichois est assurément le premier photographe
audacieux de l'encéphale théologique simiohumain qui ait pris
des clichés terrifiants de cet organe , le premier échographe
fasciné par les croyances religieuses de notre espèce , le premier
psychanalyste tétanisé qui ait scanné les animaux cérébraux qu'on
appelle des idoles, le premier visionnaire isaïaque qui ait fourni
à la science de l'inconscient des relevés du génocidaire du Déluge,
il est aussi le premier illustrateur des blocages infantiles qui
paralysent encore aujourd'hui les progrès de l'anthropologie scientifique
métacopernicienne.
Sans doute devait-il sa révolte de théologue protestant à son
père, un pasteur d'une grande droiture morale. Il faut remarquer,
à ce propos, que Hegel était pasteur et qu'il s'est auto converti
à une sorte d'eschatologie de l'intelligence véhiculée par le
concept, donc à un messianisme de la rédemption par le devenir
de la raison et que Nietzsche et Fichte étaient, eux aussi, des
fils de pasteurs. Quoi qu'il en soit, Jung fut le premier spéléologue
des idoles en tant que bêtes sauvages; et à ce titre, il faisait
doucement observer à Freud, qui ne se reconnaisssait pas encore
dans ce moraliste du ciel, donc en ce pasteur déguisé en psychanalyste,
que " Dieu " était le monstre cosmique dont on ne pardonnerait
pas les forfaits à sa créature et que l'étude de l'identité de
ce meurtrier conduirait à la connaissance de l'identité zoologique
propre à la créature.
13
- La psychanalyse de la torture et l'histoire 
Mais
comment se faisait-il que la révolution jungienne, qui apportait
à l'esprit intrépide de Freud la caution scientifique précieuse
d'une psychiatrie officielle encore timide, mais à deux pas de
s'épouvanter et qui aurait dû conduire le grand Zürichois
à une psychanalyse du tragique de la semi animalité de l'homme,
puisque cette espèce s'est peinte dans le miroir d'un Caligula
cosmique, comment se faisait-il, dis-je, qu'une telle révolution
se fût subitement arrêtée, alors que la logique interne de l'ogre
du ciel aurait dû conduire ses fidèles à la question : "Pourquoi
ce démiurge-là plutôt qu'un autre ? " . Il était pourtant évident
que ce Titan sanglant avait nécessairement évolué sur la pellicule
de l'évolution cérébrale du simianthrope conformément aux exigences
psychogénétiques de sa nature, c'est-à-dire comme une réplique
exacte de la complexion mentale de ses adorateurs.
Or, l'assassin céleste qu'Abraham avait converti à épargner son
fils s'était ensuite officiellement contenté de perpétrer un seul
meurtre, mais fort habilement apprêté - celui de son propre fils,
qu'il trucidait tous les jours sur ses autels afin d'éponger au
compte goutte une créance incalculable. Mais il demeurait le tortionnaire
des ténèbres dont le goulag souterrain illustrait une cruauté
à faire pâlir d'envie les champions modernes du concentrationnaire
à ciel ouvert. Pourquoi allait-il jusqu'à demander à ses fidèles
l'exercice de boire le sang de sa progéniture et de manger sa
chair ? Que signifiait ce double moyen de paiement d'un " rachat
", c'est-à-dire de l'effacement illusoire d'une dette inextinguible
? Y avait-il un pont plus voyant que celui dont les arches conduisaient
à la connaissance anthropologique des aliments privilégiés de
l'histoire et de la politique simiohumaines - le sang et les corps
- puisque le meurtre sacrificiel chrétien glorifie l'assassin
séraphique qu'on appelle l'histoire?
14 - La théologie du
syndrome de Stockholm et le meurtre proprement humain 
Pourquoi
Jung n'a-t-il pas osé approfondir la sainte alliance entre la
connaissance scientifique du genre humain et le sacrilège intellectuel
qu'il avait pourtant scellée et dont il a tracé toute sa vie les
sentiers profanateurs, sinon parce qu'un guérisseur ne saurait
peser le vrai et le faux sur la balance isaïaque du blasphème.
