A Claude Grégory (1921-2010)
Introduction
Une psychanalyse
de la condition simiohumaine est-elle possible à partir de
la découverte freudienne du continent de l'inconscient? Si
toute la philosophie de la connaissance se ramenait à une
analyse critique des secrets du psychisme simiohumain qui
téléguident la construction cérébrale qu'on appelle la théorie
scientifique, la pensée rationnelle de l'Occident devrait
se laisser unifier de Platon à nos jours sur le modèle qui
permit à Copernic de retrouver les calculs exacts sur lesquels
les systèmes astronomiques antérieurs se fondaient, mais au
bénéfice de la configuration héliocentriste du système solaire.
De plus, ce serait
nécessairement au plus secret du fonctionnement caché de l'encéphale
schizoïde de notre espèce qu'il faudrait chercher le théâtre
originel de l'inconscient qui sous-tendrait la représentation
devenue copernicienne du cosmos; et il faudrait, de surcroît,
que l'encéphale du plus étrange des animaux se trouvât d'avance
scindé à titre viscéral entre un conscient désespérément rabougri
et un inconscient épistémologique d'une étendue incommensurable
- autrement dit, il faudrait que, dans l'état actuel de son
évolution mentale, cet animal fût cérébralement bifide par
un verdict des chromosomes biphasés qui piloteraient tous
les évadés actuels de la zoologie.
Quelle serait alors
la plaque tournante d'une amphibologie inscrite dans le capital
psychogénétique sommital des otages partiels du règne animal,
sinon les multiples usages que leur boîte osseuse abusée ferait
du verbe expliquer? Car, en latin explicare,
signifie simplement dénouer les fils d'un écheveau, déplier,
désembrouiller une situation, et non se référer à un système
mythique du sens en soi ou à une finalité religieuse
de l'univers, tandis que "comprehendere" évoque déjà
un rassemblementde coordonnées, donc un échiquier de la connaissance.
C'est donc pareillement
à l'homme que le mode d'emploi de l'entendement tout pratique
des autres animaux les conduit à "s'y retrouver", pensent-ils,
parmi les obstacles auxquels ils se heurtent sans cesse dans
le monde extérieur, donc à s'imaginer qu'ils comprennent à
merveille tout ce qui leur arrive au sein d'une problématique
innée du savoir. De plus, ils en trouvent des preuves "naturelles"
et qu'ils jugent non seulement parfaitement convaincantes,
mais tangibles de surcroît. A quelle école nourrissent-ils
leur croyance en un si grand prodige? Ils se soumettent massivement
à l'enseignement de certains critères du "compréhensible
en soi" qui leur paraissent évidents à tous, faute qu'ils
parviennent à porter leur regard sur l'inconscient qui aveugle
leur espèce de raison. Celle-ci les met à l'écoute d'un sens
du monde qu'ils ont unanimement baptisé l'intelligible.
Quels sont les
pilotes cérébraux qui rendent leurs preuves si persuasives
à leurs yeux? Car aucun spécimen de cette espèce ne se dit
qu'une preuve ne saurait se rendre matérielle en tant que
preuve et que les ingrédients qui entrent dans la composition
de l'intelligible sont nécessairement subjectifs, puisque
toute démonstration allègue des signifiants humains, de sorte
qu'aucun signifiant ne se présente sous les traits d'une substance,
que je sache. Toute argumentation ne paraît donc probatoire
à l'entendement commun aux hommes et aux animaux qu'à charrier
des signaux qui les concernent au vif. Or, la plupart des
écriteaux dont le singe multivocalisé se réclame sont rassemblés
dans une coquille sonore que ces animaux appellent la parole.
Confondraient-ils leur corps avec les voix qu'ils habitent
et qui les habitent en retour? Dans ce cas, allons-nous les
domicilier dans leurs langages à la manière des escargots
dans leur domicile portatif? .
1
- Le vrai et le
signifiant
2
- La psychanalyse de la philosophie
3-
La psychanalyse de la raison expérimentale
4
- La psychanalyse de la raison pratique
5
- Freud et la psychanalyse de Dieu
6
- L'avenir de la psychanalyse et la réécriture de l'histoire
de la philosophie européenne
7
- Le parapluie de Charcot
8
- Quel est le statut anthropologique du symbolique ?
9
- L'homme d'un symbole
10
- La mania des Grecs
11
- Qu'est-ce que le génie ?
12
- Freud et le génie
*
1 - Le
vrai et le signifiant
J'ai rappelé plus haut (La
fécondation philosophique de la psychanalyse
- Freud
et l'avenir de l'inconscient,
23 mai 2010 ) que, depuis 1781, l'Europe
pensante est devenue unanimement kantienne en ce qu'elle enseigne
jusque dans les écoles publiques qu'aucune preuve ne saurait se
rendre physiquement visible. C'est dire que l'examen des acteurs
mentaux qu'on appelle des démonstrations est du ressort de la
psychanalyse du principe dit "explicatif" de causalité.
La postérité de Freud est donc appelée à rendre compte du fonctionnement
pseudo démonstratif de la boîte osseuse d'une espèce dont nous
ne savons que depuis 1904 que son cogito se trouve installé depuis
des millénaires dans une logique faussement tridimensionnelle.