Puisque tout fidèle a besoin de croire en l'existence objectivée
d'un régisseur sanguinaire du cosmos qu'il transfigure subrepticement
en un saint protecteur sous le joug du syndrome de Stockholm,
le médecin se contentera d'observer que l'idolâtre colloque nécessairement
un personnage d'une sauvagerie exemplaire hors de son esprit et
que si on le prive de son grigri crucificateur , il peut en mourir,
tandis qu'il s'épanouit dans la sottise sanglante. Du coup, la
légitimation théologique d'une piété au couteau entre les dents
disqualifie l'autorité de l'anthropologie scientifique , tellement
il est difficile aux Diafoirus du sacré de valider la vérité nue
quand elle tue le patient. Toute déontologie thérapeutique fait
déclarer vraie l'erreur des sorciers de l'autel s'ils présentent
l'avantage d'inoculer au malade leur folie guérisseuse.
Mais
c'est alors que la science impose sans faiblir la dictature de
la vérité à une anthropologie tentée par l'erreur payante ; car
le devoir d'une logique sans faille est de rendre compte des trois
théâtres principaux sur lesquels le genre humain monte sur la
scène de ses songes meurtriers, à savoir la politique, l'histoire
et les mythes religieux. J'ai déjà dit que cet impératif absolu
de la connaissance rationnelle s'inscrit dans toute la géopolitique
du XXIe siècle, qui n'est plus en mesure de rendre compte de l'histoire
de l'homme et de celle de ses dieux sans s'ouvrir à la recherche
de l'animalité spécifique de notre espèce. Cette leçon-là de la
rigueur psychanalytique, Freud l'a soutenue contre Jung jusqu'à
son dernier souffle. Mais pour cerner l'objectif d'une véritable
science de l'inconscient , il faut recourir à une observation
elle-même anthropologique des obstacles psychobiologiques qui
s'opposent à la progression et à la victoire d'une telle anthropologie,
parce qu'un regard transzoologique sur l'infantilisme natif dont
souffre le genre simiohumain fait partie intégrante de la connaissance
du fonctionnement naturel de l'encéphale semi animal.
Pour démontrer l'infirmité psychobiologique originelle d'une espèce
animalisée par sa terreur de la mort , Freud et Jung permettent
d'illustrer les deux faces de l'aporie tétanisante qui paralyse
la problématique et la méthode d'une "anthropologie de Caligula"
en mesure d'éclairer le meurtre proprement humain; car, d'un côté,
Freud n'a pas réussi à mettre sur pied une science iconoclaste
des métamorphoses psychobiologiques du père de famille en assassin
d'une humanité qu'il immole sur ses propitiatoires et sous la
terre. Il n'y a pas de véritable anthropologie des sacrifices
chez Freud, tandis que, de son côté, Jung a transfiguré le tueur
vétéro-testamentaire en un guide audible d'une espèce auto-innocentée
par une mythologie gentillette de la grâce.
15
- La théologie du meurtre innocent 
Face à la gestion à la fois pastorale et vétéro-testamentaire
de l'infantilité catholique, qu'en sera-t-il de la configuration
théologique de l'enfance et de ses relations immolatoires avec
la politique et l'histoire dans le protestantisme ? La psychanalyse
christianisée de Jung nous révèle que le croyant y attend l'âge
de l'adolescence pour se réclamer du statut naturel de prêtre
de l'idole dont le choix infaillible l'a élu pour la servir. Ici,
plus d'enfant divinisé, plus de mère idéalisée: le protestant
goûte la grâce insigne d'avoir été remarqué par le ciel comme
la preuve vivante de son accession irréfutable à une piété personnalisée
et assortie, dans son esprit, d'une maturité intellectuelle et
psychique transcendante au culte enfantile d'une mère vierge et
d'un enfant innocenté. C'est pourquoi, comme il a été dit, Jung
juge le meurtrier titanesque de la Genèse en moraliste habilité
dès la puberté à admonester la divinité censée l'avoir enfanté
et même à la chapitrer rudement.
Et pourtant, l'intrépidité iconoclaste connaturelle au prophétisme
de la créature évadée de son berceau mais demeurée prisonnière
de l'Eden de la foi s'arrête bientôt par l'effet d'un double refoulement
des bienfaits de la grâce : d'un côté , la sélection incontestée
des vrais croyants par un Dieu attentif à la qualité nobiliaire
de sa garde rapprochée n'étant plus contrôlable par un sérail
ecclésial d'orchestrateurs du salut intronisés par un père sélectif,
il en résulte une angoisse des serviteurs du ciel, certes privilégiés
de naissance par le roi de l'univers, mais condamnés à ignorer
ce que leur géniteur des nues a dans la tête et ce qu'il exige
exactement d'une cour flottante au chapitre du protocole et de
l'étiquette; de l'autre, la foi de l'élite du ciel nourrit une
revanche compensatoire et planifiée sur le péché et la mort qui
frappe les humains demeurés hors de l'Eden.
Du coup, le privilège réputé bien motivé dont bénéficie le peuple
selon l'esprit, mais incompréhensible aux impétrants, enfante
une innocence native dont le degré de maturité et de responsabilité
reste en suspens. Le culte de l'enfant-roi demeure vivant, parce
qu'il est consubstantiel au christianisme, mais il se stratifie
et se stabilise à l'âge où l'adolescent s'installera pour la vie
dans un statut séparé du commun des mortels et protégé de la géhenne
du monde par son élévation intérieure et secrète au rang de semi
séraphin . Alors que le catholique se libère de sa responsabilité
politique par l'écoute puérile d'un pédagogue céleste réputé infaillible
et qui a fait de son Eglise non seulement le dépositaire officiel
et irréprochable de son enseignement, mais le garant de l'accès
quotidien du peuple de ses serviteurs à son audience, le protestant
se sent libéré d'une régence pointilleuse de son salut et d'une
gestion guichetière de la grâce dont il bénéficie ; mais, en contrepartie,
il endosse en aveugle la cuirasse d'une foi de chambellan de l'absolu
qui le protège de sa déréliction dans le cosmos par l'effet d'une
innocence de fer. Il n'est plus l'homme ficelé par des liturgies
et enrubanné de rituels mécanisés, mais son infantilité à toute
épreuve se perpétue en ce qu'elle le met à l'écart des " ténèbres
extérieures " dans lesquelles le reste du monde demeure plongé.
On comprend pourquoi une anthropologie attachée à spectrographier
l'enfance d'une espèce projetée sur les écrans de ses théologies
s'articule nécessairement avec toute la géopolitique contemporaine,
puisque l'empire anglo-saxon se révèle entièrement, viscéralement
et férocement assujetti à cette forme caligulesque de la puérilité
adolescente . Le propre de cette politique est la croisade de
la vertu et la conviction indéracinable d'une " inculpabilité
" séraphique, comme l'écrit Philippe Grasset .
C'est pourquoi Jung n'est en mesure que de dénoncer l'idole la
plus apocalyptique, celle du Déluge, des tortures infernales et
du jugement dernier, non celle aux dentelles teintées de sang
de tous ses théologiens, de Tertullien et saint Ambroise à saint
Thomas d'Aquin et Ignace de Loyola. Mais où a passé l'esprit ?
Serait-il dans la pitié pour une espèce " abandonnique
", comme disait François Dolto, serait-il dans la charité à l'égard
des enfants cruels et terrifiés que leur père a chassé de son
jardin, ou bien dans le rappel de Pascal qu'on ne saurait observer
un animal en tant que tel avec les yeux de l'animal, mais en le
regardant réfléchi sur une autre rétine ? Quel est le globe oculaire
de la philosophie ? Cette discipline descendrait-elle dans les
profondeurs de l'animal pour remonter des ténèbres? Un anthropologue
a dit : " Plus il s'élève, plus je l'abaisse, plus il s'abaisse,
plus je l'élève". Sur quelle échelle de Jacob, sinon sur celle
de l'intelligence ? Mais alors l'homme serait-il l'animal dont
la spécificité serait de faire l'ange ?