Les explorateurs modernes du "Connais-toi" socratique ont donc
vocation de sceller une alliance avec les trans-psychologues de
demain afin de détecter à leurs côtés les mécanismes psychiques
qui assurent la sécrétion du pseudo intelligible à l'école
des champs de course d'une matière en déplacement perpétuel dans
le vide. Mais alors, la philosophie et la psychologie sont les
peseurs associés de l'entendement trompé, mais comblé du simianthrope.
2 - La psychanalyse
de la philosophie
Observons à ce prix ou sous ce joug le jeu des divers systèmes
de communication entre les deux lobes relativement stabilisés
d'un encéphale pourtant scindé ab origine entre des mondes
oniriques et des mondes visibles. Comment l'imaginaire cérébralisé,
donc le fabuleux conceptualisé du simianthrope scelle-t-il alliance
avec des territoires étroitement réservés à l'usage des cinq sens
de cet animal?
L'anthropologie
critique est le Lilliputien chargé de calibrer les ponts verbaux
gigantesques que Gulliver jette inlassablement entre le tangible
et le fantastique. Or, ces ponts ne sont observables qu'à la lumière
de la postérité de la psychanalyse encore nécessairement partielle
de Freud. Comme je l'ai esquissé le 23 mai à l'occasion d'un bref
rappel de la teneur de l' entretien que la princesse Marie Bonaparte
a bien voulu accorder au jeune homme que j'étais alors - elle
est décédée quelques mois après Jung, le 21 septembre 1962 - les
songes cognitifs sous-jacents à l'univers euclidien étaient un
héritage aussi flagrant qu'inconscient de la sous-théologie mondialisée
qui téléguidait la notion de "loi de la nature", cette
sœur jumelle d'un ordre divin censé régir le cosmos. Non seulement
les trois idoles qualifiées d'uniques s'accordaient à projeter
sur l'univers un régime politique stable et des signifiants étroitement
greffés sur la fermeté de leur gouvernance, mais leur mésintelligence
même des fondements psychiques de cette confusion mentale était
censée disposer d'un code d'explication du monde d'un type juridique
immuable. Comment cet emmêlement sacré était-il réputé expliquer,
donc comprendre la masse des atomes et le vide qui les
sépare?
3-
La psychanalyse de la raison expérimentale
La jonction entre le monde onirique et le monde physique s'opérait
par la médiation astucieusement truquée de signifiants censés
charriés par l'expérience. Il y fallait l'intercession d'un appariteur
universel qu'on appelait l'équation. Toute la difficulté
était de charger cette balance symbolique de placer sur l'un de
ses plateaux la régularité incontestable des coutumes de la matière
et sur l'autre la prétendue intelligibilité en soi censée résulter
de leur monotonie avérée. Comment un équilibre artificiellement
chargé de brancher les deux univers sur l'entendement simiohumain
concoctait-elle de surcroît une mixture cérébrale extraordinaire,
laquelle enfantait à longueur de journée des liaisons de confection
entre le vieux code d'une légitimation juridico-théologique du
"sens", d'une part, et la "vérification" des signifiants
simiohumains abusivement allégués à l'appui des charrois aveugles
de la matière, d'autre part? La psychanalyse de la connaissance
semi animale observe l'inconscient projectif qui charge les répétitions
muettes et sourdes du cosmos de véhiculer physiquement une intelligibilité
impérieusement préconnectée sur une raison d'origine ventrale.
C'est
dire que l'anthropologie critique et la psychanalyse de la "connaissance
rationnelle" sont logiquement conduites à observer le brouet
cérébral qu'une espèce semi animale est appelée à consommer; et,
hors de cette méthode d'examen, l'alliance de Freud avec la philosophie,
donc avec la pesée anthropologique de la subjectivité de la connaissance
n'a aucune chance de cerner la spécificité mentale d'une espèce
spéculaire, donc narcissique jusque dans ses représentations théoriques
du monde. Car les hommes et les animaux se partagent une incapacité
naturelle de porter une attention clairement séparée aux faits
muets et au verbe comprendre que les faits sont censés porter
sur leur dos sitôt qu'ils se laissent chiffrer.
C'est dire également que si la psychanalyse post freudienne
et l'examen critique de la généalogie du verbe comprendre
ne débarquaient pas de conserve dans une spectrographie générale
de l'inconscient simiohumain du savoir théorisé, jamais nous ne
découvririons comment une science physique naïvement portée sur
les fonts baptismaux supposés confusibles du ciel et du droit
romain légalisait effrontément la nature au banc d'essai de l'expérience
"parlante". En réalité, les animistes de l'association
du ciel et du répétitif étaient à la fête : leur alliance mariait
les deux lobes de l'encéphale biphasé du simianthrope ensorcelé
par ses propres oracles. L'esprit magique qui faisait battre le
cœur du verbe expliquer et respirer l'expérience scientifique
doublée par sa "parole" trompait ensemble les hommes et
les animaux - mais une seule de ces deux espèces égarées dans
le vide se trouve livrée à l'affolement par ses escapades délirantes
dans un sacré chargé de la délivrer du joug de sa fausse raison.
4
- La psychanalyse de la raison pratique
Pourquoi la psychanalyse du langage dont la science expérimentale
fait usage n'a-t-elle pas fait irruption dans l'interprétation
anthropologique de l'inconscient religieux qui sous-tend la notion
même de "preuve expérimentale" au cœur de toutes les sciences
exactes? Et pourtant, celles-ci se révèlent subrepticement finalisées,
donc "théologisées" par le concept même de raison, ce qui
signifie que l'explicatif est vaticinant par définition. Mais
si un attrape-nigaud de cette taille a pu convaincre pendant des
siècles les savants antéeinsteiniens que la nature "parlait
raison", donc se rendait intelligible dans un univers à trois
dimensions, c'est que le sacré s'enracine à une bien plus grande
profondeur dans les gènes du simianthrope hyperlocuteur que Freud
ne le croyait. Il était évident, me disais-je maintenant, que
le signifiant central qui prédéfinissait la notion même de vérité
scientifique, donc le "sens rationnel" que la matière
était censée charrier sur son dos comme l'escargot sa coquille,
ce signifiant, dis-je, servait d'oracle au langage de la physique
d'hier, mais également à l'expérimentation de type simiohumain
qui rend proférateur tout ce qui bouge ou se répète.
Dès
lors que la causalité logée dans la physique "causative"
de l'époque se révélait une construction mentale de type schizoïde,
le pouvoir explicatif gravé dans le plomb du verbe comprendre
était incontestablement de type téléologique, donc parareligieux;
et puisque le territoire de l'inconscient cérébral qui s'étend
sous la preuve expérimentale euclidienne se révélait aisément
accessible à une analyse du conditionnement psychogénétique auquel
l'encéphale projectif des descendants du chimpanzé obéit, la psychanalyse
anthropologique de l'inconscient entrait de plein droit dans la
descendance philosophique commune à Freud, à Kant et à Hume; car
l'auteur de la Critique de la raison pure et celui
de l'Essai sur l'entendement humain avaient compris
à quelques années d'intervalle que la causalité, comme il est
rappelé plus haut, ne se manifeste nullement en tant que telle
dans le monde extérieur, mais téléguide seulement l'encéphale
inconsciemment fasciné par le répétitif d'une espèce vouée à cérébraliser
ses fourrages - ce qui la condamne à faire tenir un discours explicatif
à l'expérience profitable.
Quoiqu'il ne fût né qu'en 1856, trois ans seulement avant la publication
de L'évolution des espèces, Freud s'est accoté sa
vie durant à Darwin, parce que la découverte de l'inconscient
impliquait l' extension virtuelle du champ d'investigation de
la psychanalyse à la connaissance critique des souterrains subjectifs,
donc religieux à leur tour, qui servent de terreau mental aux
sciences tridimensionnelles cérébralement dichotomisées par le
mythe de la causalité.
C'est
dire également que la phalange des psychanalystes prospectifs
qui sortira en force de la forteresse fissurée de la preuve euclidienne
observera le personnage branlant qu'on continue d'appeler la vérité
scientifique et qui renvoie à l'autre moitié de l'encéphale
bipolaire du simianthrope. Mais les plongeurs de cette psychanalyse-là
disposeront des instruments d'exploration de l'inconscient que
le début du XXe siècle ne connaissait encore qu'à titre virtuel.
Quels instruments? Ceux qui permettront de faire la synthèse entre
le fondement mythologique de la physique classique d'un côté et,
de l'autre, des trois théologies monothéistes.
5
- Freud et la psychanalyse de Dieu
Un
territoire nouveau s'ouvre à la psychanalyse du meurtre rémunéré
de l'autel, celui d'une connaissance anthropologique de l'inconscient
cultuel qui sous-tend la notion profitable d'expérience "parlante",
puisque toute théorie physique se veut légitimante des pouvoirs
établis, donc consubstantielle à un ordre public fondé sur le
culte du sang payant, puisque récompensé par le ciel. Mais si
le signifiant central appelé à trôner au cœur du pacte sacrificiel
que les sciences exactes, la religion et l'histoire concluent
sur leurs propitiatoires respectifs n'est autre que la légitimation
de la "vérité " immolée au profitable sur les autels de
la raison collective, on comprend la fécondité, mais aussi les
limites de la psychanalyse du sacrificateur public de l'univers
explicitée dans L'avenir d'une illusion. Car en
grec mageiros signifiait originellement le boucher,
puis le sacrificateur et enfin le cuisinier, tellement la viande
et le ciel se sont tout de suite accordés.
Puis,
le mageiros signifiera à la fois le maître queux
et le magicien officiel, c'est-à-dire l'apprêteur patenté de la
nourriture présentée à la table des dieux et qu'on appelle un
offertoire. Quand l'humanité aura déserté la chasse, donc
la bête et le sang, pour produire le blé et la vigne, donc le
pain et le vin, cette rupture dans le mode de production des aliments,
donc également de la mangeoire des idoles, les conduira à un nouveau
type de repas; et le mageiros, devenu le prêtre,
remplacera la victime saignante autrefois humaine, par un animal
de boucherie, puis dans le christianisme, par une métamorphose
du blé et de la vigne en chair et en sang, tellement on ne saurait
servir seulement des végétaux cuisinés au banquet du créateur.