L'audace théologique et psychanalytique de l'école de Zürich s'est
arrêtée à l'examen des broderies de la divinité, ce qui l'a privée
d'un apprentissage et d'un décryptage méthodiques de l'inconscient
de l'histoire historico-politique des trois monothéismes. Mais
du coup, le monde moderne condamne la psychanalyse à apprendre
le tragique de l'histoire à l'école des grands spécialistes de
Caligula, les Swift, les Shakespeare , les Cervantès, les Molière.
16
- Retour à Caligula et à son cheval 
Si
l'on considère que notre espèce figure une ellipse dont le catholicisme
et le protestantisme symboliseraient les deux centres et si l'on
admet que la topologie des théologies animales trace un cercle
qui les rassemble en une seule figure géométrique, puisqu'il est
démontré que la somme des distances des deux centres à tout point
de l'ellipse est constante , nous dirons qu'un cercle roulant
sur une droite fait parcourir à tout point de sa circonférence
une courbe que nous appelons une cycloïde . Supposons maintenant
que le cercle en lequel la politique et l'histoire se confondent
s'appelle une théologie , le point qui tracera dans l'espace une
cycloïde dotera l'anthropologie scientifique de demain d'une dynamique
de l'imaginaire religieux et politique simiohumains .
Si nous radiographions la théologie élaborée à la seconde diète
de Worms qui s'est tenue , comme il a été rappelé, à Stockholm
le 30 août 2006, nous remarquerons que les Pères Conciliaires
de la démocratie mondiale y ont traité des statuts respectifs
des idéalités de Caligula et de l'avoine des Incitatus de la politique.
Le débat s'est divisé entre les catholiques - l'Espagne, l'Italie
- qui y ont soutenu la thèse selon laquelle le Dieu chrétien ne
pouvait se contenter de fournir son picotin au Liban et qu'il
fallait que la balance de sa justice distinguât le juste de l'injuste.
De leur côté , les protestants du nord de l'Europe invoquaient
les mystères de la grâce démocratique, qui changeait les croyants
en missionnaires de la vertu et en saints pourvoyeurs de l'avoine
des peuples et des nations .
Mais les deux écoles inversaient quelquefois leurs évangiles et
leurs casuistiques. Quand les protestants se proclamaient les
élus de leur ciel et les vaillants porte-parole de la vérité de
Dieu, leurs fulminations s'armaient du courage de distinguer les
Caïn et les Abel , et ils se disaient que les mains de l'homme
sont pleines de sang sur les parvis de l'histoire ; et les catholiques
disaient que les desseins de la Liberté sont jésuitiques et qu'ils
n'appartient pas à l'homme de juger des verdicts impénétrables
des idéalités de la démocratie.
Cette
difficulté doctrinale a empêché le concile de Stockholm de trancher
du juste et de l'injuste , du Bien et du Mal, du vrai et du faux.
Aussi les Pères se sont-ils séparés sur la décision de garder
le silence sur la théologie de Caligula et de remplir le râtelier
d'Incitatus, dans lequel ils ont versé de l'avoine pour une somme
de sept cent millions d'euros ; et il a été relevé, dans le compte-rendu
des délibérations, que cette somme dépassait de loin celle que
les meilleurs catéchètes d'Incitatus avaient prévue - sans couvrir,
néanmoins, le prix des crimes de Caïn, qui représentaient plus
de dix fois cette somme. C'est ce qui explique que Caligula était
présent, sinon en personne à Stockholm, du moins sous le harnais
d'Incitatus et que son cheval a versé une poignée de dollars dans
la crèche de la démocratie.
Mais pour bien comprendre la théologie du concile de Stockholm,
il ne suffit pas d'observer la charité des théologiens de l'avoine,
qui s'imaginent obéir à la parole de leur idole à secourir les
pauvres et les affligés ; car la parole d'Isaïe est celle de la
foudre, et cette foudre terrasse les Incitatus du christianisme
; et pour les jeter à terre , elle " consterne " leurs prières
. Quel est l'instrument consternant de l'esprit, sinon le regard
sur l'infantilité simiohumaine ? N'avons-nous pas retrouvé à Stockholm
les deux faces sanglantes de l'enfance, les deux visages du meurtre
innocent , celui du catholique qui n'a pas d'yeux pour son idole
concentrationnaire et celui de l'adolescent protestant dont le
feu spirituel avorte dans l'euphorie pastorale ?