De plus, la victime charnelle subrepticement redevenue humaine
sera tenue pour le fils même de Zeus, afin de signifier que le
croyant offrira désormais son propre sang et sa propre chair sur
l'autel d'un sacrifice continuel à son souverain politique. Enfin,
Jupiter ne saurait consommer sa propre progéniture à pleines dents
et toute crue: le sacrificateur des chrétiens se contentera de
humer la bonne odeur du plat que ses bouchers lui présenteront
sur ses autels. On voit, à ce résumé succinct, qu'une anthropologie
critique qui ne descendrait pas à cette profondeur-là dans l'alliance
que notre espèce scelle entre le culinaire et le sacré ne serait
pas une science, mais un amusement d'enfant et que seule la psychanalyse
est appelée à explorer l'encéphale et les entrailles de l'animalité
propre à notre espèce.
Mais
il se trouve qu'au lieu d'étendre résolument sur le divan l'immolateur
et le tortionnaire en chef du cosmos et de le faire accoucher
de son inconscient de génocidaire sacré, le grand Viennois a passé
sous silence l'hypertrophie cosmologique des modestes apanages
du père de famille occidental. Qu'en est-il de la métamorphose
des maigres prérogatives culinaires d'un géniteur en chambre en
celles du père fabuleux d'un univers de bouchers, de sacrificateurs
et de magiciens? Ne passerions-nous pas au large d'une psychanalyse
anthropologique des grands Etats, des empires et de la guerre
si nous ne faisions sortir de l'alcôve le maître et régisseur
des tortures éternelles?
Car
les dieux anciens et nouveaux ne sont pas tous et exclusivement
des pères de famille gigantifiés. En revanche, ils représentent
l'autorité à la fois collective et infernale que les sociétés
exercent unanimement sur leur propre surmoi national, social,
judiciaire et militaire. Si Lacan avait disposé à la fois des
instruments d'une anthropologie critique de l'inconscient des
sciences expérimentales et d'une psychanalyse de la généalogie
des idoles cérébralisées qui pilotent la politique et l'histoire,
ce théoricien du principe d'autorité aurait radiographié les alliances
diverses et changeantes que les peuples concluent avec leurs idoles
punitives. Faute d'avoir accédé à un scannage des idéalités, donc
des idoles des modernes, le radiographe des "belles âmes"
ne nous a pas fait progresser sur le chemin de la fécondation
philosophique de Freud - il aurait fallu mettre la main sur l'animal
rendu spéculaire par les verbes-clés expliquer, comprendre, savoir.
Quel miroir du ciel que le narcissisme auto-angélisé, matamoresque
et patriotique que l'humanité forge sur l'enclume de ses idéalités
séraphiques et tueuses!
6
- L'avenir de la psychanalyse et la réécriture de l'histoire de
la philosophie européenne
Mais il existe un autre chemin pour tenter d'examiner la face
cachée de l'inconscient cérébral du simianthrope schizoïde et
auto sacrificateur; car un animal réfléchi dans le miroir de son
entendement dichotomisé de cuisinier et de magicien subira nécessairement
des métamorphoses accélérées du destin, bipolarisé à son tour,
qu'il va s'accorder à titre posthume. En tout premier lieu, il
se produira une mutation de toute la philosophie occidentale en
une psychanalyse de la condition biphasée de la pensée oblative
- ce qui nous reconduira à la réflexion anthropologique précédemment
esquissée sur l'inconscient cultuel et immolatoire de la politique
et de l'histoire.
Car si la boîte osseuse du simianthrope est le moteur caché de
ses représentations magiques d'un univers de la matière à prétentions
locutrices et si, par conséquent, le véritable empire de l'inconscient
théologique de cette espèce est celui de ses agapes psychiques
et politiques confondues dans le ciel de son esprit, il faudra
remonter à Aristoclès, plus connu sous le nom de Platon pour charger
ses larges épaules de l'évidence que le véritable statut de la
philosophie ironique a toujours été celui d'une anthropologie
critique de la cuisine de l'inconscient qui sous-tend les connaissances
soi-disant assurées des mangeurs et que l'ambition naturelle de
l'intelligence sommitale du simianthrope le pousse à observer
de l'extérieur le fonctionnement auto-trompeur de sa conque osseuse
de consommateur affamé de savoirs pseudo parlants.
Tous les dialogues du biographe transcendantal de Socrate mettent
en scène des personnages cérébralement dédoublés et dont l'inconscient
épistémologique illustre la scission mentale que leurs dieux ont
opérée en eux. Aussi toute la pédagogie platonicienne vise-t-elle
à forger les cerveaux dans lesquels des concepts bifides seront
hissés à l'universel et serviront de gouvernails au savoir généralisateur
dont se nourrira la philosophie des idées. La raison profératrice
changera des vocables universels en hosties et en oracles du sens,
donc en voix de l'univers de l'intelligible nouveau à consommer
- celui qui fournira des idéalités à manger à la table des dieux
de la parole. On voit que le mécanisme originel de la production
du sens n'a pas changé de logiciel au sein de la cuisine de la
"raison expérimentale": elle donne désormais la chose même
pour prélude comestible au signifiant central baptisé la "vérité"
et qui fait du cosmos de la matière tout entier le nouvel offertoire.
La philosophie des radiographes de l'intelligence du simianthrope
et de ses cuisiniers-sacrificateurs sera donc nécessairement la
continuatrice de l'analyse freudienne de la nourriture de l'inconscient
fournie à la table des dieux. L'humanité est devenue consommatrice
des déités magiques que sécrète maintenant le langage abstrait,
puisque, depuis Hegel, c'est la réinterprétation sans cesse renouvelée
du sens idéaliste de l'histoire de la philosophie d'hier
qui alimente la pensée philosophique idéaliste de demain - et
cela en régénérant sans cesse le sens même de la question du sens,
donc la connaissance anthropologique de l'inconscient idéaliste
des verbes expliquer et comprendre; et si la vérité
est un signifiant cuisiné par l'expérience et que gouvernent inconsciemment
ses magiciens - ce que Lacan avait pressenti - quelle est la nature
de ce totem verbal en tant qu'objet odorant du sacrifice et comment
change-t-il le sujet de conscience lui-même en une offrande de
chair et de sang parfumée sur la potence ensanglantée qu'on appelle
l'Histoire?
7
- Le parapluie de Charcot
Pour
tenter de comprendre la fonction immolatrice de la boucherie sacrificielle
qu'exercent les autels du sang et de la mort dans les civilisations
converties en apparence à la consommation du blé et de la vigne
de la communion, il faut mettre la main sur la clé de la rationalisation
profitable de l'univers. On sait que Freud a été l'élève de Charcot
à l'hôpital de la Salpêtrière. Nous devons à ce visionnaire méconnu
d'avoir mis en évidence une forme de l'inconscient raisonneur,
donc falsificateur, articulée d'avance avec le langage du symbolique
auto-légitimant. Mais, aux yeux de Charcot, l'instrument d'expérimentation
de l'inconscient était encore l'hypnose : c'était sous hypnose
qu'il demandait au spécimen qui lui servait de cobaye d'ouvrir
un parapluie dans la pièce sitôt qu'il se serait réveillé.
Sitôt revenu à la conscience, l'égrégoré s'empressait d'ouvrir
un parapluie que l'expérimentateur avait mis à sa disposition
dans un coin de la salle; mais ce geste spontané s'appuyait sur
une argumentation aussi serrée à sa manière que celle les théologiens
scolastiques, qui rendaient irénique le tribut du sang au roi
de la mort que le mythe de la transsubstantiation eucharistique
réclamait impérieusement du croyant, de sorte que la difficulté,
pour le malade, n'était nullement d'expliquer la présence incongrue
d'un parapluie qui n'avait aucune raison de se trouver là, mais
d'expliquer une absurdité de bien plus forte taille et non moins
innocente en apparence, celle de traiter des motifs rationnels
de l'ouvrir dans un lieu couvert.
Charcot
est le premier observateur du masque protecteur qu'on appelle
le langage démonstratif et que profère un menteur inconscient
de mentir - donc d'une parfaite bonne foi. Pourquoi le tétanisé
à son insu expliquait-il candidement son geste aux assistants?
Pourquoi la lanterne de sa motivation rayonnait-elle d'une lumière
aussi évidente que spontanée et sincère ? Pourquoi légitimait-il
la bouche en cœur et naïvement un comportement dont il ignorait
le ridicule ? Pour mettre en évidence le sens anthropologique
d'une candeur commandée sous hypnose, il faut se demander pourquoi
il aurait pensé à mal pour "rationaliser" son acte.
Je
me retrouvais devant le même fossé entre la vérité adaptative
et "guérisseuse", d'une part et la vérité anxiogène, d'autre
part, dont j'avais découvert l'étrangeté au cours de mon entretien
avec Marie Bonaparte, puis avec Carl Gustav Jung; car ni Freud,
ni Fromm, ni Jung, ni Charcot lui-même ne théorisaient le moins
du monde une expérience existentielle et mortifère, celle dont
témoignait l'alliance native de la conscience claire du simianthrope
avec l'angélisme et le tartufisme raisonneurs. Mais pourquoi la
méthode psychanalytique a-t-elle si rapidement abandonné la piste
prometteuse de l'hypnose? Parce que l'interprétation scientifique
de l'inconscient masqué attend le dangereux secours d'une anthropologie
critique dont la médiation naturelle élargirait le champ de l'observation
du fonctionnement sécurisant et autolégitimant de l'encéphale
argumenteur de notre espèce, ce qui exige l'émergence d'un regard
soupçonneux sur la finalité psychobiologique universelle qu'un
parapluie se chargera de symboliser.
8 - Quel est le statut
anthropologique du symbolique ?