Entre
une théologie de l'adoration aveugle de l'enfant et une théologie
de l'édulcoration édénique du monde, quelle sera la catéchèse
d'une anthropologie de l'abîme, sinon celle des esprits tragiques
qu'on appelle les mystiques et qui ne remontent à la lumière du
jour que pour être descendus dans la nuit? Quels nihilistes que
les saint Jean de la Croix, les Me Eckhardt , les Nicolas de Cuse
, ces connaisseurs du cœur et des entrailles de Caligula !
17 - Dis-moi quelle
est ton idole et je le dirai qui tu es 
C'est ici qu'intervient l'ironie iconoclaste de la théologie anthropologique
dont les sciences humaines de demain se seront armées; car le
génie casuiste du Dieu de Stockholm a révélé les abîmes de sa
politique à rédiger une histoire hérétique de sa propre création
à l'école de ses jésuites de la démocratie depuis le déluge jusqu'à
l'apothéose thermonucléaire. Depuis lors, les clés du sacré ouvrent
le coffre de l'inconscient retors et suicidaire des semi évadés
de la zoologie ; et leur justice commence d'étudier l'animalité
qui l'inspire. Alors la casuistique séraphique d'un empire se
révèle homéomorphe à une sphère infinie, c.q.f.d.
Reste à expliciter les raisons mystérieuses pour lesquelles les
sciences humaines ne disposent pas d'un organisme officiel tel
que le Clay Mathematics Institut qui, en 2000, a fait de la conjecture
de Poincaré l'un des sept problèmes mathématiques du millénaire.
C'est que la route ouverte à Athènes par les premiers topologues
du "Connais-toi" est bien plus longue à parcourir que celle de
la topologie des figures de la géométrie d'Euclide, qui vient
seulement de résoudre le problème de la sphéricité restreinte
de la casuistique démocratique. C'est dire que les escadrons de
vérificateurs de cette équation auront un tâche plus difficile
à mener au terme de sa logique interne que celle des tâcherons
riants du calcul qui ont rassemblé les pièces du puzzle de Gregori
Perelman ; car les topologues de l'infantilité de la condition
simiohumaine auront à construire le pont dont l'arcade principale
conduira la science de l'inconscient des théologies à une anthropologie
critique générale de la politique et de l'histoire de Caligula
et de son cheval.
Or,
ce pont exigera le recours à des logiciels encore peu connus et
qui permettront de rédiger une histoire anthropologique de l'intelligence.
De plus les mathématiciens des mythes religieux capables de rassembler
ces matériaux en acier trempé devront suivre plusieurs années
de formation à une école fort nouvelle des hérésies et des orthodoxies
de la liberté; car, dans l'état actuel de la civilisation mondiale,
les spécialistes de l'histoire des idoles de la démocratie ne
sont encore que des théologues prisonniers de l'enceinte des mythes
dont ils n'ont pas trouvé la clé. Ils ne sauraient donc ni rendre
intelligibles les péripéties de l'évolution des idéalités sanglantes,
ni même observer de l'extérieur les chaînes de montage des autels
de la justice humaine , tandis que les yeux dont la rétine se
révèlerait éducable et qui apprendraient à décrypter les meurtres
aux ailes d'anges des dieux simiohumains dans la politique et
dans l'histoire jugent encore inutile de consacrer quelque six
lustres de leur courte vie à étudier l'histoire des idoles et
de leurs billevesées, qu'ils situent toujours dans une topologie
cérébrale tridimensionnelle et antérieure à Freud et à Jung. C'est
pourquoi l'avance que les Perelman socratiques ont prise sur les
théologiens de leur temps est telle qu'ils ne sauraient tenter
de combler eux-mêmes les décennies qui les séparent des retardataires
: il faudra deux générations, disent-ils, pour enseigner aux psychanalyses
à regarder l'espèce humaine dans le miroir de ses dieux .
5 septembre 2006