La
raison semi-animale serait-elle placée de naissance sous l'hypnose
de ses savoirs? S'agirait-il d'une cuirasse mentale naturelle
? Si les psychanalystes post-freudiens avaient observé que, dans
une pièce qu'on appelle le cosmos, la physique mathématique traditionnelle
et la théologie des trois idoles du monothéisme ouvrent un seul
et même parapluie psychique, celui d'un langage de cuisinier,
de boucher sacrificateur et de magicien confondus, ils auraient
remarqué que l'encéphale semi animal est béatifique, angélique
et auto-bénédictionnel . La parole serait-elle dont un autel benoîtement
oblatif et auto-sanctificateur? Voilà un pont de taille à jeter
entre la psychanalyse anté-symbolique de Charcot et la politique
du mageiros primitif - entre l'histoire sanglante du monde et
une histoire de parapluie bénisseur - mais à condition que nous
soyons un peu plus avancés dans notre patient apprentissage du
statut anthropologique du symbolique en général et de celui du
sacrificateur en chef dont la langue grecque nous enseigne les
attaches avec l'art de la boucherie. Car le pieux Pascal lui-même
évoque un certain "boucher obscur" du cosmos, un roi masqué
des carnages.
Les
mystiques du haut Moyen Age avaient progressivement oublié l'antique
alliance du Dieu à la fois immolateur et prometteur des chrétiens
avec le glaive du droit romain. Les volutes du ciel vaporisé au-dessus
de l'empire des tortures éternelles ne se redonneront qu'avec
le rationalisme cartésien la méthode expérimentale et la logique
euclidienne pour sceptre, cuirasse et goupillon confondus au service
de l'intelligibilité du monde. Mais si la future psychanalyse
du parapluie symbolique de Charcot avait conduit les Christophe
Colomb de l'inconscient à interpréter une histoire du simianthrope
dédoublé entre le sang du ciel et celui d'ici bas, quel laboratoire
du "Connais-toi" que la parole trucidatoire et béatifiante de
l'autel et quelle école du politique que celle d'une histoire
anthropologique de l'inconscient, tellement les contorsions dialectico-théologiques
du langage simiohumain sont chargées de rationaliser un univers
désespérément muet et sourd ! Le symbolique nous aiderait-il à
comprendre l'empressement du sujet "en bonne santé" à ouvrir
un parapluie au sortir de l'hypnose?
Dans
ce cas l'exploration de la postérité anthropologique de l'inconscient
freudien ne cesserait de reculer les frontières du darwinisme,
dans ce cas, la psychanalyse du sacré en viendrait à monopoliser
l'interprétation de l'évolution masquée du cerveau d'une espèce
placée sous hypnose par ses autels; dans ce cas, la science de
l'inconscient du meurtre religieux se révèlerait en mesure de
nous éclairer sur l'avenir de l'interprétation du transformisme,
dans ce cas observer de l'extérieur les alliances et les
renversements d'alliance entre l'expérience scientifique de la
nature, cette héritière de la table des dieux, et les songes sacrés
qui ont jalonné le devenir idéalisé et auto-rédempteur de la boîte
osseuse du singe verbifique, ce serait se servir de la caméra
dont la pellicule enregistrera le pacte sanglant que le ciel du
sacrificateur conclut avec le visible et le tangible. Car l'histoire
est à elle-même son propre sacrificateur dans le miroir des hypnoses
collectives.
9 - L'homme d'un symbole
L'avenir
philosophique de Freud sera anthropologique. C'est dire que le
reproche d'avoir réduit le champ d'interprétation de la psychanalyse
à la guérison des névroses d'origine sexuelle est aussi vain que
de reprocher à la physique d'Aristote de s'en être tenue à la
logique d'Euclide . C'est dire également que les apories méthodologiques
qui embarrassent la science actuelle de l'inconscient simiohumain
sont nécessairement d'ordre philosophique, puisque la science
médicale fait passer la raison adaptative avant la vérité scientifique.
Comment tirer cette discipline du guet-apens dans lequel elle
est tombée, celui d'avoir cédé aux attraits d'un gagne-pain médical
dont les tentations la scindent depuis les origines entre le Freud
anthropologue de Totem et tabou et le psycho-thérapeute
du "divan sauveur"?
Le Christophe Colomb de l'inconscient, lui, a toujours refusé
de sacrifier la vérité nue sur l'autel d'une "guérison"
dont les divers clergés de la rédemption cérébrale de l'humanité
font leur proie naturelle depuis le paléolithique. Par bonheur,
la dichotomie intellectuelle dont la théorie psychanalytique souffre
désormais à son tour est appelée à prendre, elle aussi, un sens
anthropologique central du seul fait que si le réel se révèle
d'un tragique sans remède, donc intolérable par définition, le
véritable destin d'un défrichage et d'un décryptage à la fois
mortifère et heuristique de l'inconscient sera d'aller au terme
de sa logique.
Le privilège ultime de la psychanalyse est le même que celui de
la philosophie : à l'instar de la discipline de la raison, l'exploration
du continent de l'inconscient est condamnée à se rendre à son
terme ou à faire naufrage dans l'erreur pseudo guérisseuse. La
radicalité de sa logique interne lui interdit de s'arrêter en
chemin; et c'est la dialectique qui en pilote les exigences qui
la contraint, toujours à l'instar de la philosophie, à étendre
sans cesse le territoire de la pensée qui l'inspire. C'est pourquoi
le XXIe siècle ne peut plus interdire aux défricheurs de la conscience
d'inspecter les souterrains de la pensée scientifique, c'est-à-dire
le territoire dont le kantisme avait fait sa chasse gardée.
Mais alors, l'avenir philosophique de Freud est dans la relève
de la pesée de la condition humaine par les défricheurs de l'inconscient;
et cette pesée est celle des dieux et des masques qu'on croyait
aux mains des seuls Platon, Descartes, Hume ou Voltaire. Mais
que dit d'ores et déjà la psychanalyse de l'entendement simiohumain?
Que si Dieu existait, ce personnage se saurait suicidaire. Quelle
lumière que celle de la psychanalyse de la vérité si elle nous
offrait le spectacle d'un animal que son rêve d'éternité a rendu
l'otage de sa folie; quelle lumière que celle qui connaîtrait
les bouchers, les sacrificateurs et les cuisiniers de l'humanité
; quelle lumière que celle de la révolution héroïque de sortir
de l'hypnose et quel triomphe de la connaissance de se rendre
spectateur d'un vivant jeté dans le vide par la mort. Par bonheur,
les Eschyle, les Cervantès, les Rabelais, les Swift, les Shakespeare,
tous les grands laboureurs du tragique se sont rangés d'avance
du côté de l'ironiste, du psychanalyse et du philosophe de la
folie et qui en a fait l'éloge
voir
- Gaza,
coeur de la folie du monde,
18 janvier 2010
10
- La mania des Grecs
Qui
est allé le plus loin dans la connaissance anthropologique de
l'alliance du symbolique avec la folie, Freud ou Jung?
On
sait que le grand Viennois a pris soin de ménager la susceptibilité
et le clientélisme du corps médical de son temps: il ne soignerait
jamais que les névroses, disait-il, et encore fallait-il que le
malade eût dûment vérifié au préalable que la médecine officielle
avait échoué à le guérir. C'est pourquoi, dans un premier temps,
la dette de Freud à l'égard de Jung a été immense, parce que le
Zürichois était psychiatre à l'hôpital de Bâle et qu'à ce titre,
il a apporté à la psychanalyse naissante sa première caution institutionnelle.
Mais on oublie que Jung avait fait une découverte révolutionnaire
"en laboratoire", si je puis dire et qui n'a pas été suffisamment
exploitée par la médecine officielle du seul fait que le traitement
en milieu hospitalier des fous "de bécarre et de bémol
", comme disait Rabelais, n'est pas rentable et que leur pathologie
ne fournit pas à la recherche des cas suffisamment nombreux et
payants pour mobiliser une thérapeutique pharmaceutique massifiée.
Et pourtant, la névrose et la démence inguérissable sont reliées
par une gestuelle symbolique. A ce titre, le scaphandre le plus
audacieux de la psychanalyse en eau profonde fut le mystique zürichois,
parce que lui seul est parvenu à démontrer que les comportements
obsessionnels et répétitifs d'un naufragé total de la conscience
symbolisent un traumatisme psychique qui aurait pu aussi bien
demeurer à l'état d'une névrose bénigne.
C'est
ce diagnostic, extraordinaire pour l'époque, qui a scellé la première
alliance entre Jung et Freud. Que serait-il advenu de la psychanalyse
si nos deux explorateurs de la vie et de la mort psychiques avaient
décrypté en commun les ultimes secrets anthropologiques d'une
symbolique de la folie que la médecine officielle élimine d'un
haussement d'épaules, la manie, ce dérangement anodin du
comportement si fréquent dans les névroses? Mais la folie inguérissable
et profonde, les Grecs et les Romains l'appelaient la mania.
Jung a suivi la mania à la trace et elle l'a conduit dans les
ténèbres de la démence.
11
- Qu'est-ce que le génie ?
Mais
alors, qu'aura-t-il manqué depuis soixante-dix ans aux praticiens
de la cure psychanalytique et aux historiens de la science de
l'inconscient pour interpréter la postérité anthropologique, donc
philosophique de Freud et de Jung et pour féconder une découverte
aussi révolutionnaire que celle de la schizoïdie cérébrale d'une
espèce livrée à une symbolique de sa folie aussi bien dans sa
"santé psychique" que dans la névrose et la psychose ?
Rien d'autre que le courage de tenter de comprendre l'arracheur
des masques de la "bonne santé" qu'on appelle le génie.
Par
chance, s'il fallait du génie pour flairer l'odeur de mort que
répand le génie, il n'y aurait ni connaisseurs, ni admirateurs
de Mozart, alors que cet aimant attire de siècle en siècle la
limaille de fer des simples mélomanes. Le propre du génie n'est
pas visible au premier regard, parce qu'il bouleverse la problématique
de la fausse connaissance qui permet à l'animal caché sous le
parapluie du langage quotidien de tisser l'étoffe de ses masques
hypnotiques, donc protecteurs et en "bonne santé". Mais
quel scandale permanent de placer la question à résoudre sur un
autre territoire! Exemple : depuis des siècles, on se demandait
pourquoi l'eau ne montait qu'à une hauteur déterminée dans les
puits, alors qu'elle était censée se trouver "aspirée"
par une pompe qui n'avait pas de raison, semble-t-il, de cesser
subitement de remplir la fonction de suçoir qu'on lui attribuait
faussement.
Mais on avait beau fixer tour à tour les yeux sur les puits et
sur les pompes récalcitrantes, parce que ce phénomène de la physique
se situait dans un tout autre espace de la logique de la nature,
celui qui exigeait la pesée de la masse atmosphérique qui écrase
la terre. L'eau ne vient que s'infiltrer dans le réceptacle auquel
la pression de l'air l'empêchait d'accéder. Mais si les pompes
n'ont jamais aspiré une seule goutte d'eau et si elles se contentent
de libérer une cavité dans laquelle une matière va se précipiter,
on s'expliquera que l'eau montât à des hauteurs différentes selon
l'altitude où se trouvait l'expérimentateur, puisque la pesanteur
de l'atmosphère varie nécessairement selon que le puits se trouve
ou non au niveau de la mer. Il en est de même de la physique d'Einstein,
qui a brisé le masque qui assurait la relation ancienne entre
l'espace et le temps, ce qui a rendu caduques les paramètres mêmes
de la physique mathématique classique. C'est pourquoi l'homme
qui a arraché à la nature le masque sous lequel Euclide l'avait
caché était fort médiocre mathématicien : des physiciens ordinaires,
il disait qu'ils comprenaient la physique à merveille, mais qu'ils
ne comprenaient goutte au génie, parce que la vocation de ce type
de cerveau est de changer la vision du monde de ses congénères,
non d'exceller dans le maniement du masque des équations. C'est
ce que tous les grands physiciens, et eux seuls ont compris. "En
fait, la relativité a bouleversé sans retour nos conceptions du
monde, aussi bien celles du philosophe que celles du savant",
écrivait Louis de Broglie (1892-1987).
Et si l'inconscient faisait changer d'équation à la condition
humaine comme Einstein a fait changer de respiration au cosmos?
12
- Freud et le génie
Le
génie de Freud répond au modèle du dénudement du singe pensant
qu'illustrent les Pascal et les Einstein en ce qu'il observe les
relations que la conscience des coiffeurs entretient avec les
décoiffeurs de l'inconscient, ce qui, pour la première fois, a
unifié la problématique même qui régissait précédemment les belles
chevelures du "Connais-toi". Alors qu'Einstein associe le décompte
des heures tout ensemble à l'espace et à la matière, ce qui sera
censé permettre au calcul de la vitesse de quantifier l'énergie
dont la matière paraîtra se révéler un concentré d'une puissance
supposée chiffrable, Freud change l'inconscient en une énergie
à laquelle l'échiquier mental de la conscience quotidienne sera
réputée se ramener, mais dont les déflagrations demeureront incontrôlées.
Où
est passé le symbolique? L'espace et le temps classiques seraient-ils
les poumons symboliques d'un cosmos que sa respiration compressée
conduisait à l'asphyxie? Autrement dit, Monsieur, votre parapluie
de Charcot est-il un objet ou un signe? Mais pourquoi croyez-vous
que, dans l'équation e=mc², "m" soit davantage qu'un signal? Une
matière privée de volume et de densité demeure-t-elle quantifiable?
Croyez-vous qu'une vitesse soit capturable en tant que telle?
Vous aurez beau multiplier des kilomètres par des distances et
des heures par des vitesses, jamais cette signalétique ne vous
mettra en main la substance mystérieuse qu'on appelle le temps.
Le Professeur André Lichnerowicz avait été élu au Collège de France
afin qu'il élevât du moins l'équation d'Einstein à une logique
mathématique acceptable. Il y a passé sa vie en vain, parce qu'il
appartient à la psychanalyse d'unifier une science du symbolique
simiohumain à laquelle cette équation sert seulement de masque.
Sachez, Monsieur, que l'équation e=mc² est une formule aussi symbolique
que l'énigme de l'inconscient, sachez que l'énergie de la matière
ne se laisse pas chiffrer, mais seulement symboliser à l'école
d'un calcul qui en fournit les signes. Mais peut-être les grands
hommes accouchent-ils du symbole en marche dont on jurerait qu'ils
l'incarnent. Diogène incarne sa lanterne, Socrate sa ciguë, le
chrétien sa croix, Einstein la quatrième dimension de l'univers
et Freud l'inconscient. Mais si le monde entier est devenu freudien,
comme Elisabeth Roudinesco le rappelle si pertinemment, l'inconscient
de l'inconscient appelle de nouveaux forages.
Que les psychanalystes désertent l'univers des pompes dites "aspirantes
et foulantes" de la psychologie classique pour observer à
quel niveau du puits Freud a fait monter les verbes expliquer
et comprendre! Alors ils verront le langage forger les
idéalités spéculaires qui permettent à la politique et à la religion
de masquer la véritable nature d'une humanité inconsciemment cachée
sous le parapluie de la métamorphose du meurtre rituel en offrande
sacrée sur l'offertoire sanglant qu'on appelle l'Histoire universelle.
Le 30 mai 2010